Chapitre 4 - Histoire (partie 2/3)


Le soleil commençait doucement sa descente quand les deux femmes arrivèrent aux abords de la grande cité. Sur le chemin, elles avaient à nouveau observé des affiches à l'effigie d'Helja, son portrait affreusement dessiné et une forte récompense offerte pour sa capture, morte ou vive. C'est pourquoi elle changea son apparence à l'abri d'un bosquet.

En cette fin d'après-midi, les rues étaient anormalement bondées. Elles durent attendre pas moins d'une heure pour pouvoir franchir les contrôles au niveau du pont-levis et la sorcière aperçut beaucoup plus de gardes qu'en temps normal aux meurtrières des remparts entourant la capitale. Quelque chose se passait ici. Étaient-ils déjà au courant pour la disparition de Gargoth ?

Une fois entrées dans le cœur de la ville, elles constatèrent que les habitants se pavanaient allègrement, tous dans de beaux costumes plus extravagants les uns que les autres. Une multitude de couleurs dans les vêtements, les maquillages ou les coiffures, mais également dans les masques. Chaque personne se baladait, arborant de magnifiques loups qui couvraient leurs yeux ou leur visage. La plupart se dirigeaient vers le château, rigolant et bavardant aussi fort qu'ils le pouvaient.

— Comment va-t-on ap... approcher la cour ?

— Nous allons directement discuter avec son fils, expliqua Helja, montrant une affiche qui cette fois, représentait à la perfection un jeune homme coquet, aux cheveux roux foncé, aux yeux bleus turquoise et au nez proéminent. Il célèbre son anniversaire ce soir et une grande partie de la capitale est conviée. Nous pourrons facilement lui parler.

— Et je parie que c'est une fête masquée, ironisa la fillette.

— Oui et ça, ça va pouvoir jouer à notre avantage.

Se retournant vers l'entrée principale du château, la sorcière aperçut des personnes en costumes noirs vérifier des papiers que montrait chaque convive avant de pouvoir passer.

— D'abord, trouvons d'autres vêtements, puis je me chargerai de nous dégoter des cartons d'invitation.

Les deux femmes se dirigèrent aussitôt vers la grande rue commerçante d'Isla. Elle s'apparentait un peu à l'avenue centrale de la ville souterraine, mais sans toute cette magie et cette étrangeté qui la caractérisait tant. Ici, les boutiques collées l'une à l'autre se ressemblaient presque toutes, mais elles brandissaient toutefois un drapeau différent pour distinguer ce qu'on pouvait y acheter.

Dans la foule, on entendait à peine les cris des marchants qui tentaient d'attirer des clients dans leur magasin. Elles s'arrêtèrent un instant devant une boulangerie aux pâtisseries alléchantes, mais continuèrent pourtant leur chemin. Enfin, elles trouvèrent ce qu'elles cherchaient, niché entre un forgeron et un cordonnier.

Sous un fanion rose poudré brodé d'un symbole de fil et d'aiguille, la porte de la boutique était sculptée dans un bois clair, presque blanc, et un vitrail rouge permettait aux potentiels acquéreurs de découvrir l'intérieur.

Lorsque Charlie poussa la porte, celle-ci s'ouvrit dans un horrible tintement de cloche. Helja, qui préférait plutôt les hurlements du bazar de Janus et Tiguil, se retrouva immédiatement submergée par une épouvantable odeur de fleur et de champagne à lui donner la nausée.

Elles furent aussitôt accueillies par une femme qui exhibait un large sourire. Ses incroyables boucles d'oreille en forme de cage à perroquet et son chapeau en tête d'oiseau perché sur ses cheveux grisonnants sautaient à chacun de ses pas. Derrière, tout un tas de personnes fouillaient dans les vêtements exposés ou s'amusaient avec les masques en présentation.

— Bonjour, bienvenues chez La Mode À Chérie, Chérie c'est moi, que puis-je faire pour vous mesda..

