Chapitre 7 - Discuter
89e jour de la période du croissant de lune — 1338
Tarizhd [tɑʁiʃd] = Discuter
Après s'être excusée pour son comportement auprès de Charlie et d'Helja, cette dernière ayant catégoriquement refusé tout pardon, le prince demanda à ses gardes de conduire ses invitées dans une des nombreuses chambres du château. Les filles avaient besoin d'un bon repas chaud, mais également de repos après ce qu'elles venaient de traverser. Gaston leur donna donc rendez-vous dès le lendemain matin pour entamer les premières discussions.
Seules dans leur grand appartement, elles dégustèrent avec beaucoup d'appétit le plateau que leur ramenaient deux servantes, intriguées et effrayées à la vue de la sorcière. Mais peu lui importait, elle était beaucoup trop épuisée pour répondre. Aussi, après avoir englouti le plateau, elles allèrent toutes les trois dormir, soulagées de retrouver le confort douillet d'un lit.
Au petit matin, elles furent toutes les trois réveillées par le chant d'un coq qu'Helja aurait bien étripé sur place. Et alors qu'elle voulait se rendormir, des personnes frappèrent à la porte pour leur indiquer qu'elles étaient attendues dans le bureau du prince. Elles purent profiter d'un bon bain ainsi que de nouveaux vêtements d'une élégance royale.
Helja, Charlie, Luba et Gaston discutèrent pendant des heures entières.
Premièrement, le jeune homme leur annonça que la veille, il avait envoyé une troupe de gardes pour explorer le village complètement détruit par Lilith. Ils étaient revenus avant le lever du soleil, totalement bredouille, rapportant qu'ils n'avaient rien retrouvé. Ni survivant ni ressources, pas plus que de maisons en cendres, comme si la bourgade n'avait tout simplement jamais existé.
— Comment est-ce possible ? avait-il demandé à ses nouvelles alliées.
— Lilith ne veut sûrement pas vous alerter tout de suite, répondit Luba. Si elle pense que vous ignorez que quelque chose se trame, alors ce sera pour elle beaucoup plus facile d'attaquer.
— Et c'est bien ce qui a failli se produire, cracha Helja.
À nouveau, la sorcière expliqua tout ce qui s'était passé. Sa quête confiée par le roi, l'histoire du cylindre, la personne à la capuche, le temple, le cercle d'or et les salles. Lorsqu'elle dévoila la trahison de Dolos pour libérer sa mère, le souverain tapa du poing sur la table.
— Je le savais, je l'avais toujours trouvé louche ce type.
— Depuis combien de temps travaillait-il avec votre père, interrogea Charlie, attrapant le verre d'eau devant elle.
— Depuis plusieurs cycles maintenant, mais jamais un conseiller n'avaient été aussi proche de lui. Et puis, ses yeux, il y avait quelque chose de malsain dans son regard. Et vous dites qu'il a eu l'aide d'une tierce personne. Qui cela peut-il être ?
— Nous n'en avons aucune idée, soupira la fillette, son visage est constamment caché dans sa capuche.
Lorsque tout fut exposé au prince, Luba se chargea de conter l'histoire des trois sœurs créatrices du monde. Les humains ignoraient tout de Lilith et se trouvait là un défaut auquel il fallait rapidement remédier.
— Je ferai parvenir une missive dès que possible, annonça Gaston, prenant note sur son carnet.
— Cela ne va pas être facile. Les prédicateurs prônent l'existence unique de Lybova, personne ne vous prêtera attention, expliqua Helja.
— La monarchie est plus forte que la religion.
— Ça c'est ce que vous croyez, contredit Charlie. Et vous pouvez écouter une petite fille qui a été au sanctuaire de très nombreuses fois.
— Bien, alors je leur montrerai ce qu'il s'est passé avec ces lunettes, tenta-t-il en attrapant l'instrument posé devant lui.
— C'est possible, concéda Luba. Les souvenirs d'Helja sont dans votre mémoire maintenant. Mais nous n'aurons jamais le temps d'enseigner la vérité à tout un pays.
