Chapitre 12 - Tomber (partie 2/3)
C'était une sensation des plus agréables de voyager comme pouvez le faire Ardha. Elle se sentait légère, rapide, mais aussi puissante. Les paysages défilaient devant elle d'une façon unique et irréelle, comme si toute chose n'avez plus de profondeur, se retrouvait aplatit. Et dans ce monde sans forme, figé sur le papier, elle était la seule à pouvoir se mouvoir.
Les rues lui apparaissaient soit désertes, remplies de cadavres, ou bien bondées de démons et d'êtres magiques en pleine bataille. À un moment donné, elle passa devant le marchand qu'elle avait rencontré plus tôt avec Charlie. Il était en train de se faire exécuter de la pire des manières, mais elle ne pouvait le secourir, une mission de la plus haute importance l'attendait. Une mission qui pouvait sauver la ville.
Telle une ombre, elle glissa sous la porte fermée du château et continua de déraper le long des murs. Aussi véloce qu'un éclair, elle monta les escaliers puis déboula dans le couloir qui menait à la tour sud. Elle était si rapide que les gardes ne la remarquèrent même pas.
Arrivée dans la pièce rectangulaire, elle sortit des ténèbres. Face au miroir, elle reprit sa forme de femme, détestant se voir sous son apparence effrayante. Résidus d'expériences d'une sorcière folle et erratique, elle aurait tout donné pour ne plus devoir se changer en cette chose qu'elle qualifiait d'abominable ! Comment pouvait-elle être aussi abominable, mais en même temps, jouir d'un don aussi incroyable ? Mais aujourd'hui, si cette apparence pouvait la sauver elle et toute cette ville, alors peut-être commencerait-elle à l'accepter.
Ardha pénétra dans le corridor et marcha aussi vite que possible. Tout au bout, une lumière plus blanche que le ciel brillait. Elle baissa la tête puis entra dans la salle circulaire où elle découvrit la reine se tenant droite, les yeux fermés et les deux mains autour d'un globe éclatant.
— Missélia ! dit-elle, faisant sursauter la souveraine.
— Ardha, mais comment tu... ?
— Pas le temps de t'expliquer, interrompit-elle. Il faut que tu arrêtes immédiatement le protocole zéro.
L'immense femme avait beau connaître la régente depuis de nombreux cycles, être l'une de ses plus proches amies, jamais encore elle ne lui avait ordonné quelque chose. Personne ne donnait d'ordre à sa majesté.
— Lilith est en ville Ardha, je me dois de le faire. C'est le seul moyen que nous avons pour la tuer.
— Au détriment de tous ceux qui se trouvent toujours ici ? Au détriment de cette ville que nos ancêtres ont bâtit et dans laquelle nous avons tous grandi ?
— Je n'ai pas d'autres choix, crois bien que j'en suis désolée.
— Et pourtant si, tu as le choix. Charlie détient un objet capable d'emprisonner n'importe qui et à l'heure où je te parle, Helja, Luba et elle vont essayer d'arrêter Lilith grâce à ça.
Missélia tourna la tête vers son amie, mais ne lâcha pas pour autant la forte lumière qui se faisait de plus en plus éclatante. De plus en plus meurtrière.
— Tu crois qu'elles peuvent réussir ?
— Non, je ne le crois pas, j'en suis certaine.
— Alors elles feraient bien de se dépêcher parce que je mettrai fin au protocole zéro seulement lorsque j'aurai vu de mes propres yeux Lilith enfermée, pas avant.
Elle souffla ensuite face à elle et une pluie de poussière de fée tomba en nuage entre elle et Ardha. Et dans cette brume de paillettes, une image animée apparut.
***
Le ciel paraissait de plus en plus lumineux ce qui signifiait que la reine n'avait pas encore arrêté le protocole zéro. Ardha n'avait-elle pas réussi à entrer ou bien Missélia ne l'avait-elle pas écoutée ? Combien de minutes restait-il avant que la ville ne tombe, emmenant avec elle tous ceux qui s'y trouvaient ?
— Bien, tu es sûre de toi ? demanda Luba.
— Oui, nous n'avons pas de temps à perdre, acquiesça Charlie avant d'avancer.
Elle sortit de la petite ruelle où les deux autres patientaient, cachées dans l'ombre. Lorsqu'elle posa pied au centre de l'avenue principale, ignorant les cadavres qui l'entouraient, elle appela :
— Je suis là bande d'enfoirés !