Mais elle ne termina pas sa phrase, jugeant les deux nouvelles clientes de la tête aux pieds. Son regard en disait long. Elle s'arrêta même un moment sur le troisième sein d'Helja, qui avait encore une fois raté sa métamorphose, quand Charlie lui expliqua :

— Bon...Bonjour. Nous cherchons de belles t...tenues pour la soirée du prince. Vous avez tou...toujours ce qu'il faut ?

— Bien sûr, bien sûr, répondit-elle d'une voix agaçante. Vous avez de la chance, j'ai encore quelques robes qui vous iront à merveille. Mais dépêchez-vous l'évènement du cycle va bientôt commencer alors je ferme boutique dans quelques minutes. Suivez-moi !

Elles emboîtèrent le pas à la femme qui se fraya un chemin dans la foule qui jacquetait et riait aux éclats. Tout comme les anneaux qui pendaient aux oreilles de Chérie, ses boucles grises sautaient au rythme de ses pas, comme la tête d'un pigeon. Cela faisait beaucoup sourire Helja, mais quand elle aperçut la tenue que la vendeuse décrochait du portant pour lui présenter, elle déchanta. La sorcière détestait ce genre de vêtement, beaucoup trop affriolant et peu pratique pour le combat.

— Vous n'avez pas autre chose ? Une combinaison par exemple ?

La marchande se tordit de rire, pensant à une blague. Ses gloussements, semblables aux bruits d'une poule, apparaissaient aussi horribles que sa voix.

— Comme vous êtes drôle vous, on n'est pas chez Mode À Tout Petit Prix ici.

Et elle partit à nouveau dans un fou rire, sous le regard médusé des deux amies.

— Prenez cette robe vous verrez, vous serez ma-gni-fi-que ! De toute façon, notre prince exige des convives une tenue plus que correcte. Et pour toi jeune fille, hum, elle fouilla dans le stock devant elle, celle-ci. Le jaune ira mer-ve-illeu-se-ment bien à ton teint de peau. Voilà, entrez dans la cabine, on choisira vos masques plus tard.

Désormais seule, la sorcière consentit à enfiler ce qui pour elle ne ressemblait qu'à un simple costume. Cependant, elle se retrouva rapidement bloquée, la tête sous son bras. En forçant un peu, elle parvint à la mettre convenablement, ne déchirant que très légèrement un ourlet. Enfin, elle se tourna vers le miroir et se regarda pour la première fois depuis bien longtemps.

La robe d'un vert sapin faisait ressortir ses cheveux roux foncé, mais elle avait l'impression que toutes les fioritures et autres froufrous ajoutés au tissu lui donnaient l'allure d'une grosse meringue. Le corset remontait sa poitrine, mais les tulles superposées la gênaient pour marcher ou pour attraper le poignard qu'elle gardait attaché à sa cuisse. Elle se rassura en se disant que quoiqu'il arrive, elle pourrait toujours recourir à sa magie. Et quand bien même, elle n'allait pas là-bas pour se battre, mais pour avoir une conversation des plus importantes.

— Vous avez fini ? demanda la femme à quelques mètres.

— Je déteste les robes, soupira-t-elle.

— Montrez-moi, je suis sûre que vous êtes res-plen-di-ssantes, rétorqua Chérie, ouvrant le rideau sans prévenir.

Elle contempla la sorcière de la tête aux pieds puis, elle ajouta :

— Je le savais. Dès que je vous ai vue, je savais que cette robe était faite pour vous. Si l'on fait abstraction de votre malformation au niveau de votre... euh... poitrine, vous êtes sublime. En même temps, j'ai plus de trente ans de métier, madame. Et vous ma petite ? hurla-t-elle à l'adresse de Charlie alors qu'elle était dans la cabine juste à côté.

