Chapitre 16 - Immense (partie 1/2)


22e jour de la période de la lune — 1339

Ogro [oɡʁø] = Immense

Le bateau s'ébranla quand il arriva au port. Le capitaine fut le premier à descendre et à être accueilli par un groupe d'hommes vétus de cuirasse. Les soldats arboraient les armoiries du royaume, deux soleils entrecroisés, l'un rouge et l'autre d'or.

— Bienvenue à Kentex capitaine, annonça l'un deux dont l'accent le différenciait tout de suite des habitants de Gallia ! Le roi Alarex III souhaite s'entretenir avec les nouveaux venus avant de leur autoriser toute expédition en terre aride.

— Comment ça ? intervint Helja. Nous n'avons pas le temps de...

— Bien sûr, nous sommes ravis et honorés d'être ainsi conviés, coupa le capitaine.

— Suivez-nous ! ordonnèrent les hommes qui firent demi-tour et commencèrent à avancer, donnant l'allure de la marche.

— Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ? Gaston avait prévenu de notre arrivée pourtant.

— Ça se voit que vous n'avez jamais eu à faire au souverain Alarex III, expliqua Njord. C'est une personne qu'il ne vaut mieux pas contrarier, croyez-moi. Et cela ne sera que formalité, vous pourrez partir chercher l'arme juste après.

La sorcière ne le connaissait pas, mais déjà, elle n'aimait pas cet homme. Décidément, les rois, elle en avait vraiment par-dessus la tête.

Le capitaine imposa à son équipage de rester au bateau le temps de son absence. Ils traversèrent ensuite Portex, une petite bourgade où le nombre de navires stationnés paraissait nettement supérieur au nombre de maisons. Les bâtiments étaient tous d'un blanc nacré et leur toit rond et jaune, tels des soleils. Des visages sortirent des minuscules fenêtres oblongues à leur passage, les habitants curieux de découvrir les visiteurs étranges. Même si les échanges entre les deux pays demeuraient fréquents, il était rare que les soldats royaux escortent des civils.

La chaleur était étouffante et l'air vite irrespirable. Alors que Gallia était en train de vivre sa période la plus froide et la plus sombre, les températures sur Kentex atteignaient leur apogée.

Après avoir traversé un jardin à l'herbe morte et friable, où les seuls arbres étaient des cactus colorés, ils arrivèrent aux portes des remparts. Portex était entourée d'immenses murs épais, d'énormes piquants plantés sur le dessus.

De l'autre côté, un désert de sable s'étendait à l'horizon. À part un imposant cercle en bois enfermé sous un dôme de verre, il n'y avait assolement rien à des kilomètres.

— Allez-y ! Entrez ! ordonna un des soldats après avoir ouvert la porte dissimulée dans la vitre.

Tous s'engouffrèrent à l'intérieur, la chaleur y étant bien plus supportable.

D'un rapide coup d'œil, Helja analysa ce qu'elle avait devant elle. Cela ressemblait à une grande salle circulaire avec des sièges face à des manivelles et des boutons, un endroit où ils entreposaient des malles et un autre où s'alignaient quelques couchettes sommaires. Il y avait déjà quelques hommes aux commandes de l'engin qui trembla légèrement au moment où la porte se referma.

— Qu'est-ce que c'est ? s'intéressa le démon en s'approchant des leviers.

— Le meilleur moyen de locomotion que vous trouverez sur Kentex, répondit une femme portant une tenue qui semblait la designer comme la pilote du convoi. Une traversée du désert à pied serait bien trop dangereuse. Maintenant si vous pouvez tous vous asseoir, nous allons y aller.

Tous s'exécutèrent, la sorcière tout de même perplexe de voyager dans une sorte de demi-bulle. Elle se posa face à l'étendue désertique, son dos bien collé contre le siège. S'ensuivirent quelques bruits mécaniques avant que l'engin ne se mette à avancer. D'abord doucement, comme glissant sur les dunes, ils accélérèrent d'un coup.

Le paysage de grand Erg défilait sous leurs yeux avec une telle rapidité qu'Helja se demandait comment c'était possible sans avoir recours à la magie. Slalomant entre les énormes morceaux de roches rouges, ils ralentissaient quelque peu lors des grosses montées, mais regagnaient de la vitesse pendant les descentes. Pourtant, personne ne semblait ressentir le poids du déplacement, comme s'ils ne bougeaient pas vraiment.