— Pas besoin. Il suffit de convaincre les plus hauts sommets du culte de Lybova, expliqua Charlie.
Tous se mirent d'accord sur les décisions qui devaient être prises dans l'immédiat. La reine souterraine souhaitant rencontrer le nouveau roi, Gaston tendit une lettre à Luba l'invitant à lui rendre visite à Isla dès que possible.
— Pendant que vous allez lui transmettre mon message, je vais prévenir toute la ville.
— Ça ne va pas être facile, décréta Helja. Les humains ont entendu pendant des siècles qu'ils doivent rejeter les êtres magiques et vous voulez me faire croire que vous, en seulement deux jours, vous aller réussir à les convaincre du contraire ?
— Au moins j'essaie quelque chose.
— Et bien ça ne va pas être assez !
— Helja s'ił te plaît ! avertit Luba
— Quoi ? Il nous a enfermées, battues, humiliées. Je ne peux pas l'oublier. C'est quelque chose que moi je vais revivre encore et encore et tu n'as pas idée du mal que ça peut faire.
— Encore une fois je suis sincèrement désolé, s'excusa Gaston. Si j'avais su...
— Oui ça aurait été beaucoup plus simple, rétorqua-t-elle, saisissant la carafe de vin pour se servir un verre.
Elle but toute sa coupe d'une traite puis elle esquissa un coup de tête en direction du bracelet en or posé sur une commode plus loin.
— Cette chose, d'où vient-elle ? Je n'ai jamais vu un objet privé une sorcière de sa magie et apparemment, il en existe plusieurs.
— Je n'en ai aucune idée. Mon père me l'a confié avant de partir en m'expliquant son utilité, sans m'en dire vraiment plus.
— Donnez-le-moi !
Helja l'attrapa et lorsque le bijou entra en contact avec sa peau, il se mit à fumer et à la brûler. Elle le jeta aussitôt dans son sac qu'elle avait récupéré avec son arme, songeant qu'elle devrait effectuer quelques recherches dessus dès qu'elle en aurait l'occasion.
— Vous en avez d'autres ? demanda-t-elle.
— Pas à ma connaissance, répondit Gaston sur un ton des plus sincères. Mais je ferai faire le tour du château pour voir si mon père en a d'autres.
— J'espère que vous ne me mentez pas.
Ils continuèrent ensuite de discuter alors que des servants amenaient divers plats pour le repas. Et malgré les remontrances et les piques envoyés par Helja, le prince resta calme tout le temps que dura encore leur conversation. Ils dînèrent en évoquant l'arrivée prochaine de la reine souterraine, probablement accompagnée d'une dizaine d'êtres magiques. Les deux parties devaient mettre au point une stratégie pour contrer Lilith avant qu'elle ne décide d'attaquer.
Cela allait être difficile de changer les idéologies et les mœurs du jour au lendemain, aucun humain n'était prêt à voir débarquer des êtres magiques dans leur ville. Mais ils paraissaient tous confiants, même si la sorcière roula des yeux pour souligner ses doutes.
Enfin, après beaucoup d'hypothèses et de plans retranscrits sur des parchemins, plusieurs discussions sur ce que pouvait bien manigancer Lilith en ce moment, ils décidèrent d'aller se coucher. Malgré être restés assis la plupart du temps, la journée les avait épuisés, aussi bien mentalement que physiquement.
Dès le lever du soleil, elles iraient toutes les trois transmettre le message à Missélia pendant que Gaston, lui, ferait circuler au plus vite dans le pays que la mère des démons était de retour. Il inculquerait la sage parole à tous ceux qui voudraient bien l'entendre et rapatrierait tous ses gardes à Isla afin de se préparer à une éventuelle guerre.
Le prince conduisit ses invités dans leur chambre. Alors qu'Helja allait refermer la porte, il l'interpella :
— Encore une fois je suis sincèrement désolé. Je ne suis pas comme mon père. J'ai longtemps espéré l'être, mais j'ai la certitude désormais que c'est quelqu'un de mauvais. Ce qu'il vous a fait est impardonnable et croyez bien que la vérité est déjà rétablie. J'ai suspendu l'avis de recherche à votre encontre ce midi, l'information ne devrait pas tarder à arriver aux oreilles de tous. Passez une bonne nuit !
