Chapitre 3 - Cauchemar (partie 2/2)
Elles se tournèrent vers la grande vitre ovale et distinguèrent dans le ciel nocturne un énorme nuage d'une couleur de sang. Ce n'était pas vraiment de la vapeur, mais pas non plus un liquide. Quelque chose entre les deux qui semblait réfléchir, s'approchant du village avec une célérité déconcertante.
Au-dessous, les arbres de la forêt tremblaient, annonçant l'arrivée de quelque chose de colossal.
Rapidement, elles sortirent de la chambre et descendirent les escaliers quatre à quatre. Dans le séjour, elles retrouvèrent leurs compagnons de soirée dormant paisiblement, sans se douter de ce qui avoisinait la bourgade.
Charlie essaya de les réveiller, mais Helja la tirait déjà aux dehors. Elles n'avaient pas le temps de s'occuper d'eux.
— Il f.. faut les aver... tir, tenta la jeune fille.
Sans lui répondre, la sorcière poussa la porte de l'auberge d'un grand coup de pied.
Dans la nuit glaciale, le vent soufflait fort et quelques coups de tonnerre firent même trembler le sol. Helja se dirigea vers l'unique entrée du village, mais dut s'arrêter brusquement. La chose rouge dans le ciel se situait devant elles et sur la route, quelques mètres en dessous, une masse noire avançait d'un pas rapide.
En quelques instants, la lumière de la lune divisa l'amas d'ombres en un groupe d'hommes et de femmes agglutinés, leurs yeux rubis et leur sourire de fou visibles à plusieurs mètres. Impossible pour elles de savoir combien de démons marchaient vers eux, mais elles étaient prises au piège.
Les deux amies rebroussèrent chemin, tournant à l'angle d'une boulangerie, et se cachèrent derrière deux tonneaux quand une voix résonna :
— Elles sont ici ! disait-il. Mère sent toujours la jeune fille.
Regardant par le mince interstice, Helja aperçut Dolos en avant, la tête levée vers l'énorme forme rouge qui flottait paisiblement dans le ciel. D'autres personnes s'étaient aussi détachées de l'escouade, mais ils étaient trop éloignés pour voir leur visage.
— Bien, continua le petit homme. Je vous en prie mère.
Le fluide se déroula en un long tentacule qui traversa les murs d'une habitation, disparaissant totalement. Pendant quelques instants il n'y avait plus que le silence et les nombreuses respirations du groupe. Charlie attrapa la main d'Helja qui ne se désintéressa pas une seconde de ce qui se tramait face à elle.
Des cris retentirent, suivis rapidement par des bruits de lutte. Cela ne dura que quelques secondes. Enfin, la fenêtre de la maison explosa au moment où un corps passa au travers. C'était un des individus présents avec elles à l'auberge.
La femme au doux visage en diamant qu'elles avaient croisée plus tôt sortit à son tour de la demeure, vêtue d'une longue robe de chambre recouverte de sang. Ses yeux brillaient d'une lueur écarlate.
Tous les démons se prosternèrent à son approche, mais une autre porte s'ouvrit. Quelqu'un arrivait, visiblement réveillé par tout le vacarme.
— C'est quoi tout ce boucan ? beuglait-il. Robert est-ce que ça va ? Qui êtes-vous tous ? Élisabeth, qu'est-ce qu'il se passe ?
L'homme avançait et s'apprêtait à rejoindre son voisin étendu au sol quand la femme se tourna vers lui. Elle referma ses doigts autour de sa gorge et le souleva d'une main.
— Je ne suis pas Élisabeth, dit-elle d'une voix emplis d'échos qu'Helja et Charlie avaient déjà entendue. Mais ce n'est pas grave. Les gens de cette époque ont l'air d'avoir oublié qui je suis. Avoir oublié la seule vraie déesse qui n'ait jamais marché sur cette terre.
L'inconnu produisait d'horribles bruits, sa trachée compressée sous la force de son adversaire.
— Croyez-moi, vous allez bientôt tous connaître mon nom.
La tête de l'homme fit un tour, lui brisant la nuque, et son corps tomba aux pieds de sa meurtrière.
