Chapitre 11 - Sang (partie 2/4)


Des bruits métalliques alertèrent Helja qui s'arrêta et tourna la tête. Dans le long tube de cuivre par lequel descendait la cage en fer, des centaines de corps chutaient. De loin, elle ne pouvait distinguer leur visage, mais leurs yeux rouges brillaient dans la nuit.

Ils avaient réussi à entrer.

Quand elle reprit sa course, une sirène se mit en route, résonnant dans toute la ville. Des hurlements et des sons d'armes qui s'entrechoquent se faisaient déjà entendre. Les prisonniers de Kruotté accueillaient les premiers envahisseurs et les cris des gardiens allaient faire leurs premières victimes.

Après avoir changé de rue à l'angle de la taverne Alcool, Frivole et Cabriole, où une dizaine de personnes s'y était réfugiées et barricadées, la sorcière aperçut au loin une femme à deux têtes, entourée de tout un groupe d'enfants et de vieillards.

— Elle doit être là-bas, suggéra Luba qui avait sorti sa longue épée.

La petite vendeuse les suivait toujours, à bout de souffle après avoir parcouru toute la ville en quelques minutes.

Rapidement, elles arrivèrent face à Sliverth qui se retrouva submerger face à la situation désastreuse. Des parents tentaient de sauver leurs progénitures au détriment des autres, mais avec tout ce chaos, l'arche tremblait et plus personnes n'arrivait à passer, au grand désarroi de la femme.

— Sliverth ! appela Helja qui poussait tous ceux autour d'elle.

Le bruit de la foule était tellement fort qu'elle ne l'entendait pas. Les pleurs et les cris se mélangeaient et lui donnaient mal à la tête.

— Sliverth ! répéta-t-elle aussi fort que possible. Où est Charlie ? demanda-t-elle ensuite, quand elle la regarda.

— Je ne sais pas. Elle est partie avec Tiguil parce qu'il avait un plan pour arrêter Lilith. Cela fait seulement quelques minutes.

— Un plan ? s'étonna-t-elle. Quel plan ?

— Elle ne m'a rien dit de plus. Désolée Helja, mais je dois aider toutes ces personnes, répliqua-t-elle pour couper court à la conversation et aider à relever une femme à la peau de lézard tombée en plein milieu de la foule.

— Mais quelle imbécile, pourquoi elle ne nous a pas attendus, s'énerva la sorcière à nouveau avec Luba et Ly, la main sur le front.

— Tu as une idée d'où ils auraient pu aller ?

— Probablement dans la boutique de Janus, mais pour quoi faire ? Les démons sont entrés et la reine risque de déclencher le protocole zéro dès que Lilith aura été aperçue. Si c'est ça, nous devons rapidement évacuer.

Une explosion les interrompit dans leur discussion et imposa le silence à tous. Mais d'emblée, une peur panique s'abattit sur le groupe, comme une vague qui les percutait de plein fouet. Plus loin, une horde de démons arrivaient, tout droit sortis des flammes. Ils couraient à une vitesse irréelle vers eux, armes brandies et le visage déjà maculé.

— Bien, nous devons nous séparer pour retrouver Charlie puis nous reviendrons ici pour essayer de fuir la ville, ordonna Helja qui avait déjà son poignard à la main.

Luba et Ly approuvèrent. Dans leur dos, Sliverth ferma le portail, faisant disparaitre toute chance de fuite et provoquant l'hystérie collective.

— Je suis désolée, s'excusa-t-elle, mais ils ne doivent pas atteindre ceux qui ont déjà pu quitter la ville.

Des cris.

Des pleurs.

Des explosions.

Du sang, je veux du sang, sifflait une voix dans la tête de la sorcière.

Jetant un regard vers son arme, elle vit le tube rouge s'illuminer dans les ténèbres. Quand elle releva à nouveau la tête, l'impact fut terrible.

