Chapitre 8 - Discuter (partie 1/2)


90e jour de la période du croissant de lune — 1338

Evom [ɛːvom] = Maison

Les deux femmes passèrent le reste de la nuit au chevet de Charlie qui eut énormément de mal à s'endormir, sans plus évoquer leur conversation écourtée. Malgré la rancœur qu'elle éprouvait envers Luba, Helja dû consentir à mettre ses propres envies de côté. Peu importe qu'elle lui ait menti, que depuis le début elle devait la tuer ! Pour l'heure, d'autres priorités les attendaient. Elle pourrait lui en vouloir plus tard.

Pendant que la métamorphe surveillait la fillette en silence, la sorcière tentait de découvrir un remède pour soulager leur amie. Le château ne possédant pas de livres sur la magie, elle dut se servir de sa mémoire. Assise en tailleur à même le sol, les yeux fermés, elle se laissa tomber dans les profondeurs de ses souvenirs, revivant toutes les leçons qu'elle avait reçues de Médée.

Ainsi Helja voyagea entre les cycles et les époques pendant des heures, essayant de repérer un détail, un indice, qui lui indiquerait comment empêcher cette connexion. Parfois, son cerveau dérivait vers les cachots, la solitude et l'humiliation, parfois vers sa récente dispute, la rage et l'aigreur, mais elle resta aussi concentrée que possible.

Et alors qu'elle était allongée dans les jardins de la maison, écoutant Médée lui expliquer les caractéristiques principales des démons, elle vit une femme aux cheveux blonds parmi les arbres de la forêt.

— Ils peuvent aisément passer inaperçus puisqu'ils ont la capacité de dissimuler leurs yeux rouges et leur sourire démoniaque, c'est pour cela qu'on peut facilement se laisser berner. Mais en général ils ne le font pas très longtemps, ce procédé exige d'eux beaucoup d'énergie et c'est là un premier point faible que tu...

Mais la jeune Helja détourna son attention, marchant vers l'inconnue. Une incroyable lumière derrière elle éblouissait la petite sorcière, mais une fois qu'elle fut assez proche, elle reconnut Luba.

— Helja, nous partons !

Elle cligna des paupières puis se retrouva dans la chambre du château, la métamoprhe face à elle, les rayons du soleil dans son dos l'éclairant comme un ange descendu du ciel.

— Tu as trouvé quelque chose ? demanda Charlie qui semblait bien moins fatiguée.

— Non, rien, répondit-elle en se relevant, mais je chercherai une solution dès que nous aurons atteint la ville souterraine. Et toi, tu as réussi à dormir ?

— Oui, plus de cauchemars.

— Bien, allons-y, les intima Luba.

— Attendez ! les arrêta Charlie. Vous pensez que ce soit prudent que je vienne avec vous ?

— Pourquoi tu dis ça, interrogea Helja, lâchant son sac à terre.

— Lilith peut me retrouver à chaque instant. Tant que je suis avec vous, je vous mets toutes les deux en danger. Je devrais sûrement rester seule et... partir.

— Il en est hors de question ! contesta la métamorphe. Nous sommes là les unes pour les autres et nous ne nous séparons plus, compris ? Quoi qu'il arrive, on reste unies. Et de toute façon, il n'y a pas d'endroit plus sûr en ce moment que la ville souterraine.

Helja se retint de toute réflexion, ne voulant pas informer Charlie sur ce qu'elle avait découvert, mais le regard noir qu'elle lança à la métamorrphe voulait en dire beaucoup.

Après avoir salué le prince, déjà en plein travail avec ses gardes et ses conseillers, les filles prirent la route vers la sortie.

— Si vous pouvez me recontacter avant votre arrivée, demanda Gaston sur le seuil de la porte. Je vais préparer votre venue, mais je tiens quand même à être averti juste avant. Je sais que les habitants d'Isla ne sont pas prêts à voir débarquer des êtres magiques chez eux et, je ne lui suis probablement pas moi non plus, mais nous n'avons pas le choix. Cette alliance doit être faite quoiqu'il se passe.

