Chapitre 14 - Rencontrer (partie 2/2)
Traversant la ville une seconde fois, Helja remarqua qu'encore plus de villageois étaient sortis dans la nuit, curieux de comprendre ce qui se tramait autour d'eux. La rumeur de la présence de la jeune femme dans le capitale n'avait pas tardé et, même si le souverain avait levé la demande de mise à mort, tous ne pouvaient s'empêcher de la fixer. Comment réagiraient-ils lorsqu'une centaine d'êtres magiques débarqueraient ? Les humains n'étaient pas prêts, tout comme les êtres magiques. La rencontre des deux espèces allait être délicate.
De retour dans la lisière du bosquet, Helja aperçut une petite fille qui ne devait pas avoir plus de quatre ou cinq cycles. Elle avait une peau poreuse d'un bleu reluisant et des yeux saphirs qui prenaient la moitié de son visage et dans lesquels n'importe qui aurait pu s'y noyer. Ses cheveux humides ruisselaient sur son front et ses épaules.
— Humain gentil ? demanda-t-elle, la voix remplie d'innocence.
La sorcière s'abaissa et fixa la gamine. Elle semblait totalement effrayée, mais pourtant, Helja discerna dans ses yeux en forme de bulle cette minuscule lueur d'espoir qu'un monde meilleur l'attendait. Elle ne comprenait pas pourquoi, mais la voir ainsi lui donner du baume au cœur. Elle lui dit alors, aussi chaleureusement que possible :
— Je viens de m'entretenir avec le prince et oui, humain gentil.
Elle sauta de joie et partit en courant, laissant des flaques d'eau à chacun de ses pas.
Quand la sorcière arriva, tout le groupe se releva. Certains s'étaient endormis à même le sol, exténuées, et tout le tumulte provoqué ne les réveilla même pas. C'est la reine qui parla au nom de tous :
— Alors, ce que dit Élféine est vrai, ils nous acceptent ?
La petite fille se lovait auprès de la bibliothécaire qui avait les larmes aux yeux.
— Effectivement, nous pouvons y aller. Gaston nous prépare des repas chauds et surtout, de quoi nous reposer.
La nouvelle fut acclamée avec une grande ferveur. Tous se prirent les uns les autres dans les bras, soulagés de trouver cet abri tant espéré. Cette bonne nouvelle était la bienvenue après le drame de la nuit.
Helja prit la tête du cortège, Charlie et le jeune aslev à ses côtes. Ils marchèrent encore plusieurs minutes puis, lorsqu'ils arrivèrent face au pont-levis, ils s'arrêtèrent. Le moment était venu. La rencontre allait avoir lieu. Une première historique après des siècles de mépris et de délation. Continuant sa route, la sorcière ne pouvait s'empêcher de regarder les gardes aux meurtrières des remparts. Le prince leur avait promis l'hospitalité, que pouvait-il se passer après tout ?
Une foule importante était réunie sur la place d'où les artères principales d'Isla démarraient. Le roi les attendait, accompagné de ses hommes et de numéro treize. Lorsqu'il aperçut Helja, il s'avança. La reine souterraine fit de même et tous deux se serrèrent la main de façon solennelle. Gaston osa un regard admiratif vers les ailes repliées de la femme, mais ne tarda pas dessus, par peur de paraître trop insistant.
— Bienvenue à Isla, accueillie-t-il. Je suis navré pour ce que Lilith vous a fait subir à vous et votre peuple. Vous pourrez rester ici aussi longtemps qu'il sera nécessaire.
— Merci à vous, répondit poliment Missélia. Votre courtoisie me va droit au cœur.
— C'est normal. Je veux pouvoir réparer les fautes que mes ancêtres ont commises envers les êtres magiques. Mes domestiques vous concoctent un bon repas et installent plusieurs couchettes dans le château. Les premiers jours, vous risquerez d'être à l'étroit, mais nous avons déjà commencé à relocaliser certains habitants pour vous offrir vos propres maisons.
Tous deux se regardaient dans les yeux, sourire aux lèvres, quand une voix retentit dans la masse :
— C'est une honte !
— Nous congédier de chez nous pour ces monstres !
La foule se mit ensuite à huer bruyamment. Les gardes dégainèrent leur arme en cas d'attaque importante et certains êtres magiques se préparaient également au combat.
— Ça suffit ! calma Gaston, d'une voix forte. Comment osez-vous ? Ces personnes ont tout perdu. Leur famille, leur foyer, leur ville et vous, vous avez l'audace de les chasser ? Quel genre d'humain êtes-vous ? Certainement pas de la même espèce que moi.