***

Charlie et Tiguil arrivaient dans le recoin sombre et désert de la ville souterraine, le plus à l'ouest possible. Ils avançaient d'un pas rapide et vigilant, prêts à réagir à la moindre alerte. À l'opposé, des démons tombaient littéralement du ciel tandis que le bruit sourd de l'alarme résonnait tout autour d'eux.

Les rues avaient apparemment été totalement évacuées, la boutique du jeune homme et de son père se trouvant à l'opposé de la sortie de secours où toute la cité s'était entassée.

Ils dépassèrent un magasin où de petites boules de poils colorées, aux longues oreilles et aux yeux brillants, sautaient dans des cages suspendues. Il y avait également les différents mugissements des animaux enfermés et abandonnés à leur sort, ce qui brisa le cœur de la fillette. Pour autant, elle n'avait pas le temps de les sauver.

Tiguil poussa la porte du commerce et au même moment, une personne se mit à crier dans un supplice effroyable. Connaissant maintenant l'alarme particulière du lieu, Charlie n'y prêta pas attention et suivit son ami qui dépassait les nombreux rayons pour rejoindre un couloir caché derrière un rideau d'os. Ils descendirent des escaliers étroits avant d'arriver dans la cave.

— Voilà, elle est là, expliqua le jeune homme en se dirigeant vers la poupée de bois dont se souvenait Charlie.

Alors qu'il enlevait la vitrine de protection, la fillette regardait autour d'elle les nouveaux objets de classe C récupérés par Tiguil et son père. Un simple balai au poil court, une boule de cristal où une étrange fumée violacée remuait légèrement ainsi qu'une pièce de monnaie où le nom Bathilde était gravé.

— Bien, nous devons maintenant aller aviser Helja de notre plan et lui donner la Matriochka. Il faut surtout avertir la reine pour qu'elle n'enclenche pas le protocole zéro alors que nous sommes encore tous dans la ville, ajouta Janus.

— Elle est restée au château, apprit Charlie, dans la tour sud, mais il est à l'opposé d'ici et les démons sont déjà dans la cité.

— Nous pourrions la prévenir avec un charme d'appel. Il nous suffit d'un bol avec de l'eau, nous en avons là-haut.

À nouveau, le cri de l'alarme retentit, indiquant que la porte s'était ouverte.

Bande d'imbéciles, vous n'avez pas verrouillé, chuchota Janus d'une voix pourtant remplie de mépris.

Le plancher au-dessus de leur tête grinça. Plusieurs personnes marchaient à l'intérieur de la boutique, mais aucune ne parlait. Charlie et Tiguil restèrent le plus silencieux possible, se regardant chacun dans le blanc des yeux. Ils n'avaient aucun moyen de savoir s'il s'agissait d'ennemis cherchant une victime ou d'amis essayant de trouver refuge. On n'entendait que le bruit de leur respiration rapide, jusqu'à ce que la porte à l'étage s'ouvre et se ferme à nouveau, signifiant qu'ils étaient partis.

— Si les démons sont déjà par ici, ça ne sent vraiment pas bon pour nous, mentionna Tiguil.

— C'est pourquoi nous devons nous dépêcher. Une fois que nous aurons prévenu la reine de notre plan, nous appellerons Helja pour lui demander de nous rejoindre.

— D'accord ! Ça marche petite, ajouta le vieillard.

À cet instant, Charlie trouvait le jeune homme extrêmement beau et courageux. Elle se pensait chanceuse de l'avoir à ses côtes. Il la voyait forte, redoutable peut-être, et cela lui faisait beaucoup de bien. Aussi, elle prit les devants, montant les escaliers avec beaucoup de prudence, son bâton face à elle.

Elle passa la tête par le rideau d'os. Personne. Elle s'avança vers le comptoir où elle pouvait apercevoir un grand seau rempli d'eau.

— Je vais fermer la porte à clef, dit-elle doucement. Toi, occupe-toi du sortilège.

Pour toute réponse, un bruit sourd résonna dans son dos.

