Chapitre 11 - Sang (partie 3/4)


La vitrine explosa quand Helja passa au travers. Elle tomba sur une table en bois qui céda sous son poids et tous les sabliers éclatèrent, répandant leur contenu sur le sol. À peine s'était-elle relevée que trois démons entraient dans la boutique, brisant la porte à grands coups de pied.

Elle planta facilement sa lame dans la tête du premier, mais les deux autres lui donnèrent beaucoup plus de fils à retordre. Alors qu'elle se jetait sur l'un d'eux, l'homme parvint à éviter l'attaque et à se placer dans son dos. Il lui asséna un coup dans les reins qui la fit basculer sur une femme aux yeux rouges. Elle tenta de la poignarder, mais elle fut brutalement projetée contre une horloge, se cognant le crâne contre le cadran de verre et les aiguilles.

Le sang qui coulait sur son front tomba sur ses cils, lui obstruant la vue. Pourtant, elle se releva plus déterminée que jamais.

Sitat ! cria-t-elle, couvrant le bruit des nombreuses explosions et incendies à l'extérieur.

Son sortilège fusa sur les deux démons qui s'envolèrent chacun d'un côté. Ils heurtèrent les murs avant de s'élever et de percuter le plafond tellement fort qu'ils passèrent au travers, disparaissant dans la nuit.

Un nouvel adversaire entra aussitôt dans la pièce, cette fois, portant une armure en or, insensible à toute magie. Il se jeta sur Helja, une folie de meurtre l'animant.

Elle se baissa, évitant l'épée qui se planta dans la cloison en bois. Une sphère en verre roula sur l'étagère avant de dégringoler et d'exploser au sol. Et alors qu'un gros nuage noir jaillit des débris, la sorcière contourna et frappa assez fort le démon pour lui faire ployer le genou. Une violente pluie s'abattit sur eux et quelques coups de tonnerre laissèrent des traces de brûlé sur le plancher.

Helja remarqua le mince interstice entre le casque et buste de l'homme, dévoilant un bout de sa nuque. Elle en profita pour enfoncer sa lame à l'intérieur, mais malheureusement, il parvint à se dégager et il lui donna un coup dans le poignet, l'obligeant à lâcher son arme.

Il se jeta sur elle avec une telle furie et une telle rapidité qu'ils s'écroulèrent tous les deux sur les éclats de sablier. Ses grosses mains vinrent lui saisir les cheveux. Il souleva sa tête à quelques centimètres du sol et, avec un sourire aux lèvres, la cogna violemment sur le plancher et les bris de verres.

Tout devint flou autour d'Helja. Un bruissement sourd couvrait tous les sons. Complètement sonnée, sans repères, elle sentit qu'on la tirait par la cheville sans pouvoir réagir. Le démon la sortait du magasin, sûrement pour l'emmener vers Lilith. Mais alors qu'il n'avait parcouru que quelques pas, il lâcha brutalement sa jambe.

Il y eut des voix indistinctes, un tapage rappelant une lutte acharnée, des meubles brisés et des cris à peine audibles pour la sorcière qui reprenait doucement conscience. Elle tenta de se redresser quand un visage familier apparut dans son champ de vision. Ly, la petite vendeuse sans lèvres et qu'Helja affectionnait particulièrement.

— Ça va ? demanda-t-elle. J'ai réussi à l'arrêter. Je lui ai dit, ne touche pas à Helja, c'est ma cliente préférée et même une amie alors bim, je l'ai tué.

Elle semblait garder le moral et continuait de sourire malgré tout ce qui se passait. Un sourire unique, mais chaleureux, surtout en ce moment. La pluie avait cessé et désormais, un magnifique soleil brillait dans le magasin.

Il y eut des bruits de pas autour d'elles avant que la tête de Ly ne se soulève brusquement, comme tirée par des mains invisibles. Elle se mit à tourner sur elle même, telle une toupie, puis le corps de la petite femme bascula en arrière. Une mort rapide, violente et brutale qui donna envie à Helja d'hurler.

— Te voilà sorcière ! appela une voix qu'elle connaissait.

Tant bien que mal, Helja se releva, le regard porté sur le cadavre. Un sentiment de rage et d'injustice se nouaient au creux de son estomac.

— Ma mère va être si contente de te tuer !

Elle se retourna vers la femme à la peau noire et aux cheveux rasés avec qui elle avait déjà livré bataille. Elle tenait toujours aussi fermement ses deux poignards courbés et dégoulinant de sang.

