Chapitre 8 - Discuter (partie 2/2)
Elles franchirent le rideau de nuit et arrivèrent dans une énième pièce. Cette fois, l'endroit demeurait vide de visiteurs. Seule une vingtaine de miliciens montait la garde et lorsqu'ils aperçurent les nouvelles venues, ils dégainèrent aussitôt leur épée aussi sombre que leur armure.
— C'est moi ! décréta Luba, les mains en l'air. Je suis revenue accompagnée d'Helja et Charlie avec un message du roi du dessus. Missélia vous l'a sûrement expliqué.
D'un même geste, tous les hommes rangèrent leur arme et se replacèrent au garde-à-vous, leur masque inexpressif, où aucune lueur ne s'y reflétait, tourné vers l'unique entrée.
Les filles s'avancèrent. Personne dans la file d'attente, plus de cabane ou de benne à cadavres au loin, les noms effacés du mur, la pièce apparaissait totalement métamorphosée, comme prête à faire face à une attaque imminente.
La porte coulissa leur permettant de pénétrer dans la cage en fer. Un des miliciens hocha la tête et la cabine se mit à descendre dans le noir, seulement éclairée par une flamme voletant au-dessus d'elles.
Il fallait pas plus de dix minutes pour rejoindre le cœur de la cité à vitesse classique. Quand elles sortirent face à la grande avenue, elles furent toutes les trois interpellées. Au vue de ce qu'elles avaient pu constater en arrivant, elles s'attendaient à retrouver une ville calme et armée, préparant une guerre. Au lieu de cela, tous les êtres magiques s'amusaient.
Sous un ciel magique représentant pour l'heure une nuit aux étoiles colorées, des centaines de personnes dansaient entre les hauts bâtiments qui eux, se distrayaient en claquant portes et fenêtres. La musique paraissait émaner du sol recouvert de confettis propulsés en continu par plusieurs cheminées. Des feux d'artifice explosaient çà et là et plusieurs sorcières ou enchanteresses lançaient des sorts sans vergogne. Tous semblaient totalement ignorants des évènements.
— C'est ça que prévoit la reine ? Accueillir Lilith pendant une grande fête ? s'énerva Helja.
— Apparement. répondit Luba, perplexe. Quand elle m'a demandé de transmettre le message au roi, elle ne m'a pas expliqué ce qu'elle comptait faire avec le conseil. Je dois t'avouer que je suis aussi surprise que toi.
— Et que fait-on maintenant ? s'enquit Charlie
— Je devais la retrouver au château directement avec vous.
— Bien, répondit la sorcière qui avança et se fraya un chemin dans la foule.
L'arrivée par la cage en fer se situait à l'opposé du palais, obligeant le petit groupe à traverser l'interminable avenue principale de la ville souterraine. Elle était comme d'habitude remplie de monde, mais aujourd'hui, tous étaient heureux, rigolant, chantant et s'amusant comme des insouciants.
Une femme dont les bras étaient de longs tentacules cramoisis déboula d'une petite rue adjacente et déposa autour du cou de chacune un collier de fleurs dont les pétales changeaient constamment de teinte.
— Bon nouveau cycle mesdames ! leur dit-elle d'une voix hachurée. Le cycle de la déesse Sihrla, le meilleur qui soit !
Puis elle repartit, offrant aux inconnues d'autres bijoux végétaux qu'elle sortait d'un sac en bandoulière pas plus gros qu'un poing.
— C'est ça, s'exclama Luba, se frappant le front de sa paume. C'est le passage du nouveau cycle aujourd'hui, voilà pourquoi tout le monde fait la fête. En plus nous sommes sur le cycle de la déesse, le plus important pour les êtres magiques.
— Et elle ne pouvait pas annuler les festivités ? demanda Helja, agacée.
Les fleurs autour de son cou prirent une teinte rouge sang et des dents se mirent à pousser sur chacun des pétales. Elles aboyèrent tels des chiens enragés, essayant de mordre la sorcière qui arracha aussitôt le bijou.
— Des fleurs dussiya, avertit la métamoprhe, elles reflètent les émotions.
— Et bien c'est n'importe quoi ! rétorqua-t-elle, piétinant les dussiyas qui hurlaient de douleur
— Elles captent vraiment les émotions ? s'étonna Charlie qui avait les yeux rivés sur son collier, dont les ailes s'étaient arrêtées sur une couleur azurée et lançaient des petits « oh » d'admiration.
Elle rigola à la vue des végétaux qui désormais avait une apparence aussi jaune que le soleil et sifflotaient gaiement. Helja reprit la marche vers le château, les deux filles sur ses talons. Et alors qu'elle traversait un nuage de bulles tout droit sorties des oreilles d'un homme afin d'amuser un groupe d'enfants, Charlie demanda :
— Si je comprends bien, chez les êtres magiques le début d'un nouveau cycle se fait lors du passage à la période de la lune ?
— Oui ! Ce n'est pas comme ça chez les humains ? interrogea Luba.
— Non, chez nous, c'est quand on passe à la période du soleil, répondit-elle, les yeux rivés sur des escaliers en train de se construire d'eux-mêmes afin de permettre à une troupe de femmes de monter rejoindre le toit d'une habitation où dansaient plusieurs personnes. Et ça veut dire quoi le cycle de Sihrla ?
— Chaque cycle est placé sous un signe qui représente les treize grandes familles des êtres magiques, dévoila Luba qui accélérait le pas pour ne pas être distancée par Helja. Ce sont eux qui gouvernaient aux côtés de Sihrla à l'origine. Même si leur nombre s'est réduit avec le temps, on les célèbre tous chacun leur tour. Il y a tout d'abord le cycle de la déesse, pour symboliser Sihrla, le plus important, puis le cycle des âmes égarées, des prêcheurs de maux, des voyageurs, des oubliés, des sangs de feu, des murmures innocents, des miséreux, des morts, des infernaux, des colorés, des généreux et enfin, des décapités. Et selon ton cycle de naissance, tu es affecté à l'une de ces familles.
