Chapitre 6 - Nouveau


87e jour de la période du croissant de lune — 1338

Yero [iəʁo] = Nouveau

Tout le groupe suivait silencieusement le roi Gargoth qui arpentait les couloirs du château, tournant à droite puis à gauche, sans vraiment s'arrêter pour entrer dans une pièce. Il portait d'autres vêtements que le cadavre qu'Helja avait laissé derrière elle et n'avait aucune marque ou blessure sur le corps. Charlie à ses côtes ne pouvaient s'empêcher de le regarder puis de reporter son attention vers son amie, sous la totale incompréhension.

— Comment ? souffla-t-elle.

La sorcière haussa les épaules puis observa le prince qui rattrapait à grands pas son père qui bifurquait à un angle où deux sculptures représentaient un homme et une femme, une coupe de vin dans la main.

— Elles ont toutes les deux racontées que tu étais mort. Je ne les ai pas crues bien sûr, mais je dois t'avouer que te voir arriver ici sans tes gardes et Dolos, je me pose des questions.

— Et tu es en droit de t'en poser mon fils. Mais il s'est passé quelque chose de grave et nous devons en discuter immédiatement.

— Avec elles ? demanda-t-il en se tournant vers les deux prisonnières toujours escortées par des hommes, dont les épées frappaient contre leur armure à chacun de leurs pas.

— Précisément avec elles.

— Mais pourquoi ?

— Ah, voilà ! s'exclama-t-il.

L'homme poussa les portes en bois d'un geste théâtral. À l'intérieur, des hautes étagères, des seaux et des balais, ainsi qu'une odeur de renfermé épouvantable.

— Le garde ménage ? s'étonna Gaston.

— Je.. Je pensais que c'était mon bureau. J'ai peut-être la mémoire qui ne fonctionne plus très bien avec tout ce qui s'est passé, expliqua le roi, épongeant son front dégoulinant de sueur du revers de sa manche.

— Que s'est-il passé ? insista son fils.

— Des choses terribles. Vraiment terribles !

— Comment pouvez-vous être là ? intervint Helja qui en avait plus qu'assez d'attendre.

— J'ai réussi à m'enfuir quelques minutes après vous, tout simplement. Il m'aura fallu du temps, mais je suis revenu, pour toi.

Il posa une main sur l'épaule de Gaston, souriant.

— Mais c'est im....

— Nous en discuterons dans le bureau, coupa-t-il.

Puis il reprit sa route sous le regard étonné du prince.

La sorcière ne comprenait pas ce qui était en train de se passer. L'homme avait-il ressuscité juste après leur départ, tout comme Charlie ? Tout était possible avec la magie, surtout lorsqu'elle lui était totalement inconnue. Peut-être que le symbole qui les liait tous les deux demeurait actif et offrait au souverain un second souffle de vie.

Dans ce cas, pourquoi ce changement de comportement radical ? Pourquoi ne désirait-il plus la voir brûler au bûcher ? Allait-il parler de Dolos et Lilith ?

Au bout du couloir, le roi ouvrit à nouveau des portes qui cette fois, déboulaient sur un bureau ovale et sombre. Personne n'y avait posé les pieds depuis un petit moment.

Gargoth tira les rideaux d'un jaune criard. Les rayons du soleil percèrent la fenêtre et éclairaient la couche de poussière qui s'était accumulée sur les meubles et dans l'air.

— Je pensais que tu ne souhaitais plus venir ici depuis la mort de maman, questionna le prince.

— Et bien j'ai changé d'avis. Maintenant, si vous voulez bien nous laisser entre nous s'il vous plaît, demanda-t-il aux gardes.

Les hommes commencèrent à sortir, mais Gaston leur ordonna :

— Ne bougez pas ! Je ne sais pas qui est avec nous, mais ce n'est pas mon père.

— Évidement que c'est moi enfin ! Tu ne me reconnais pas ?

— Jamais mon père n'aurait remis les pieds dans cette pièce. Et jamais mon père n'a était si... gentil avec moi. En tout cas, pas sans une foule autours de lui.

— Mais qu'est-ce que tu racontes là ? répondit-il, agrippant l'épaule de son fils.

— GARDES ! Arrêtez-le !

— Mais. Je suis ton père !

Les hommes se regardaient, interloqués. Qui devaient-ils croire ? Et alors qu'ils s'avançaient vers le souverain, deux autres tenant toujours aussi fermement Helja et Charlie, le roi attrapa le jeune prince. Il lui maintenait un bras dans le dos et de son autre main, il pointait une dague sous sa gorge. Il avait été si rapide que personne n'avait eu le temps de réagir.

