Chapitre 16 - Immense (partie 2/2)
Ils perdirent rapidement la grande cité de vue et alors, ce n'était plus que des étendues arides et des dunes à en donner le tournis. Une région inhospitalière où la température semblait monter d'heure en heure. Ils veillaient à ne pas terminer leur gourde, ne pouvant la remplir grâce à leur monture que la nuit tombée. Helja ne voulait pas non plus user de sa magie, préférant garder ses forces en cas d'attaque. Mais il était bien difficile de ne pas boire tant l'air était irrespirable. La fatigue et le soleil qui leur brûlaient la peau rendaient cette expédition épouvantable. Certains étaient pris de vertiges et bientôt, les dernières goûtes d'eau disponibles coulèrent sur leurs lèvres déjà gercées.
Personne ne savait dans quelle direction ils avançaient, n'ayant plus aucune idée d'où ils étaient arrivés. Gabriel assurait que l'énergie qu'émettait l'arme s'intensifiait, mais ils ne dénichèrent toujours aucune trace d'un quelconque indice dans ce vaste paysage inhabité.
La nuit tomba brutalement et en moins de cinq minutes, les ténèbres enveloppèrent le desert, les empêchant de poursuivre. Le temps s'était incroyablement refroidi, les obligeant tous à se couvrir et à se tenir près d'un feu de camp. C'est Luba et Tristan qui s'occupèrent de remplir les gourdes grâce à l'eau qui dégoulinait abondamment de la fourrure illuminée des calibres. Ayant l'impression d'ingurgiter la sueur des montures, tous eurent un geste d'hésitation avant de boire. Mais finalement le liquide s'avéra frais, avec un léger goût de citron. Ils mangèrent ensuite quelques provisions puis prirent des tours de garde. La possibilité d'une attaque de milegrain les terrifiait, tout comme Gabriel qui leur raconta que ces créatures pouvaient broyer un être humain telle une noix.
Le soleil se leva tout aussi soudainement qu'était tombée l'obscurité. Déjà de bon matin, le climat était à la canicule, ce qui annonçait une nouvelle journée compliquée. C'est le corps en nage et le front dégoulinant de sueur, sans plus une once d'énergie, qu'ils quittèrent leur bivouac, s'enlisant plus profondément dans l'inconnu.
Lors de cette journée de voyage, ils ne croisèrent que deux villes dans ce désert, toujours encerclées par de hauts murs de pierres. Ils effectuaient de longues pauses dès qu'ils rencontraient un point d'ombre et ne parlaient que très peu, tous beaucoup trop épuisés. La sable leurs brulait les pieds pourtant protégé par d'épaisse botte et l'atmosphère oppressante leur coller entre les cuisses. Les animaux, eux, ne paraissaient aucunement affectés par la chaleur malgré leurs longs poils.
Il n'avait jamais idée de la distance parcourue dès que les cité disparaissait dans l'horizon si bien que chaque avancée, chaque foulée, leur paraissait interminable.
La deuxième nuit, ils renouvelèrent le feu de camp, la collecte d'eau et les tours de garde. Ils avaient terminé leurs provisions si bien qu'ils espéraient rapidement tomber sur l'arme sans quoi, ils devraient également trouver de quoi manger.
Helja surveillait les nombreuses dunes en compagnie du démon qui semblait-il, n'arrivait pas à s'empêcher de discuter.
— Tu ne sais vraiment pas rester silencieux, lâcha la sorcière. Je crois que je n'ai jamais croisé quelqu'un d'aussi bavard que toi. Enfin si, peut-être Charlie.
L'homme se mit à rire.
— Je n'ai pas parlé pendant des siècles alors, j'en profite. Le son de ma voix m'avait énormément manqué.
— C'était comment, dans la poupée ?
Il fit la moue, perdant son sourire.
— Dire que c'était horrible, ça ne serait même pas encore assez fort.
— J'imagine que ça ne devait pas être une partie de plaisir.
— Non, pas du tout. Même pas un jeu de cartes pour passer le temps.
La sorcière gloussa, quand il reprit :
— Mais si me faire emprisonner dans cette poupée permet la mort de ma mère, alors cela aura été utile. Et puis, je vous aurai rencontrés. Et le roi aussi.
À l'évocation du jeune homme, le démon sourit, le regard pétillant.
— Et j'aurai eu un prénom également.