Charlie se retourna et découvrit Tiguil étendu au sol, baignant dans son propre sang. La poupée de bois roulait vers la cave et face à elle, un démon se tenait droit, la moitié de son visage calciné et son sourire tiré jusqu'aux oreilles dévoilant ses dents jusqu'aux gencives.

Il n'attendit pas une seconde et abattit son macis, l'obligeant à reculer pour ne pas se retrouver assommée par cette masse ornée de piques.

La jeune fille évita les deux coups suivants, mais trébucha au troisième. Le métal se planta dans le plancher et alors que l'homme tentait de la déloger, Charlie lui asséna un coup de bâton sur le crâne. La brûlure ne semblait pas lui faire de mal puisqu'il se jeta aussitôt sur sa victime en lui attrapant le cou.

Charlie se débâtit. La pression du démon sur sa trachée et sa cicatrice la faisait terriblement souffrir. Son souffle chaud sur son visage, son poids reposant sur son corps frêle. Elle essaya de se libérer, mais il se saisit de son arme et la balança à l'autre bout de la pièce. Elle en profita alors pour lui frapper l'estomac de son genou avant de se retourner et de ramper pour fuir.

— Ne pars pas si vite petite, ma mère a très envie de te récupérer. Elle ne veut pas que je te tue, mais j'ai bien le droit de m'amuser avant.

Sa main se referma autour de la cheville de Charlie puis il tira. Elle agrippa fermement le pied d'une étagère pour se retenir et tout s'écroula.

Tous les deux se retrouvèrent ensevelis d'objets divers, dont certains mordaient la peau de Charlie ou lui empoignait les cheveux. Des bocaux se brisèrent libérant parfois d'affreuses créatures semblables à des embryons ou répandant leur contenu visqueux ou glacial sur le parquet. Une boussole pendu à une chaine lui tomba sur la tête avant qu'elle ne se protège le crâne de ses mains.

Dans tout ce capharnaüm de bruits plus étranges les uns que les autres, elle entendit la voix du démon et alors, son cœur se serra :

— Je tiens la petite, criait-il. Venez à moi mes frères et mes sœurs. Venez récupérer le corps de notre mère.

La fillette avançait tant bien que mal, le torse plaqué contre le sol. La jambe bloquée sous un coffre en métal et une pile de livres, elle sentait une main essayer de lui happer les chevilles. Elle donnait coup de pied sur coup de pied pour repousser son agresseur.

Elle bougea une corde tressée sur son chemin, mais aussitôt qu'elle l'eu touchée, l'objet ce changea en un serpent rouge qui ondula vers le corps inerte de Tiguil, de l'autre côté de l'étagère encore debout. Le sang autour de lui se répandait rapidement et coulait déjà sous ses paumes.

C'est alors que l'homme parvint à lui attraper les deux pieds et la tira d'un coup sec, la retournant sur le dos. Dans la confusion, Charlie se saisit de la première chose qui passa sous sa main et le jeta au visage de son assaillant. Une boîte à musique miniature et cabossée, aux couleurs ternes, qui n'avait plus l'air de fonctionner.

— C'est trop tard pour toi. Ils sont tous en chemin pour te récupérer et mère est ravie d'enfin pouvoir retrouver ce corps jeune et robuste.

En même temps, le cube tomba, rebondissant comme une balle, puis lorsqu'il s'arrêta, un mécanisme se déclencha. Le couvercle se souleva, jouant une une douce mélopée. Puis, de la minuscule ouverture, quelque chose d'énorme sortit. Un tentacule aussi gros qu'un éléphant et mesurant près de trois mètres de long se mit à frapper la pièce en tous sens, détruisant tout sur son passage, créant des trous dans les murs et envoyant voler dans le décor tous les autres articles en exposition.

Tout n'était plus que chaos et brutalité dans le magasin. En atterrissant sur le sol, certains objets magiques se mettaient en route et alors, d'autres basculaient. Un effet domino qui profita à Charlie puisque dans la cohue, le démon se fit bousculer par un cheval en bois. Il trébucha contre un pied humain qui sautait sur place et quand il percuta un miroir ovale, il le traversa. On pouvait voir son reflet tenter de sortir de cette prison jusqu'à ce que le tentacule explose le verre en mille morceaux.