— Ne vous en faites pas, répondit Luba. Nous vous préviendrons dès que nous nous mettrons en chemin.

— Merci ! Faites un bon voyage.

Lors de la traversée de la ville, elles ne croisèrent que peu de monde à cette heure matinale. Pourtant, les quelques habitants réveillés aux aurores ne pouvaient s'empêcher de les dévisager à leur passage. Certains partirent même en courant ou demandaient l'aide des gardes qui ne bougèrent pas. Quand Helja en reconnut un, elle imposa une courte halte.

Elle marcha vers lui et lorsqu'il la vit approcher, il chercha à fuir. Mais il était trop tard, la sorcière dégainait déjà son arme, sa lame plantée juste au-dessus de son cœur mais à la discrétion de tous.

— Tu crois que je t'ai oublié peut-être. Que j'ai oublié le coup que tu m'as donné dans les cachots ?

— Je... C'était les ordres, bredouilla-t-il, les jambes tremblantes.

— On fait moins le fier quand je ne suis pas enchaînée apparemment !

Elle appuya un peu plus sur le poignard, le métal perçant aisément l'armure en fer. Ça la démangeait, elle le sentait. Le tuer pour se venger, elle n'attendait que ça.

Tue-le ! siffla une voix dans sa tête.

Même son couteau qui n'avait pas goutté au sang depuis plusieurs jours réclamait sa mort. Pourtant, ça, c'est ce que l'ancienne Helja aurait fait, sans se soucier des conséquences. Mais aujourd'hui elle essayait de s'améliorer. Aussi, elle lui entailla légèrement la joue puis l'avertit :

— Que je ne te recroise plus. Si jamais tu me vois alors change de rue, cache-toi, peu importe. Pour autant, je ne veux pas non plus que tu fuis, ça, ça serait lâche, surtout par les temps qui courent. Et que cette cicatrice te rappelle qu'on ne s'attaque pas à moi impunément.

Puis la sorcière repartit, contente d'elle. Contente d'avoir changé, même légèrement. Elle qui ne pensait pas cela possible, laisser en vie un homme qui lui avait pourtant fait plus de mal qu'elle ne pourrait l'admettre.

Elle se sentait pousser des ailes et avait hâte de se retrouver face à Lilith pour lui faire payer tout ce qu'elle avait subit. Un meurtre bien plus important et jouissif l'attendait. Aussi, la soif de vengeance qui l'animait lui donna le sourire et lui réchauffa le cœur.

Luba et Charlie ne commentèrent pas ses actes et elles reprirent la route aussitôt. Derrière, le garde se sauvait en courant, laissant une trainée d'urine sur son passage.

En dehors d'Isla, elles empruntèrent le chemin vers la forêt. Cette fois, la sorcière n'eut pas besoin d'utiliser de sort pour localiser l'une des entrées de la ville puisqu'elles étaient toutes indiquées en temps réel sur la carte achetée chez Bric à Brac et Abracadabra. Pourtant, contrairement à d'habitude où il y en avait une dizaine d'ouvertes à travers le pays, seules trois étaient actives aujourd'hui. Elles marchèrent donc près de quatre heures dans les sous-bois pour rejoindre la plus proche, suivant les sentiers sinueux. Pendant ce temps, Luba leur raconta son entretien avec Missélia qui n'avait également pas cru au retour de Lilith dès le début. Mais encore une fois, grâce aux lunettes de partage de souvenirs, la reine souterraine avait pu vivre ces évènements tragiques et prendre conscience du danger existant.

— Un conseil de guerre est déjà levé, dévoila Luba. Missélia aura réuni les chefs des différentes familles de la ville afin d'organiser au mieux la rencontre avec les humains.

