Chapitre 11 - Sang (partie 1/4)


1er jour de la période de la lune — 1339

Karov [kaʁov] = Sang

Au-dessus de la tête d'Helja, la bataille faisait rage. Alors qu'elle se dirigeait vers la sortie de Kruotté, une véritable armée d'êtres magiques dans son dos, elle se demandait comment se déroulaient les affrontements au premier point de passage. Elle espérait aussi que Luba et Charlie allaient bien et qu'aucun démon ne parviendrait à franchir la barrière mise en place par les sorcières.

Émergeant du long tunnel, elle s'attendait à découvrir la ville dans un état de folie, mais la rue lui apparut totalement déserte. Pas âmes qui vivent, tous les habitants étant soit au combat, soit rassemblés pour évacuer.

Le vacarme provoqué par les centaines d'individus qui affluaient derrière elle se faisait de plus en plus sonore. Les gardiens tentaient de contenir la foule et de surveiller les éventuels déserteurs, mais ils se retrouvèrent rapidement surpassés.

— Avancez-vous ! cria Ergonde.

Helja se retourna vers le groupe qui ne cessait de s'agrandir. Jamais elle n'aurait cru que Kruotté renfermait autant de prisonniers. Pourtant, l'endroit regorgeait des pires assassins de notoriété publique. La célèbre Jada l'empoisonneuse, une femme aux veines noires capable de tuer d'un simple coup de langue ou bien Ketal l'égorgeur, dont le regard faisait froid dans le dos. Il y avait aussi plusieurs personnes méconnues, mais dont l'apparence restait redoutable. La sorcière songea que si elle n'avait pas réussi à fuir la cité lors de sa dernière visite, elle serait sûrement parmi eux, à pourrir dans une cellule jusqu'à la fin de sa vie.

À cette pensée elle replongea dans les souvenirs atroces du cachot où le roi l'avait enfermée, mais rapidement, une voix qu'elle connaissait bien la ramena au présent. Elle contempla alors Luba qui accourait, une petite femme derrière elle. Elles avaient les bras chargés d'armes en tout genre qu'elles laissèrent tomber aux pieds des prisonniers.

— Je me suis dit que vous en aurez besoin, exposa-t-elle.

Un des gardiens s'approcha d'elle, ses orbites vides tournées vers son cou qu'il renifla, ce qui eut pour effet de tétaniser la métamorphe qui n'avait jamais oublié son séjour à Kruotté.

— Bouge de là vilaine bête sans cervelle ! beugla Ly, donnant des coups de canne à la créature, l'obligeant à reculer en sifflant. Bonjour, Helja, ravie de te revoir.

— Salut ! répondit-elle, les yeux rivés vers la traînée de salive qu'elle avait laissée dernière elle.

— Nous ne sommes pas là pour bavarder, intervint Ergonde. Servez-vous en équipements et suivez-moi, nous allons nous poster au niveau de l'entrée de la cage de fer.

Tous se bousculèrent pour attraper l'arsenal qui lui faisait envie. Certains n'avaient besoin que de leurs capacités pour se défendre alors ils emboîtèrent le pas à l'homme à la peau rouge. D'autres tentèrent à nouveau de se dérober, mais les gardiens usèrent aussitôt de leurs cris, les obligeant à rejoindre les rangs.

Helja surveilla du regard les prisonniers désormais armés, la main sur son poignard. C'est à ce moment que le ciel noir et sans étoile se mit à grésiller. Le visage de la reine apparut et sa voix résonna partout dans la cité.

— Chers habitants, l'heure est grave ! Nos troupes déjà au combat commencent à faiblir, ce n'est plus qu'une question de minute. Lilith et ses démons tenteront ensuite de passer la porte pour rejoindre le point de contrôle. La barrière magique les ralentira au mieux, mais je doute qu'elle leur résiste longtemps aussi. Préparez-vous à l'attaque, défendez votre vie, défendez la ville, défendez l'honneur des êtres magiques. Je suis fière de nous et de qui nous sommes.

Son visage s'effaça et des explosions éclatèrent au-dessus de leur tête. Des cris retentirent un peu partout aux environs, mélangés à des pleurs et aux hurlements de rage des prisonniers qui partirent se battre.

— Où est Charlie ? demanda Helja.

