Chapitre 9 - Célébration (partie 2/3)


Après avoir dépassé l'entrée du tunnel qui descendait vers Kruotté et après avoir échappé de peu à une danse collective de nymphes à moitié nues, vêtues seulement d'une robe transparente et de fleurs plantées un peu partout dans leurs corps, Helja et Luba arrivèrent face à la grande bibliothèque de la ville souterraine. L'endroit était totalement désert, à croire que personne n'avait envie d'étudier en ce jour particulier. Mais cela réjouissait la sorcière qui avait besoin de calme et de concentration.

Elle poussa la porte. Face à elles, un long pont en bois chevauchait un fleuve à l'eau cristalline et dont les poissons semblaient être des lettres d'un noir de jais. Il était surmonté d'une arche fantastique, composée uniquement de livres. Elles marchèrent dessous, les yeux rivés sur les titres des ouvrages qui l'entouraient : Guide Explicatif des Bateaux pour les Débutants en Moucherie, Une Magie Parfaitement Parfaite, Les Larmes : Une Utilité Incroyable pour les Potions, L'Auteur : Être Véritable ou Simple Mythe ?, Les Monstres sous nos Aisselles, L'histoire Désolante de Caroline la Crétine... il y en avait vraiment pour tous les goûts.

Après quelques minutes, elles déboulèrent dans un endroit immensément grand, bien plus ce que le petit bâtiment le laissait imaginer de l'extérieur. Sous un dôme en verre, pas moins de dix étages remplis de rangements où une quantité folle de livres attendait d'être lus. Il y avait plusieurs échelles sur roues, parfois quelques unes dans des formes étranges, exécutant des zigzags et ne menant à rien. Plusieurs grimoires volaient pour changer de place tels des oiseaux trouvant un nouveau nid, mais toujours avec une surprenante douceur et une certaine poésie.

— Des personnes ici ? Le jour du passage de cycle ? s'étonna une femme apparue soudainement de derrière une statue à l'effigie de Rowin, la célèbre romancière de la ville.

— Oui, nous avons quelques recherches à faire, expliqua Helja.

— Bien, faite donc, les invita la dame d'un geste de la main. De toute façon je ne pense pas me joindre à la fête ce cycle, j'ai beaucoup d'archivages qui m'attendent, encore.

Puis elle s'en alla, ses cheveux bouclés traînant sur le sol poussiéreux.

— Peut-être que vous pourriez nous aider, l'interpella Luba. Nous avons besoin de quelque chose de précis.

La bibliothécaire se retourna, l'air ravie de pouvoir épauler ses deux clientes. Ses gros yeux jaunes pétillaient derrière ses épaisses lunettes et un large sourire s'était dessiné sur sa face ridée et terne.

— Oui, bien sûr, que cherchez-vous ?

Un hurlement brisa le calme ambiant. La femme se retourna puis répondit :

— LA FERME AU SIXIÈME ! Désolé, il arrive parfois que dés créatures s'échappent des ouvrages et je ne sais pas pourquoi mais en se moment, c'est la folie dans la section animaux et créatures à dos rond. Bien, vous disiez ?

— Et bien comment dire... commença la métamorphe.

— Nous voulons des livres sur Lilith, révéla froidement Helja, faisant frissonner la femme à l'évocation de ce nom. Ou bien des manuscrits qui évoqueraient un quelconque lien entre deux individus. Dans l'idée si ça parle d'une personne qui peut voir à travers le regard de l'autre quand elle dort ça serait parfait.

— Oui, c'est à peu près ça, ajouta Luba, la main dans les cheveux l'air gênée.

— Hum hum, répondit-elle pensivement. J'ai lu tous les ouvrages présents, mais certains sont d'un ennuie mortel donc je ne m'y suis pas vraiment intéressé et comment dire, avec les cycles, ma mémoire n'est plus tout à fait ce qu'elle était à mes débuts. Pourtant, je suppose que deux ou trois ouvrages pourraient vous être utiles. Pour en être sûre je vais recourir au Mot-Torde-De-Recherche. Un outil vraiment remarquable, suivez-moi !

La propriétaire des lieux s'avança, ses deux nouvelles clientes sur ses talons. Et alors qu'elles traversaient l'immense pièce principale, leurs pas résonnant en échos, des livres continuaient de voler au-dessus de leur tête, se posant parfois sur leurs épaules. Helja en repoussa un, mais se fit foudroyer du regard par la bibliothécaire qui lui rappela que chaque ouvrage était unique et précieux ici.