Quand elle apparut dans son champ de vision, ce fut comme si le soleil se levait dans la boutique bondée et étouffante. Vêtue de cette robe spectaculaire qui tourbillonnait autour d'elle dans un magnifique camaïeu topaze, elle ressemblait bien plus à une jeune femme qu'à une enfant.

— Ça va ? demanda-t-elle en tirant sur le tissu pour éviter de marcher dessus. Je n'ai encore jamais porté de tenue aussi... sophistiquée.

— Et bien pour une première fois, vous vous débrouillez plutôt bien, répondit Chérie déjà derrière la fillette pour lui ajuster l'étoffe au niveau de sa taille. Juste quelques retouches ici et là, mais ne vous inquiétez pas, cela ne va prendre que quelques minutes. Anastasia !

Une vieille dame sortit d'une foule, ciseaux et aiguilles à la main. Et tandis que l'assistante s'affairait à adapter les robes aux corps des deux clientes, Chérie naviguait dans son magasin à la recherche de deux masques.

— Et voilà pour vous, leur indiqua-t-elle après un instant. Celui serti de perles est pour cette jeune fille et celui entièrement noir, il est pour vous.

Helja enfila son loup et se regarda aussitôt dans le miroir. Seuls ses lèvres et son menton étaient visibles, le reste étant dissimulé sous un épais cuir sombre et pailleté. Grâce à ça, elle pourrait se balader avec son vrai visage sans que personne ne la reconnaisse.

Ne possédant aucune pièce d'or pour payer les marchandises, Helja créa une illusion dès que Chérie eut le dos tourné. L'argent se volatiliserait dans une heure, mais d'ici là, elles seraient toutes les deux parties et la vendeuse ne semblait pas assez futée pour se rendre compte de la supercherie. Aussi, elle lui donna les dix mille pièces d'or demandées puis elles quittèrent la boutique suivies par les derniers clients.

Les ultimes rayons du soleil disparaissaient pour laisser place à la nuit alors que les deux amies empruntaient le chemin jusqu'au château. La sorcière avait retrouvé sa forme naturelle, soulagée de récupérer son propre corps. Elles marchèrent parmi la foule toujours plus épaisse qui se dirigeait vers la demeure du roi, non sans mal, toutes deux peu habituées à un tel accoutrement.

— Bien, maintenant il va falloir nous trouver notre laissez-passer, expliqua Helja en s'arrêtant.

Elle scruta les horizons, ne négligeant aucun détail. Un groupe d'hommes riant aux éclats, chope de bière à la main et carton d'invitation dépassant de la poche de leur veste. Non, si les papiers étaient nominatifs, il leur faudrait des prénoms de femme.

Plusieurs enfants couraient autour de la fontaine de Gargoth. Un couple avançaient vers la file d'attente d'un pas plus que lent. Des sœurs jumelles se faisaient accoster par un jeune timide au teint rouge. Plusieurs femmes d'âges mûrs examinent les tenues des autres.

— Pourquoi pas elles ! proposa Charlie, le doigt pointé vers une mère qui nouait les lacets de sa fille assise sur un banc.

— Parfait. Mais je ne vois pas leur invitation sur elles.

— Surement dans so..son sac à main. J'ai une id... idée.

Après avoir écouté les indications de la fillette, elle la laissa s'approcher de la femme qui venait de remettre sur pieds son enfant et commençait déjà à marcher vers l'entrée du château. Charlie l'aborda avant de discrètement, faire un signe de main.

Helja s'avança à son tour vers la cible, d'un pas si léger qu'elle ne l'entendit pas arriver. Puis, au dernier moment, la sorcière lui fonça dessus. Dans la surprise et la confusion, sa besace tomba et déversa tout son contenu sur le sol.

— Je suis désolée, s'excusa Helja. Je ne regardais pas où j'allais.

— Pas de soucis, je..hum.