— Elle était tout au nord la dernière fois que je l'ai vue, non loin du château.

— Charlie ? La petite qui t'accompagnait lors de ta dernière visite ? interrogea Ly.

Mais la sorcière ne répondit pas. Elle courait déjà, les deux femmes à sa suite. Elle devait rapidement la retrouver avant que la ville ne subisse l'assaut.

***

Le visage de la reine disparut et alors, la réaction des habitants fut immédiate. Charlie était entourée d'au moins deux cents personnes qu'elle essayait d'évacuer de la ville avec Sliverth, mais l'annonce de l'attaque plus qu'imminente avait provoqué une véritable émeute. Les parents tentaient de faire passer leur enfant en priorité.

— Attendez, cria Sliverth, cherchant en vain de calmer les foules.

L'arche de pierres que Charlie avait déjà empruntée dans la salle du trône de la souveraine était apparut devant eux quelques minutes auparavant. Les deux femmes arrivaient à évacuer autant de monde que possible, mais depuis, tous se poussaient et engorgeaient le passage qui n'était pas assez large pour permettre à deux personnes de le franchir en même temps.

— Reculez, vous bloquez la sortie, beugla la fillette, sa phrase perdue dans les hurlements. Si on ne se coordonne pas ça ne fonctionnera pas.

Mais c'était inutile. La folie s'était emparée des habitants, les poussant aux pires agissements irréfléchis. Les gémissements et éclats de voix devenaient de plus en plus forts et de nombreuses altercations avaient lieu, surtout lorsqu'un vieil homme à chapeau tenta de doubler tout le monde.

— Monsieur, vous devez attendre votre tour, rappela Charlie qui saisit l'individu par le bras.

Il se retourna et la bouscula sans ménagement.

— Vous savez qui je suis au moins petite ! brailla-t-il avant de dégager d'un violent coup de pied une femme aux rides tombantes et aux cheveux secs.

Charlie attrapa le manche de son bâton, voulant donner une leçon à cet homme sans vertus, mais elle entendit quelqu'un crier son nom :

— Charlie !

— Tiguil ! s'exclama-t-elle, folle de joie. J'ai tellement eu peur que tu sois monté te battre avec eux.

— Après que tu sois partie avec Helja, mon père désirait rejoindre une de ses amies, mais elle restait introuvable.

— Je suis désolée pour toi, peut-être qu'elle a eu le temps de sortir. J'ai réussi à ramener autant de monde que possible, mais j'ai l'impression que ce n'est pas assez.

— Prenez mon fils ! implora une femme qui se jeta aux pieds de Sliverth. Je vous en supplie.

De grosses larmes coulaient sur ses joues et se transformaient en diamants en atterrissant sur le sol. Elle portait à bout de bras un petit bébé dont la peau transparente ressemblait à une pierre précieuse.

— C'est la folie ici, expliqua Charlie, je dois continuer d'aider ces personnes parce que si Lilith entre, la reine risque de déclencher — elle murmura ses derniers mots pour ne pas provoquer davantage de panique — le protocole zéro

— Justement, j'ai une solution pour éviter tout ça, dit-il. Nous avons eu une idée, intervint Janus. Oui, pardon, nous avons eu une idée. Lilith ne peut pas être tuée et il n'y a plus personne d'assez puissant pour l'enfermer à nouveau, mais nous ne pouvons pas non plus fuir indéfiniment. Donc je, enfin, nous nous sommes souvenus de la poupée de bois dans notre magasin. Nous avons failli la vendre, mais la personne s'est désistée. Bref, si nous réussissons à approcher la mère des démons d'assez près alors nous pouvons peut-être l'arrêter.

— C'est une brillante idée. Il faut tout de suite que tu ailles récupérer cette poupée et que tu la donnes à Helja. C'est la seule personne assez forte pour y arriver.

— Je pensais que... comment dire ? Oh nous n'avons pas toute la journée, reprit Janus. Charlie, mon fils veut que tu l'accompagnes parce que tu lui plais beaucoup donc maintenant les enfants, si nous pouvons vite aller chercher la Matriochka avant qu'un démon ne nous tue.

Charlie et Tiguil avaient les joues roses et aucun d'eux ne parla. La petite fille brandit alors son bâton et acquiesça.