— Ne bougez pas !

— J'étais sûr que vous n'étiez pas lui, pesta Gaston. Qu'est-ce que vous attendez vous ! cria-t-il à l'adresse des gardes.

— Si vous tentez quoi que ce soit, prévint Gargoth en appuyant doucement la lame sur la trachée de Gaston. J'aurais voulu que tout se passe beaucoup plus simplement, mais il faut croire que nos plans du château et nos informations n'étaient pas complètes.

L'homme se mit à rétrécir de plusieurs centimètres et ses cheveux noirs se tintèrent en un blond presque blanc. Ses yeux se bridèrent légèrement alors que son nez sembla diminuer de moitié.

— Luba, souffla Helja qui ne savait pas si elle était ravie de retrouver son amie ou non.

— Contente de vous revoir les filles, souria-t-elle

— Vous êtes là pour elles, c'est ça. Vous êtes là pour libérer vos semblables, beugla-t-il, essayant en vain de se dégager de son emprise. Qu'avez-vous fait de mon père ?

— Je suis ici parce que j'ai un message de la reine souterraine.

— Qui ?

— Par Sihrla, votre bon à rien de père ne vous a rien appris sur notre monde. La reine souterraine, celle qui gouverne les êtres magiques, elle souhaite vous rencontrer pour établir un plan afin d'arrêter Lilith.

— Encore elle. Mais qui est cette Lilith ? Et vous, bougez-vous !

— Je ne ferais toujours pas ça à votre place, prévint à nouveau Luba, remuant la dague sur la trachée du prince. De toute façon, je ne suis pas là pour vous faire du mal, juste pour discuter. Quelque chose de plus grave nous attend.

— Vous mentez, comme tous les gens de votre espèce, beugla Gaston, le front en sueur.

— Je me doutais que vous alliez dire ça c'est pour ça que j'ai emmener quelque chose qui vous permettra de mieux comprendre le danger hors de ce château. Helja, je vais avoir besoin de toi. Libérez-la sinon je lui tranche la gorge.

Gaston hésita puis ordonna :

— Faites ce qu'elle demande.

La sorcière relâchée, elle s'avança sans quitter des yeux la belle femme qui se tenait devant elle. Même si elles s'étaient séparées il y a peu, le temps lui avait semblait incroyablement long.

— Attrape ce qu'il y a dans ma poche s'il te plaît.

Elle s'exécuta et sortit deux paires de lunettes qui ne comportaient pas un, mais deux verres sur chaque partie, éloignées l'un de l'autre d'à peine cinq centimètres. La monture en bronze était légère et fine, mais aussi gravée de formules anciennes. Immédiatement, Helja saisit leur rôle.

— Tu veux qu'il les utilise avec qui ? interrogea-t-elle.

— Avec toi. Tu vas lui montrer ce qu'il s'est réellement passé là-bas.

— Non. Je n'ai pas envie de revivre ça encore une fois.

— Helja ! Elles fonctionnent beaucoup mieux avec les sorcières, tu le sais, et c'est notre seul moyen de lui faire comprendre l'importance de l'alliance entre humains et êtres magiques.

— Qu'est-ce que c'est encore ce truc, demanda le prince qui tournait la tête vers l'étrange accessoire dans les mains de son ennemie.

— Ces lunettes vont vous permettre de partager vos souvenirs avec Helja. À toi, ajouta-t-elle à son amie.

Elle lui fit signe pour lui indiquer de poser l'instrument sur le nez du jeune homme. Il essaya de se débattre, mais cela semblait peine perdue. En face, les gardes ne bougeaient pas un cil, le regard braqué sur la dague que tenait solidement Luba.

— Qu'est-ce qui me dit que cela ne va pas être une illusion ?

— Parce que vous n'allez pas simplement voir les souvenirs, mais aussi ressentir tout ce qu'Helja aura ressenti à ce moment. Vous allez entendre ses pensées, éprouver ses émotions et ses souffrances, comme si vous ne faisiez plus qu'un. Vous allez être aux premières loges du réveil de Lilith et peut-être que là, vous arrêterez de nous traiter de menteuses. À toi Helja.

Elle fixa les lunettes dans ses mains, sachant très bien ce qui l'attendait. Et après tout ce qu'elle venait d'endurer elle n'avait aucune envie de revivre les pires instants de son existence.

