Chapitre II.

[Mardi matin]

Eliot s'aventura sur la pointe des pieds jusqu'au salon. Le sac à main de sa mère était enfoui sur un fauteuil.

L'estomac noué, il s'approcha et l'ouvrit discrètement, vérifiant de droite à gauche que personne ne l'observait.

Il tomba tout de suite sur son portefeuille et en profita pour attraper le seul billet de 50€ qu'il trouva. Il l'enfonça directement dans sa poche arrière et remit la scène dans le même état qu'il l'avait trouvée.

- Qu'est ce que tu fais ?

Il sursaute.

Jacob se tenait à l'entrée de la pièce, le dos soutenant le mur et les sourcils froncés.

Le pouls de l'adolescent s'emballa.

- Rien, je... Je cherchais ma carte de bus.

Silence.

- Dans le sac de maman ? S'étonna son grand frère.

- On n'sait jamais. Bon, je vais y aller, tant pis, je paierai le trajet de ma poche. Lâcha Eliot, tout sourire, avant de contourner son frère.

Il se précipita de sortir, de peur que celui-ci ne le retienne et disparu jusqu'à l'arrêt de bus.

Le véhicule arriva. Eliot chercha autour de lui la silhouette d'Artaban mais, visiblement, il allait louper le bus.

Mister-Blue : «Le deal tient toujours ?» 07:45

Soupir...

Oui. Le deal tenait toujours. 50€ et Sergeï la fermait au sujet de l'homosexualité d'Eliot. C'était de la soumission, oui, mais sinon il aurait à faire le pire coming-out du monde.

Il se protégeait comme il pouvait.

En montant dans le bus, l'adolescent eut le plus intense sentiment de soulagement qu'il n'avait jamais ressenti.

- Andy ! S'écria-t-il.

Alors qu'il marchait jusqu'à son ami, un gars le retint par l'avant-bras et se donna en spectacle, en prenant une voix de gonzesse écervelée :

- Hé Ray, tu veux bien qu'on se donne rendez-vous dans les toilettes ? Tu vas adorer !

Rouge de honte, Eliot se défit de son emprise et, sous les regards arrogants des élèves qui riaient aux éclats, il s'efforça de ne pas pleurer pour rejoindre Andy.

Il s'enfonça dans son siège et se cacha presque derrière son sac. Il fit glisser sa capuche jusqu'à ses yeux.

Son regard croisa celui du brun.

- Oh il est sensible, c'est vraiment trop mignon les gays ! Rajouta la leadeuse d'un groupe de filles qui se moquait de lui.

Une nouvelle vague de rire parcourue l'allée d'élèves.

Andy lui mit la main sur l'épaule.

- Fais pas attention, c'est des conneries... D'ici quelques jours ce sera oublié, il y a aura une autre rumeur. Tout le monde sait que tu n'es pas gay. Ils font ça pour attirer l'attention. Le réconforta-t-il.

Sur le moment, Eliot creva d'envie de lui dire qu'il l'était. Mais ce n'était pas une bonne idée. Il se contenta d'un «Merci. J'avais besoin de toi...» et ils restèrent là, en silence, quelques regards rivés sur eux au cas où Eliot sauterait sur la bouche d'Andy, jusqu'à l'arrivée au lycée.

Eliot s'est rapidement volatilisé dans les toilettes, seul, rouge de honte, après avoir accompagné Andy jusqu'à son casier. Le petit brun devait attendre Finn, et espérait qu'il revienne.

Eli souffla un coup. Il avait honte. Il avait peur.

En fait, il était terrifié. Mais il ne devait pas le montrer : il devait combattre l'ennemi et, plus simplement, assumer qui il est sans céder aux caprices d'abrutis comme ceux des term'.

Il essuya son front humide avec du papier toilette et sorti de sa cachette. Dans le miroir, il dévisagea son reflet et détacha ses cheveux. S'il pouvait disparaitre derrière ses mèches bouclées, il aurait l'impression de passer incognito.

Super plan !

Malheureusement, il avait Anglais d'ici quelques minutes. Il se pressa pour rejoindre sa salle, en passant par l'escalier réservé au personnel, afin d'éviter toute rencontre malveillante.