— Un prénom ? s'étonna Helja.
— Oui. C'est Gaston qui m'a aidé à le trouver. Je ne suis plus numéro treize, mais Gabriel maintenant.
— Très bien Gabriel. Alors bienvenue dans le club des personnes qui possèdent un prénom.
Ils restèrent dans le calme pendant encore cinq petites minutes avant qu'à nouveau Gabriel ne pose des questions, mais un cri aigu coupa la discussion.
Ils se tournèrent vers Charlie qui se redressait subitement, une main autour du cou.
— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda la sorcière qui accourait déjà, les autres se réveillant en sursaut.
— Je..., commença la fillette. Je ne sais. J'ai vu le visage de Lilith puis... rien.
— Le lien vient de se rompre, expliqua le démon. Je ne distingue plus la corde qui te rattache à ma mère.
— Et qu'est-ce que cela signifie ? questionna Luba.
— Je n'en ai aucune idée.
Tous regardèrent la jeune fille qui se massait la gorge, perplexe.
Le lendemain, en fin de matinée, ils dépassèrent un petit village quand Gabriel les informa qu'ils arrivaient.
— Là-bas, indiqua-t-il, le doigt pointé vers l'horizon. Nous approchons, je le vois.
Ils reprirent leur avancée, soudainement revigorés en énergie. Et après encore plusieurs kilomètres, ils s'arrêtèrent face à un cimetière minéral.
Enfoncés partiellement ou complètement dans le sable, les vestiges d'anciens rochers parsemaient le sol. Allant de la pierre de la taille d'un poing à celle qui mesurait plus de trois mètres de haut, elles étaient toutes d'une couleur ocre, friable au toucher et parfois aux rebords tranchants.
— Nous y sommes ? demanda Tristan.
— Oui, répondit le démon. Un peu plus loin par là.
Il descendit de la monture et aida Luba à faire de même. Helja, Charlie et les gardes se joignirent à eux, marchant dans ce désert caillouteux tandis que les calibres se reposaient à l'ombre. Le bruit sec des minerais qui craquaient sous leurs pieds faisait échos entre les rochers les plus imposants. Le sol semblait encore plus asséché.
— Voilà, c'est juste ici.
Ils faisaient face à un gros morceau de pierre plat où quelques grains de sable étaient incrustés dans les fissures.
— Où est l'arme ? interrogea Helja, s'approchant.
— Je ne sais pas. Je vois simplement son aura.
La sorcière apposa ses mains dessus, mais les retira aussitôt tellement la roche brûlait. Elle en fit alors le tour, l'examinant au mieux tandis que les autres cherchaient également un moyen de passer.
Au plus elle se concentrait, au plus elle pouvait sentir une magie enfouie profondément. Une vieille magie qui n'existait plus, mais qui pouvait être réanimée. Il lui fallait tout juste de quoi l'aider, comme une clef.
Quelque chose se planta dans sa paume et quand elle baissa les yeux, elle aperçut des gouttes de sang tomber sur l'herbe, et sur le cylindre en bois qui s'ouvrit de lui même. En pivotant légèrement à gauche, elle distingua sa silhouette dans la forêt tandis que Gargoth lui tranchait la gorge. À nouveau, elle détourna le regard, mais découvrit une grande porte sur laquelle un liquide rouge coulait. Le roi, Dolos et ses gardes entrèrent et elle les suivit, Bastet, Charlie et Luba avec elle.
— Du sang, expliqua-t-elle à voix haute, battant rapidement des paupières sur aujourd'hui et laissant hier de côté.
— Comment ça, interrogea Luba qui soulevait les petits cailloux alentours.
— C'est toujours du sang qu'il faut pour déverrouiller les portes. Croyez-moi, ils utilisent toujours ça.
— Bien, mais celui de qui ? L'un d'entre nous ? espéra un garde qui ne voulait pas avoir effectué cette traversée pour devoir faire aussitôt demi-tour.
Helja s'avança puis regarda à nouveau le rocher. Si son sang avait fonctionné pour ouvrir la cage de Lilith, c'était parce qu'elle était une des descendantes de Sirhla. Alors si elle suivait cette logique, seul le sang d'un enfant de la mère des démons pourrait marcher.
D'un coup de poignard, elle taillada légèrement l'épaule de Gabriel qui cria de surprise. Elle jeta ensuite les quelques gouttes qu'elle avait récupérées et attendit.