— Sliverth ! appela-t-elle.

La femme tourna une tête vers elle, l'autre regardant toujours la foule s'amasser contre la voute afin de disparaitre dans la spirale mauve.

— Je vais donner un coup de main à Tiguil, il a une idée pour arrêter Lilith.

— Vas-y. Si vous avez un moyen pour nous éviter à tous de mourir, faites-le. Je me débrouillerai avec eux quand nous serons dehors.

— Tiens, prends ça, au cas où, ajouta-telle en lui tendant les potions qu'Ardha lui avait confiées. Et si jamais je ne reviens pas, parle au prince de ma part, il vous aidera à vous cacher. Pour une fois, ce pays à quelqu'un de bien à sa tête.

Elles se saluèrent poliment, ne sachant pas si elles se reverraient un jour, puis Charlie partit en courant, le jeune homme à ses côtés.

***

La ligne de sang serpentait sur le sol de terre, passant sous le pied nu d'une femme au visage en diamant maculé et aux yeux d'un rouge vif. Autour d'elles, quelques gémissements, quelques plaintes, mais surtout, le lourd silence de la mort.

Lilith s'avança et admira un petit homme barbu dans un état pitoyable. Il lui manquait un œil et un bras et sa tête était tellement meurtrie qu'il en devenait méconnaissable. Ses courtes jambes remuaient légèrement, mais pas assez pour l'aider à se relever et à fuir son destin.

Elle le dévisagea pendant de longues minutes, sourire aux lèvres. Elle se baissa alors et caressa d'une main délicate le visage de sa victime qui cracha une giclée rouge avant de lâcher dans un râle abominable :

— Vous n'arriverez ja... jamais à entrer.

— Oh, mais je viens juste d'y arriver, gloussa la mère des démons.

— Les êtres ma... magiques se défendront... jusqu'au bout ! aboya-t-il, toussant une nouvelle gerbe de sang.

— J'ai bien peur que le temps des êtres magiques soit terminé et malheureusement pour toi, tu ne seras pas là pour assister à la chute de ton peuple.

Puis Lilith planta ses doigts dans le corps de Kimgi, passant son armure, sa peau et ses os comme s'il s'agissait de beurre. En un mouvement sec, elle en sortit le cœur du petit homme qui continua de battre encore quelques secondes.

La mère des démons se releva, jeta l'organe qui roula pour percuter un autre cadavre, puis regarda aux alentours. Dans la grotte éclairée par des torches collées aux murs, ses enfants exécutaient les derniers survivants un à un alors que son allié attendait devant la porte, le regard porté sur le bois lisse et attendant de continuer.

— Mes fils et mes filles ! appela-t-elle. Il est maintenant temps d'envahir cette ville.

Dolos s'avança et demanda :

— Qu'elles sont vos ordres mère ?

Lilith ne répondit pas tout de suite, comme si elle réfléchissait. Enfin, elle déclara :

— Vous tuerez tous ceux que vous trouverez dans cette cité. Peu importe qui, hommes, femmes ou enfants, je ne veux plus un seul être magique en vie. Aussi, je veux cette sorcière et cette gamine pour moi, interdiction d'y toucher. Ou du moins, laissez-moi le plaisir d'en terminer avec elles.

— Bien mère, assura l'homme

Lilith avança vers la grande porte de bois. Quand elle posa sa main sur la poignet, cette dernière se mit à chauffer et à fumer. Regardant sa paume, elle vit des cloques rouges grossir et exploser en un instant.

— S'ils pensent que c'est ce genre de sortilège qui va m'arrêter, ria-t-elle, se secouant afin de soigner sa blessure.

Elle s'éloigna de quelques pas et d'un simple mouvement de tête, elle ordonna à ses démons de se jeter sur la porte. À chaque fois qu'ils rentraient en contact avec, ce fut comme s'ils s'étaient collés à du fer chauffé à blanc, mais tous y retournaient, frappant de leur épaule avec le plus d'élan possible. Pendant ce temps, les derniers démons arrivaient, ayant exécuté les derniers êtres magiques présents dans la salle.

Ils étaient plus nombreux à tenter de briser l'entrée. Ils se frappait contre le bois sans relâche. Y retournant encore. Encore. Encore.

Et elle se fissura avant de tomber de ses gonds. Alors, l'obscurité attendait derrière.