N'écoutant rien d'autre que la fureur qui enflammait son cœur, elle s'élança vers son adversaire. Pour Ly, qui lui avait sauvé la vie au détriment de la sienne. Pour Charlie et Luba, qui étaient perdues dans la ville. Pour tous ceux qui, autour d'elle, étaient en train de mourir des mains des démons. Mais surtout, elle se jeta vers le combat pour prouver à Lilith que jamais elle ne cesserait de se battre.

La maîtresse du sacrifice stoppa la lame d'Helja à quelques centimètres de son visage. Elle la repoussa d'un coup violent puis abattit sa propre arme qui lui érafla l'épaule. Les poignards s'entrechoquèrent et toutes deux durent reculer pour éviter le meuble qui manqua de leur tomber dessus.

Le sang qui maculait tout le corps de la sorcière s'envola en de grosses gouttes, avançant vers la femme au bras écarté. Le fluide formait autour d'elle un cercle visqueux, à l'odeur de fer, et lorsqu'elle claqua des mains, comme la dernière fois, tout fonça telle une flèche vers sa cible. Seulement, Helja ne se laissa pas avoir deux fois. Elle sauta sur le côté pour esquiver le liquide qui finit sa course contre le mur. Elle ne perdit pas un instant et répliqua aussitôt :

Kesyr !

Le démon se retrouva assaillit pas la magie qui lui entailla bras, jambes et visage. Pourtant, elle ne sembla pas éprouver la moindre douleur. Au contraire, lorsqu'Helja s'approcha, elle paraissait déjà prête à l'accueillir. Elles continuèrent toutes les deux un combat acharné.

La sorcière se baissa et planta sa lame, mais le démon se dégagea rapidement et la poignarda dans les côtes. Toutes deux arrivaient à atteindre l'autre quelques fois, mais bien souvent, elles évitaient l'attaque. Aucune d'elles n'avaient l'air épuisées et encore moins prête à renoncer.

À un moment, alors que le micro-climat du magasin représentait une grêle froide et lourde, le démon se rua vers le cadavre de Ly. Les symboles peints en rouge sur son corps s'illuminèrent et toutes ses blessures se soignèrent à vue d'œil. Pendant ce temps, la dépouille semblait vieillir, se contractant jusqu'à ce que la peau craque et que les os apparaissent.

Helja ne se laissa pas impressionner et en profita pour jeter un puissant sortilège :

Vzrar !

Le sang qui coulait dans ses veines se mit à chauffer et la brûlure se propagea vers ses poignets jusqu'à sortir par la paume de ses mains.

Mais d'un mouvement des doigts, la maîtresse du sacrifice envoya des gerbes rouges qui percutèrent le maléfice. La magie dévia alors de sa trajectoire et explosa au-dessus de la femme, projetant des flammes tout autour. Dans le carnage, une centaine de montres à gousset tombèrent sur elle, l'obligeant à se protéger le visage de ses avant-bras.

La déflagration se répercuta à nouveau sur l'étagère d'à côté et cette fois, des cadrans solaires chutèrent, emmenant avec eux des sabliers. Dans le lot, il y avait celui particulier dont le contenu noir remontait vers la partie supérieure. Quand ce dernier se brisa sur le démon, quelque chose d'inattendu se produisit.

Elle se releva pour continuer à se battre, mais elle se mit à rétrécir doucement. Lorsqu'elle se situa au niveau d'Helja, elle faisait déjà une tête de moins, laissant le champ libre à la sorcière qui évita aisément l'attaque. Quand elle riposta, sa lame toucha une jeune fille du même gabarit que Charlie. Elle se prit alors les pieds dans ses vêtements maintenant trop amples et tomba face contre terre.

— Noooon ! criait-elle. Aidez-moi mes sœurs et mes frères !

Sa voix se faisait de plus en plus aiguë. Elle marchait à quatre pattes, essayant d'atteindre Helja, mais ses bras devenaient bien trop courts. Bientôt, elle ne pouvait plus avancer, emmêlée dans le tissu de ses habits. Elle sortit sa tête, qui était celle d'une bambine et en un battement de cil, elle était devenue un bébé.

Mais le processus ne s'arrêta pas. Elle continuait de rajeunir, hurlant à plein poumon. La sorcière ne resta pas sachant que sa mort était imminente et quand elle eut quitté la boutique, son ennemie ne ressemblait plus qu'à un tas informe qui ne pouvait plus parler ni même bouger.

Dehors, le chaos était incroyable. La sirène retentissait toujours et un mont de cadavres jonchait le sol. Autant d'êtres magiques que de démons. Et dans cette guerre, quelque part en ville, Charlie était seule et perdue. Helja serra alors son poignard aussi fort qu'elle le put et elle partit poursuivre ses recherches.