En cours, il prit soin, toute la matinée, d'être seul à sa table, et dans le fond de la classe si possible. Finn lui faisait signe de le rejoindre, mais sans trop insister, comme à son habitude. Echec.

La sonnerie de la pause-déjeuner retentie.

Ray disparu de la salle en premier, rapide comme l'éclair, et se retrouva rapidement en bas. Il pleuvait encore un peu, alors pas mal d'élèves s'étaient réunis dans le hall des casiers, en attendant que la cafétéria ouvre.

Ca faisait même beaucoup de monde pour quelqu'un qui essayait d'échapper à la foule.

Eliot se recentra sur lui-même en prenant quelques aspirations. Il scruta l'endroit : ok, ici c'est juste un groupe de Premières, là il y a Artaban et ses nouveaux amis, là-bas les filles du club de la Bibliothèque, et...

Son sang se fige.

Il croise le regard mesquin de Mister_Blue.

Enfin... De Sergeï.

Aussitôt, tout le groupe de Terminal se met à le juger. Travis, l'inconnu, quelques gars et quelques filles...

Mais surtout lui. Arborant un rictus de charmeur de serpent.

- Eliot ! Eliot !

C'est la voix de Finn, qui semble essoufflé. Il vient l'attraper par la hanse de son sac à dos, Andy sur les talons.

- On arrive plus à te suivre ! Tu nous évite ou quoi ? Demanda-t-il, l'air sévère.

Eli secoua la tête, presque pour chasser l'image de Sergeï de ses yeux.

- Désolé les gars....

Et le voilà qui s'enfuit à nouveau, traçant à travers les silhouettes toutes semblables les unes aux autres.

- Eliot, putain ! C'est quoi ton soucis ? S'énerva Finn, gueulant peut-être un peu trop fort.

Tous.

Tous les regards sont braqués sur Eliot, encore. Encore au cœur de l'animation de ce foutu lycée.

L'adolescent entend un rire. Il se sent rougir. Il touche sa fesse gauche et le billet est toujours là. Et il sait. Il sait que cet abruti l'observe.

Quelques messes basses parviennent jusqu'à lui. Ca donne plutôt l'air d'être un fin mélange de voix moqueuses, mais une, venant d'une fille, se fraye un chemin jusqu'à son oreille.

«Apparemment il est homo... Ca doit se soigner.»

Idiote.

Sa respiration se bloque.

Ses jambes flageolantes ne vont pas tarder à ne plus soutenir son poids.

Le silence...

... Et puis...

- Oui ! Oui ! J'suis gay ! Gueule-t-il, les yeux fermés.

Son corps transit brûle.

Le plus atroce des silences.

- J'suis gay... Laissa-t-il échapper à voix basse...

Avant de s'effondrer à genoux, la vue brouillée, dans un brouhaha encore plus immense, plus imposant, plus terrifiant...

Il transpire. Ne voit plus rien. Tremble.

Des pas accourent vers lui.

Il a juste le temps de reconnaitre les chaussures NIKE de Finn qui le relève. Puis il croise le regard de Sergeï : il ne sourit plus. Comme s'il ne jouait plus. Son visage est froid, grave, fermé. Presque interrogateur...

Mais Eliot n'en a plus rien à foutre. Il se laisse porter par Finn. Andy n'est plus là.

Andy n'est jamais là au bon moment... Jamais quand on a besoin de lui.

***

Allongé sur un lit de l'infirmerie, Eliot se leva en furie dès qu'il entendit la sonnerie qui marquait la fin des cours. Il n'avait pas voulu rentrer chez lui.

Mais maintenant, il en mourrait d'envie.

Il ouvrit la porte : pas de prof, pas d'infirmière, pas d'Amanda, ni de Liam, Finn, Andy, Artaban, Paola ou Terminal.

La voie est libre.

Les jambes à son cou, il se précipita hors du lycée.

Une fois le portail franchit, il se sentit libéré. Soulagé.

Enfin presque... Jusqu'à ce qu'il tombe sur Travis.

Tentant de l'ignorer, il fut stoppé par sa main qui retenait son coude.

- Bah alors la pédale, tu oublies notre accord ? Tu te crois en paix maintenant ?

