Chapitre 9 - Célébration (partie 3/3)
Elles la suivirent vers un attroupement de personnes. Helja ferma les yeux un instant, se demandant ce qui venait de lui arriver. Son poignard venait de prendre possession d'elle et si on ne l'avait pas sortie de cette torpeur, elle aurait assassiné une innocente. Elle devait rapidement abreuver son arme de sang sans quoi, il recommencerait.
— L'arme vous a désignée. Vous êtes prêtes à l'utiliser et à l'abreuver de sang. Mais n'attendait pas trop, si elle ne se nourrit pas, elle risque de chercher ses victimes d'elle même.
Elle prononçait ces derniers mots en posant son regard à tour de rôle sur Charlie et Bastet.
— Ne vous en faites pas pour ça, répondit Helja en rangeant le couteau à sa cuisse. Maintenant, qu'avez-vous pour cette jeune fille débutante dans le meurtre ?
— Tu as trouvé quelque chose ? questionna Charlie.
— Non, rien, je suis désolée, répondit la sorcière, secouant la tête.
— Ce n'est pas grave. Nous finirons par trouver.
Le groupe de femme se retrouva devant une imposante porte ouverte sur des escaliers débouchant sur une semi-obscurité. Des vagues de lignes roses et lumineuses étaient dessinées sur les murs noirs. Doublant tous les êtres magiques qui patientaient dans la file d'attente, Ardha salua l'homme à la face de serpent qui contrôlait les entrées et sorties.
— Vous allez voir, le Sens Inverse c'est vraiment une expérience époustouflante, surtout la première fois.
Helja descendit les marches où déjà, une forte musique se faisait entendre. Et au plus elle avançait, au plus elle pouvait sentir une pression dans sa tête, comme si son cerveau grossissait à chacun de ses pas. Elle avait chaud, incroyablement chaud, et pensait qu'à nouveau, son poignard prenait le dessus pour l'inciter à le nourrir de sang. Mais quand elle aperçut le corps en sueur de ses amies, elle comprit que c'était le lieu qui agissait ainsi. Lorsqu'elle posa un pied dans la grande salle, sa mâchoire commença à se contracter sous l'effet de la magie, qu'elle pouvait sentir puissante ici.
L'endroit était rempli de monde qui s'amusaient, comme dans une taverne classique, en dansant, buvant ou discutant. Certains étaient rassemblés autour d'un appareil d'une forme organique, portant à leur bouche les longs tuyaux qui sortaient de la base ovale. Et après une grand inspiration, ils recrachaient une fumée opaque et blanche. La nuée volaient dans les airs, prenant des formes diverses : animaux, êtres magiques en pleine bataille, formes géométrique...
Contrairement aux tavernes que la sorcière aimait fréquenter, le Sens Inverse accueillait une partie de la population moins encline à provoquer une bagarre. Tous étaient élégamment habillés et calmes, même si certains avaient les pupilles dilatées et paraissaient complètement perdus sous l'effet du sortilège.
Helja ne comprit pas immédiatement ce que cet endroit avait de particulier, car au début, tout semblait plus ou moins normal, si l'on considérait qu'apercevoir des hommes et des femmes manger les pieds collés au plafond était quelque chose de normal. Mais alors, c'est là que la magie entra en jeu. Elle remarqua des taches de couleurs chatoyantes sortir directement des instruments de musique, tels des nuages de lumière, s'évaporant avec le temps.
— Mais c'est incroyable ! cria Charlie pour couvrir le bruit ambiant.
Et au même moment, de la vapeur bleutée s'était échappée de sa bouche. Helja pouvait littéralement voir les sons.
— Et vous verrez, les prévint Ardha, vos sens vont continuellement être chamboulés tant que vous êtes ici. La soirée ne fait que commencer.
La pièce fut rapidement remplie de nuées évanescentes et fluorescentes. Au moindre choc, à la moindre parole, le bruit provoqué devenait visible aux yeux d'Helja qui fut ravie de s'asseoir lorsque la grande femme leur présenta la table la plus élégante de la taverne. Mais malgré ce brouillard de couleurs, le charme ne l'empêchait pas de voir correctement.
— Bon, qu'est ce que vous voulez boire les filles ? C'est moi qui invite ! Et nous fêtons le nouveau cycle de la déesse alors n'hésitez surtout pas à vous lâcher, surtout quand on sait ce qui nous attend après.
Toutes restèrent silencieuses à l'évocation du lendemain, comme si la merveille du lieu leur avait fait oublier Lilith et la mission. Le retour à la réalité avait été aussi violent qu'une gifle.