— Helja ! pressa Luba qui ne quittait pas les gardes des yeux et maintenait fermement le prince.

Non, elle ne voulait pas subir à nouveau ces souffrances parce que cet imbécile était incapable de les croire autrement. Elle ne désirait pas non plus partager ses émotions et son ressenti qui restaient sa propre intimité. Peu importe ce qu'il se passerait, peu importe les morts qui arriveraient. Pourquoi devait-elle encore une fois se sacrifier pour eux ? N'en avait-elle pas déjà assez fait ?

— Ils ont essayé de me tuer ! Pourquoi je ferais la moindre chose pour eux ?

— Parce que nous n'avons pas le choix. Nous devons arrêter Lilith avant qu'elle ne nous retrouve, expliqua Charlie. Montre-lui qu'il a eu tort. Montre-lui que depuis le début, tu dis la vérité.

Elle souffla longuement, tiraillée entre le fait de leur faire payer ses tourments et le fait que quelque part, dehors, la mère des démons se baladait parmi eux, prête à les attaquer. Elle en était sûre, Lilith n'était pas du genre à renoncer. Elle ne reculerait devant rien pour la traquer, elle, la descendante de la sœur qui l'avait enfermée. Alors, sachant que Charlie avait raison, qu'elle n'avait finalement pas le choix, elle posa les lunettes sur son nez. Elle s'avança pour équiper le prince qui remua la tête inutilement. Les hommes firent quelques pas, épée à la main, mais Luba les menaça de sa lame toujours collée contre la gorge de sa proie.

La sorcière fit marche arrière. Devant elle, tout apparaissait aussi net qu'en temps normal. Gaston continuait de s'agiter, essayant de faire tomber la monture quand il se figea soudainement. Helja comprit pourquoi. Chaque chose présente dans la pièce changea de couleur, prenant une teinte verte ou rouge. Puis, les deux nuances s'étirèrent chacune d'un côté, dupliquant sa vue et lui donnant mal au crâne. Elle percevait chaque objet, chaque personne deux fois, comme si leur reflet venait de s'échapper du miroir. Le prince tremblait, criait et les gardes s'avancèrent un peu plus. Enfin, les couleurs se déformèrent. Elles commencèrent à fondre, dégoulinant comme de la cire, avant que les ténèbres ne les avalent dans ses méandres.

— Quelqu'un de grand et de puissant. Une personne à qui je suis sûr, ma mère accordera un haut rang parmi ses fidèles. Désormais, Dolos leva sa paume et une dizaine de couteaux se matérialisèrent, je n'ai plus besoin d'eux.

À peine avait-il fini sa phrase que toutes les lames se dirigèrent vers les gardes et le roi, se plantant dans leur gorge, avec une violence inouïe.

Voir à nouveau Charlie s'écrouler était des plus insupportables. À ses côtes, Gaston, qui portait toujours les lunettes, hurlait sans qu'aucun son ne sorte de sa bouche. Il courut vers son père tandis que Dolos s'avançait vers le groupe de femme.

Tout semblait comme au ralenti, chaque mouvement laissant une trace derrière lui. Une traînée du passé encore visible et palpable dans le présent. La sorcière contourna le petit homme qui prenait du sang sur la Helja du souvenir.

La magie pulsait dans la salle alors que son alter ego essayait d'arrêter le démon. Luba tenait Charlie, pleurant à chaudes larmes. C'est à ce moment que le prince apparut dans son champ de vision, seule personne à marcher à une vitesse normale. Il avait une main sur le cœur et le visage crispé par toutes les émotions qui les dévoraient. Des émotions qui n'étaient pas les siennes, mais qui résonnaient chez lui comme chez la sorcière.

Tout explosa dans la pièce et quand le nuage de poussière fut dissipé, la fillette se releva, ses yeux rouges et le sourire de démence lui tirant les traits. C'est là qu'elle aboya ses ordres de cette voix qui n'était pas la sienne. Remplie d'échos décharnés, roques et à glacer le sang.

Ils se mirent tous à se battre, mais bientôt, on n'arrivait plus à distinguer chaque personnage. Tous les mouvements rapides avaient laissé tant de traînées que cela ne ressemblait plus qu'à un amas de lignes colorées qui s'entremêlaient. Une pelote de souvenirs mélangés et informes.

Helja tourna la tête vers le prince qui lui parla sans bruit. Ses yeux rougis par l'émotion, cachée derrière les lunettes, il semblait sur le point de s'évanouir.