— Tuez tous ceux qui se trouvent ici ! Ramenez-moi tout l'or que vous repérerez ! Et surtout, je veux cette sorcière et cette stupide gamine à genoux devant moi !
Tous les démons se relevèrent d'un même mouvement et se mirent à courir dans le village. On entendait déjà le son des portes exploser et les hurlements de terreurs des habitants qui se réveillaient face aux monstres de leurs cauchemars.
Sans attendre plus longtemps, Helja prit la fuite, Charlie sur ses talons. Sa fugue était ralentie par sa cheville cassée, mais elles réussirent rapidement à gagner de la distance.
Derrière elles, les cris et les pleurs étaient couverts par diverses détonations. Des feux montaient haut dans le ciel, ravageant tout sur leurs passages. Le sang baignait la terre et des monts de cadavres s'entassaient à vue d'œil.
Charlie la tira. En se retournant, elle aperçut un démon agripper le bras de la gamine. Il ne lui fallut pas plus d'une seconde pour dégainer son poignard et le planter dans le crâne de son ennemie, mais d'autres arrivaient déjà.
Un homme lui sauta dessus tandis que deux autres encerclaient la fillette. La sorcière parvint à retourner le démon, lui bloqua les coudes entre ses cuisses et l'égorgea d'un coup vif. En relevant la tête, elle découvrit Charlie, son bâton dans les mains, mettre à terre un des assaillants alors que le deuxième était déjà inconscient. Un sentiment de fierté la submergea, mais elle n'avait pas le temps de la féliciter.
Quand elles atteignirent les murs de la palissade qui entouraient le village, elles tombèrent sur la dépouille d'un enfant, son sang maculant le sol. Sans regard pour lui, Helja aida la gamine à franchir la barrière. Elle agrippa ensuite le rebord, se hissa, mais un choc violent sur les doigts la fit lâcher.
Elle se retourna vers une femme à la peau noire et aux cheveux rasés. De nombreux bijoux décoraient son visage rond et sur tout le reste de son corps était peints des symboles à l'encre rouge. Dans chaque main, elle tenait fermement un poignard courbé et ensanglanté.
— Je suis numéro douze, la maîtresse du sacrifice. Et toi tu dois être Helja, la...
Mais la sorcière ne la laissa pas finir et attaqua la première, son pied se logeant dans sa mâchoire. Le démon se releva, cracha et se jeta sur sa proie.
Les lames s'entrechoquèrent dans un bruit de métal surpassant les hurlements environnants. De son autre arme, son adversaire tenta de la transpercer sur le côté, mais Helja fut bien plus rapide. Elle passa derrière la femme et lui donna un violent coup dans le dos, la faisant tomber contre le cadavre de l'enfant.
C'est alors que tout le sang qui salissait son doux visage et qui baignait la terre boueuse serpenta vers l'assaillante qui se relevait déjà. Il l'auréolait comme une énorme cape morbide et ses tatouages s'illuminaient dans la nuit.
Elle écarta les bras, comme prête à exécuter le saut de l'ange, mais quand elle claqua des mains, tout le liquide rouge se projeta sur la sorcière tel un tsunami. Elle se retrouva submergée, suffoquant et crachotant. Complètement désorientée, elle ne voyait plus rien et n'entendait pas son adversaire approcher.
Elle reçut un coup dans l'épaule et un autre dans les jambes qui la fit tomber. Elle tenta d'essuyer son visage pour à nouveau ouvrir les yeux, mais on lui agrippa les cheveux pour la traîner sur le sol.
— Relève-toi et bas-toi ! lui hurla Médée.
La voix directement sortie du passé opéra sur Helja qui planta ses pieds dans la terre et empoigna son ennemie avant de tirer dessus. Elle bascula en avant, lâchant sa proie.
L'odeur du fer flottait dans l'air tandis que la sorcière se redressait, s'épongeant la face. La femme abattit ses deux poignards en même temps, mais elle esquiva l'attaque et frappa à son tour, manquant le démon de peu.
Elles étaient toutes les deux rapides et agiles. Chacune fondait sur l'autre, mais aucune n'atteignait sa cible. À un moment, Helja parvint à poser son pied contre le mur de la palissade pour se donner de l'élan afin de lui attraper la tête entre ses cuisses et la faire tomber face contre terre.