— Tu aurais pu me prévenir au moins.
— Ah pardon, tu ne l'avais pas vu venir peut être ? se moqua-t-elle, ce qui le fit sourire.
Ils patientèrent, mais au plus le temps passait, au plus ils perdaient espoir. Après une dizaine de minutes environ, Charlie évoqua tout haut ce que personne n'osait dire, par peur de contrarier la sorcière :
— Je pense que ce n'est pas la bonne solution.
— Merci j'avais remarqué, souffla Helja, s'asseyant à même le sol.
— Il faut croire que Lilith n'était pas assez bête pour laisser qui que ce soit à part elle avoir accès à cette arme.
La tête dans les mains, la sorcière réfléchissait, n'écoutant pas les autres parler. Elle ressassait la phrase que venait de dire le garde alors que le démon tentait de percer les secrets de la pierre à l'aide de ses multiples visions. Tous s'acharnaient à trouver une solution quand Charlie se releva, les yeux grands ouvert.
— Je pense savoir. Helja n'avait pas totalement tord. Simplement, Lilith n'avait confiance en personne d'autre qu'elle. Il semble donc logique que seul son sang fonctionne pour pouvoir passer.
— Alors si c'est ça, tout espoir est perdu, souffla un des gardes, dépité.
— Pas forcément, continua Luba, se tournant vers la fillette. Lilith n'avait certainement pas prévu qu'un jour, elle laisserait une part d'elle-même quelque part.
Tous se tournèrent vers Charlie qui fronça les sourcils.
— Moi ?
— Oui. Je pense qu'avec ton sang, nous pourrons y arriver.
— Mais le lien s'est coupé hier soir, rappela un garde.
— Ce ne coute rien d'essayer.
La métamorphe se chargea de prélever quelques gouttes rougeâtres à la petite fille qui ferma les yeux à l'approche de la lame. Une fois fait, elle l'étala sur la pierre et l'effet fut immédiat. La roche commença à craqueler, à se diviser en mille fissures puis, elle les aspira dans son antre.
***
Quelque part à plusieurs kilomètres de là, au-delà du sable et de la mer, au-delà même des montagnes, un groupe avançait sur un sentier perdu entre deux falaises. Le chemin abrupt serpentait vers le renfoncement d'une colline de roche blanche. C'est alors qu'un geyser explosa, projetant une gerbe d'eau bouillante et faisant sursauter une grande femme aux cheveux bouclés.
— On a peur de quelques gouttes ? se moqua Ergonde.
— Non, ce n'est pas ça, se justifia Ardha. Nous sommes sur leur territoire, ils peuvent nous surprendre à n'importe quel moment.
— Et c'est eux qui nous trouveront, certainement pas le contraire, expliqua un des miliciens.
Ils marchaient dans le sud de Gallia depuis maintenant plus d'une journée et, suivant les indications d'Helja et Luba, ils espéraient rapidement tomber sur le clan des cavaliers de l'Apocalypse. Avec un peu de chance, parviendraient-ils à les convaincre de se joindre à eux ?
Mais même avec les informations fournies par leurs alliées, le groupe n'arrivait pas à découvrir la moindre trace de la tribu. C'était comme s'ils avaient élu domicile ailleurs. Bien qu'ils aient la réputation de ne jamais laisser aucune preuve de leur passage, tous comptaient réussir dans cette quête.
Après une nuit à la belle étoile, ils reprirent leur traversée. Qui aurait un jour pensé voir un garde et un milicien ensemble ? Être magique et humain côte à côte.
De gros nuages se profilaient à l'horizon, annonçant une journée froide et humide. Ergonde décréta une courte pause. Ils se posèrent sur des troncs d'arbres renversés et en profitèrent pour s'hydrater quand un homme se retrouva tiré par la cheville et rapidement suspendu tête en bas, son casque retombant sur la terre sèche.
Tous se relevèrent d'un même tenant, se demandant ce qui était en train de lui arriver, quand le phénomène se propagea. La force invisible leur saisit le pied et les souleva, à plusieurs centimètres au-dessus du sol. Et c'est dans cette position inconfortable qu'Ardha vit des silhouettes apparaître de derrière les buissons.
