Chapitre 17 - Lumière / Ténèbres (partie 2/2)
Elle reprit une bouffée d'air frais puis s'apprêta à replonger quand un hurlement l'interpella. Elle regarda l'îlot de roches où se tenait le fantôme de la dernière des noyées, seulement désormais, elle mesurait plus de quatre ou cinq mètres de haut et ne paraissait plus aussi transparente qu'auparavant. Sa peau, ses vêtements, ses cheveux, tous apparaissait d'un noir de jais au contour d'un blanc laiteux. Dans sa grosse main, elle agrippait Charlie par le pied. La petite fille complètement en panique priait qu'on lui vienne en aide, sans pour autant lâcher le bloc lumineux.
— Je vous faisais confiance, vociférait le lémure. Comment avez-vous osé me mentir ?
Elle tournait sur elle-même pour regarder tout le monde et dévoilait des dents taillées en pointe. Charlie continuait d'être mal menée, balancée à chaque mouvement.
— Je déteste les menteurs ! Des personnes ignobles qui n'ont aucun respect pour les autres !
Helja commença à nager vers elle et cria :
— Nous ne sommes pas des menteurs, tu peux nous faire confiance !
— Tu parles de confiance ! tonitrua la jeune femme dont la tête paraissait enflée sous la fureur qui l'animait. Toi, la sorcière, tu me parles de confiance !
Le groupe essayait de se positionner sous Charlie au cas où elle tomberait, mais le fantôme n'arrêtait pas de bouger.
— Bien, alors si tu veux la vérité, la voilà, rugit Helja qui tenta le tout pour le tout. Nous sommes là pour...
— Tout ce qui sort de ta bouche n'est que mensonge ! coupa la noyée qui se mit face à elle et se pencha pour la regarder de plus près, ses pieds toujours sur la petite île et son corps élastique ondulant légèrement. Et moi, les menteurs, je n'hésite pas à les tuer !
Elle se redressa, leva la main au-dessus de son crâne et lâcha Charlie.
Elle chutait d'une telle hauteur que percuter la roche pointue lui serait fatale à coup sûr. Tous criaient et se dépêchaient pour essayer de la rattraper, mais ils ne pouvaient arriver à temps.
La sorcière tendit alors le bras pour jeter un sort, mais pour elle aussi, il était trop tard.
Au moment où elle heurta le sol, Charlie rebondit sur la pierre avant de retomber dans l'eau.
— QUOI ? Comment ? s'égosilla le lémure.
Helja n'eut pas le temps de réagir que déjà, Gabriel émergeait, tenant la fillette à bout de bras. Elle maintenait toujours l'objet contenant l'arme, mais tous deux ne semblaient plus pouvoir avancer.
— Vous ne sortirez jamais d'ici ! avertit la jeune femme qui commença à frapper le lac de ses poings maintenant plus gros qu'une maison.
Tous plongèrent pour éviter les impacts qui envoyaient des gerbes dans la pièce. Après quelques brasses, la sorcière se retrouva aux côtés du démon qui avait bien du mal à ne pas couler sous le poids de la petite fille et du bloc qui le tirait vers le fond.
— Nous devons trouver un moyen de quitter ces lieux ! criait Helja pour couvrir le bruit épouvantable que provoquait le fantôme.
— Impossible de partir avec ça, nous devons réussir à sortir l'arme de sa cage.
— Viens ici toi !
Quand elle se retourna, la sorcière vit avec effrois l'énorme jeune femme attraper Luba comme s'il s'agissait d'une simple crevette. Elle l'attirait vers sa bouche grande ouverte.
— Kesyr !
Mais le sortilège passa au travers du bras de l'esprit qui se détourna.
— Ta magie n'a aucun effet sur moi. Par contre la mienne...
Elle lâcha la métamorphe qui retomba durement dans l'eau, puis pointa son index vers la sorcière.
— Otstek !
Jamais elle n'avait subi un maléfice aussi puissant. Ce fut comme si elle recevait un coup violent dans l'estomac qui la fit reculer, basculant plus profondément dans le lac, sans lui donner le temps de reprendre son souffle.
Quand son corps arrêta enfin de descendre vers les ténèbres, elle regarda sous ses pieds. Elle avait presque touché le fond et elle différencia plusieurs ossements qui parsemaient le sol de sable. Il y en avait beaucoup trop pour trouver ceux de la noyée, mais elle savait qu'ils devaient être ici, quelque part.
