Chapitre 7 (partie 2/2) - Révéler


Helja courait à perdre haleine, ses poumons brûlant alors qu'elle s'éloignait de la meute en furie. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, et chacun de ses battements semblaient amplifier le vertige qui la saisissait progressivement. Elle se maudissait de devoir fuir, de ne pas pouvoir affronter ces simples villageois, mais dans l'immédiat, c'était le seul moyen pour elle de rester en vie. Dès lors qu'elle atteindrait la sortie de la cité, elle sauterait sur un cheval et galoperait jusqu'à chez elle.

Mais tout ne se passa pas comme prévu. À l'entrée, un groupe l'attendait, les chevaux avaient mystérieusement disparu et la diligence voisine gisait complètement renversée. N'ayant aucune intention de perdre son avance, elle s'engouffra dans une étroite ruelle qui serpentait entre deux imposantes bâtisses. C'est alors qu'elle se retrouva nez à nez avec Charlie, son visage et sa robe laiteuse toujours maculés de suie.

— Cache-toi là, ordonna-t-elle, la main tenant le couvercle d'un vieux tonneau.

— Quoi ? Non !

— Dépêche-toi si tu ne veux pas qu'ils te rattrapent, insista-t-elle

La sorcière hésita un bref instant, puis acquiesça silencieusement. Elle se glissa à l'intérieur du fût vide, qui la plongea rapidement dans le noir.

Essayant de faire le moins de bruit possible, elle resta aux aguets, l'oreille tendue pour écouter ce qui se déroulait à l'extérieur, juste à côté d'elle. Au début, tout paraissait calme puis le vacarme que produisaient tous les habitants se répercuta en échos entre les murs du passage.

— Elle est partie par là ! cria Charlie qui s'était soudainement mise à pleurer.

— Est-ce que ça va petite ? demanda le boucher.

— Non, elle... elle m'a poussée, répondit la fillette qui avait un timbre de voix encore plus enfantin qu'à la normale. La méchante sorcière m'a poussée, répéta-t-elle avant de fondre totalement en larme.

— Ça va aller, reste-la, nous allons la retrouver rapidement. L'entrée de la ville est gardée, elle ne pourra plus te faire de mal.

— Merci monsieur, hoqueta-t-elle en reniflant.

— Suivez-moi vous autres ! ordonna l'homme avant qu'un nouveau vacarme ne fasse trembler le tonneau.

Une fois la ruelle plongée dans le silence, un bruit résonna juste au-dessus de la tête d'Helja puis Charlie lui posa un ultimatum :

— Si tu souhaites sortir d'ici, laisse-moi venir avec toi.

— Quoi ? s'emporta la sorcière.

Elle tenta alors de s'échapper du fût, mais il était bloqué.

— Tu as très bien compris. Apparemment, tu n'es plus assez forte pour utiliser ta magie, sinon tu n'aurais pas fui devant tous ces gens. Donc, si tu ne veux pas que je leur dise où tu es et si tu ne veux pas rester coincée là pendant plusieurs heures, donne-moi ta parole que tu me laisseras t'accompagner.

— Il est hors de question que j'accepte, s'entêta Helja qui essayait toujours de forcer sur le couvercle, en vain.

— Bon, je vais les appeler alors !

— Non, c'est d'accord. Tu peux venir avec moi, céda Helja.

— Je veux t'entendre dire que tu me le promets.

— Laisse-moi sortir maintenant !

— Promets-le-moi !

— Bien ! Je te promets de te laisser m'accompagner pour venger le meurtre de ton père. Mais je promets aussi que si tu trouves la mort dans cette vengeance, je ne manquerai pas de te dire que je t'avais prévenue.

— Ce n'était pas si difficile, soupira Charlie, soulagée.

De nouveau, un grondement sourd résonna au-dessus d'elle, suivi d'un fracas étourdissant à ses côtés. Un rayon de lumière transperça le tonneau lorsque Charlie l'ouvrit enfin pour lui permettre de s'échapper. La fillette affichait une mine ravie.

— Tu vois que tu avais besoin de moi, lança-t-elle.

Mais, remontée et sous le coup de la colère, Helja attrapa la gamine par le cou et la plaqua violemment contre le mur, plongeant son regard brulant de rage dans le sien. Elle n'appuyait pas assez fort pour l'empêcher de respirer, mais quand même assez pour lui faire mal.

— Ne me fais plus jamais un coup comme ça, compris !

— Oui, réussit à répondre la petite fille qui arrivait à peine à déglutir. Lâche-moi s'il te plaît.