— Pourquoi ce serait trop dangereux de voyager à pied ? interrogea Charlie.

— Les villes sur Kentex sont très éloignées les unes des autres, répondit Njord. Cela prendrait beaucoup trop de temps et avec la chaleur, impossible de transporter toute l'eau dont vous auriez besoin. Il y a aussi les milegrains et ça, je te souhaite de ne jamais en croiser.

— Les milegrains existent toujours ? s'étonna Gabriel.

— Oui, et ils sont de plus en plus nombreux depuis quelques cycles, intervint un des soldats.

— Qu'est-ce que c'est un milegrain ? chuchota Helja à l'intention du démon à ses côtes.

— Les animaux domestiques que ma mère avait créés, en plus de nous. Il faut croire que depuis la disparition de Lilith, ils ont réussi à proliférer.

— Et doit-on s'en inquiéter ? demanda un des gardes qui les avaient entendus.

— Seulement s'ils nous sentent avant que nous les voyions arriver.

Après encore trois heures de voyages, dépassant parfois de petits villages, toujours enfermés entre de hauts murs, le convoi commença à ralentir à l'approche d'une grande cité perdue en plein milieu du désert. De larges portes s'ouvrirent pour permettre au véhicule de rentrer.

— Bienvenue à Bastex, les accueillirent les soldats.

Hors de la bulle, l'air devenait à nouveau oppressant. Une température extrême pour eux, plutôt habitués au climat tempéré de Gallia. Sous la chaleur torride, ils retirèrent donc leur manteau ou leur veste alors que Gabriel dévêtit même sa chemise, dévoilant sa musculature et ses multiples yeux tatoués, face à une Helja quelque peu exaspérée.

La capitale apparaissait d'une clarté éblouissante. Les murs des bâtiments et les toits possédaient de somptueuses teintes ivoire, tout comme les dalles des chemins bordés de hauts palmiers. Mais ce qui interpella immédiatement la sorcière était l'imposant château composé d'une vingtaine de tours se terminant en coupole de verre, de longues fenêtres elliptiques et d'une seule porte en bois blême.

Les soldats les escortèrent jusque là, traversant le boulevard principal sous le regard indiscret des habitants. Tous les citoyens de Kentex avaient une peau plus hâlée, des cheveux généralement noirs ou bruns, et des yeux sombres. Ils portaient de courts vêtements au tissu léger et souple, toujours d'une couleur écrue, et un grand nombre arboraient des bijoux dorés qui se reflétaient au soleil. Certains se baladaient tranquillement, transportaient des paniers de fruits ou tiraient des animaux squelettiques. Charlie aperçut même un groupe d'enfants jouer dans les fontaines à l'eau cristalline, présentes en grande quantité dans l'agglomération.

La double porte de la demeure du souverain s'ouvrit et les soldats les menèrent vers un imposant escalier. Après une volée de marches, ils traversèrent un couloir lumineux où plusieurs statues, la plupart cassées, les observaient. Enfin, ils entrèrent dans une chambre où un homme les attendait assis derrière son bureau.

Alarex III ressemblait à l'image qu'Helja se faisait de tous les rois. Grand, maigre, mais avec une certaine prestance, surtout quand il posait son regard noir sur vous. Il avait des allures de Gargoth, mais, elle l'espérait, avec la trahison et la bêtise en moins.

Il rangea sa plume puis les invita à s'asseoir, ordonnant à ses soldats de fermer la porte.

— Merci de nous recevoir, exprima tout de suite Njord avant de lancer un rapide coup d'œil à ses camarades, pour leur faire comprendre de faire de même.

— C'est normal, répondit-il d'une voix basse. J'aime rencontrer toutes les personnes qui vont séjourner quelques temps dans mon royaume.

Il observa tour à tour les filles puis les gardes et enfin, il arrêta son regard sur le démon. Même s'il n'avait pour le moment pas ses yeux rouges et son sourire caractéristique, son accoutrement et ses multiples tatouages avait de quoi dénoter dans ce décor plus que classique.