- Ouais, aller fous-moi la paix pour une fois, Travis. Une seule putain de fois dans ta vie.

Mais le terminal ne fait qu'amplifier la force de la prise qu'il a sur le châtain et l'entraine un peu plus à l'abri des regards.

Eliot ne veut plus paraitre faible.

- Notre accord. Lance le plus âgé, lassé.

Travis lui tend la main comme s'il attendait quelque chose. N'importe quoi, sans doute. Comme d'habitude. Tant que cela comble son complexe d'infériorité et fait mousser son «égo».

- On a aucun accord ! Se défend Ray.

Spontanément, Eliot lui crache dans la main.

Jamais il n'avait vu Travis se transformer de cette façon. Il n'avait jamais imaginé qu'une telle rage puisse prendre place dans son expression.

Sur le coup, là tout de suite, Eliot regrette absolument ce qu'il vient de faire.

Travis s'en moque, enragé comme un chien, et l'empoigne par le col en le soulevant contre un mur.

- P'tit enculé.

Il grogne et reprend :

- J'ai besoin de m'acheter de la beuh. Tu sais ce que t'as à faire. Sinon je te lâche pas et je te promets que...

A ces mots, il projette Eliot tellement fort que celui-ci trébuche en s'éclatant sur le bitume, la tête la première.

Un peu sonné, il entend des voix derrière lui.

- Qu'est ce que tu fous, mec ?

Eliot ne reconnait pas cette voix.

- Attends mais c'est énorme comme il n'a aucun équilibre ! S'esclaffa Travis.

- Et ta santé mentale, elle est équilibrée ? Renchérit la voix.

Ray se retourne, pour mieux voir la scène, incapable de faire quoi que ce soit de ses bras tremblants.

Il est faible. C'est fatiguant.

- Il me doit quelque chose. Assure Travis.

L'un d'eux fouille dans son sac.

- Tiens, c'est ça que tu veux ?

Eliot lève les yeux.

Surpris, il manque de s'étouffer en avalant sa salive.

Sergeï.

Dans sa main, plusieurs billets bleus qu'il tend lamentablement à Travis, lui-même ne semblant pas comprendre la situation. Et, au moment où celui-ci tente de les saisir, le Russe les fait voler derrière son dos.

- Vas chercher.

Eliot s'appui tant bien que mal sur ses mains pour se trainer en arrière et échapper au blond qui s'avance vers lui. L'ombre de Travis disparait rapidement, les billets en main. D'un revers de manche, le plus jeune essuie un peu de sang qui coule de sa lèvre, à cause de sa chute.

- Aller, bouge. Lui suggère Sergeï en tendant son bras en direction d'Eliot sans trop lui prêter attention.

Sans jeu de mot, Ray reste sur-le-cul. Il fronce les sourcils et s'essuit à nouveau la lèvre.

Ne constatant pas de réaction, Sergeï se décide finalement à le considérer et se met à son niveau, en suspension sur ses genoux.

Il le dévisagea un moment, ses yeux marquèrent un arrêt sur son visage éraflé puis sur ses poignets, qu'il remarqua couverts de cicatrices, et de croûtes plus fraiches. Eliot croisa son regard, qu'il soutint quelques secondes, y remarquant presque une pointe de culpabilité ou de pitié.

La pitié... Il a horreur de ça.

Eliot met sa capuche et masque ses avants bras.

- Tu comptes rester là longtemps ? Tu vas louper ton bus, non ? Demanda le Russe d'un ton neutre.

Eliot l'ignora, fouilla dans sa poche et, en se relevant, titubant un peu, il lui plaqua le billet dérobé à sa mère contre le torse.

- J'ai déjà loupé mon bus. Grogna-t-il.

Sergeï eut comme un bug puis son cerveau redémarra rapidement.

- J'en veux pas. C'est bon.

Ray s'énerva.

- Si. Tu le prends, tu la fermes, et tu te casses. Comme ça, moi, je te dois plus rien.

Surpris par sa propre autorité, il marqua une pause et enchaina :

- Et ça s'arrête là. Tu m'ignore. Sinon la prochaine fois, au moindre regard, au moindre message, j'appelle les flics et porte plainte pour harcèlement.