Helja ne discuta pas. Elle se contenta de la dévisager pendant plusieurs longues secondes, réfléchissant à vive allure. Elle aurait très bien pu partir et la laisser là, malgré sa promesse. Ça ne serait pas la première fois qu'elle ne respecte pas ce qu'elle avait juré de faire. Mais, elle ne savait pas trop pourquoi, cette fois, elle accorda plus de crédit à ses paroles. Alors, elle libéra Charlie et l'avertit :

— Si tu m'accompagnes, tu te soumettras à toutes mes règles, sans jamais poser de question.

La fillette acquiesça, se frottant doucement la trachée.

— Je ne suis pas gentille et ma vie n'est pas de tout repos, surtout avec ce que le roi vient de faire. Tenter de le tuer va nous faire prendre d'énormes risques, tu en as conscience j'espère.

Une nouvelle fois, elle approuva d'un signe de tête.

— Bien, es-tu sûre de vouloir me suivre ?

Charlie fixa Helja droit dans les yeux.

— Oui, j'en suis sûre.

Elles se jugeaient l'une l'autre, aucune d'elles ne désirant détourner le regard.

— Bien, tu auras été prévenue.

La sorcière marqua une pause puis :

— Tu joues bien la comédie, mais peut-être que tu n'étais pas obligée de leur dire que je t'avais poussée.

— C'était pour ajouter plus de crédibilité à mon personnage, rétorqua Charlie.

— Comment as-tu fait pour arriver aussi vite ici ?

— Les gens sont prêts à tout pour une petite orpheline perdue tu sais. Je n'ai eu qu'à verser quelques larmes et voilà. Comment sort-on de la ville maintenant ?

— Par l'entrée. Il n'y a pas grand monde qui la garde. Je n'ai peut-être plus d'énergie pour recourir à ma magie, mais je peux encore me battre. Et sans cette foule qui me court après, j'aurais largement le temps de les éliminer pour passer.

Helja avança jusqu'au bord de la ruelle et examina les quatre hommes postés sous l'arche. Trois d'entre eux faisaient les cent pas, arme à la main. Ils scrutaient les environs alors que le dernier s'amusait avec sa lame. On entendait plus la horde d'habitants qui devait maintenant être à l'autre bout de la ville. Quand ils se rendraient compte de la supercherie, elle serait bien loin.

— Bien, attends-moi là ! ordonna la sorcière. Dès que la voie est libre, rejoins-moi.

— D'accord, mais s'il te plaît, essaie de ne pas les tuer, sermonna Charlie. Ils ont tout simplement peur de toi, ils ne méritent pas de mourir pour ça.

— Ici, c'est moi qui commande, tu as déjà oublié ?

Elle avança de quelques mètres, se demandant si elle avait bien fait d'accepter d'embarquer la petite fille avec elle. Charlie osait lui faire des suggestions. Quelle était la prochaine étape ? Défier son autorité ?

Mais elle n'eut pas le temps d'y réfléchir mûrement, on l'avait repérée. Les trois premiers se mirent à courir vers elle, l'arme levée. Le dernier trébucha dans la précipitation.

Helja para le premier coup en agrippant le poignet de l'homme. L'écrasant aussi fort qu'elle le pouvait, elle sentit les os se briser. L'innocent lâcha alors la machette en hurlant. Un deuxième tenta de l'attaquer sur le côté, mais avec une rapidité déconcertante, elle lui donna un coup de pied au niveau du ventre, toujours en tenant l'articulation du premier. Il s'écroula, le souffle coupé, tandis que le troisième voulut saisir l'arme sur le sol. Avec beaucoup de force, elle jeta le premier sur le dernier qui vacilla, la main tendue vers la lame.

La sorcière se baissa pour la ramasser et fit volte-face, le regard rivé sur l'homme qui venait d'arriver, les jambes tremblantes. Il ne devait pas avoir plus de dix-sept cycles et arborait encore un visage très enfantin, constellé de boutons et de taches de rousseur, de grandes cernes lui tombant jusqu'au bas des joues. Un sourire glacial s'étira sur les lèvres d'Helja, tandis qu'un éclat malicieux brillait dans ses yeux. Elle jubilait. D'un ton froid, elle aboya :

— Bouh !

L'adolescent partit en courant sans même essayer de l'attaquer, laissant derrière lui son arme.

