Les grandes portes de la cité s'ouvrirent pour laisser entrer le véhicule. Tout le monde descendit et suivit le souverain vers son château. Entre temps, la ville avait l'air d'être bien plus protégée, un nombre impressionnant de soldats se baladant entre les hauts murs qui encerclaient les habitations.

— J'ai rapatrié un maximum de mon armée, expliqua-t-il. Nous partirons dans quelques jours pour rejoindre Gallia. En attendant, vous pourrez dormir ici.

Durant le reste de la journée, tous se reposèrent après les durs évènements. Les gardes pleuraient toujours la mort de leurs amis et préférèrent demeurer ensemble dans les chambres allouées.

En fin d'après midi, la sorcière envoya un message à la reine souterraine et au roi pour leur exposer la situation actuelle. Elle n'eut qu'à retranscrire les quelques mots sur un miroir à l'aide de son sang et ils s'effacèrent d'eux-mêmes, voyageant jusqu'à Isla.

Rapidement, l'eau d'un broc posé sur la table basse de leur salon se mouva, s'éleva et dessina les traits de Gaston.

— Je.. hum, commença-t-il. C'est vraiment très étrange comme... moyen de communication.

Tous le regardaient.

— C'est Missélia qui m'aide à vous parler, mais jamais je n'aurais pensé un jour parler la tête dans un seau d'eau.

— Que se passe-t-il ? pressa Helja.

— Rien, je voulais juste vous féliciter pour ce que vous aviez fait. Avoir récupéré l'arme et réussi à convaincre Alarex III. Nous vous devons beaucoup.

— Un vrai jeu d'enfant, se vanta la sorcière en s'allongeant dans l'énorme fauteuil moelleux.

— Des gardes sont morts, rappela Charlie.

Helja fit la moue.

— Bien, c'est tout ce que je désirais vous dire. Quand rentrez-vous ?

— Nous reprenons la route dans quelques jours, répondit Gabriel.

— Bien, j'ai hâte de te... de vous retrouver, termina Gaston, les yeux rivés sur le démon et un sourire au coin des lèvres.

L'eau retomba brusquement, les aspergeant au passage.

Alors qu'ils étaient conviés à un repas en compagnie du roi et de sa femme, Charlie questionna Helja sur la différence entre une sorcière et une enchanteresse, ce qui la replongea dans un lointain souvenir. Elle était assise en tailleur face au puits à fantôme et Médée lui enseignait :

— Même si beaucoup pensent que les sorcières et les enchanteresses sont identiques, il n'en est rien. Nous sommes bien plus fortes qu'elles car notre magie n'a pas de limite tandis qu'elles, elles se contentent de maîtriser un seul élément. Tu peux rencontrer des enchanteresses de l'eau, de la terre, du feu, du vent, de l'esprit, de la lumière... mais aucune d'entre d'elles ne pourra déroger à son élément de base. Sache que, parmi tous les êtres magiques, les sorcières sont les plus redoutables et les plus puissantes. Ne l'oublie jamais.

Tous les invités purent déguster le plat traditionnel de Kentex, le mafé. Spécialité au poulet, accompagnée d'une sauce d'arachide et de riz. Pour les boissons, ils découvrirent la soute, un mélange confectionné grâce à une variété de pomme poussant exclusivement sur le continent et dont la teneur en alcool stimulait les papilles et les narines.

Après avoir conduit leurs convives dans leur appartements, Alarex III et Hestia leur souhaitèrent une bonne nuit. La chambre était spacieuse, éclairée par plusieurs bougies en forme de corps humain, et composée de trois grands lits à baldaquin, dont les rideaux en tissu transparent flottaient légèrement dans le vent. Les broderies aux murs représentaient des paysages désertiques avec un tel réalisme que cela en était saisissant. Sur chacun des matelas aux draps de soie étaient posés soigneusement des vêtements pour chacun d'eux, afin qu'ils puissent se changer avant de dormir.

Se retrouvant enfin seuls tous les quatre, Helja demanda à Charlie de s'approcher.

— Tu te souviens, quand la noyée t'a lâchée. Tu as rebondi sur la pierre au lieu de t'écraser. Comment est-ce possible ?

— Je ne sais pas. Ce n'était pas toi ?

— Non, je n'ai pas eu le temps de t'aider, répondit-elle, songeuse.

— Pendant que je tombais, je n'avais qu'une chose en tête. Le sortilège que tu avais utilisé quand l'hydre t'a projetée. Il faut croire que ça a marché.

— Mais tu n'es pas une sorcière, je le sentirais sinon.

— Les conséquences de la possession de ma mère, intervint Gabriel qui sortait de derrière un paravent, portant les nouveaux vêtements de nuit du château.

— Tu penses réellement qu'avoir été possédée par Lilith a fait de Charlie une sorcière ? questionna Luba, interloquée.

— Je ne sais pas. Personne ne le sait parce que ce n'est encore jamais arrivé. Je fais simplement des suppositions sur ce que je constate.

— Mais nous avons déjà essayé dans le bateau, reprit Helja.

— Je n'étais pas en danger à ce moment-là, réfléchit la fillette. Mais quand j'étais dans la cave de Tiguil avec la bougie, la flamme n'est pas apparue de nulle part.