Installé entre deux rangées de tables et de bancs, le pupitre planté au centre du cercle était situé juste sous le point où se rejoignaient les voûtes du dôme de verre. La femme leur indiqua la marche à suivre puis elle s'éloigna vers un chariot qui se remplit en quelques secondes d'une dizaine de rouleaux de parchemins tout droit sortis d'un trou dans le plancher.

Helja se plaça devant le pupitre, les mains posées sur chacun des côtés, comme si elle attendait qu'un livre s'y allonge pour être lu. Le bruit de grincement des roues du chariot diminuait grandement tandis que la sorcière parlait à voix haute, sur un ton clair et précis :

— Aide-moi à sauver Charlie. Donne moi toutes les informations sur Lilith, sur les liens entre les individus et sur les résurrections après avoir était possédé par une des trois déesses.

Sur le plateau qu'elle tenait, une demi-sphère s'illumina, oscillant entre quatre couleurs. D'abord, le rouge puis le jaune, le vert et enfin, quand elle resta sur le bleu, un petit bruit indiqua que la recherche s'était effectuée. C'est alors que plusieurs manuscrits foncèrent droit sur elle et Luba, jaillissant de tous les côtés de la bibliothèque. Certains arrivaient des étages supérieurs, d'autres des sous-sols et certains sortaient même des bureaux dont l'accès leur était normalement interdit. En quelques minutes, ce fut pas moins d'une cinquantaine de livres qui furent tous empilés sur les tables à leurs côtés.

— Deux ou trois livres, tu parles ! pesta Helja. Nous n'aurons pas le temps de lire tout ça.

— Alors ne tardons pas, encouragea la métamorphe qui avait déjà attrapé un des ouvrages intitulé Les Dérives de la Possession et Ses Conséquences sur le Long Terme et dont les pétales autour du coup s'illuminaient d'un magnifique orange.

La plupart des publications qu'Helja ouvrit racontaient l'histoire de Lilith et de ses sœurs. Comment elles étaient arrivées sur terre, comment elles avaient décidé de se séparer et comment elles avaient toutes les trois disparues d'une façon différente. Certains, pourtant, s'intéressaient plus particulièrement à la mère des démons et au début de son règne. Ainsi, elle apprit comment elle avait donné naissance à ses treize premiers enfants et comment elle les avait dotés de puissants pouvoirs.

Tout d'abord Dolos, le maître de la création, puis dans l'ordre il y avait, le maître des duels, la maîtresse de l'arrogance, la maîtresse du déséquilibre, le maître des excès, la maîtresse des harmonies, la maîtresse de l'esprit, le maître du pouvoir, le maître des rêves, le maître du changement, la maîtresse des contradictions, la maîtresse du sacrifice et enfin, le maître de la mort.

La sorcière avait déjà combattu deux de ces treize premiers démons et tous deux avaient été de redoutables adversaires. Grâce à Dolos, elle avait appris que deux d'entre eux étaient décédés et un avait disparu, mais tous les autres avaient dû désormais retrouver leur mère. La guerre s'annonçait désastreuse.

— Toujours rien, soupira Luba, refermant Le Savoir n'est Rien sans la Connaissances des Déesses, un ouvrage qui n'arrêtait pas de modifier sa couleur.

— Hum, se contenta de répondre Helja, les yeux rivés sur le dessin qui prenait vie devant elle.

— Helja, peut-on parler de ce que je t'ai raconté la nuit dernière ?

— Je pense que nous avons quelque chose de plus important à faire non ? rétorqua-t-elle, saisissant un parchemin de la taille d'un ogre. Et puis, tout a été dit. Tu voulais nous tuer, mais tu as finalement changé d'avis. Laisse-moi simplement le temps de digérer ça.

La métamorphe s'approcha et essaya d'attraper la main de son amante, mais elle la repoussa. Aussi, la voix tremblante, elle lui avoua :

— Tu ne peux pas savoir à quel point je regrette. Jamais je n'aurais pu vous faire du mal, jamais. Toi et Charlie, vous êtes tout pour moi.

— Je pensais comme toi avant, s'emporta Helja, laissant tomber le parchemin qui se déroula dans la bibliothèque. Je pensais que nous nous étions retrouvées, que quelque chose entre nous était peut-être possible.

— Et c'est le cas. Je veux que... que quelque chose se passe entre nous Helja. Les ordres de la reine étaient clairs au départ, c'était la seule condition pour que je puisse quitter Kruotté avant la fin de ma peine, mais jamais je n'aurais pu.

— Bien évidemment, jamais tu n'aurais réussi à m'atteindre, gloussa la sorcière.

Luba se détendit, des larmes roulant sur le bord des yeux.

— Je le sais bien. Mais je pense que je t'aurais donné pas mal de fil à retordre quand même.

— Même pas en rêve.