Elle agita son bâton et presque aussitôt, une troupe l'encercla. Elle tenta de les repousser, en brûla quelques uns, mais on la désarma bien trop vite au goût d'Helja.
— Allez-y, jamais je ne laisserai Lilith prendre possession de mon corps.
Pour son impertinence, la fillette reçut une claque qui la fit tomber à quatre pattes. La sorcière remua, mais la métamorphe l'arrêta et lui chuchota :
— Elle sait ce qu'elle fait. Maintenant, tu attends que Lilith arrive.
Mais rester sans bouger et voir cette bande de démons maltraiter son amie lui était insupportable. Elle agrippait aussi fort que possible le manche de son poignard, se promettant qu'elle tuerait tous ceux qui avaient osé lever la main sur Charlie.
— Dépêche-toi ! souffla Luba
La réponse à sa demande ne se fit pas prier. Devant elles, tous leurs ennemis reculèrent et effectuèrent une révérence, signifiant que Lilith approchait.
— Mère, dit l'un d'eux, voilà votre nouveau corps.
Il tenait fermement Charlie par le bras à l'aide d'un autre. Ils avancèrent de quelques pas, restant dans leur champ de vision, au contraire de Lilith, cachée par le coin d'un bâtiment.
— Vous avez brillamment combattu mes enfants ! décréta une voix suave remplis d'échos. Maintenant, il est l'heure pour moi de rendre ce corps faible et méprisant. Le tien est tellement mieux.
Une main pâle attrapa le menton de Charlie, lui soulevant la tête.
Il y eut un vrombissement provenant du ciel qui commençait à se fissurer, comme du verre. Tout le monde releva les yeux, et c'est là qu'Helja décida d'agir. Elle ne pouvait pas attendre plus longtemps.
Sortie de son abri, elle tendit la paume vers tous les démons dans le dos de Charlie :
— Bahaose !
Ils tombèrent tous comme des dominos. Elle se tourna ensuite vers Lilith, tenant la poupée des deux mains. Elle s'apprêtait à l'ouvrir quand une force lui fit lâcher l'objet. On la tira ensuite rapidement vers l'avant et en un battement de cil, elle se retrouva aux prises de l'inconnu à la capuche qui lui comprimait la gorge. Jamais elle n'avait été si proche de lui, mais là encore, son visage demeurait caché dans l'ombre.
Saisissant son poignard, elle tenta de planter son adversaire, mais il lui attrapa son poignet de son autre main. Derrière, il y eut des cris et des explosions. Au-dessus de sa tête, le ciel commença à s'écrouler en de gros débris aux rebords tranchants.
La vision des sœurs de la sagesse lui revint alors et elle se remémora son cadavre sur le lit de verres fracassés. La peur de mourir lui donna une nouvelle force. Le moment de quitter ce monde n'était pas encore venu pour elle.
D'un coup de pied elle envoya voler la personne qui passa à travers la fenêtre d'une maison. Le bâtiment se redressa presque aussitôt de lui-même et partit en courant, comme pour donner un coup de main à la sorcière.
En se retournant, elle vit Luba combattre seule les démons et Dolos. Quant à Lilith, elle avait son visage collé contre Charlie, comme pour l'embrasser. Un baiser de la mort.
Elle sauta sur la femme qui lâcha la petite fille. Elle parvint à lui planter sa lame dans le bras, mais quand elle se releva, Lilith lui asséna un coup dans le nez qui l'assomma à moitié. Sans se laisser déstabiliser pour autant, elle balança un nouveau sort :
— Nig !
Les flammes jaillirent de ses paumes et foncèrent sur sa cible qui arriva à les renvoyer facilement. Un morceau du plafond, aussi gros qu'une maison, tomba entre elles, les forçant à l'éviter sous peine de finir écrasées.
— Helja ! cria Charlie.
Elle tourna la tête et aperçut son amie tenant la poupée de bois. Elle lui jeta avec le plus de force qu'elle le put, mais au dernier moment, un démon sauta dessus. L'objet ne vola pas haut et en atterrissant, il roula vers Dolos.
La sorcière chargea vers lui, mais le maître de la création disparut dès lors qu'elle essaya de l'attraper.
— C'est ça que tu veux peut-être ? résonna une voix derrière elle.
En se retournant, elle découvrit l'homme se multiplier. Ils apparaissaient tous identiques, jouant avec la prison magique et explosant en éclat dès qu'elle s'approchait.
— Comment est-ce possible ? Où l'ont-elles trouvée ? Nous devons la détruire sur-le-champ !