Franchissant le rideau de nuit, Lilith se retrouva dans une salle identique à la première, aux murs, sol et plafond constitués de roche et éclairés par des torches. Mais cette fois, tout au bout se trouvait une porte de fer qui donnait sur une sorte de cage. Quelques miliciens de la reine patientaient devant, la main sur leur arme, ainsi qu'une grande femme aux oreilles pointue.

Lilith se moqua de cette seconde sécurité qu'elle jugea plus que minime. N'y avait-il plus de combattants ? Etaient-ils déjà tous mort en défendant le premier point de passage ? Puis, après quelques instants de réflexion, elle trouva cela suspect. Ils se situaient probablement dans la dernière pièce avant d'atteindre le cœur de la ville, pourquoi n'y avait-il pas plus de gardes ? Par prudence, la femme se tourna vers un de ses démons.

Sans avoir besoin de lui parler, celui-ci comprit ce qu'il devait accomplir. L'homme, qui arborait une peau brûlée jusqu'à l'os, marcha droit vers les miliciens, les mains dégoulinantes de sang. Il avançait de plus en plus vite. De plus en plus sûr de lui. Prêt à tout pour sa mère. Et il explosa d'un coup, ses organes retapissant la salle.

Face à elle, la femme souriait. Mais pas pour longtemps songea Lilith qui s'approcha, seule, ses enfants et la personne à capuche attendant dans son dos. Elle fit quelques pas puis s'arrêta à la limite du sort. Elle pouvait deviner la magie vibrer dans l'air, forte et redoutable.

Elle tendit son bras et sa chair se mit à se déchirer en lambeaux, s'envolant dans le ciel et laissant rapidement apparaître les muscles puis les os. Elle s'éloigna avant de perdre son membre qui se reconstitua en un instant.

— Vous ne pourrez pas passer ! cria Sylfi. Alors partez maintenant !

— Vous croyez ça, sourit Lilith.

Elle posa ses mains sur un mur invisible à l'œil nu, mais qu'elle pouvait sentir sous sa peau. Elle poussa dessus, l'écarta, puisa au fin fond de son énergie. De l'autre côté, la guerrière aux oreilles pointues semblait mal à l'aise, attrapant l'arc qu'elle avait dans le dos.

Cela ne prit pas plus de cinq minutes pour faire disparaître en poussière le sortilège de protection et quand cette fois Lilith s'avança, il ne se passa absolument rien. Les démons, toujours plus nombreux, commencèrent à la rejoindre au moment où Sylfi hurla :

— Sorcières, à vous !

Une vingtaine de femmes tombèrent du plafond, tels des fauves bondissant sur leur proie. Elles jetèrent enchantements et potions, la pièce se transformant rapidement en champs de bataille, leurs adversaires n'ayant rien vu venir. Ils répliquèrent, mais plusieurs d'entre eux mourraient sous la puissante magie mise en œuvre.

Shcalk ! Polma ! Kavob ! Kesyr ! Zapsak !

Malheureusement pour les sorcières, certains de leurs maléfices ricochaient sur les armures d'or qu'équipaient quelques démons. Ainsi, une sphère lumineuse frappa un homme dans l'épaule avant de foncer droit sur celle qui l'avait lancée, la changeant en limace qui termina piétinée par la foule.

Un couteau fendit l'air et passa juste à côté de Lilith qui se saisit du poignet de la femme. Elle lui retourna le bras avant de la balancer à travers la salle, son dos explosant sous l'impact avec le mur. À côté, son allié arrachait la tête d'une sorcière d'un simple sort et bientôt, toutes succombèrent.

Une flèche effleura la joue de la mère des démons qui l'attrapa en plein vole.

— Raté ! dit-elle avant de la jeter dans le cou de Sylfi qui s'écroula.

Les démons ne firent qu'une bouchée des miliciens et alors, l'accès à la ville souterraine se présentait à eux.

Tous se mirent à courir, se laissant tomber le long du tunnel vertical. Seuls Dolos et la personne à la capuche restèrent en compagnie de Lilith, attendant le moment opportun pour se joindre au combat.

— Allez-y mes enfants ! Tuez-les tous ! Faites-vous plaisir et surtout, je ne veux aucun survivant.

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