— C'est incroyable, s'extasia la fillette dont le bijou avait à nouveau viré au bleu.
— C'est surtout n'importe quoi ! pesta Helja. Et certaines voyantes te proposent même de lire ton avenir selon ta famille d'attribution. De véritables foutaises !
— Je suis née en 1325, le soixante-dix-huitième jour de la période de l'étoile, je suis de quelle famille moi ? demanda Charlie totalement subjuguée.
La métamorphe réfléchit quelques instants, puis :
— Tu es du signe juste avant celui de la déesse donc, si tu étais un être magique, tu appartiendrais à la famille des morts.
— Ah, super, répondit-elle, déçue.
Alors que Charlie regardait son collier tourner au mauve, quelques fleurs perdant leurs pétales, Helja les prévint qu'elles étaient arrivées. Face à elles, de nombreux miliciens gardaient les escaliers sombres qui menaient au château, les yeux rivaient vers la rue en fête.
Elles montèrent les marches quatre à quatre, le son de la musique diminuant grandement. C'est un homme totalement translucide qui leur ouvrit la porte dans une révérence placide puis les guida à travers les multiples couloirs obscurs. L'endroit paraissait complètement désert et mis à part les créatures diaphanes qui s'attardaient aux tâches ingrates, elles ne croisèrent personne.
Le serviteur toqua, ses os et ses muscles secoués dans son corps qui semblait constitué d'eau.
— Entrez ! répondit la reine de l'autre côté.
Il laissa les inviter rejoindre Missélia puis disparut dans les ténèbres du palais, sans un bruit.
À l'intérieur, elles découvrirent la femme sur un tabouret face à un miroir. Elle portait une élégante robe charbonneuse qu'une personne était en train de rajuster afin de permettre à ses ailes de battre librement. Dans un coin, un feu crépitait dans une cheminée et à l'opposé, un groupe de fées rigolaient tout en buvant dans de longs verres en forme de tube.
— Vous êtes déjà de retour Luba, s'étonna Missélia qui leur fit face, obligeant la couturière à bouger de place.
— Oui, et j'ai des nouvelles du prince.
Les quelques fées cessèrent tout bavardage et tendirent l'oreille pour écouter la conversation qui devenait sans doute intéressante pour elles. Malheureusement, la reine les congédia avant de descendre du marche pied, dévoilant la deuxième femme qui était en réalité immensément grande. Faisant bien une tête de plus qu'Helja, l'inconnue portait des vêtements pétillants. Sa touffe de cheveux blonde et bouclée, ramenée sur le côté droit de son crâne, donnait une impression de volume et la rendait encore plus majestueuse. Ses yeux gris, maquillés d'un bleu pâle, ressortaient sur sa peau au teint hâlée. Des bijoux dorées pendaient autour de son cou à la pomme d'Adam proéminente.
— Je vais y aller, assura-t-elle en commençant à ranger ses affaires.
— Non, tu peux rester Ardha, tu sais déjà tout, affirma la reine sur un ton beaucoup plus doux qu'en temps normal. Bien, quelles nouvelles m'apportez vous ? demanda-t-elle enfin aux filles, à nouveau sur ce ton méprisant.
— J'ai ce mot du prince qui est prêt à coopérer avec les êtres magiques, expliqua Luba qui tendait l'enveloppe transmise par Gaston. Il vous invite à Isla pour discuter de la stratégie qui convient de mettre en place avant que Lilith ne prenne trop de puissance.
À l'évocation du nom de la mère des démons, les deux femmes frémirent. Missélia parcourut la lettre du regard puis la jeta dans le feu.
— Bien, nous partirons demain.
— Pourquoi pas maintenant ? s'étonna Helja. Il n'y a pas de temps à perdre.
— Parce que ce soir nous fêtons le passage au cycle de la déesse et je tiens à offrir à mon peuple un dernier moment de répit.
— Mais c'est complètement insensé. Pendant que nous nous amusons, Lilith continue d'agrandir son armée.
— Ce qui est complètement insensé, madame Helja, c'est d'envoyer les miens mourir à la guerre sans leur laisser l'occasion d'être insouciant encore une fois. Juste une fois. Plus personne encore en vie ne se souvient de la première guerre qui a opposé les démons aux êtres magiques et donc personne n'est prêt à ce qui va arriver. La ville souterraine va à nouveau devenir un refuge rempli de cadavres et de blessés. Alors, je décide d'offrir une ultime journée, une ultime nuit de tranquillité à mon peuple avant de lui annoncer la terrible nouvelle, car une fois que je leur aurais dit, une fois que je leur aurais demandé de se battre, plus rien ne sera comme avant. Tout va changer, mais pas maintenant. Demain.
— Personne n'est au courant ? s'étonna Charlie.
— Seuls les chefs de famille le sont et d'un commun accord, nous avons statué sur le fait que nous dévoilerons tout demain matin, avant notre départ pour Isla.
— Je... tenta Helja.
— Ma décision est prise et je ne reviendrai pas dessus. Maintenant, profitez de la soirée, amusez-vous, cela risque bien d'être la dernière fois.
La reine se regarda dans le miroir avant de déployer ses ailes qui laissaient tomber des paillettes lumineuses à chaque battement.
— C'est parfait Ardha. Vraiment. Tu peux peut-être t'occuper de nos invitées ?
— Avec plaisir, répondit la principale intéressée, au grand désarroi d'Helja.
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