— Vous êtes donc venu ici pour récupérer quelque chose, reprit Alarex III. Une arme si je ne me trompe pas.

— Oui, c'est ça, approuva Luba.

— Une arme qui pourrait tuer Lilith, compléta Helja

— Qui va la tuer, rectifia Gabriel. C'est le seul moyen de sauver les deux autres espèces.

— Bien bien.

L'homme jouait avec ses longs doigts doucement, et semblait peser chacun de ses mots.

— La question que je me pose avant tout, c'est de savoir qui est cette Lilith ? Et pourquoi, la seule arme capable de la tuer se trouve chez moi, à Kentex ? J'ai lu dans le courrier de Gaston, votre nouveau roi suite à la mort tragique de mon cher ami Gargoth, qu'il me demandait également de l'aide pour une soi-disante guerre contre des démons.

— Ce n'est pas une soi-disante guerre, intervint Charlie, elle est réelle et elle se déroule en ce moment, sur Gallia.

— Alors si cette guerre se passe chez vous, pourquoi aurais-je à m'en inquiéter ?

— Parce que Lilith ne se contentera pas d'un seul pays. Une fois qu'elle en aura terminé avec nous, elle envahira Kentex puis Skrégel. C'est pour ça que nous devons unir nos forces, dès aujourd'hui, souffla Helja qui sentait déjà l'énervement monter en elle.

— Mais par Lybova, je n'ai jamais entendu parler de cette Lilith. La mère des démons ? Cette espèce a disparu depuis bien longtemps.

— Ça, c'est qu'on vous a toujours enseigné, mais ils ne sont jamais partis. Ils étaient cachés et attendaient le jour où leur déesse reviendrait. Vous vivez sur le continent d'origine des démons, je suis sûre qu'il y en a tout un tas dissimulé quelque part.

— Foutaises ! beugla le roi. Kentex est le pays des humains depuis toujours.

— Vous pensez que ce que mon amie vous raconte est vraiment des mensonges ? intervint Gabriel, dont les yeux avaient viré au rouge et dont le sourire s'étirait jusqu'à l'impossible.

Sa majesté se recula par instinct, mais paraissait tout de même fascinée par ce changement de visage. Apparemment, il n'avait jamais vu de démon. Il ordonna à ses soldats de ranger leur arme puis demanda après un instant :

— Vous en êtes un ?

— Oui, et croyez moi, je connais bien ma mère. Ce qu'Helja vient de vous dire est vrai. Elle compte conquérir vos terres et tuer votre peuple. Cette guerre, elle nous concerne tous.

Le souverain sembla réfléchir, tiraillé entre deux pensées. Devait-il croire ces étrangers sur paroles ou bien suivre ce qu'on lui avait toujours enseigné, suivre la route de ses ancêtres ?

— Cela pourrait peut-être vous aider, intervint un des gardes, tendant la missive de Gaston.

Il déchira à la hâte l'enveloppe puis parcourut la lettre d'un rapide coup d'œil. Au fil de la lecture, l'homme paraissait se décomposer. Après l'avoir lue au moins trois fois, il la reposa sur son bureau et releva la tête vers ses invités :

— Je vais vous confier des montures pour vous rendre où vous voulez, vous ne saurez pas conduire nos véhicules et se sera bien plus pratique pour vous plutôt que de devoir traverser le désert à pied, mais c'est tout ce que je peux faire.

— Vous ne viendrez pas nous aider ? s'enquit le garde Tristan qui commençait à paniquer à l'idée de voyager dans ce désert sans l'escorte du pays.

— Non, je ne demanderai pas à mon peuple de se battre, il n'est pas prêt pour ça.

— Et vous croyez que nous, nous sommes prêts ? s'emporta Helja.

— Je ne changerai pas d'avis sorcière. J'accepte déjà de vous laisser circuler librement, ne me le faites pas regretter.

Elle voulut répliquer, mais Njord l'en empêcha, intervenant en premier :

— Je comprends vos inquiétudes mon roi. Mais peut-être pourriez-vous reconsidérer notre demande ? La guerre risque d'être rude et sans vous, perdue d'avance.