— Mais ne faites pas cette tête voyons, ajouta Ardha, cette nuit, on s'amuse !
Une fois les cocktails choisis, la femme n'eut qu'à retranscrire la commande sur la table grâce à une plume rouge qui n'avait besoin d'encre. Le message disparut aussitôt, et à peine quelques minutes plus tard, une serveuse leur déposa quatre grands verres.
— Passez une bonne soirée mesdames, souria-t-elle avant de repartir, ses pieds glissant sur le sol comme les roues d'une charrette tirée par des chevaux.
Elles trinquèrent et quand Helja dégusta une gorgée de son nectar qui avait l'apparence d'un arc-en-ciel, elle comprit que cette fois, elle pouvait entendre le goût. Des petites voix suaves et chaudes qui lui susurraient des mots doux dans les oreilles. Au départ déroutant, elle finit rapidement par les oublier comme ses propres pensées.
Les festivités se déroulaient au mieux. Malgré que ce soit un lieu que la sorcière n'aimait pas fréquenter habituellement, elle passa un moment des plus agréables en compagnie de ses amies. Quand Ardha les invita à danser, deux de ses sens s'inversèrent à nouveau et alors, tout ce qu'Helja pouvait toucher avait désormais une odeur plus ou moins délicieuse. Lorsque Luba lui attrapa la main, un souffle irrésistible et fruité lui monta au nez. Elle prit la femme dans ses bras, faisant abstraction de toutes les taches colorées qui ondulaient autour d'elles. Le contact avec la métamorphe devenait chaleureux, lui donnait un goût de cerise et lui criait des mots qu'elle s'interdisait de prononcer. Au même moment, la musique vibrait sous sa peau dans une sensation unique et indescriptible.
Malgré l'amertume qu'elle éprouvait encore à son égard, la sorcière ne pouvait s'empêcher de l'aimer. Elle le savait, Kruotté changeait les personnes qui y séjournaient et, d'une certaine manière, elle en avait conscience, elle était en partie responsable pour Luba. Tout ce qu'elle avait fait jusqu'à présent c'était dans le seul but de survivre. Mais tout cela s'était du passé. Aujourd'hui, la belle femme était avec elle, leur corps collés l'un à l'autre, et plus rien ne comptait. Plus rien ne pourrait les séparer.
Sans savoir depuis combien de temps elle s'amusait ici, la sorcière se laissa aller à la fête jusqu'à ce qu'elle croise son ami Janus, surprise de le retrouver dans ce genre d'endroit.
— Mais qu'est-ce que tu fais là ? demanda-t-elle.
— Je pourrais te retourner la question, répondit le vieil homme aux sourcils broussailleux et aux deux iris.
Elle le prit dans ses bras et immédiatement, une effluve de tabac froid et d'alcool lui piqua les narines.
— Je suis venu pour mon fils, expliqua-t-il. Il voulait sortir dans une taverne plus sympathique que ce que j'aime fréquenter généralement et comme nous sommes la nuit du nouveau cycle, qui plus est de la déesse, j'ai accepté.
— Tiguil ! cria Charlie qui arrivait en compagnie d'Ardha.
Lorsque la fillette effleura Helja du coude, l'odeur du feu fut si soudaine et désagréable qu'un haut-le-corps lui souleva l'estomac.
— Oui, je suis là, répondit Janus de la voix de son enfant. Bien, reprit l'homme de sa propre voix, je te souhaite une bonne soirée Helja. À plus tard, je l'espère !
Le processus de changement de corps demeurerait le même que la dernière fois. La tête ridée de Janus se mit à fondre telle de la cire, dévoilant un jeune garçon aux taches de rousseur, aux sourcils arqués et au long nez pointu. Les joues de son visage glabre se teintèrent immédiatement de rouge lorsqu'il posa ses yeux aux deux iris sur Charlie.
— Comment ça va depuis la dernière fois ? demanda-t-il.
Les deux jeunes partirent s'asseoir à la table pour discuter, abandonnant Luba, Helja et Ardha à côté de la flaque de peau qu'un employé s'empressa de nettoyer à l'aide de sa langue aussi grande et large qu'un torse.
— Ça reste tout de même étrange comme relation, expliqua l'immense femme. Il a quand même son père qui est plus vieux que le monde dans sa tête et elle, elle n'a que treize cycles.
— Mais ils sont si mignons tous les deux, se réjouit Luba.
— Ça reste quand même bizarre.
