Chapitre 5 - Défaite (partie 2/2)


C'est une voix qui la tira du sommeil. Mais ce n'était ni la fillette, ni un garde. Une femme qu'elle connaissait bien, mais qui ne pouvait se trouver ici, avec elles.

— Je ne sais pas, rétorqua Charlie. Ça doit bien faire plusieurs heures que nous sommes enfermées, peut-être même plus d'une journée, et Helja ne me répond toujours pas. Elle respire encore, je l'entends, mais j'ignore ce qu'il lui arrive.

— Elle doit être perdue dans le passé, cela arrive à beaucoup de sorcières.

— Comment ça ?

— Elles ont la capacité de replonger dans leurs souvenirs et parfois, elles s'y égarent.

— Mais, comment est-ce possible ? Helja m'avait déjà parlé qu'elle pouvait se souvenir d'absolument tout, mais jamais qu'elle pouvait... se perdre dans sa tête.

— Je ne suis pas une sorcière, mais de ce que j'ai appris, pour elle, tout est une impression de déjà vu. Chaque événement qu'elles vivent et qu'elles ont déjà vécu s'enchevêtrent, se déposent les uns sur les autres comme une pile de livres. Je sais, c'est difficile à imaginer, mais toutes les sorcières arrivent à vivre ainsi. Seulement parfois, l'afflux de souvenir les égards dans le passé. Pour l'instant, tant qu'elle respire, c'est bon signe.

— J'ai peur Luba. Ils ont parlé de la brûler au bûcher.

— Ne t'en fais pas Charlie. Je vais trouver un moyen de vous libérer.

— Luba ? interpella Helja qui peinait à se redresser en position assise, ses poignets endoloris après avoir était suspendue.

— Oh Helja ! s'exclama la fillette qui se tourna vers elle.

La sorcière ouvrit les yeux avec beaucoup de difficulté. Des mèches de cheveux lui tombaient sur le visage, mais elle parvint à distinguer dans l'ombre une forme floue flotter dans les airs. L'eau qui gouttait dans le coin du cachot avait formé une flaque et de là, le liquide s'élevait pour dessiner les traits de Luba dans un camaïeu de bleus.

— Comment ? réussit-elle à marmonner.

— Je n'ai plus beaucoup de temps. J'étais venue vous prévenir que la reine souterraine est prête à rencontrer le nouveau roi pour discuter d'un plan stratégique afin de contrer Lilith, mais je vois que lui n'est pas encore disposé à en faire autant.

— Non. Il ne nous croit pas, raconta Charlie. Et il menace de nous tuer.

— Comme je te l'ai expliqué, je vais trouver un moyen de vous libérer. Toutes les deux.

Les yeux de Luba, créés à partir d'eau continuellement en mouvement, se tournèrent vers la sorcière.

— Tiens bon. Je ne vais pas tarder.

Puis le liquide retomba, arrosant Charlie au passage. Il y eut aussi un petit bruit, comme une bulle qui explose et à nouveau, les sons du couloir et des autres cellules alentour se firent entendre.

— Est-ce que ça va ? questionna aussitôt Charlie.

— Oui. Je suis désolée, dit-elle d'une faible voix.

— Luba était drôlement surprise quand elle nous a découvertes ici. Je lui ai tout expliqué et elle n'en croyait pas ses oreilles. Comment le roi peut-il nous faire ça ?
— SILENCE ! tonitrua un garde tout en frappant à la porte.

— J'avais oublié qu'il n'y avait plus le sortilège de Luba pour les empêcher de nous écouter, chuchota Charlie.

Elle dévisagea son amie qui avait le regard pensif.

— Tu veux en parler ?

— Non ça ira.

— D'accord.

Puis, après une petite pause :

— Je ne comprends pas pourquoi ils ne nous croient pas. Lilith a déjà détruit tout un village, pourquoi personne n'a encore sonné l'alerte ?

— Je ne sais pas Charlie, souffla-t-elle.

— Mais pourquoi ?

— Charlie, s'il te plaît ! insista-t-elle.

La fillette se tut et elles restèrent toutes les deux silencieuses les heures qui suivirent. Sans aucune notion du temps qui pouvait s'écouler à part peut-être le clapotis de l'eau qui gouttait, elles attendaient que quelque chose se passe. Que Luba vienne les libérer ou bien qu'un garde débarque pour leur exécution.