Elles se mirent à nouveau à rire, se regardant droit dans les yeux. Un regard complice qui leur réchauffa le cœur.

— Allez, coupa Helja, nous avons encore du boulot pour secourir Charlie.

Essayant de mettre de côté ses émotions et ses pensées ébranlées, la sorcière attrapa un nouvel ouvrage. Elles lurent autant de livres qu'elles le pouvaient. Après quelques temps, la bibliothécaire se joignit à elles afin de les aider, mais entre Les Liens du Sang et de la Salive et Symbologie Mystique des Déesses Possédées, aucune information utile ne ressortit. Elles ne découvrirent pas non plus de trace du symbole qui avait uni le roi et Charlie ni même un renseignement sur l'identité de la personne sous la capuche ou sur le bracelet qui privait les sorcières de leur magie. La gérante des lieux avait également examiné le bijou à l'aide d'une loupe bien plus grosse que sa tête, mais n'avait rien trouver, comme si cet objet magique ne venait pas d'ici.

Pendant qu'elle étudiait tranquillement, elles furent bousculé par des bêtes à poils long et pourvus de huit longues pattes, directement échappé d'un livre oublié sur un banc. La bibliothécaire dut recourir à un immense filet magique pour les capturé et les ranger dans leur lieu de vie.

Quand Luba annonça qu'elles devaient repartir retrouver Charlie et Ardha, Helja referma l'ouvrage intitulé Au-Delà de la Mort : la Vérité sur L'Aprés, ayant eu l'impression de perdre son temps et son énergie.

Elles saluèrent la bibliothécaire qui s'attela à ranger les livres d'un simple claquement de doigts, puis elles se dirigèrent vers la sortie. Dehors la foule semblait s'être encore agrandie, tous les habitants de la ville venus commémorer le nouveau cycle.

Se frayant un chemin parmi une troupe d'êtres magiques qui buvaient joyeusement, chantaient et tapaient du pied, elles suivirent la route qu'indiquait leur parchemin pour se rendre à la taverne du Sens Inverse.

Elles passèrent devant plusieurs échoppes et boutiques en fête et se firent même interpeller par une voyante qui voulait leur tirer les cartes. Le châle serti de perles posé sur ses épaules ne cessait de piailler tel un oiseau.

— Bien, que percevez-vous à propos de mon amie Charlie ? questionna la sorcière.

La femme ferma les yeux et joignit ses mains entre elles. Son teint s'empourpra et quand elle annonça qu'elle ne distinguait rien, que du noir, Helja reprit sa route, maugréant sur ces diseuses de bonne aventure toutes plus bidons les unes que les autres.

— Maudite sorcière, cria-t-elle. Et toi là, le gnome, je peux te dévoiler ce qui t'arrivera ce soir si tu me donnes ta famille d'attribution et juste dix pièces d'or.

Le son de la foule se fit de plus en plus fort, mais alors qu'elle marchait, Helja fut prise d'un vertige soudain. Pas assez fort pour la faire tomber, elle sentit tout de même son cœur s'emballer. Elle avançait en ayant l'impression qu'autour d'elle, les personnes fonctionnaient à l'envers, leurs gestes apparaissant étranges et désordonnés.

Du sang ! Il me faut du sang ! siffla la voix dans sa tête.

Ses pieds continuaient de suivre Luba, mais sa main se dirigea vers sa cuisse, sans qu'elle ne puisse se contrôler. Une femme lui coupa la route, ses quatre yeux tournés vers elle.

Son sang ! Je veux son sang !

Les doigts d'Helja se refermaient sur le manche. Le corps en sueur, la respiration rapide, elle s'apprêtait à la tuer. Elle le devait.

Tue là !

— Helja ! l'interpella une petite fille. Je suis là !

La sorcière détourna le regard de l'inconnue qui sautait dans les bras de son amant pour découvrir une Charlie totalement métamorphosée. Ses cheveux crépus et en bataille étaient maintenant de longues et fines tresses nouées en une queue de cheval. Elle revêtait, tout comme elle, une combinaison en cuir, à la différence que la sienne était d'une magnifique couleur pêche et décorée de fleurs sur les manches. À ses côtes, Ardha discutait avec Luba, portant désormais une robe qui reflétait plusieurs formes géométriques qui n'arrêtaient pas de bouger et de changer de teintes.

— Alors, tu aimes ? s'enquit la fillette en lui montrant au mieux sa nouvelle coupe.

— Oui, ça te va très bien, répondit la sorcière, lâchant son arme.

— C'est grâce à Ardha ! Elle est vraiment incroyable.

— C'est toi qui es incroyable petite, rétorqua la grande femme. Vous venez ? Je connais le gérant de cet endroit, nous aurons la meilleure table. 

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