Chapitre 4 - Histoire (partie 3/3)


— Dame Violette ? Et oh !

Helja ne se retourna pas immédiatement, mais lorsque les appels devinrent de plus en plus insistants, elle détourna le regard. À quelques mètres, une vieille femme vêtue d'une robe bouffante effectuait de grands signes.

— Je crois que c'est pour toi, expliqua Charlie

— Mais je ne la connais pas.

— Ap... apparement, elle oui.

À peine eut-elle terminé sa phrase que l'inconnue posait pied devant elle, manquant de leur crever un œil avec le long nez crochu de son masque.

— Comment allez-vous depuis tout ce temps ? J'ai l'impression que vous n'êtes pas venue à la capitale depuis des cycles.

Même si Helja ne pouvait apercevoir que ses lèvres tellement fines qu'elle semblait inexistante ainsi que le contour de ses paupières ridées, elle imaginait très bien une femme plutôt âgée cachée sous le loup.

— Désolée, mais je ne suis pas Violette. Vous devez vous tromper.

— Oh pardon je suis confuse, répondit-elle. Avec tous ces masques, je ne sais plus où donner de la tête. Alors, laissez-moi me présenter, Margarette, gouvernante en chef du château.

Lorsque la sorcière attrapa la main qu'elle lui tendait, elle replongea plusieurs jours auparavant. Alors qu'elle était attablée avec Gargoth, discutant de la mission, son fils avait fait irruption. Rapidement, une vieille dame à la peau extrêmement plissée et aux cheveux attachés en chignon avait suivi.

— C'est vous qui vous occupez du prince si je ne m'abuse, questionna Helja.

— C'est exact. Je suis ici depuis plus de cinquante cycles. Et vous êtes ?

— Je suis Alice et voilà mon amie Adélaïde.

Charlie la salua à son tour.

— Et bien ravie d'avoir fait votre connaissance et encore mes excuses pour cette confusion. Je me demande vraiment qui a eu cette idée. Se masquer pour un bal, je ne reconnais plus personne, soupira-telle, les yeux au ciel.

— Attendez ! l'interpella Helja. Savez-vous où est notre hôte ? Nous sommes venues de loin pour son anniversaire et nous voudrions lui offrir notre cadeau.

— Il doit faire un discours une fois que Les Brigands Romantiques auront fini de jouer donc je pense qu'il doit s'entraîner. Mais pour votre présent, ne vous inquiétez pas, vous pouvez le déposer là-bas avec tous les autres.

Margarette leur montra une pile d'objets emballés qui devait mesurer plusieurs mètres de haut avant de prendre congé.

— Bien, allons chercher le prince avant qu'il ne porte un toast.

— On ne pourrait pas aller voir les ar...artistes de plus près avant ? demanda Charlie.

— Pourquoi ? Nous devons nous dépêcher.

— Lors de notre soirée à la ville souterraine, dans la taverne, tu es partie p...pendant un long moment. Quand je me suis retrouvée avec Bastet nous avons beaucoup discuté et il m'a avoué qu'il re...ressemblait au chanteur du groupe Les Brigands romantiques. Je me souviens qu'il était extrêmement choqué que je n...ne les connaisse pas.

La sorcière aperçut les yeux humides de la fillette cachée dans l'ombre de son loup. Elle hocha la tête puis la suivit pour atteindre l'estrade.

Se frayant un chemin parmi la foule qui tournait, claquait des mains ou donnait des coups de pieds dans la joie et la bonne humeur, elles découvrirent de multiples petits podiums en forme de cercle disposés un peu partout dans la pièce. Dessus, des hommes et des femmes dansaient dans des tenues plus que légères, aguichant les passants de leur regard lubrique dissimulé sous leur masque.

Sans s'attarder, elles arrivèrent rapidement face aux trois musiciens vêtue de haillons terreux et de chapeaux à plumes. Contrairement aux invités, aucun ne portait de masque, ce qui permettait de voir entièrement leur visage. Les deux premiers jouaient respectivement du violon et du tambour alors que le troisième, en plus de chanter, grattait les cordes d'un luth. Et c'est sur ce dernier qu'elles arrêtèrent leur regard.

Une mâchoire carrée et puissante, des sourcils broussailleux aussi sombres que ses cheveux bouclés et sa moustache, il apparaissait comme le parfait sosie de Bastet. Une ressemblance troublante et déroutante qui impressionna Helja. Et comme si leur ami se trouvait face à elles, l'homme baissa la tête pour les observer et leur sourire avant de terminer sa chanson.

Les convives applaudirent avec cœur et conviction puis un tintement de cloche signifia l'arrivée du prince. Les artistes laissèrent la place sur scène et la foule se précipita pour être au plus proche de leur hôte. La sorcière aperçut Margarette au loin, une coupe de vin à la main et rigolant avec deux autres vieilles dames. Tout le monde se serra à elle à l'étouffer quand des bruits de pas commencèrent à raisonner de plus en plus fort. Une volée d'une dizaine de gardes sortit d'une arche dans le coin de la pièce, puis le futur roi émergea.

