Chapitre 21 - Guerre (partie 4/4)


Quelque chose d'humide, de chaud et quelque peu gluant, glissa sur la joue de Charlie. Elle ouvrit brusquement les yeux, se demandant où elle était. Elle se redressa doucement, caressant la chaude fourrure de Lixy qui continuait de lui lécher le visage.

Les derniers événements lui revinrent en mémoire au moment où elle découvrit que toutes les personnes présente, sans exceptions, la dévisageait avec effroi. Le bruit que provoquer les démons en essayant de briser le bouclier qui protégeait la salle du trône résonnait dans la grande pièce silencieuse.

— Gaston ! Reste avec moi Gaston ! hurlait Gabriel dans son dos.

Charlie se releva en titubant. Elle avança vers son ami, une main dans sa poche. Elle en sortit son dernier remède qu'elle examina un instant.

— Prends ça, dit-elle enfin. Ça va le sauver.

Elle se tourna ensuite vers l'aslev qui la comprit en un regard. L'animal se cambra pour la laisser monter.

— Où tu vas ? demanda le démon.

— Je vais aider Helja à tuer Lilith.

Et la petite fille disparut dans un éclair argenté.

***

Le corps d'Helja glissa sur plusieurs mètres avant de s'arrêter, sa nuque tapant contre la dépouille d'un militaire venu de Skregel. Elle releva la tête et vit Lilith s'avancer, ses yeux entièrement rouges tournés vers elle. Le sang qui continuait de couler de ses blessures montait en grosses gouttes dans le ciel nocturne.

Essayant de se redresser, la sorcière se retrouva rapidement bloquée, ne pouvant ni bouger ni parler.

— Tu n'arriveras jamais à me battre !

Sa voix aux multiples échos semblait appuyer sur les épaules d'Helja qui n'arrivait même plus à se relever.

— Je suis...

Un homme sauta sur la mère des démons, sa bouche s'ouvrant en grand. Il tenta de planter ses dents pointues dans la chair de la femme, mais elle l'attrapa en vol, sans même le regarder. En quelques secondes, son corps avait fondu. Il ne resta de lui plus qu'une flaque.

— Et resterai...

Deux soldats essayèrent également de l'arrêter, mais de sa main se déversa un fluide rouge qui les enveloppa avant d'entrer dans leur gorge pour enfin ressortir par leurs yeux. Ils tombèrent raides morts.

— La seule déesse de ce monde !

La femme au visage de diamant et aux longs cheveux noirs marchait doucement, maintenant l'emprise sur son adversaire, sans même avoir à la toucher, de par sa simple voix. Helja sentit le poids sur son corps l'obliger à se relever pour se mettre à genoux alors qu'une fée tombait du ciel, un arc brandi. La flèche ne toucha pas sa cible et la malheureuse le paya de sa vie.

Hestia s'extirpa de la foule, le visage balafré. Elle sauta sur le dos de Lilith et lui colla ses mains de feu sur les joues. Cette dernière n'émit aucun bruit et se contenta de la balancer. Mais l'enchanteresse ne percuta jamais le sol. Son corps resta suspendu dans les airs et la mère des démons vengea les cloques qui marquaient sa peau. Les os d'Hestia sortirent de son corps un à un, lui arrachant d'affreuses supplications.

— Tu vois Helja, personne ne peut m'arrêter, pas même toi. Vous vous croyez tous uniques, tous spéciaux et méritants, mais ici, je suis la plus puissante !

Des picotements au bout des doigts lui indiquèrent qu'elle pouvait à nouveau bouger la main, mais le pied nu de la femme se posa sur son poignet, l'obligeant à lâcher le couteau noir.

— Oh non, tu ne pourras pas t'en servir. Aujourd'hui deviens le premier jour de mon règne sur ce monde.

— Menteuse ! cria un homme.

Mensonge lui bondit dessus. Elle évita de justesse le coup, mais reçut la lame de Meurtre dans le dos. Torture apparut également, les paumes tournées vers sa victime qui se contracta de douleurs, comme si les pires tourments étaient en train de lui arriver.

— Relève-toi et termine-en avec elle, ordonna la sorcière aux yeux vairons en lui tendant la main.

Elle s'en saisit, à nouveau prête à attaquer quand les trois cavaliers restants furent expulsés dans la bataille. Lilith se retourna. L'orbe lumineux au bout du bâton de la sorcière brilla, obligeant la femme à courber l'échine.

— Dépêche-toi ! glapit-elle.