***

Dans un silence angoissant et déroutant, le bruit sourd de l'alarme s'accordait parfaitement avec les lents battements de cœur de Luba. Elle tentait de garder son calme et de ne pas paniquer, mais cela lui paraissait impossible. Seule dans une ruelle à l'abandon, elle appelait doucement son amie, espérant qu'où qu'elle soit, elle était en sécurité.

Les morts parsemaient le sol, parfois en parfait état, comme si la simple vue des démons les avait tués, mais d'autres fois, dans des constitutions à donner la nausée. Alors, essayant de ne pas jeter un regard au risque de tomber sur une connaissance, la jeune femme maintenait les yeux rivés face à elle. Mais il était bien difficile d'éviter la vision d'horreur tant les cadavres étaient nombreux, étalés contre terre, passés au travers d'une fenêtre où bien pendus aux poutres.

Des bruits de grattements l'alertèrent. Elle se dirigea doucement vers un bâtiment cubique et à la toiture plate sur lequel une fée gisait, son sang coulant le long du mur. Luba tenta d'observer à travers la porte à moitié ouverte, tenant son épée des deux mains, mais elle ne distingua dans l'obscurité que des flammes qui se baladaient dans le salon. Quand elle poussa complètement le battant, trois Kojak sortirent en courant, laissant derrière eux une odeur de fumée. Et alors que les chiens au pelage de feu et aux iris ardents disparaissaient au tournant d'un embranchement, une faible voix appela :

— Aidez-moi !

La jeune femme entra dans la maison et découvrit dans la pénombre un énorme corps étendu. Celui d'un faune aux jambes arquées, à la peau d'écorce, aux yeux tordus et dont les magnifiques cornes avaient été brisées.

— S'il vous plaît ! glapit l'être magique, tentant de lever une main vers sa sauveuse.

La flaque de sang bleu qui maculait le sol ne cessait de s'agrandir, coulant de son abdomen gravement entaillé. Essayant de comprimer la plaie de ses deux paumes, la métamorphe comprit rapidement qu'elle ne pourrait rien faire pour lui.

— Aidez-moi, répéta-t-il d'une voix de plus en plus faible.

— Je suis désolée, répondit-elle, sentant les larmes commencer à monter.

Les faunes devenaient rares sur Gallia et ne pas pouvoir secourir celui-ci lui brisa le cœur. Elle ne pouvait l'arracher à la mort seule et elle ne possédait aucun remède sous la main. Dehors, des bruits de pas se faisait déjà entendre, mais trop nombreux pour être des alliés. Elle n'avait plus qu'une chose à accomplir pour lui éviter de souffrir trop longtemps.

La main tremblante, Luba se saisit du petit poignard qu'elle avait attaché à sa cheville et dirigea la lame vers l'être magique qui ferma les yeux, acquiesçant doucement. Il avait également compris.

Aussi horrible soit-il, cet acte apparut comme l'unique moyen pour lui de partir en paix. Elle le savait. Elle apaisa alors sa douleur avant de changer d'avis, sentant que quelque chose au fond d'elle venait de se briser à jamais. Elle qui avait jamais tué que pour sa survie sentie qu'elle ne serait plus jamais la même après ça.

Se relevant, la jeune femme essuya son visage, essayant de rester forte face à l'adversité. Elle passa la tête par l'entrebâillement de la porte et aperçut une vingtaine de démons marcher rapidement dans sa direction. Le groupe allait bientôt l'atteindre et elle était sûre que seule, elle ne pourrait pas faire le poids. Luba fit donc la première chose qui lui traversa l'esprit : elle prit l'apparence du dernier démon qu'elle avait assassiné.

Quand ils la doublèrent, le plus grand nombre ne la remarqua pas, visiblement tous occupés à rejoindre un endroit bien précis. Mais l'un d'eux s'arrêta et beugla :

— Tu fabriques quoi toi ?

— Je... hum... j'allais chercher des personnes à tuer, répondit-elle, essayant d'adopter le ton dépourvu d'émotion des démons.

— Tu n'as donc pas entendu l'ordre du maître du changement ?

— Si bien sûr.

— Alors, ramène-toi avant qu'il ne t'exécute pour ne pas avoir respecté les règles.

Regrettant déjà d'avoir opté pour ce plan, Luba n'eut d'autres choix que de suivre l'homme, s'enfonçant dans la foule de démons qui continuait de grandir et qui se dirigeait vers l'ouest de la ville. 

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