Aussi grand que son paternel, les épaules larges et carrées, il titubait vers le devant de l'estrade. Il était vêtu d'un magnifique costume bleu et or, le dos de la veste se terminant en queue de pie, et dernière son masque entièrement jaune, ses iris turquoises brillaient à la lumière. Il scruta d'un œil incisif la salle pendant un long moment puis déclara :

— Pour mes dix-huit cycles j'espérais avoir mon père à mes côtés, mais apparemment ses affaires ont bien plus d'importance que moi donc, il leva son verre au-dessus de sa tête, amusez-vous bien !

Il but d'une traite son vin puis s'éloigna sous les regards médusés et les rumeurs qui commençaient déjà bon train. S'enfonçant parmi ses invités, probablement pour aller se servir à nouveau à boire, Helja en profita pour le suivre.

— C'est maintenant ou jamais, dit-elle à Charlie qui lui emboîta le pas.

Elle distingua Margarette qui avait elle aussi l'air de se diriger vers le fils du souverain, les sourcils froncés et sûrement prête à lui passer un savon pour son comportement. Elle ne devait pas l'atteindre avant elles, alors, dans un murmure à peine audible, Helja lança :

Polma Ayakbuv !

Il y eut un crac et la vieille femme tomba à plat ventre, disparaissant dans la foule, les talons de ses chaussures brisés sous le coup du maléfice. Il ne fallut pas plus de quelques secondes pour que la sorcière accoste le jeune homme, son verre de nouveau rempli à ras bord dans une main et un morceau de viande dans l'autre.

— Excusez-moi mon prince ! interpella-t-elle, souriante.

— Gaston ! répondit-il, postillonnant sur Helja qui grimaça. Ce soir, je suis simplement Gaston.

— Enchanté, intervint Charlie alors qu'Helja s'essuyait le buste. Auriez-vous une minute à nous accorder ?

— Je vous écoute.

— En privé, précisa Helja.

— Désolé, mais comme je vous l'ai dit, cette nuit je suis Gaston, pas le prince. Alors si c'est pour des affaires urgentes, vous pouvez aller voir les gardes qui en informeront mon père une fois qu'il sera rentré. S'il se décide à rentrer un jour, ajouta-t-il plus pour lui que pour ses deux convives.

— C'est à propos du roi Gargoth, insista la sorcière.

Gaston avala de travers son vin qu'il recracha aussitôt sur le sol.

— Comment ça ? Vous savez où il est. Lui, Dolos et ses hommes ?

— Oui et c'est assez grave. C'est pour ça que nous devons vous en parler en privé, expliqua Charlie.

— Bien, suivez-moi.

Il entraîna les deux femmes vers l'arche par laquelle il était entré. Il refusa de discuter avec toutes les personnes qui l'interpellaient et ordonna même à la gouvernante en chef, qui tenait ses chaussures à la main, de repasser plus tard. Malgré tout, une poignet de gardes lui emboîtait le pas.

Ils parcoururent un interminable couloir étroit et sombre, montèrent un escalier en colimaçon pour enfin longer un tapis bleu et jaune qui menait à une porte sobre, sans gravure ni ornement.

À l'intérieur, plusieurs chandelles étaient déjà allumées, éclairant un bureau installé face à une fenêtre donnant sur la forêt. De volumineux ouvrages remplissaient les bibliothèques et dans un coin, une sculpture débutait sa construction. On aurait dit une réplique de Gaston, mais où pour l'heure, seuls les bras et le visage se dévoilaient, tout le reste comme emprisonné dans un énorme bloc de marbre.

Le prince s'adossa au meuble de bois avant de retirer d'un geste violent son masque qu'il balança dans le fond de la salle. Les gardes qui patientaient contre le mûr, juste derrière les deux filles, ne remuèrent pas d'un pouce.

— Bon, que savez-vous ? demanda le jeune homme dont le ton de voix avez radicalement changer, ressemblant davantage à son père désormais.

Helja n'avait pas la moindre idée de par où elle devait commencer, ni même comment elle allait aborder les sujets délicats. À ses côtes, Charlie la regardait, attendant sûrement qu'elle se jette à l'eau. Et c'est ce qu'elle fit, sans prendre de pincettes :

— Gargoth est mort, trahit par Dolos, annonça-t-elle.

Ce fut comme si une bombe venait d'exploser en plein milieu du château. Plus personne ne bougeait. Les gardes se dévisageant les uns les autres et le futur roi avait les yeux fixés sur la moquette.

— Mais il y a plus grave, enchaîna la sorcière, vous devez savoir que...

— Qui êtes-vous ? l'interrompit Gaston qui se levait et avançait vers elle. Qui êtes-vous pour affirmer pareille ineptie ?