Il y eut un petit bruit métallique juste avant qu'une minuscule dague dissimulée dans la botte de la femme ne touche la sorcière en plein dans le dos. Elle bascula sur le côté alors que son adversaire roulait déjà pour se relever, prête pour un énième assaut.
Une nouvelle fois la dextérité d'Helja l'emporta sur la maîtresse des sacrifices :
— Otstek ! cria-t-elle.
Son ennemie se retrouva propulsée sur plusieurs mètres, son corps s'écrasant près d'un mont de cadavre.
C'est là qu'Helja vit Lilith accompagnée de Dolos. Ils se promenaient parmi les morts, la lumière des incendies dévoilant leur affreux sourire. La mère des démons marchait d'un pas lent vers une haute silhouette encapuchonnée.
Lorsqu'elle aperçut l'inconnu, Helja se redressa d'un bond. Cette personne était revenue. Elle rejoignait les rangs de Lilith. La sorcière devait empêcher ça. Elle devait tout arrêter. Son être entier lui hurlait d'attaquer. Maintenant !
Mais la voix de Charlie la sortit de ses pensées. La fillette l'appelait derrière le mur. Helja se retourna, escalada la palissade, puis toutes les deux, partirent dans la nuit.
***
Des cris abominables de souffrance. L'odeur de la mort planant dans l'air. Les pleurs d'un bébé assis parmi les cadavres. Les maisons qui disparaissaient dans la fumée les unes après les autres.
Cette vision apocalyptique apparaissait des plus satisfaisantes pour Lilith, mais elle était loin d'être comparable au moment où elle pourrait mettre cette sorcière à genoux devant elle. Elle prendrait un malin plaisir à la faire payer pour ce que son ancêtre lui avait fait. Oh oui, ça, elle lui ferait payer.
À côté d'elle, ses enfants ramenaient des caisses d'or, le bruit des tintements couverts par les supplications des derniers survivants.
Ses pieds nus retournèrent la tête du premier homme qu'elle avait tué depuis sa renaissance. Quelle chance il avait eu d'être parti de ses propres mains. Un véritable honneur qu'elle lui avait accordé.
— Elles se sont enfuies, rapporta un homme, le visage recouvert d'ecchymoses et de sang. Numéro douze n'a pas réussi à les retenir. Je suis désolé mère.
Sans même répondre, Lilith se retourna, le dévisagea. Elle pencha la tête sur le côté au moment même où le démon tomba à genoux, la main porter sur la poitrine et grimaçant de douleur.
— Comment avez-vous pu les laisser partir si facilement ? questionna-t-elle, sa voix aux multiples échos résonnant dans la nuit.
Son enfant, transpirant et gémissant de plus en plus, prenait une teinte carmin et ses veines semblait gonfler sous sa peau.
— Je veux cette sorcière devant moi et la tuer de mes propres mains. Je veux cette gamine à genoux et lui faire comprendre qu'elle n'est pas plus forte que moi. Une simple humaine ne peut pas rivaliser avec la plus puissante des déesses.
Lilith pencha encore plus la tête sur le côté, ses yeux rouge illuminant les ténèbres qui engouffrait le village. Puis, l'homme à genoux explosa, l'aspergeant de sang.
La déesse se redressa, essuyant le liquide chaud qui coulait sur ses joues.
— Une humaine, murmura-t-elle. Serait-il possible que ?
— Notre invité, appela Dolos d'une voix mielleuse, la sortant de sa rêverie.
Lilith releva les yeux vers cette silhouette qui marchait vers elle, le visage caché dans l'ombre de sa capuche.
— Mon fils m'a appris ce que vous avez fait pour lui, dit-elle. Que c'est en partie grâce à vous que je suis revenue ! Il m'a aussi expliqué que je pouvais faire quelque chose pour vous. Dites-moi d'abord qui vous êtes et je pourrai alors voir ce que je peux faire pour vous remercier.
Lorsque la personne retira sa capuche, Lilith ne pouvait pas être plus ravie.
— Voilà quelque chose d'intéressant, s'amusa-t-elle.
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