Il se tourna vers la reine puis continua :
— Nous devrions les rejeter parce qu'ils sont différents ? J'ai longtemps cru que c'était la chose à faire, car c'est ce qu'on m'avait enseigné, ce qu'on m'avait toujours répété. Mais je vous en conjure, le moment est venu de changer de mentalité. Je sais que nous vous demandons de vous réunir, de vivre avec vos voisins pour libérer des habitations, mais nos demeures sont bien assez grandes. Dehors, Lilith se prépare à nous attaquer, à éradiquer aussi bien les humains que les êtres magiques. Si nous n'unissons pas nos forces, tout est perdu d'avance. Nous avons énormément à apprendre d'eux et eux de nous. Alors jee ne vous le dirai qu'une fois. Si jamais vous êtes contre mes décisions, contre l'accueil de ces personnes, vous êtes libres de partir. Je ne vous retiens pas.
Le silence qui suivit fut lourd et palpable. Comme il était fort à parier, personne ne prit la sortie et tous firent demi-tour, retournant chez eux.
— Bienvenue à Isla, répéta le prince à la reine, c'est ici chez vous.
On les conduisit dans une chambre disponible, parfois entassés à plusieurs. Les servants apportèrent rapidement de quoi se sustenter, au plus grand bonheur de chacun.
Alors que la soirée était bien entamée et que tous dormaient paisiblement, Helja se promenait dans le château à la recherche d'herbes pouvant l'aider à trouver le sommeil. Elle alla voir Ardha, spécialiste en botanique, mais malheureusement cette dernière n'avait rien. Pourtant, dès que possible, elle s'occuperait de créer un potager magique dans les jardins.
Retournant à sa chambre, elle croisa numéro treize qui désormais avait revêtu une belle tenu aux couleurs royales. Il avait un large sourire, mais pas de ceux des démons, plutôt un sourire joyeux.
— Passe une bonne nuit Helja, lui dit-il.
Comme elle ne répondit pas et continuait sa route, il ajouta :
— J'ai passé le début de la soirée avec le prince, un jeune homme tout à fait charmant. Son sens de l'humour, je dois dire que je n'avais pas ri comme ça depuis...
— Tu essaies de faire quoi ? coupa la sorcière qui se retourna, exaspérée. Je ne suis pas ton amie et je ne te fais pas du tout confiance. Inutile de me parler. Si tu n'as pas ma lame plantée dans ton cœur, c'est uniquement parce que la reine pense que tu es quelqu'un d'honnête. Et il vaut mieux pour toi que ce soit vrai.
L'homme souffla, l'air peiné.
— Je sais. Je sais tout ça. Je veux juste qu'on s'entende bien.
Helja secoua la tête et s'apprêta à repartir quand il ajouta :
— Pour te prouver ma bonne foi, je vais te révéler un truc. C'est à propos de Charlie.
— Qu'y a-t-il ?
Son ton de voix n'était plus aussi ferme.
— Hormis la corde enroulée autour de son cou et qui la lie à ma mère, je ne vois rien et ça ne m'était jamais arrivé. Je ne vois ni aura ni mort...
— Et qu'est ce que ça signifie ? demanda-t-elle
— Je ne sais pas. C'est comme si Charlie était déjà... morte et que la seule chose qui la maintenait en vie c'était ce lien. Mais comme je te l'ai dit, celui-ci ne va pas tarder à se casser.
— Et que se passera-t-il une fois qu'il aura cédé ?
— Je n'en ai aucune idée, nous avons là à faire à quelque chose de totalement nouveau. Mais je pense que nous devons la surveiller de près, juste au cas où.
— Ne t'en fais pas pour elle, je peux très bien m'en charger.
Elle se retourna et reprit son avancée, quand le démon lui demanda :
— Et toi, tu ne veux pas savoir comment tu vas mourir. Je peux le voir flotter autour de toi.
— J'ai déjà eu vent de cette information et je compte bien empêcher que cela se produise.
Cette fois, Helja put continuer sa route sans être interpellée. Elle parcourut les couloirs du château, monta les escaliers en colimaçon puis entra dans la chambre où ses amies dormaient. Elle les regarda successivement, le cœur léger. Elles étaient toutes deux en vie et pour l'heure, en sécurité. Mais cela ne durerait pas, elle s'en doutait, et ce que venait de lui dire le démon était là, dans un coin de sa tête pour le lui rappeler.
Elle contempla la petite fille et essaya d'imaginer ce que l'homme pouvait voir. Cette corde tendue, nouée autour de son cou, directement reliée à Lilith. Était-ce la conséquence de la possession ? La conséquence de ses cauchemars ? Mais qu'adviendrait-il d'elle une fois qu'il serait brisé ?
La sorcière somnola avec beaucoup d'images en tête. D'abord celle de Charlie essayant de la tuer, ses yeux rouges brillant dans le noir. Puis elle vit à nouveau Ly mourir ainsi que le corps de Janus. Enfin, elle aperçut cette personne portant ce long manteau et camouflant son visage sous une capuche. Elle qui était désormais le soutien de Lilith. Elle qui pouvait disparaître et réapparaître comme bon lui semblait. Elle qui allaient bientôt lui ôter la vie. Elle qui...
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