Elles continuèrent la soirée toutes les trois, Charlie et Tiguil ne se quittant plus. La sorcière s'amusa avec Luba et dansa des heures, enchaînant les cocktails qu'Ardha lui amenait. Cette dernière distribuait également de minuscules fioles au contenu transparent, toujours sous couvert d'une grande discrétion, et les personnes qui récupéraient ses potions les reniflaient avant d'entrer dans une genre de transe qui les faisait planer, leurs pieds quittant le sol et leurs corps errant doucement au milieu de la piste.
Le temps s'écoulait et les sens poursuivaient leurs inversions. Bientôt, les odeurs se matérialisèrent sous leurs yeux, devenant des petites bulles de couleurs et lorsqu'elles prenaient une gorgée de leur verre, elles pouvaient sentir de légers picotements dans le creux de leurs mains, parfois semblables à des caresses et d'autres fois, à des aiguilles enfoncées une bonne centaine de fois.
Luba proposa à Helja de s'asseoir discuter, laissant la grande femme avec des connaissances à elle.
— Je passe une soirée incroyable, mentionna la métamorphe qui effleura délicatement la cuisse de sa compagne. Je pense même que je n'en ai pas passée une aussi extraordinaire depuis des cycles.
— Je crois bien que moi aussi, avoua la sorcière.
— Encore une fois, je suis vraiment déso..., commença-t-elle.
— Non, coupa Helja, je sais.
Elles se regardèrent dans le blanc des yeux, n'ayant plus besoin de parler pour se comprendre. Toutes les formes colorées qui représentaient ses sens brouillaient le visage de la jeune femme, mais parmi cet essaim, elle parvenait à distinguer ces magnifiques traits, son sourire qui la faisait chavirer et son petit nez singulièrement beau.
Elle sentit le coussin sous ses fesses tanguer, comme si elle allait basculer dans un souvenir qui, elle n'en doutait pas, serait l'un de ceux qu'elle avait eus avec Luba, mais elle tenta de maintenir sa concentration à son maximum pour vivre le moment présent. Elle ne voulait pas rejouer des instants qu'elle connaissait déjà, mais en créer des nouveaux.
Sa main toucha la sienne et à nouveau, ce parfum délicat de cerise lui lécha la langue. Lorsque ses lèvres se posèrent sur les siennes, c'était comme si elle croquait dans le fruit. L'odeur agréable de la métamorphe envahissait toute la pièce. Des dizaines de mains lui caressaient la peau. Tous ses sens complètement chamboulés, ce baiser demeurera des plus uniques au monde.
— Attention, mesdames et messieurs, il ne reste plus que quelques secondes avant le passage du cycle ! annonça un homme dans la salle.
Les deux femmes se retournèrent vers la foule qui s'était arrêtée pour se tourner vers un énorme dix flottant au-dessus de leur tête. Tiguil et Charlie criaient avec Ardha, les yeux rivés sur le chiffre qui désormais était un neuf.
Le décompte démarra dans la joie et l'euphorie. Un passage de cycle était toujours festif pour les êtres magiques et encore plus quand c'était pour commencer celui de la déesse.
— Trois ! Deux ! Un !
Tous se mirent à hurler, pleurer, rire. Des feux d'artifice explosèrent dans la pièce et les convives s'embrassaient, se réjouissaient, s'enlaçaient. Tout allait pour le mieux jusqu'à ce qu'un bourdonnement, bien plus fort que tous les autres sons, ne résonne dans le crâne de tous les invités. Chaque personne se couvrit les oreilles, ne comprenant pas ce qui était en train d'arriver.
Et alors, du silence soudain, une voix aux nombreux échos émergea des ténèbres, comme une pensée funeste. Une voix grave et remplie de cauchemars qu'Helja avait déjà entendue :
— Résidents de la ville souterraine, votre heure a sonné. Mes démons et moi avons bloqué chacune de vos entrées, il n'y aura donc aucune échappatoire à ce qui va se passer cette nuit. Je vous laisse une heure pour vous rendre, déposer les armes et accepter de devenir les esclaves du nouveau monde que je vais créer. Une fois le temps écoulé, j'attaquerai. Je ferai cette cité mienne et tuerai tous les habitants qui s'y trouvent. Chaque homme, chaque femme, chaque enfant qui essaiera de me résister ou de se cacher sera exécuté. Vous avez une heure pour prendre la bonne décision. Faites le bon choix.
La voix se tut et le bourdonnement disparut. Pourtant, le silence autour d'Helja dem
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