Ce temps interminablement long, Helja s'en servit afin de réfléchir à sa vie et tous les évènements qui avaient amené à cet instant précis. Ce jour qui marquerait peut-être la fin pour elle.

La brûlure glaciale provoquée en continu par le bracelet demeurait et lui rappelait qu'elle ne possédait ni magie, ni arme. Mais était-elle totalement démunie pour autant ? Elle avait encore son intelligence et toute sa logique pour trouver un moyen de sortir d'ici. Malgré ça, elle n'avait plus la force ou bien la volonté de se battre.

— Helja, l'interpella Charlie.

— Oui, soupira-t-elle.

— Tu ne peux pas essayer de faire le truc comme quand vous étiez retenu par les cavaliers de l'apocalypse ?

— Le truc ?

— Oui. Demande à ton poignard pour qu'il vienne à toi. Comme la dernière fois.

C'était une idée intéressante à laquelle Helja avait déjà songé, mais pour quoi faire ? Peut-être qu'elle y arriverait et peut-être qu'il apparaîtrait dans le creux de sa main. Peut-être parviendraient-elles même à sortir d'ici, mais ensuite ? Elles devraient à nouveau fuir et se cacher alors que Lilith, elle, prendrait possession du pays avant de conquérir le reste du monde. Pourtant, sous le regard suppliant de la petite fille, la sorcière s'exécuta.

Ce fut peine perdue puisque rien ne se passa. Charlie désespéra encore plus et de nouvelles larmes coulèrent sur ses joues.

Après quelques minutes ou bien plusieurs heures, la porte du cachot s'ouvrit et des gardes entrèrent. Ils détachèrent chacune des prisonnières qu'ils forcèrent à quitter les lieux, tirant sur les chaînes autour de leurs poignets.

— Où nous emmenez-vous ? questionna Charlie alors qu'elles commençaient à monter un escalier en colimaçon sombre et humide.

— Tais-toi et avance ! lui répondit un homme rustre et obèse dont la barbe tombait au niveau de sa poitrine.

Lorsqu'elles sortirent du tourbillon de marches, la lumière du soleil les éblouit. C'est à moitié aveugles qu'elles allèrent là où les gardes les malmenaient.

Helja aurait pu alors à ce moment très précis retourner la situation. Elle n'avait ni besoin de magie ni même d'arme pour battre tous les gardes, mais encore une fois, la fatigue et le désespoir prirent le dessus. Elle n'avait plus aucune volonté. Elle qui avait tant donné tous ces cycles était désormais arrivée au bout du chemin.

Le vent lui léchait le visage, lui signifiant qu'elle se trouvait dehors. Elle n'eut pas à ouvrir les yeux pour comprendre ce qui se passait. Le bruit d'une foule en colère montait au plus elle avançait. Rapidement, elle sentit des projectiles s'écraser contre sa peau. L'odeur de fruits pourris lui piqua le nez.

Devant elle, Charlie, déjà à bout de souffle, se mit à hurler, aussitôt arrêtée par des gardes qui lui assénèrent des coups dans le ventre.

— Ce n'est pas pour toi normalement, comme tu es humaine, mais je pense qu'on pourra te faire subir le même sort après si tu le désires.

Et c'est à ce moment qu'Helja décida de regarder droit devant elle, découvrant un spectacle des plus effroyable.

Une centaine de personnes étaient réunies face à l'entrée du château, là où, il y a quelques jours encore, ils attendaient pour participer à la fête. Tous avaient dans leurs mains des paniers garnis de nourritures périmées ou bien de cailloux pour les jeter sur la sorcière à son approche. Et au milieu de cette vague d'hommes, de femmes et d'enfants, un piquet en bois était planté dans une rosace de branche, prête à flamber.

Après plusieurs pas, Helja distingua le prince, debout entre Margarette et des gardes. Elle n'aurait su dire si elle lisait de la joie ou de la peur dans ses yeux, mais il n'arrêtait pas de regarder autour de lui. Dans la masse, elle reconnut également la vendeuse de robes ainsi que d'autres personnes qu'elle avaient déjà croisé dans sa vie. Tous la huaient ou scandaient :

— Brûle ! Brûle ! Brûle la sorcière !

Sans dire un mot, Helja se laissa mener au centre du bûcher où on lui attacha les mains dans le dos, sans lui donner une chance de s'échapper. Charlie, elle, hurlait et se débattait. Elle tentait de résonner la foule et de les prémunir du danger qui arrivait. Mais tous paraissaient hermétiques à ses revendications.