Alors que les deux fillettes discutaient, la sorcière aida l'inconnue à ranger ses affaires. Parmi le maquillage, les masques et les autres babioles, elle distingua deux enveloppes cachetées du sceau royal. Elle allait s'en saisir avant que la propriétaire ne les remarque, mais cette dernière fut plus rapide. Elle les attrapa puis les fourra dans la poche de son long manteau de soie.

— Voilà, merci pour votre coup de main. Tu viens Sophie ?

Elle prit la main de son enfant puis avança vers le château, sourire aux lèvres.

— Je n'ai pas eu le temps de les récupérer, se lamenta Helja. Nous devons trouver une seconde victime et sûrement avoir recourt à un peu de magie.

— Pas besoin, gloussa Charlie qui lui montrait les deux cartons d'invitation. Réussir à attraper des ch... choses dans les poches des riches, c'est quelque chose que je sais faire. Papa n'aimait pas ça, mais, quand nous n'av... n'avions plus rien à manger, je n'avais pas le choix.

La sorcière la félicita, puis toutes deux poursuivirent leur route. Elles n'étaient encore jamais passées par l'entrée principale du château. Aussi, elles prirent le temps d'observer les environs. L'avenue débouchait sur des escaliers en marbre qui se divisaient en deux. Elles présentèrent les deux enveloppes avant d'être chaleureusement accueillies, contrairement à leur victime qui s'acharnait à retrouver les leurs un peu plus loin.

Après quelques marches, elles arrivèrent dans un jardin royal où les derniers camélias de la période perdaient déjà leurs pétales. Plusieurs convives discutaient ou buvaient ici, sous des centaines de torches allumées pour l'occasion. Le bruit d'une mélodie se fit rapidement entendre ainsi que les rumeurs d'un millier de conversations différentes.

Quand l'homme poussa la porte de la salle de réception, l'éclat lumineux du lieu les éblouit. D'immenses lustres en or étaient suspendus dans toute la pièce, des colonnes composées de quatre bougies étaient accrochées sur chaque mur et d'incroyables fenêtres en ogives laissaient passer les rayons ivoires de la lune.

De longs rubans de tissu d'un rouge criard pendaient du plafond, ondulant dans le vent. Des choses montaient et descendaient dessus, mais en observant bien, Helja constata que c'étaient des dizaines de femmes, qui offraient un spectacle aérien aux convives complètement ébahies. Vêtues de courte combinaison permettant d'apercevoir une grande partie de leur peau, elles s'enroulaient dans les étoffes avec grâce, se hissaient au plus haut avec légèreté et parfois, se laissaient tomber pour mieux s'arrêter sous un tonnerre d'applaudissements.

Plus loin, sur une estrade, un groupe de musique jouait un air bien connu sur Gallia tandis que plusieurs personnes dansaient juste devant. Mais la grande majorité des invités présents bavardaient autour d'un buffet des plus copieux. Pas moins de six énormes cochons étaient allongés sur des plateaux en argent, un véritable arc-en-ciel de fruits et de légumes s'étalait tout le long de la table et des miches de pain par centaine attendaient d'être dégustées. Mais ce qui attira immédiatement l'œil d'Helja, c'était les litres de vin servis en continu.

— Je ne vois pas le prince, cria Charlie.

— Moi non plus. Mais il ne devrait pas être loin. Allons là-bas.

Elles avancèrent en slalomant entre les hommes et les femmes, leur visage dissimulé sous des masques des plus excentriques. Rapidement, elles arrivèrent au niveau du buffet où elles récupérèrent deux coupes généreuses d'une liqueur écarlate.

— Quoi ? rétorqua Helja sous le regard interrogateur de Charlie. C'est pour passer plus facilement inaperçue.

Elle but une longue gorgée puis observa l'entièreté du lieu. Des personnes continuaient d'entrer, si bien qu'elle se demanda comment tous les habitants de la capitale pourraient tenir dans cette salle. Mais malgré son excellente vision et sa vivacité pour analyser un nouvel endroit, la sorcière ne distingua pas l'ombre du prince.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top