Scrutant les trois inconnus à terre, l'un les mains sur l'estomac, l'autre sur son poignet brisé et le dernier sur sa plaie ouverte à la tête, Helja glissa le bout de la lame vers le front du premier à sa portée. Ces hommes comptaient l'arrêter et la livrer au roi pour qu'il l'exécute pour un crime qu'elle n'avait même pas commis. Tous les habitants de ce village l'avaient jugé coupable, sans procès. Il devait payer le prix de leur erreur.

Levant le bras et serrant fermement le manche de l'arme, Helja s'apprêta à le planter quand Charlie cria :

— Non, tu avais promis de simplement les assommer.

— Je ne t'ai rien promis ! beugla Helja. Eux m'auraient donné à Gargoth. Ils n'auraient pas hésité à me faire tuer alors je ne vois pas pourquoi je devrais les laisser vivre.

— Parce que tu n'es pas comme eux. Ils sont juste effrayés par ce que tu représentes. Maintenant, partons.

Lorsque Charlie fut assez proche, Helja remarqua qu'elle semblait calme et à l'inverse des autres, son regard ne reflétait aucune trace de peur, mais plutôt une détermination sans faille.

L'homme, dont le front saignait abondamment, se redressa brusquement, attrapa la petite fille par le cou et hurla qu'il avait retrouvé la sorcière. Sans la moindre réticence, Helja lança sa machette, dont le tranchant siffla dans l'air, frôla le visage de Charlie à quelques centimètres seulement, pour finalement s'enfoncer dans l'œil de l'inconnu qui s'effondra. Un cri de terreur jaillit des lèvres de la fillette, tandis que ses yeux s'ouvrirent en grand sous la violence brutale de cet acte.

— Voilà pourquoi je dois les tuer ! critiqua-t-elle avant de quitter les lieux. Et ne m'ordonne plus jamais quoi que ce soit. Jamais !

Les bruits de la foule du village s'approchaient déjà. Charlie examina attentivement la femme et l'homme décédés à ses pieds, son visage dissimulant ses émotions dans un voile impénétrable, avant de prendre la décision de quitter la ville.

Il fallait plusieurs heures de marche pour rejoindre la prairie où était dissimulée la maison d'Helja. Plusieurs heures durant lesquelles ni elle ni Charlie n'avaient prononcé un mot. La petite fille avait bien tenté de commencer la conversation, mais le regard glacial de la sorcière l'avait dissuadé d'ouvrir la bouche.

Le soir était tombé et alors qu'elles arrivaient, Helja posa une main devant la fillette. Au loin, un feu brûlait.

— Ce n'est pas normal, marmonna-t-elle.

— Quoi ? demanda Charlie.

Mais Helja ne répondit pas. Elle avança prudemment, à l'abri des arbres, en essayant de faire le moins de bruit possible.

C'est alors qu'elle découvrit avec effroi sa maison en proie aux flammes. L'incendie avait tout ravagé et le toit de la magnifique bâtisse avait déjà cédé. L'un des conduits de cheminée s'était écroulé sur le puits. Une pluie de braises s'abattaient sur les plantes. L'affreuse girouette avait également succombé, plantée à l'envers dans le sol, cramant dans d'horribles éclats rougeoyants.

Des voix s'élevèrent et alors Helja aperçut plusieurs diligences. De nombreux gardes de la cour royale dans leur armure de métal bleu et jaune attendaient ainsi que Dolos et le souverain lui-même. Ne distinguant pas nettement ce qu'ils se disaient, Helja fit signe à Charlie de ne pas bouger avant de s'avancer le plus discrètement possible. Une fois assez proche, tous les détails de leurs conversations paraissaient beaucoup plus clairs :

— ... gardes qui sillonnent le pays, nous la retrouverons rapidement mon seigneur, expliquait Dolos.

— Bien, répondit Gargoth, il ne serait pas prudent que cette jeune sorcière commence à raconter ses histoires à qui veut bien l'entendre. Je souhaite que vous laissiez des hommes ici, au cas où elle reviendrait. Ce serait stupide de sa part, mais pourquoi pas, après tout, elle a déjà été assez sotte pour nous faire confiance.

Ils se mirent à rire, ce qui énerva davantage Helja. Elle n'avait plus d'armes, plus de magie, mais elle pouvait encore les tuer à main nue. Elle se leva quand quelque chose remua à l'intérieur des décombres de la maison.

Une silhouette mystérieuse, drapée dans un long manteau rapiécé, se dessina sous la lueur des flammes, son visage caché par l'ombre d'une capuche.

— Vous l'avez trouvé ? demanda Gargoth qui s'était soudainement calmé.