— Je me demande comment cela va se dérouler, s'interrogea Charlie. Les humains et les êtres magiques cohabitent depuis tellement de cycles, mais ils n'ont jamais fait la paix.

— Cela va mal se passer, prévint Helja. Les humains ne sont pas prêts à laisser les êtres magiques vivre librement et inversement, les êtres magiques ne pardonneront pas aussi facilement d'avoir été forcés à subsister sous terre au risque de mourir pour avoir simplement existé. J'imagine qu'une des deux espèces va attaquer l'autre dans le dos alors qu'elle lui faisait confiance. On ne peut finalement jamais se fier à quelqu'un.

Luba observa la sorcière qui ne tourna même pas la tête, regardant droit devant elle.

— Mais unis contre une seule et même menace, peut être que cela peut fonctionner, espéra Charlie. En tout cas, moi j'y crois ! Regarde le clan des cavaliers de l'apocalypse, des humains et des êtres magiques ensemble depuis plusieurs siècles.

— N'oublie pas que c'est un groupe qui obéit à ses propres règles et qui n'a que faire de la cours royal et des autres.

— Oui mais quand même !

— C'est surtout que nous n'avons plus le choix, continua Luba.

— Oui, souffla la fillette. Lilith a réuni tellement de démons que chaque espèces ne pourra gagner sans l'autre. Je les ai vu, ils sont nombreux, très nombreux même. Et ils n'arrêtent pas de se multiplier, comme des rats.

— C'est bien ce qu'ils sont, des rats, observa la sorcière qui aida Charlie à gravir la montée de terre.

Le soleil éblouissant ne réchauffait pas pour autant l'atmosphère. Ce dernier jour de la période du croissant de lune marquait le passage à la période de la lune et à son temps humide et glacial, aux jours qui raccourcissent de façon exponentielle et aux treize jours de nuit consécutifs.

Quand elles arrivèrent au cercle indiqué sur la carte, elles découvrirent un petit cabanon perdu en plein milieu de la forêt. Fait de bois, rongé par les cycles passés, son toit frêle semblait sur le point de s'effondrer d'une minute à l'autre. Lorsque Luba ouvrit la porte gravée d'un cœur, les gonds grincèrent d'un son si strident que plusieurs oiseaux s'envolèrent aux alentours.

— C'est ici ? interrogea Charlie.

— Apparemment.

— Pas très discret.

Elles s'engouffrèrent toutes les trois dans le minuscule espace obscur et à l'odeur de renfermé. Marchant les bras devant, elles cherchèrent à tâtons l'autre sortie.

— Je crois que je tiens quelque chose, annonça brusquement Luba. On dirait comme un levier. Je tire dessus ?

— Aie ! Bordel ! Tu es sûre ? demanda Helja qui venait de se cogner le genou contre un mur.

— J'essaie !

Il y eut quelques bruits de mécanique dans le noir, signifiant que des rouages se mettaient en route, puis le plancher sous leurs pieds se volatilisa. Elles tombèrent alors dans un énorme toboggan en spiral qui s'enfonçait dans les profondeurs de la terre, effectuant loopings et virevoltes impossibles. Après une glissade effrayante de plusieurs minutes, sous des lumières clignotantes oranges et mauves, un sol spongieux amortit leur chute.

Haletantes, elles se relevèrent tant bien que mal, à moitié sonnées par l'entrée plus que fracassante.

— Je préférais encore le tunnel dans la grotte de la dernière fois, exposa Charlie

— Et moi donc ! confirma Helja qui commença à avancer, ses pieds s'enlisant dans la boue comme dans un lit.

Après quelques pas dans une semi-obscurité, la lueur des torches éclaira un immense espace. Le cœur d'une caverne aux parois rocheuses, totalement désert, avec pour unique sortie une porte en bois incroyablement grande. Helja frappa trois coups avant que la porte ne s'ouvre, dévoilant les ténèbres. 

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