— Notre identité n'a pas d'importance, ce qui compte c'est...

— QUI ÊTES-VOUS ? s'emporta Gaston d'une voix rauque et autoritaire

— Je crois que nous devons lui dire, conseilla Charlie. Mais vous devez nous écouter, continua-t-elle à l'adresse du jeune homme.

— Je vous écouterai quand vous m'aurez dit qui vous êtes !

Helja et Charlie défèrent le nœud qui maintenait leur masque et comme c'était à parier, lorsqu'elle dévoila son visage, Gaston recula de peur alors que les gardes dégainèrent aussitôt leur épée.

— Vous ! C'est vous qui avez assassiné mon père ! Arrêtez-la !

Les hommes s'avancèrent, mais Helja les bloqua d'un geste de la main :

Shcalk !

Et alors qu'ils se retrouvaient pris au piège derrière un mur transparent composé de volutes blanchâtres, la sorcière se retourna vers le prince.

— Je n'ai jamais essayé de tuer Gargoth, c'est un mensonge qu'il a fait circuler. Mais ça n'a pas d'importance puisqu'à l'heure où je vous parle, Lilith est en train de récupérer sa pleine puissance et de rapatrier tous les démons du pays pour déclencher une guerre contre les êtres magiques et les humains. Les deux camps doivent rapidement se regrouper pour faire face.

Gaston sembla totalement perdu. Ses yeux oscillaient entre Helja, Charlie et les gardes qui tentaient toujours de franchir le bouclier. Quand enfin il parvint à s'exprimer, il ne demanda qu'une seule chose :

— Qui est Lilith ?

— Bordel, mais on ne vous apprend rien à vous ?

Et alors qu'elle se concentrait sur le prince, elle ne vit pas un des hommes réussir à outrepasser la barrière enchantée. Il tomba sur Charlie qui se retrouva prise au dépourvu, incapable de réagir. Helja essaya de la secourir, mais un autre se jeta sur elle, l'épée levée au-dessus de sa tête.

Elle se baissa juste à temps. Dans sa tentative d'esquive, elle se prit le pied dans sa robe et chuta, le dos contre le sol. Le mur invisible implosa, permettant à tous les gardes d'attaquer. Rapidement, une lame se planta à quelques centimètres de son visage.

La sorcière glissa sa main vers sa cuisse pour récupérer son poignard, mais elle ne parvint pas à toucher sa peau à cause de tout le tissu. Pendant ce temps-là, Charlie se faisait attacher les poignets contre ses reins.

Tant bien que mal, elle se releva face aux hommes qui s'avançaient.

Otstek !

Une onde se dégagea du bout de ses doigts et tous reculèrent violemment, se cognant contre le mur et les tableaux. L'un d'eux tomba même contre la statue, l'emportant avec lui dans sa chute.

— Vous devez me croire, Lilith est de retour et nous devons tous unir nos forces pour l'arrêter.

Elle se retourna vers le prince, mais à nouveau, une sensation qu'elle connaissait bien et qu'elle n'avait pas envie de revivre se reproduisit. C'était comme si un seau d'eau glacé lui avait été jeté dessus, le liquide coulant à grande goutte. Quand elle baissa les yeux vers son poignet, ce qu'elle craignait se produisit. Il lui avait mis le bracelet en or qui la privait de sa magie.

Helja s'ingéniait à le retirer, mais elle se brûla le bout des doigts à la moindre tentative.

Peu importe, elle devait expliquer l'ampleur de la situation, que le jeune homme l'écoute ou non :

— Croyez-moi. Si nous ne faisons rien nous allons tous mourir vous m'entendez. Nous allons tous mourir !

— Je ne vous crois pas, vous êtes une sorcière et une régicide.

Quelqu'un lui donna un coup dans les reins qui la fit tomber à genoux. Elle chercha à se relever, mais des mains appuyèrent sur ses épaules alors que d'autres lui nouaient les poignets dans le dos. Elle essaya bien d'utiliser la magie, mais comme la dernière fois, rien ne se produisit. Elle tenta le tout pour le tout :

— Ce n'est qu'une question de jours avant que Lilith n'attaque. Elle a déjà détruit toute une ville à quelques kilomètres d'ici. Allez voir par vous même ! Vous vous apercevrez rapidement que je ne mens pas.

— Je ne sais pas qui est cette Lilith, mais tout ce qui sort de votre bouche n'est que mensonge. Amenez-les aux cachots toutes les deux, nous les brûlerons au bûché. Papa va être tellement content quand il rentrera et découvrira que j'ai attrapé Helja la sorcière. Peut-être qu'enfin, il sera fier de moi.

— Mais votre père est mort ! s'emporta-t-elle alors qu'on la relevait et la traînait hors de la pièce. Il est mort à cause de Dolos ! C'est lui qui a tout manigancé. Lilith va tous nous tuer et ça sera votre faute !

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