Helja releva la tête, mais ne distinguait plus rien. À combien de mètres avait-elle plongé ? Elle nagea aussi vite que possible, mais l'air lui manqua rapidement. Un mouvement à sa gauche lui fit tourner les yeux et elle vit un Tristan subir le même sort qu'elle. Et alors qu'elle allait continuer sa remontée, elle décida d'avancer vers lui, au péril de sa vie. Elle lui saisit le bras puis reprit sa route avec le corps évanoui du garde.
L'envie de respirer devenait insoutenable. Elle devait ouvrir la bouche et inspirer. Elle le devait. Mais si elle écoutait ses besoins, alors c'est l'eau verdâtre et glaciale qui coulerait dans ses poumons et la tuerait.
Sa vision se troublait de plus en plus. Ses mouvements devenaient difficiles et lui demandaient des efforts inconsidérables. Le poids de l'homme la tirait vers le fond et l'eau semblait peser sur son acharnement, mais elle persista. La lueur des flammes dans le ciel semblait faiblir alors qu'elle s'en approchait. Elle allait abandonner. Elle allait respirer. Respirer de l'eau.
Quand elle émergea des profondeurs, c'est avec le plus grand soulagement qu'elle put enfin avaler une bonne bouffée d'air frais. Le garde avec elle ne se réveilla pas, assommé par le sortilège. Elle le tira donc vers la petite île où était assise Charlie, le bloc sous l'aisselle. Gabriel tentait de repousser le fantôme de ses couteaux, mais ses lames ne faisaient que traverser l'ectoplasme sans jamais la blesser. Luba et les autres, toujours dans l'eau, essayaient de rester à la surface malgré le lac déchaîné.
— Des menteurs ! Vous êtes tous des menteurs ! continuait d'invectiver la noyée.
— Je vais être honnête avec toi ! cria Helja qui s'efforçait de nager dans cette houle agitée, l'homme sous le bras.
Mais la revenante n'en avait cure. Elle donna un coup au démon qui s'envola dans la pièce puis elle dirigea sa main vers Charlie.
— Polma ! dit-elle.
— Shcalk ! intervint Helja.
Le bouclier se brisa sous la magie.
— Écoute-moi ! insista-t-elle.
La jeune femme se retourna et l'attrapa par l'épaule. Une pression forte et froide dont elle ne put se dégager. Elle fut obligée de lâcher le garde, aussitôt récupéré par un de ses collègues, quand elle sentit qu'on la soulevait.
Rapidement, elle se retrouvait à plusieurs mètres au-dessus de l'eau, face aux énormes yeux vitreux du fantôme.
— Que vas-tu me dire comme nouveau mensonge ?
— Aucun. Tu veux la vérité ? Alors la voilà. Nous sommes ici pour voler l'arme qui pourra tuer Lilith.
— Menteurs et assassins. Vous voulez éliminer ma maîtresse. Vous ne méritez que la mort.
Sous ses pieds, le lac se déchaîna davantage. Des vagues fouettaient avec force la roche, éclaboussant tout le monde qui avait rejoint l'île pour ne pas couler.
— Ta maîtresse ? criait Helja. Tu veux plutôt dire ta geôlière. Elle te retient contre ton gré. Pourquoi lui obéir ?
— Parce qu'elle est tout ! Elle est ma maîtresse !
— Qui t'a noyée ?
Le fantôme s'arrêta, l'air hagard. Apparemment, la sorcière avait trouvé la bonne direction pour entamer de possibles négociations. On ne pouvait anéantir un revenant, mais on pouvait toujours discuter avec alors, elle continua :
— Tu te souviens de la manière dont tu es morte ?
— Je...
— Ce doit être Lilith. C'est elle qui t'a tuée pour te faire devenir la gardienne de ce lieu et toi, tu te soumets à elle.
— MENSONGE ! hurla-t-elle tellement fort que les murs en tremblèrent.
— Sur ce coup-là, ce n'est pas moi la menteuse. Si tu ne te remémores pas de ce moment, c'est probablement parce que Lilith a usé de sa magie pour l'effacer de ta tête. Les sorcières n'oublient jamais rien. Jamais !