Un bruit résonna et la sorcière se retourna sur Charlie dont le fluide écarlate coulait de la gorge pour former un nuage de sang dans la pièce. Soudainement, on la tira violemment en arrière, traversant les murs des différentes salles. Tous les paysages se changeaient avec une rapidité incroyable et en quelques secondes, elle se retrouva dehors, en pleine nuit. Parcourant une forêt à la vitesse de l'éclair, elle posa pied face à une taverne qu'elle se rappelait que trop bien.

La porte s'ouvrit sur elle et Charlie, fuyant l'arrivée du groupe de démons. Elle suivit des yeux la courbe de leurs mouvements tracés dans le panorama jusqu'à ce qu'une main lui agrippe le coude. Le prince lui montra du doigt la forme noire avancer vers l'entrée du village ainsi que la chose d'une couleur rubis qui vrombissait à en faire trembler le sol.

Tout se déroula exactement comme cela s'était produit. Le retour de Lilith dans un nouveau corps, le massacre des innocents, tous les démons mettant la ville à feu et à sang. Gaston et Helja ne pouvaient pas bouger et se retrouvaient impuissants face au carnage. Le jeune homme tentait bien de les arrêter mais ses cris restaient mués et ses mains traversaient les victimes déjà mortes.

Lorsqu'une personne dont le visage était dissimulé sous une capuche approcha, Helja remarqua qu'elle était la seule du souvenir qui ne laissait aucune trace, aucune trainée dernière elle. Pire, elle cessa même de marcher pour se tournait vers elle.

Mais à nouveau, on la tira en arrière, ses bras et ses jambes volant dans le vent tel un pantin. Tous les paysages se changèrent rapidement. Forêt, village, plaine. Elle franchit les murs et le temps, le passé et le présent jusqu'à ce qu'elle repose enfin les pieds sur le sol en parquet du bureau.

Elle retira d'emblée les lunettes, une main au-dessus de la bouche pour prévenir d'une envie de vomir. À côté, le prince s'écroula, soutenu par Luba qui avait lâché son arme. Aussitôt, les gardes s'étaient avancés, mais il les stoppa d'un geste.

— Ce n'est pas possible, baffouilla-t-il, essayant de retenir ses hauts le cœur. Impossible.

— Pourtant, expliqua Luba, ce que vous venez de vivre est réellement arrivé.

— Non, je me refuse de croire que tout cela soit réellement arrivé. Si c'est le cas, alors je... Non, c'est pas possible.

— Vous l'avez toujours en vous ? intervint Helja. Ce vide au fond de votre estomac. Ce creux qui donne l'impression que jamais vous n'arriverez à vous en débarrasser ?

— Oui, j'ai... répondit le Gaston, une main sur son torse.

— C'est ce que je ressens depuis que j'ai vu Charlie mourir dans mes bras et ce n'est jamais parti. Pas depuis que je l'ai vue revenir d'entre les morts, possédée par Lilith. Pas depuis que j'ai vu la mère des démons exterminer tout un village. Et maintenant, jamais plus cette peur ne vous quittera. Pas tant que nous aurons tout fait pour l'arrêter.

— Est-ce vrai ? dit-il, le visage tourné vers Charlie. Est-ce que tout ce que je viens de voir est vrai ?

— Malheureusement oui, répondit-elle.

— Comment aurais-je pu savoir ? Mon père m'a toujours apprit qu'il ne fallait pas faire confiance aux êtres de la magie et encore plus aux sorcières. Alors écouter celle qui est accusée de l'avoir tué ? Oh, mon dieu, mon père est mort.

Il enfouit sa tête dans ses mains et pleura à chaudes larmes. La fillette, que les gardes venaient à peine de relâcher, s'avança vers lui.

— J'ai moi aussi perdu mon père il y a peu. C'est d'ailleurs le vôtre qui a causé sa perte et j'étais parti avec Helja pour me venger. Mais désormais, je suis désolée pour vous.

Gaston se releva, le visage rouge et les yeux gonflés.

— Il ne faut pas, c'était un homme mauvais et cruel. C'est moi qui suis désolé pour votre père.

— Maintenant, c'est vous le nouveau roi de ce pays, expliqua Luba. Alors à vous de réparer les erreurs de l'ancien souverain.

— Comment ? Je ne sais pas quoi faire.

— En arrêtant Lilith. En unissant les êtres magiques aux humains. C'est le seul moyen de tous nous sauver.

— Bien, nous avons donc beaucoup à faire mesdames !

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