Sergeï fit les gros yeux. Il passa une main sur son bandana pour le redresser.

- Harcèlement ? S'étonna-t-il.

Les mains d'Eli transpiraient.

- Je... Viens de faire, le pire Coming-Out du monde. Ok ? A cause de toi. Et quand ça finira par se savoir chez moi, je finirai sous un pont.

Sa voix se brisa sur la fin.

- On ne se connait même pas, Sergeï. T'es juste entré dans ma vie pour la pourrir. Ce blog est la pire idée que j'ai jamais eue, et répondre à tes commentaires, c'était du suicide !

Le regard dans le vague, Sergeï observait son groupe d'amis, Travis les ayant rejoint, au loin. Leurs têtes étaient tournées dans leur direction.

Eliot renchérit, en fixant Travis :

- Pourquoi t'as fait ça à Travis ? Qu'est ce que tu veux, encore ?

Pourquoi ? C'est vrai que Sergeï lui-même ne savait pas... Il aurait pu simplement rire en chœur avec Travis. Il allait avoir l'argent, c'était ce qu'il voulait. Au final, c'est lui qui a vidé ses poches.

Comme ça. Sur un coup de tête. Et sa bande d'amis aller sûrement lui tourner le dos. Quoique, non. Il en était presque le leadeur. Tout le monde l'aimait bien. C'était le beau gars, droit, avec la bonne réputation.

Il redirigea son attention sur le plus jeune qui éponger son sang avec sa manche :

- T'as loupé ton bus, hein ? Viens, j'ai du désinfectant à la maison.

Silence.

Incompréhension.

Malaise.

- J'habite à deux pas.

- Et ? A quoi tu joues, bordel ? T'es le plus gros connard du monde ! J'te fais pitié c'est ça ?

- Viens, je t'expliquerai chez moi.

Eliot recula d'un grand pas, le visage colérique au plus haut point.

- J'te fais pas confiance ! Tu m'as détruit ! En seulement quelques jours !

Encore le silence...

- Et tu comptes rentrer chez toi, la lèvre en sang ? Se contenta de demander Sergeï.

***

Eliot se sent tout con, assit, là. Sur le canapé du salon très boisé de la maison du Russe, dont les murs sont recouverts de photos d'enfance gênantes.

Il attend en fixant un couloir qui mène à un escalier en colimasson. Il déteste ce genre d'escaliers.

- Tiens, appui ça sur ta lèvre.

Sergeï lui tend une compresse imbibée d'un produit rouge.

Eliot hésite et le dévisage.

- Je te fais pas confiance, j'ai pas vu ce que tu as fait.

Soupire du blond...

- Ok, pas compliqué : compresse, Bétadine. Miraculeux, hein ?

De sa main droite, il lui fait signe de l'appliquer sur son visage, ce qui, au passage, agite ses bracelets brésiliens.

Mal à l'aise, Eliot rêve de sortir d'ici. Il est en plein terrain ennemi. Il le sait, il a fait une grosse erreur en venant ici, plus encore en posant ses fesses sur ce canapé, ma foi très confortable.

- Bon explique moi et je me tire. Lance-t-il, impatient.

- Non, on a pas le temps, j'ai un entrainement dans pas longtemps. Viens à la soirée de demain, chez Nils. Le Jeudi est férié et tout le monde fait le pont. On s'expliquera, on aura tout le temps.

- Quoi ? Non ! Hors de question. Tu t'expliques maintenant et après tu disparais de ma vie !

Epuisé, le blond répondit :

- T'as pas le choix de toute façon, j'ai déjà proposé à Liam et ton ami... Andy ? Et ils comptent venir. Finn aussi je pense... Il voudra sûrement régler des choses avec moi aussi.

- T'es vraiment un abruti.

Eliot se leva brusquement, abandonnant sa compresse.

- Je te déteste... Échappa-t-il doucement.

À bout d'espoir...

- Tu sais où est la sortie de toute façon ? Le provoqua Sergeï avec cet habituel rictus qui trône sur son visage.

A bout de nerfs, Eliot fit claquer la porte sur ses talons.

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N'hésitez pas à laisser un avis si ce chapitre vous a plu ou si vous voulez m'aider à l'améliorer ;)

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