L'inconnu tendit un des grimoires d'Helja qu'il venait de sauver de l'incendie, mais avec la distance, la sorcière n'arriva pas à distinguer de quel manuscrit il s'agissait.

— Parfait, nous pouvons donc rentrer au château. Un voyage inconfortable nous attend jusque Burdig demain.

La personne à capuche entra dans la diligence sans dire un mot, suivi immédiatement du roi. Helja s'approcha un peu plus, mais une branche craqua sous son pied. Les yeux de Dolos se fixèrent sur les buissons, son regard cherchant à déceler la présence dissimulée.

Pendant quelques secondes, elle fut persuadée qu'il l'avait vue parmi la végétation. Le petit homme parla doucement à un garde avant de monter à son tour dans le véhicule. Tout le monde reprit la route sauf un groupe qui resta pour garder l'habitation partie en fumée.

— C'est fini, la prévint une voix à côté d'elle dans un murmure à peine audible.

Helja baissa la tête et aperçut Bastet, son grand chat noir. Elle lui fit signe de le suivre et tous deux allèrent rejoindre Charlie qui n'avait toujours pas bougé et semblait très inquiète. La maison en flammes devait lui rappeler la sienne dans laquelle son père était mort la veille. Et alors qu'Helja pensait la voir s'effondrer, pleurer et hurler, un masque lui tomba sur le visage et elle changea totalement d'expression, affichant un sourire dur et figé ainsi qu'un regard plein de détermination.

Sûre d'être assez éloignée pour ne pas être entendue, Helja se tourna vers Bastet et lui demanda :

— Que s'est-il passé ? sa voix tremblait de colère. Comment ont-ils fait pour franchir le sort de dissimulation ? C'est impossible sans le collier.

— C'est cet inconnu sous la capuche, répondit Bastet

Charlie le dévisagea avec de grands yeux ronds, étonnée de découvrir un chat qui parle. Personne ne fit attention à elle et l'animal poursuivit :

— Je me reposais tranquillement au deuxième étage quand la girouette a sonné l'alerte. Au moment où je suis descendu, je les ai vu entrer un à un, sans l'aide du bijou. Je ne sais pas qui est cette personne, mais elle a l'air dotée de puissants pouvoirs. J'ai eu tout juste le temps de partir avant qu'ils ne s'engouffrent dans la maison et qu'ils ne se mettent à fouiller. D'ailleurs, où étais-tu ? Cela fait des jours que j'attends de tes nouvelles, j'étais presque... inquiet.

— C'est beaucoup trop long à expliquer, répondit Helja, mais Gargoth m'a trahie. Il a voulu me tuer et maintenant il brûle ma demeure.

De la fumée semblait sortir des narines de la sorcière et son visage avait pris une teinte encore plus rouge qu'une tomate. Une affreuse colère bouillonnait en elle.

— Je jure, continua-t-elle, je jure que je n'aurai pas de répit tant qu'il ne sera pas mort.

— Moi aussi, ajouta alors Charlie, que Bastet fixa comme si elle venait d'apparaître.

— Et qui est-elle ? demanda le chat noir.

— Le roi a fait assassiner mon père ! s'exclama la fillette avant même qu'Helja ait pu ouvrir la bouche. Et la sorcière a accepté que je l'aide pour que je puisse moi aussi me venger.

Sa voix était teintée d'une rage contenue.

Bastet regarda successivement la jeune fille et Helja puis s'arrêta sur cette dernière qui avait désormais les poings tellement serrés que ses ongles s'enfonçaient dans la paume de sa main et laissaient couler quelques gouttes de sang.

— Tu as perdu la tête ? déclara-t-il. Cette gamine ne doit pas avoir plus de dix cycles et...

— J'en ai treize, coupa Charlie.

— Peu importe, tu es une enfant, c'est beaucoup trop dangereux pour toi, tu risques ta vie, comprends-tu ?

— Et tu penses que je n'ai pas essayé de l'en dissuader ? répondit violemment Helja. Tu crois que l'avoir dans mes jambes ça me plaît ? elle commençait à présent à crier. Mais elle aussi a le droit à sa vengeance alors si c'est ce qu'elle veut, je ne peux pas l'en empêcher.

— Baisse d'un ton s'il te plaît, l'intima Bastet, les gardes pourraient nous entendre.

Helja tourna la tête, mais personne n'approchait.

— Bon, que fait-on maintenant ? demanda Charlie.

— Nous allons suivre le roi jusqu'à Burdig, je sais où ils se rendent !

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