Une femme sortit du lot, sa longue cape glissant sur les feuilles mortes et son bâton frappant l'herbe à chacun de ses pas. Elle s'approcha de sa victime, la dévisageant de ses yeux vairons, l'un violet et l'autre jaune.
— Nous vous suivons depuis maintenant plusieurs heures, expliqua-telle. Que voulez-vous au clan des cavaliers de l'apocalypse ?
Ardha déglutit difficilement puis répondit :
— Nous devons parler à vos chefs. Une guerre se prépare.
***
Le feu qui crépitait dans la cheminée raisonnait dans l'immense salle entièrement vide. L'odeur de chair brûlée titillait les narines de la grande femme assise face aux flammes rougeoyantes. Lilith porta la coupe dorée à sa bouche, dégustant une bonne goulée de sang frais avant de le redonner à l'homme agenouillé à ses côtés.
Il ne revêtait presque aucun habit, son corps sombre recouvert de cicatrices. Il tremblait de peur, mais ne pouvait ouvrir les yeux, ses paupières collées l'une à l'autre par magie. Il tenait alors fermement la coupe, ne pouvant que gémir, ses lèvres cousues l'une à l'autre. Mais ça n'avait pas l'air de déranger la mère des démons.
Elle tendit le bras, ses longs doigts pointés vers le foyer. Le feu se sépara en deux puis monta de plusieurs centimètres. Il tourbillonna, virevolta et créa un visage. Celui d'une jeune fille aux traits fins et au nez en trompette.
Lilith souffla puis à nouveau, les flammes se mouvèrent et donnèrent naissance à une autre personne. Une femme aux cheveux lisses, la lèvre supérieure parcourue par une ancienne cicatrice.
— Je te retrouverai et je te tuerai des mes propres mains maudite sorcière ! Peu importe où tu te caches !
La porte dans son dos s'ouvrit. La mère des démons se leva de son trône, le feu reprenant une forme normale.
Les bruits de pas se répercutaient en échos contre les hauts murs rouges de la pièce. Un petit homme s'avançait, un autre à ses côtés. Une fois arrivés face à la déesse, ils n'eurent aucun regard pour l'innocent qui se lamentait, recroquevillé contre le carrelage glacial.
— Vous revoilà enfin, pesta Lilith. Je pensais que vous ne reviendriez jamais après votre fuite de la dernière fois.
La personne à la capuche ne répondit pas, gardant la tête droite.
— Puis-je toujours compter sur notre accord ? A moins que vous n'ayez plus besoin de moi ?
L'allié de Lilith hocha la tête en silence.
— Bien, alors nous pouv...
Mais la mère des démons s'arrêta de parler et porta ses mains autour de son cou. Elle tomba rapidement à genoux, hurlant de ses multiples voix. Dolos se précipita vers elle alors que l'homme se mit à pleurer, et geindre plus fort, ne comprenant pas ce qui se passait.
— Mère, que vous arrive-t-il ?
Les cris que poussaient Lilith fissurèrent le sol, les colonnes et les murs. Le feu dans la cheminée s'essouffla et plongea la pièce dans la pénombre.
— Je... commença-t-elle après un long moment. Je crois que ce qui me reliait à Charlie vient de se rompre.
— Comment ça ? demanda Dolos, l'air inquiet.
— Je ne la sens plus.
— C'est une bonne nouvelle, non ?
— Absolument pas, hurla-t-elle, se relevant sans l'aide que lui proposait son fils. Il me faut récupérer son corps. Il est bien plus fort que celui que je porte. Plus fort que tous les autres même.
— Pourquoi mère ?
— Je n'en ai aucune idée, mais, il semble fait pour ça. Je ne sais pas ce qu'est cette fillette, mais elle ne doit pas m'échapper.
Les flammes reprirent vie dans la cheminée quand à nouveau, la porte s'ouvrit. Un groupe de démons entra.
— Mère, dit l'un d'entre eux. Nous avons découvert qu'Helja et les autres se trouvent sur Kentex à la recherche de l'arme noire. Quels sont vos ordres ?
Folle de rage, Lilith poussa un nouveau cri à faire trembler les murs. Son bras dirigé vers le sol, elle tendit ses doigts, et d'un geste oblique vers le haut, elle trancha la gorge de l'homme à ses pieds. Puis, elle amena sa main à sa bouche et se lécha les doigts dégoulinant de sang.
— Appelez-moi numéro six, il est temps de la faire entrer dans la partie.
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