À la pensée du jeune homme, les yeux de Charlie se remplirent de larmes.

— Bien, alors si tu peux réellement utiliser la magie, je me dois de t'entraîner pour que tu puisses t'en servir dès que tu le souhaites.

— Je... je ne sais pas si j'ai vraiment envie de savoir pratiquer la magie Helja. Je ne suis pas une sorcière. Je ne suis pas toi.

— Mais c'est une chance que tu as là. Une opportunité de devenir bien plus forte.

— Parce que tu crois que je ne suis pas assez forte ?

— Tu ne m'a pas très bien compris Charlie je...

— Si, je comprends totalement. Tu penses que maintenant que j'ai de la magie je suis forte. Mais j'en ai jamais eu besoin au par avant. J'ai toujours su me défendre.

— Ce n'est pas ce que Janus et Tiguil dirais, lâcha la sorcière.

Elle n'avait jamais eu l'intention de le dire. Elle n'y avait même jamais pensée. Mes la phrase était sortie d'elle même, laissant un lourd silence dans la chambre.

— Je suis désolé Charlie, je ne voulais pas dire ça

— Mais c'est ce que tu as dit, rétorqua-t-elle froidement avant d'aller dans son lit.

— Je ne le pensée pas. Je suis désolé.

La fillette, enroulé dans sa couverture, ne répondit pas. Helja regarda tour à tour Gabriel et Luba qui la dévisageait, et comprenait qu'elle avait été trop loin. Ses paroles avait blessé son amie.

La sorcière alla rejoindre sa couchette, faisant dos aux autres. Dans l'obscruité et le silence, elle pouvait entendre les pleures qu'essayait en vain de dissimulé Charlie. Ces lamentations lui déchiré le coeur et bien plus encore quand elle se répétait en boucle qu'elle en était la seule responsable.

Pourtant, une part d'elle, même infime, lui en voulait de ne pas avoir réussis à protéger Janus son amis depuis qu'elle était toute jeune. Elle savait que Charlie n'était pas celle qui tenait l'arme, ni même celle qui avait ordonné l'attaque, mais quand bien même, et elle n'arrivait pas à faire taire cette voix dans sa tête.

Tous finirent par s'endormirent même si pour Helja, le poids de la culpabilité devenait de plus en plus lourd à porter. En plus de ses durs paroles, elle continuait à dissimulé la vérité à son amie. Quand avouerait-elle à Charlie que sa mort avait disparu ? Certes, le lien avec Lilith avait été rompu et rien ne s'était produit, mais Gabriel ne voyait toujours rien en contemplant la petite fille, ce qui le questionnait beaucoup. Elle tenta de se convaincre qu'elle faisait ça pour son bien, que lui dissimuler la vérité était nécessaire pour ne pas l'inquiéter davantage, mais une part d'elle-même n'y croyait pas. Encore une fois, elle agissait en égotiste, ne lui laissant même pas le choix de savoir et elle le reconnaissait. Pourtant, c'était bien plus fort qu'elle.

Le groupe resta vivre au château d'Alarex pendant encore trois jours. De nombreux soldats de tout le pays arrivaient chaque matin si bien que la capitale fut bientôt beaucoup trop bondée. Helja et Charlie ne s'adressèrent presque pas la parole et quand Luba tentait de les réconcilier, elle se faisait rapidement renvoyer. Elle pestait donc contre ces deux têtes de mules, préférant la compagnie de Gabriel avec qui elle s'entraînait au combat. Le démon avait beaucoup de choses à lui enseigner.

Ce dernier conversait également chaque soir avec le roi par l'intermédiaire de la magie de l'eau. Ils passaient des heures à discuter la nuit quand tous dormaient et même la fatigue ne les empêchait pas de se retrouver.

La veille de leur départ, des milegrains cherchèrent à attaquer la cité, mais les hauts murs se révélèrent équipés de défenses bien pratiques. Des canons étaient sortis de tourelle pour tirer dans le tas et en quelques minutes, il ne restait plus que les cadavres d'horribles bêtes.

De retour à Portex, ils retrouvèrent Njord et tout son équipage ainsi que toute une flotte de bateau rouge et or, appartenant à la royauté de Kentex. D'autres soldats avaient directement rallié la ville côtière sans passer par la capitale.

— D'autres nous rejoindront encore après notre embarcation ! expliqua Alarex III, montant sur un des navires, tenant la main de sa femme.

La traversée de jour paraissait plus longue puisqu'ils ne dormaient pas. Ils observaient les horizons défiler devant eux, étendues d'eau infinies où se reflétait un soleil de plus en plus froid. Les habitants de Kentex revêtaient manteau et fourrure, peu habitués aux températures qui chutaient drastiquement à l'approche de Gallia.

C'est à la tombée de la nuit qu'ils aperçurent les côtes du continent se tracer dans l'horizon. Pourtant, quelque chose clochait. De la fumée montait haut dans le ciel et plusieurs incendies brûlaient les maisons de Valam. Quand les bateaux s'approchèrent, évitant les feux sur les eaux, ils découvrirent les épaves des esquifs flotter aux abords du port ainsi que plusieurs cadavres baignant dans des mares de sang.