Helja s'avança, mais Dolos sauva une nouvelle fois sa mère en affronta la sorcière, ce qui lui fit lâcher son emprise. Les deux femmes se firent face.

La lame d'Helja se dirigea vers elle et se planta dans sa paume. Les doigts de Lilith se refermèrent autour de son poing et avec une force incroyable, elle la renversa. La sorcière tenta de garder fermement le manche de son arme, mais ses mains moites glissèrent et elle céda.

La mère des démons retira le couteau et le sang s'envola, rejoignant l'amas d'hémoglobine qui grandissait dans le ciel.

— Comment vas-tu faire sans ça maintenant ? C'est terminé pour vous.

— Ça ne sera jamais terminé, cria Helja, se relevant avec peine et expulsant toute la magie qu'elle avait en elle. Enejiy !

Des volutes ambrées tourbillonnèrent rapidement autour de ses index avant qu'elle ne propulse l'énergie sur son adversaire, dans une boule lumineuse qui lui explosa en pleine poitrine. La sorcière ne lui laissa pas le temps de contre attaquer et enchaîna avec le même sortilège, envoyant de nouvelles sphères luisantes les unes à la suite des autres. Toutes éclatèrent sur la peau de Lilith, la marquant de brûlures pendant quelques secondes. Mais malgré son acharnement, la mère des démons parvint à saisir l'une des pelotes rayonnantes en plein vol et à la retourner vers son ennemie. Au dernier moment, Ergonthe sortit de la foule et bloqua la magie de son incroyable bouclier, sauvant Helja. Il sauta ensuite sur Lilith et lui entailla les bras à plusieurs reprises avant de tomber, le couteau noir enfoncé dans son estomac. La femme reprit l'arme et balança :

— Tu n'as toujours pas compris. Tu es faible. Tu as besoin des autres pour m'arrêter, car tu es incapable de le faire toi-même. Mais moi je n'ai besoin de personne. Je suis bien plus forte que toi. Je suis une déesse.

Il y eut un rugissement et Charlie apparut, chevauchant l'aslev. Avec une rapidité déconcertante, elle se retrouva face à Lilith qui ne la vit pas venir. Elle lui donna un coup de bâton dans son poignet, l'obligeant à lâcher l'arme.

Helja se précipita pour le récupérer tandis que la fillette disparaissait dans un éclair argenté. D'un mouvement vif, la sorcière se releva tout en plantant la lame dans l'abdomen de Lilith.

Tout devint soudainement silencieux.

Les personnes qui se battaient autour d'elle ne produisaient plus un bruit. Les cris et les chocs semblaient se dérouler à des kilomètres de là. Elle entendait uniquement le son de la respiration de la femme qui tombait dans ses bras.

Elle retira le couteau et la poignarda à nouveau, visant désormais le cœur.

Le sang qui s'envolait vers les nuages se montrait de plus en plus impressionnant. Il formait des perles épaisses qui l'englobaient dans ce calme paisible.

Helja regarda une dernière fois Lilith dans les yeux. Il n'y avait jamais eu d'éclat de vie qui s'y reflétait, mais elle aperçut tout de même quelque chose en train de s'éteindre chez la déesse. Sa force et sa rage.

— Avoir des alliés, ne pas être seule, c'est loin d'être une faiblesse. J'ai longtemps cru comme toi, mais maintenant, je sais. Tu as créé les démons pour qu'ils se soumettent à toi, mais ce n'est pas comme ça que cela doit fonctionner. Avoir des amis, une famille, est une force que tu ne connaîtra jamais.

— Jamais je... je ne peux pas... mourrir. La seule... déesse...

Les échos s'évanouissaient à chacun de ses mots jusqu'à ce que sa voix ne devienne plus qu'une. Une voix faible et humaine.

— Tu n'es rien de plus qu'une déesse morte maintenant, termina Helja.

Quand elle retira le couteau, la tête de Lilith bascula en arrière. Tout le sang retomba et le bruit revint comme un coup de fouet.

Tout le monde cessa de se battre, regardant la sorcière qui tenait le corps sans vie de Lilith. Charlie apparut à nouveau et descendit de Lixy pour la rejoindre.

Les démons qui avaient lâché leur arme levèrent la tête, sachant ce qu'il adviendrait d'eux. Un à un, ils implosèrent.

Dolos hurla, se précipita vers Helja, mais mourut avant même d'avoir atteint sa cible. Dans cette pluie de sang, la sorcière aperçut la personne à capuche. Elle criait, horrifiée de voir que Lilith avait échoué. Elle fit rapidement demi-tour, disparaissant dans la forêt.