Le timbre de Lilith avait été fort et clair. Helja se tourna et aperçut la silhouette déformée de la mère des démons derrière le gros morceau de verre, tenant la poupée que Dolos venait de lui donner.
Le sol de la ville se mit à trembler et tous arrêtèrent de se battre. Une ombre glissa sur un mur et alors, un homme élancé et à la peau charbonneuse émergea, tombant sur Lilith. Ardha tenta d'avaler la femme qui, d'un coup de main, l'envoya voler à travers l'avenue.
Pendant ce temps, Charlie qui s'était extirpée de ses assaillants avait attrapé la Matriochka et la pointait vers Lilith.
— Tu ne peux pas... vociféra la mère des démons
— Si, je peux ! coupa la fillette.
Elle ouvrit la boîte et un fluide transparent en sortit, fonçant droit vers sa cible.
— ICI ! hurla Dolos.
Au dernier moment, la chose changea de direction et enveloppa le petit homme. Son corps se souleva et fut emporté vers la poupée qui se referma aussitôt, avant qu'une autre apparaisse autour, l'agrandissant de quelques centimètres.
La terre se fissura et ce fut comme si un des quatre coins de la ville se brisa. Le sol commença à pencher. Tous les objets qui n'étaient pas attachés roulèrent, mais bientôt, tous durent se cramponner pour ne pas glisser.
L'avenue continuait de s'incliner à la verticale et le ciel leur tombait sur la tête, écrasant tout ce qui se trouvait au-dessous. Helja distingua Charlie et Luba à quelques mètres d'elle, se tenant aux poutres d'un magasin et Lilith avait les mains plantées dans la terre.
Une lumière aveuglante obligea la sorcière à fermer les yeux et elle crut alors que tout était terminé. Tout était en train de s'écrouler. La ville chuterait sans jamais s'arrêter. Ils étaient tous morts.
— Non, je dois poursuivre, je dois les tuer !
Elle battit des paupières avant de voir la mère des démons discuter avec la personne à capuche, qui venait soudainement d'apparaître. La poupée, qui jusque là était coincée entre un poteau et une planche de pin, roula de son support.
Le dernier espoir de sauver la ville et ses habitants disparaissait.
Le dernier espoir d'enfermer à nouveau Lilith passait juste devant elle, roulant vers les abysses de la terre.
Le dernier espoir.
Sans y réfléchir, Helja se jeta en plein milieu de l'avenue, emportée par la chute et rapidement ensevelie de tout ce qui glissait. Elle tenta de saisir la poupée, mais elle allait bien trop vite. Une chaise s'écrasa contre son bras alors que ses doigts effleuraient l'objet tant convoité.
Des démons lâchèrent prise et lui arrivaient dessus. Elle força alors jusqu'à ce que sa main se referme sur la Matriochka. Un homme tenta de la poignarder, mais elle le repoussa et il se cogna contre le rebord d'une maison. Aussitôt, Helja se retourna et ouvrit la poupée, les bras tendus vers Lilith.
Le même fluide transparent sortit et fonça vers la femme qu'il enveloppa comme dans une fine couverture. La mère des démons se débattit avec force, mais elle ne put échapper à son destin. Échapper au dernier espoir.
Emmenée toujours par la rue qui penchait davantage, Helja referma la boîte et sentit sous ses doigts la nouvelle poupée se matérialiser.
Devant elle, la personne à capuche disparut dans cet éclat aveuglant et derrière, Charlie et Luba l'observaient dévier. Elles n'apparaissaient désormais plus que comme des petites silhouettes noires, beaucoup trop loin pour pouvoir distinguer leur visage.
Elle tenta d'attraper quelque chose, un rebord ou un pan de mur toujours fixé sur la terre, mais elle tombait beaucoup trop vite. Elle se dit alors qu'elle continuerait de déraper jusqu'à atteindre le précipice tout au bout, mais que dans sa mort, elle emportait avec elle l'adversaire la plus redoutable. Elle songea à cette nuit terrible, à tous ces morts qui n'auront pas été vain. Elle songea à ses amis qui, elle l'espérerait, survivraient.
Elle ferma les yeux pour ne pas voir la fin arriver quand le sol se redressa. En quelques instants, il fut à nouveau plat et le ciel arrêta de se briser.
Haletante, Helja se releva, tenant fermement la poupée entre ses bras. Elle regarda autour d'elle le désordre, quand ses yeux se posèrent sur Ardha. Elle était étendue dans une marre de sang, un morceau de verre planté dans son abdomen.
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