La petite fille parvint à retrouver Tiguil, se baissant auprès de lui. Tout un tas de choses volaient au-dessus de sa tête et plusieurs détonations retentissaient. Elle essaya de réveiller son ami, mais il ne n'ouvrit pas les yeux. Une peur incroyable s'abattit sur elle et un vide au creux de son estomac lui donna la nausée.

— Tiguil ! Répond-moi ! dit-elle, la voix secouée par l'émotion.

Elle vérifia que le jeune homme respirait toujours puis, quand elle en eut la certitude, elle attrapa son bâton en évitant de se faire percuter par le tentacule qui explosa le comptoir. Elle avança ensuite vers le couloir qui menait à la cave, tirant son ami par le bas de son pantalon. Elle aperçut des démons à travers la porte d'entrée, mais tous s'arrêtèrent à la vue du monstre et des dizaines d'objets encore en mouvement.

Déployant toutes ses forces, elle traîna le corps le long des escaliers, essayant de faire attention à sa tête. Elle retrouva au bas des marches la poupée de bois qu'elle attrapa aussitôt.

Dans une semi-obscurité, elle allongea Tiguil puis regarda l'arrière de son crâne. Du sang séché collait son cuir chevelu, mais elle pouvait distinctement discerner l'impact de l'arme. Elle ne savait pas combien de temps il pourrait rester en vie sans être soigné quand elle se souvint qu'elle avait gardé avec elle un baume d'Enapiod.

Elle se saisit de la petite boîte et étala la pâte sur la blessure encore saignante, essayant de s'appliquer au mieux. En quelques minutes, le remède se solidifia. Ne pouvant plus rien faire mise à part attendre, Charlie se demandait comment elle allait le sortir d'ici, avec en plus tous les démons qui patientaient à l'extérieur. Soudain, une voix inconnue lui parvint de l'étage :

— Que la réalité se transforme et se pli à ma volonté !

Doucement, le ramdam provoqué par les objets s'estompa et un silence angoissant s'installa.

— Voilà, ajouta l'homme. Ce n'était pas si difficile.

— Facile pour toi ! beugla une femme. Tu es l'un des treize nous ne...

Mais elle ne termina pas sa phrase et Charlie entendit quelque chose exploser, suivi d'éclaboussures et d'un liquide dégoulinant. Elle se releva et chercha autour d'elle une issue cachée, une arme puissante ou toute autre chose lui permettant de s'en sortir.

— N'oubliez pas à qui vous vous adressez !

— Bien maître du changement, répondirent-ils en cœur.

— Maintenant, retrouvez cette petite et plus vite que ça. Mère attend que nous ayons récupéré son corps pour nous rejoindre.

Les pas au-dessus de la tête de Charlie résonnaient. Fort et se rapprochant rapidement. Tiguil ne réagissait toujours pas et elle savait que seule, armée uniquement de son bâton, elle ne ferait pas long feu. Elle tomba alors sur la bougie noire de Jonx le derniers des Faiseurs. Elle pouvait absorber la lumière et ainsi peut être lui permettre de se cacher dans les ténèbres ? Mais elle n'avait rien pour l'allumer. Si seulement Helja était là, songea-t-elle. En un mot, en une incantation, elle aurait pu faire naître une flamme. Quelle était-elle déjà ? Nig ?

La porte s'ouvrit et des personnes descendirent vers la cave quand un feu se mit à danser sur la bougie que la fillette tenait entre les mains. Autour d'elle, tout apparaissait beaucoup plus clair, comme si le soleil se trouvait dans la pièce, mais les démons désormais sur les dernières marches avaient l'air complètement perdus.

Charlie avança doucement vers Tiguil pour le rejoindre, essayant de comprendre ce qui venait de se passer. Comment une flamme avait-elle pu se matérialiser d'elle-même ? Aussi, elle se demanda combien de temps ils mettraient à la retrouver dans ce noir absolu.

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