Une fois bien ligotées, les hommes s'éloignèrent. L'un d'eux attrapa une torche allumée qu'il offrit au prince.

— HELJA NON ! FAIS QUELQUE CHOSE !

Mais étrangement, la jeune femme ne voulait plus rien faire. Elle n'en avait plus l'envie. La seule chose qui la réconfortait c'était que bientôt, tous ici présents périraient et alors, ils comprendraient qu'elle avait raison. Que depuis le début, elle était venue pour sonner l'alerte ! Il y avait Charlie aussi, mais elle le savait, son amie comprendrait son geste.

— Je désirais attendre le retour de mon père pour lui montrer que j'étais à la hauteur de ses attentes, mais la rumeur comme quoi la grande Helja avait été capturée s'est si vite répandue... je ne pouvais donc plus attendre. J'espérais aussi que l'annonce de ta mort le ferait revenir, mais bon.

Charlie, agenouillée à côté, pleurait tandis que tous autour, hurlaient de joie.

Le jeune homme s'approcha, mais, au dernier moment, il rendit le flambeau au garde, visiblement pas prêt à commettre le meurtre lui-même. Il releva la tête, fixant sa victime, se demandant s'il avait fait le bon choix, le choix qu'aurait fait son père, quand le bourreau à ses côtes, s'avança et demanda :

— Un dernier mot sorcière ?

Pour toute réponse, Helja se contenta de rire.

— Qu'y-a-t-il ? aboya-t-il.

— Rien. Juste, au plaisir de tous vous retrouver quand Lilith en aura terminé avec vous.

Puis elle ferma les yeux. En l'espace de quelques jours, sa descente aux enfers avait été crescendo. Après avoir subi tout un tas d'épreuves, elle avait perdu son ami le plus cher, Bastet. Elle avait ensuite perdu Charlie avant de la voir revenir, possédée par la plus puissante des déesses de nouveau libre. Et alors qu'elle pensait être enfin en sécurité, on l'avait enchaînée et traitée de menteuse. Ces pauvres humains ne la méritaient pas. Personne ne la méritait.

Elle entendit le son des flammes s'approcher, puis s'intensifier. Une chaleur se répandit tout autour d'elle et l'odeur de la fumée lui monta à la tête. Aussi, afin de partir sans souffrance, la sorcière décida d'ouvrir les yeux dans le passé. Un moment agréable qu'elle revivrait pour l'éternité.

Plus de Lilith ni d'inconnu à capuche. Plus de douleur ou de tristesse, pas plus que de deuil. Juste la paix.

Helja avançait dans les montagnes du sud de Gallia, accompagnée de Luba, Charlie et Bastet. Tous les quatre se rendaient chez les sœurs de la sagesse, discutant joyeusement. C'était ce moment, cet instant précis qu'elle choisit de vivre encore et encore. Une minute de pure bonne humeur et d'humour, de jeux et de plaisanteries.

Mais dans l'ombre d'une crevasse, un grand homme l'observait en silence. Helja ne voulait pas y faire attention, mais son regard fut immédiatement attiré par cette silhouette familière. Et alors qu'elle comprit qui se trouvait face à elle, le son de sa voix sortit du présent et la ramena à la réalité.

Le feu était en train de lui mordre le bout de ses bottes. Devant, tous dévisageaient un individu qui se tenait au côté du prince, ses boucles noires lui tombant sur les épaules.

— Arrêtez-moi cet incendie ! hurla le roi, le doigt pointé sur le bûcher.

— Mais père, je fais ça pour toi. C'est la sorcière qui a tenté de te...

— J'ai dit, cessez tout de suite cette exécution ! ordonna-t-il à l'adresse des gardes.

Ils se précipitèrent pour récupérer des seaux d'eau. Charlie fixait d'un drôle d'air Gargoth tout comme Helja qui commençait à ressentir les flammes lui lécher la peau.

Il fallut quelques minutes pour complètement éteindre le feu et escorter l'innocente auprès du souverain, sous les yeux médusés de tous les habitants.

— Père, je ne comprends pas, j'ai pourtant...

— Nous allons en discuter mon fils, ne t'en fais pas. Rentrons tous au château.

Et l'homme s'avança vers la grande porte encore ouverte, se retournant une dernière fois vers Helja, la dévisageant de son regard perçant et autoritaire.

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