Il souriait, attendant une réponse, mais la sorcière lui claqua la porte au nez. Elle se retourna ensuite vers ses compagnes qui étaient toutes les deux déjà allongées dans d'immenses lits à baldaquin, aux matelas épais et moelleux. Entre chaque couchette, une grande fenêtre encadrée d'horribles rideaux crème et lilas donnaient sur la ville qui dormait paisiblement, ignorant encore ce qui se préparait ici.
— Tu aurais pu être p...plus gentille avec lui, suggéra Charlie qui s'enroulait dans sa couette.
— Après ce qu'il nous a fait, hors de question, gronda-t-elle en retirant ses bottes.
— Mais il essaie de se racheter, tu le vois bien.
— Cela ne change rien à ce qu'il a fait.
— Bon au moins tu es redevenue toi-même, c'est dé...déjà ça.
— Comment ? s'enquit la sorcière qui s'allongeait.
— Tu es moins... comment dire ? Dans les cachots tu avais l'air perdue, comme si tu avais renoncé à te ba...battre. Cela ne te ressemble pas du tout.
— Hum, je vois. Problème de sorcière, ne t'inquiète pas.
Mais Helja savait que ce n'était pas aussi simple que ça. Elle ne souhaitait pas affoler son amie, mais surtout, elle ne désirait pas lui avouer que, le temps d'un instant, elle avait réellement abandonné. Elle n'avait plus eu le courage ni même l'envie. Rester à jamais dans ses souvenirs paraissait une fin plus agréable que le bûcher et cela semblait, sur le moment, être la seule solution. Là encore, elle se demandait s'il ne valait mieux pas tout arrêter plutôt que de devoir poursuivre inlassablement sa quête de paix. Pourquoi devrait-elle subir toutes ses épreuves pour stopper Lilith et sauver un monde qui lui, ne donnerait jamais rien pour elle ? Ne serait-ce pas plus apaisant pour elle de fuir pour se dégoter un nouveau refuge afin de plonger corps et âme dans sa mémoire en attendant que la mort l'emporte ?
— Je suis contente d'être avec vous, lança Luba, de l'autre côté de la chambre.
— Moi aussi, répondit la gamine avant de souffler sur la bougie, baignant la pièce d'obscurité.
C'est rempli de doutes et de questions qu'Helja ferma les yeux pour tenter de trouver le sommeil. Elle se tourna et se retourna pendant plusieurs longues minutes, peut-être même des heures. Son esprit voguait sur la mer de l'inconscience, à moitié entre les rêves et la réalité quand elle se réveilla brusquement, le corps en nage.
Elle ne savait pas combien de temps elle avait dormi, mais ses amies avaient toutes les deux les paupières clauses et ronflaient doucement. Elle se leva alors sans faire de bruit et se dirigea vers la commode pour se servir un grand verre d'eau. Elle se posa ensuite face à la fenêtre. Elle admira le ciel obscur derrière le rideau de pluie et se demandait ce que pouvait bien faire Lilith pendant qu'elle essayait de trouver le sommeil.
— Ça va ? questionna Luba, la voix à moitié cassée.
— Oui, ne t'inquiète pas. J'ai beaucoup de mal à dormir depuis quelques temps.
La métamorphe se redressa et s'approcha de sa compagne.
Sous la lumière blanche du clair de lune, la femme apparaissait encore plus belle malgré les cernes sous ses yeux. La sorcière lui prit la main, la contemplant au son de l'eau coulant le long des vitres.
— Merci de nous avoir sauvées.
— C'est normal, je ferai toujours tout pour vous.
Elle eut un regard pour Charlie quand la sorcière reprit :
— C'était vraiment génial de prendre l'aspect du roi.
— Merci, répondit-elle timidement.
— J'ignorais que la reine possédait des plans du château.
À ses mots, elle ne dit rien. Ses yeux commencèrent à briller et elle lâcha la main d'Helja.
— Je... hésita-t-elle, la voix secouée par l'émotion. Il y a quelque chose que je ne t'ai jamais dit.