Et alors que tout le monde commençait à crier victoire, elle se releva.

— Nous devons vite récupérer Luba, dit-elle à Charlie. Elle est là-bas, dans la forêt, avec l'inconnu.

***

Le visage du jeune homme reprenait des couleurs. Le remède que lui avait donné Charlie fonctionnait parfaitement.

— Merci, parvint-il à dire.

Gabriel ne pouvait s'empêcher de le regarder. Il avait réussi, il avait déjoué le destin. Comment, il n'en avait aucune idée, mais il y était arrivé. Depuis le début, son avenir à lui n'était pas de devenir celui qui tuerait mais celui qui sauverait.

Au dessus du jeune roi se trouvait désormais une mort paisible et qui n'adviendrait que dans plusieurs décennies.

— C'est à moi de te dire merci, rectifia Gabriel. Grâce à toi, j'ai vécu mes plus beaux derniers jours.

— Comment ça ? s'horrifia Gaston qui se redressait pour regarder l'homme en face.

— Ma mère vient de perdre, je l'ai senti. Je ne vais donc pas tarder à partir aussi.

— Pourquoi ? Non, tu peux rester avec nous. Nous avons gagné.

Les larmes perlaient aux coins des yeux du souverain et sa voix était secouée par l'émotion.

— C'est ainsi. J'ai toujours su que je mourrais en même temps qu'elle. J'aurais aimé être celui qui donnerais le coup de grâce, mais finalement, je sais que mon destin était tout autre. Et je préfère largement passer mes derniers instants avec toi. Ma vie n'aura jamais été aussi belle que depuis que je t'ai rencontré. Merci d'avoir été toi.

— Mais tu es sûr qu'on ne peut rien faire ? questionna le jeune homme. Nous n'avons pas passé assez de temps ensemble. Nous...

— Ne changeons rien à ce moment, je veux juste profiter de toi encore un peu.

Tous deux se prirent dans les bras et s'embrassèrent. Gabriel sentit alors quelque chose se tordre dans son estomac si bien qu'il se recula précipitamment. Il regarda une ultime fois le roi, lui qui en si peu de temps avait compté bien plus que les autres. Puis il ferma les yeux à tout jamais.

***

Le lieu semblait totalement désert. Charlie descendit de l'aslev pour rejoindre Helja qui portait ses mains sur son front.

— Je ne comprends pas, elle était là, avec la personne à capuche. Je l'ai vue revenir ici.

— Tu es sûre que nous sommes au bon endroit ?

— Bien sûr que oui j'en suis sûre, s'emporta-t-elle.

Elles examinèrent les environs, mais aucune d'elles ne tomba sur Luba ou bien même sur un indice. Quand la sorcière tenta un sortilège de localisation, elle ne sentit rien. La femme qu'elle recherchait ne donnait plus signe de vie. Elle avait complètement disparu et l'inconnu à capuche avec elle.

***

Une pluie de cendre tombait doucement, telle de la neige. Le ciel en feu crachait des braises et soufflait un vent brûlant qui s'infiltrait par les fissures aux murs de la prison. Luba tenta de tirer sur ses chaînes, mais le métal semblait bien trop solide. Elle essaya alors de changer de forme mais elle ne parvint à rien.

C'est alors qu'elle sentit cette étrange douleur autour de son poignet. Elle releva la tête, découvrant avec effroi un bracelet d'or directement vissé dans sa peau. Un bracelet d'or qu'elle avait déjà vu.

Quelque chose bougea dans l'ombre, face à elle.

— Il y a quelqu'un ?

Une jambe émergea à la lumière de la lune puis le reste du corps d'une femme qu'elle connaissait que trop bien. Elle apparaissait bien plus maigre que dans ses souvenirs, sa peau comme tendue sur ses os, mais c'était bien elle, solidement attachée au mur et portant également un bracelet vissé dans la peau, la privant de magie.

— Médée ?

— Oui, répondit sombrement la sorcière dont les cheveux ébouriffés tombés jusqu'à ses hanches. Et si tu es ici avec moi, c'est que tu dois connaître Helja.

— Je... Où sommes-nous ?

Alors, des flashs du passé lui sautèrent aux yeux. La personne à capuche, le visage pâle qui se cachait dessous.

— Cela m'a fait pareil la première fois, lança Médée. Mais tu verras, on s'y fait avec le temps.

— Mais, c'est impossible ! 

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