À ces mots, elle se rappela qu'elle aussi avait omis les instants où ses parents et ses sœurs avaient disparu dans les flammes. Elle laissa pourtant de côté ses propres soucis, le temps que son ennemie réfléchisse à ses paroles puis, elle enchaîna d'une voix plus douce :
— Je peux t'aider si tu le désires.
— C'est bon, nous avons réussi ! cria Gabriel à ses pieds, le couteau noir dans les mains. Nous devons-y aller.
— Non, pas maintenant ! les interpella Helja. Je veux réellement l'aider. Je peux t'aider, répéta-t-elle, regardant la jeune femme droit dans les yeux. Nous sommes toutes deux sorcières, nous sommes identiques. Lilith a fait de toi un monstre en te noyant, mais je peux te sauver. T'envoyer dans un monde meilleur où tu ne devras plus attendre, seule.
Le silence qui s'ensuivit lui permit de réfléchir. Alors qu'elle aurait pu partir maintenant que le groupe avait réussi à dégager l'arme du bloc, elle préféra rester pour porter secours à ce fantôme. Sans contrepartie, sans recevoir de récompense, mais tout simplement par altruisme. Lilith s'était servie de cette jeune fille à ses propres fins et elle voulait y mettre un terme.
— Il existe un endroit, que très peu de personnes connaissent, expliqua-t-elle. Un lieu où on laisse les ossements des sorcières revenues après leur mort. À ce qu'on y raconte, elles y sont toutes heureuses et en paix. C'est comme un paradis sur Terre. Si tu me le permets, je te déposerai là-bas. Tu n'auras plus jamais à subir les obligations de Lilith.
Le lémure toucha son cœur puis elle pointa la poitrine d'Helja du bout du doigt. La sensation de froid qui la parcourut était désagréable au possible, mais elle ne le montra pas.
— Tu peux m'aider ? demanda-t-elle. Réellement ?
— Oui, et je le ferai.
Elle se mit à sourire et lui dit :
— Merci...
Une fois Helja debout sur la roche avec les autres, la revenante commença à rétrécir doucement puis disparut dans un éclat blanc. Autour, l'eau se calma et scintilla à nouveau.
— Bravo, félicita Charlie qui la prit dans ses bras. Je suis fière de toi.
Il y eut des petits bruits et quand ils tournèrent la tête, des os étaient sortis du lac. Ils volèrent en direction de la sorcière qui les attrapa et les rangea dans son sac, un pincement au cœur. Jamais elle n'avait fait preuve d'une telle générosité. C'est le cœur chaud qu'elle remonta avec les autres dans la barque qui démarra doucement.
— Comment avez-vous fait pour libérer l'arme ? demanda-t-elle alors qu'ils traversaient l'étroit tunnel.
— Le sang de la fillette, encore une fois, répondit le démon. Lilith voulait vraiment être la seule à pouvoir la récupérer.
— Quel est cet endroit pour les fantômes des sorcières ? questionna Luba. Je n'en avais jamais entendu parler.
— C'est normal, rétorqua-t-elle, parce qu'il n'existe pas encore. Mais je compte bien le créer. Les personnes mortes méritent d'avoir ce paradis que le sanctuaire nous vend. Un lieu où tous pourront vivre leur éternité en paix, humains ou êtres magiques. Un repos infini autre que dans un puits.
À cette pensée, elle ricana trouvant que depuis qu'elle avait entrepris ce périple avec Charlie, elle avait beaucoup changé. Elle songea également à Bastet et se dit que lui aussi pourrait séjourner dans ce nouveau lieu une fois construit.
— Le paradis n'existe pas ? s'étonna Tristan qui était à nouveau sur pied.
— Il y a tant de choses que vous ignorez, rétorqua-t-elle, souriante.
— Au fait, mes camarades m'ont expliqué ce que vous avez fait pour moi. Merci Helja.
La sorcière ne répondit pas et regarda droit devant elle. Charlie posa sa tête sur son épaule et alors, le souvenir d'elle tombant et rebondissant sur la roche comme s'il s'était agi d'un matelas resurgit. Comment était-ce possible ? Avait-elle réellement développé une forme de magie après avoir été possédée par Lilith ?
Pour l'instant, ses questions resteraient tout simplement sans réponse. La sorcière profita du calme avant la tempête. Elle se régalait d'une traversée lente et silencieuse en bateau, du contact avec son amie et de la douce lumière reflétée par les eaux. Mais surtout, elle savourait ce sentiment nouveau. Elle était fière d'elle. Réellement fière.
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