— Comment ça ? s'enquit la sorcière.
— Il faut que tu saches que je n'avais pas le choix.
Elle fit une pause, essayant de retenir ses larmes et ne regardant plus la sorcière dans les yeux.
— Quand j'ai accepté la mission de la reine, c'était pour quitter Kruotté et enfin pouvoir sortir de la ville souterraine.
— Je le sais ça, répondit son amante, lui saisissant le visage entre les mains. Pourquoi tu te mets dans cet état ?
— Parce que tu ne sais pas la nature de la mission qu'elle m'a donnée. Une fois le roi mort, je devais prendre sa place en attendant les nouvelles instructions.
— Et pour Charlie et moi ?
Cette fois, la jeune femme ne pouvait plus retenir ses larmes.
— Personne ne devait être au courant, avoua-t-elle. Personne.
Aussitôt, Helja lâcha Luba et se recula.
— Alors tu comptais faire quoi ? Nous tuer ? Depuis le début tu étais avec nous pour finalement nous trahir à la dernière minute ?
Luba, le corps tremblant, pleurait et reniflait bruyamment.
— Tu ne peux pas savoir à quel point Kruotté change les gens. J'étais prête à tout pour en sortir, même à vous faire disparaître. Mais... la situation a évolué. Nous sommes maintenant amies toutes les trois.
— C'est ce que je pensais aussi, jusqu'à ce que je découvre que tu n'es qu'une traite.
— Ne t'imagine pas ça de moi Helja ! Si j'ai fini en prison c'est par ta faute je te rappelle !
— Ce n'est pas de ma faute si tu t'es fait prendre comme une débutante ! s'emporta la sorcière, oubliant Charlie qui dormait à quelques mètres d'elles.
— Si tu n'avais pas provoqué le désastre la dernière fois tu aurais pu revenir me voir. Bien-sûr que c'est toi la responsable !
— C'est donc moi qui cause tous les malheurs de ta petite vie peut-être ?
— Depuis que je t'ai rencontrée, oui ! s'injuria-t-elle. T'aimer me fait plus souffrir qu'autre chose.
— Ne reporte pas tes erreurs sur...
Un cri épouvantable interrompit leur dispute. Elles se tournèrent toutes les deux vers la fillette, pensant l'avoir réveillée, mais ce qu'elles découvrirent fut bien pire. Charlie se tordait dans tous les sens, implorant de l'aide.
— Charlie ! appela Luba qui approchait déjà. Tu m'entends ? Qu'est-ce qu'il se passe Helja ? cria-t-elle totalement paniquée, les cheveux lui tombant devant les yeux.
— C'est Lilith. Cela lui est déjà arrivé une fois, expliqua la sorcière qui s'agenouillait face à la métamorphe, les mains sur le visage de Charlie.
Tapant des poings et des pieds contre le matelas, elle était en nage. Sa respiration véloce était saccadée et son corps n'arrêtait pas de se crisper, pris de violentes convulsions.
Le vacarme alerta tout le château puisque rapidement, des bruits de pas se rapprochèrent de la chambre. Et quand des gardes ouvrirent la porte, éclairant la pièce de leur torche allumée, ils restèrent pétrifiés d'horreur. Charlie, à nouveau en lévitation, ses bras et ses jambes désarticulés, vociférait des phrases qui n'avaient aucun sens entre elles :
— De plus en plus nombreux... Des tas d'or qui fondent dans des flammes bleues... Des yeux rouges par millier... Une capuche... Un homme qui m'apporte un verre rempli de sang...
Helja lui jeta un verre d'eau au vissage ce qui eu pour effet de la réveiller. Elle retomba brutalement sur le lit, les yeux écarquillés d'épouvante.
— J'étais encore elle, expliqua Charlie, la voix secouée par la peur qui la tiraillait.
La sorcière se tourna vers Luba et toutes deux se comprirent sans même avoir à parler. Lilith était bien connectée à leur amie et tant qu'ils ne trouveraient pas un moyen de couper ce lien, la mère des démons pourrait la retrouver n'importe où.
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