— Je crois que nous en avons terminé là, coupa le roi en se levant, les sourcils froncés. Mes soldats vont vous raccompagner. J'accepte déjà de vous céder quelques-unes de mes montures parce que vous venez de la part du fils de mon regretté ami, mais je peux très bien vous laisser parcourir ce désert à pied et je vous prie de me croire, personne n'en survivra.

Helja le fusilla du regard, mais se retint de l'insulter. Elle ne voulait pas empirer la situation. Elle attrapa son sac et suivit les hommes hors de la chambre.

De retour dehors, sous un soleil éblouissant et chaud, tous marchèrent vers le véhicule où le capitaine du bateau resta. L'embarcation, une fois chargée, rebrousserait chemin vers Portex pour le déposer et il patienterait avec son équipage jusqu'à leur retour. Après de rapides au revoir, les soldats menèrent le groupe aux écuries. Mais alors qu'ils s'attendaient à voir des chevaux, c'est un tout autre animal qui se présenta à eux.

La bête sur quatre pattes devait mesurer un peu plus d'un mètre de haut, mais peser sûrement plusieurs centaines de kilos. Elle arborait une fourrure de la couleur de la neige, striée de lignes plus foncées. Ses gros membres étaient pourvus de longues griffes, de tranchantes dents sortaient de sa gueule et sa queue se terminait par une touffe de poils. Au bout de ses petites oreilles qui ne cessaient de remuer, un numéro avait était gravé, différent pour chacun.

— Nous vous donnerons un calibre pour deux. Ces bestioles pourront vous donner de l'eau une fois la nuit tombée. Vous les laisserez à Portex avant votre départ.

Les soldats installèrent des scellés sur cinq animaux qui n'émirent aucune protestation. On les traîna ensuite hors de l'enclos et une fois la porte dissimulée dans les immenses remparts atteinte, ils purent monter dessus. Mais avant de rejoindre les autres, Helja alla voir un des hommes à l'écart, et elle murmura :

Itapo chitek ne ! Tu ne te souviendras pas de ce que je vais te dire, mais dès que nous serons loin, tu iras discuter avec ton roi. Tu te débrouilleras pour que vous soyez seuls tous les deux et alors, tu lui feras boire ceci, elle lui donna une fiole au contenu violacé. Peu importe comment. Subtilement, en utilisant la force, ça m'est égal. Tu n'auras pas de répit tant que tu n'auras pas exécuté mon ordre.

L'individu cligna des yeux plusieurs fois puis secoua la tête avant de rejoindre sa compagnie. Helja fit demi-tour et monta sur l'animal avec Charlie, quand les portes se refermèrent derrière eux. Un des gardes demanda alors :

— Qu'est-ce que vous lui avez fait ?

— J'ai abattu notre dernière carte.

— Et le souverain est au courant de ça ? Il est au courant que vous vous servez de votre magie pour corrompre la royauté ?

— Non et je ne suis pas aux ordres de Gaston moi.

— Mais vous risquez de mettre en péril l'entente entre les deux royaumes si Alarex III le découvre.

— Si je ne fais rien, il n'y aura bientôt plus de royaume. Et puis ce sort ne marche que sur les faibles d'esprit, ce n'est pas de ma faute si cet homme est stupide. Maintenant, où allons-nous ?

Le garde sembla vexé de ne pas pouvoir répondre, mais d'un côté, il était également soulagé. Défier la sorcière était dangereux et même s'il se devait de le faire pour sauver l'honneur de Gallia, le fait qu'elle l'ignore totalement n'était pas plus mal.

— Difficile à dire, expliqua Gabriel. Les souvenirs de Lilith remontent à bien longtemps, bien avant que les humains bâtissent leurs villes dans ce désert. Mais comme cette arme est née du même vide qu'elle et ses sœurs, elle a la même aura et je peux l'apercevoir à des kilomètres. Je la vois déjà depuis que nous sommes arrivés ici.

— Très bien, allons-y.

Les calibres poussèrent un rugissement aigu quand ils commencèrent à galoper, suivant l'indication que leur imposait le démon en tête. Ils courraient aisément dans l'Erg, aussi légers qu'une plume. Leurs pattes velues se posaient délicatement sur le sable brûlant sans qu'ils ne ressentent le moindre inconfort. 

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