Chapitre 7 (partie 1/2) - Révéler
64e jour de la période du croissant de lune — 1338
Aciveni vur [asiveni vur] = Révéler
Les flammes dansantes s'élevaient jusqu'à lécher le ciel obscur. Elles projetaient une lueur rougeoyante en plein cœur de la forêt, illuminant les environs comme en plein jour.
Les yeux rivés sur la lune sans vraiment savoir depuis combien de temps elle se trouvait là, Helja revivait les évènements de la nuit en vitesse accélérée. Elle les revoyait avec une incroyable précision et se demandait encore comment les gardes du roi avaient pu la retrouver ici. Avaient-ils aperçu Edmond récupérer son corps dans la décharge ?
La vision de l'homme mort hantait ses pensées, refusant de s'effacer de sa mémoire. Impossible pour elle. La sorcière ne se souvenait que trop bien de son regard résigné, sa main dans celle de sa fille, sachant très bien qu'il la contemplait pour la dernière fois. Parmi le bruit du crépitement du bois en proie au feu Helja pouvait entendre les appels incessants de Charlie envers son père. Sa voix était brisée, cassée par des pleurs qui déchiraient le cœur de la jeune femme.
Elle ne pouvait rester éternellement à l'écouter demander un parent qui ne sortirait jamais des décombres. Helja sentait l'urgence grandir en elle. Elle devait retourner chez elle au plus vite et trouver un moyen de réparer ce qui pouvait encore l'être avant qu'il ne soit trop tard.
Alors qu'elle se levait pour s'enfoncer dans la sombre forêt, Charlie lui cria dessus :
— Attends ! Où tu vas ?
De grosses larmes coulaient toujours sur ses joues, mais la tristesse avait laissé place à la colère.
— C'est de ta faute s'il est mort. Ta faute ! Jamais il n'aurait dû t'emmener chez nous.
— Non, il n'aurait jamais dû. Mais le véritable coupable c'est ce garde qui tenait l'épée et qui a obéi aux ordres du roi. Maintenant, je dois tous aller les tuer.
— Et moi ? Qu'est-ce que je fais ? Je n'ai nulle par où aller sans mon... et elle se remit à pleurer, tombant à genoux le visage enfoui dans ses petites mains.
Helja ne savait pas comment réagir. Une part d'elle, celle qu'elle détestait au plus haut point, voulait rester auprès de cette gamine et l'aider, lui chercher un nouveau foyer ou du moins, un abri. Ce serait la moindre des choses qu'elle pouvait faire.
Mais l'autre part, celle qu'elle s'entraînait à rendre unique, lui intimait de partir. Peu importe, cette enfant survivrait. Elle-même avait perdu ses parents et pourtant, elle avait réussi à continuer de vivre. Helja avait une mission et rien ne devait l'entraver ou bien la ralentir. Charlie trouverait un moyen de s'en sortir, elle en était sûre. Et quand bien même, elle n'était pas sous sa responsabilité.
Aussi, sans dire un mot, elle reprit sa route. Des bruits de pas la poursuivirent et une main agrippa son bras, l'arrêtant net. Par réflexe, elle se retourna violemment et donna un coup dans la poitrine de la fillette qui tomba à terre, le souffle coupé.
— Désolée, s'excusa-t-elle, juste, ne m'approche pas !
Charlie, la respiration haletante, se releva difficilement.
— Je veux venir avec toi.
— Quoi ? demanda Helja, surprise.
— Laisse-moi t'aider, expliqua Charlie dont les larmes avaient cessé de couler.
— Alors là, il en est hors de question, répondit-elle avant de lui tourner le dos et d'avancer.
Encore une fois, au risque de se prendre un nouveau coup, Charlie lui agrippa le poignet avec une force qu'elle ne lui soupçonnait pas.
— Mon père est mort par ta faute, tu me dois au moins ça ! Laisse-moi le venger. Je ne pourrais jamais y arriver sans toi.
Helja éclata de rire, le son de sa voix couvrant presque le bruit de l'incendie. Mais, lorsqu'elle posa ses yeux sur la gamine, elle nota que quelque chose avait changé. Charlie n'affichait plus ce regard empli de chagrin de l'orpheline qu'elle était devenue. Une lueur de rage brillait en elle. Ses traits déjà bien marqués par une énorme fatigue semblaient d'autant plus accentués par sa mâchoire serrée.
— Hors de question, tu me ralentirais. Et puis, je n'aime pas les enfants. Je suis navrée pour ton père, c'était un homme bien, mais il lui est arrivé ce qui arrive à tous les gens biens dans ce pays. Il est mort. Maintenant, va voir de la famille, des amis, peu importe, je m'en fous, mais ne reste pas avec moi si tu veux vivre. Ma vie n'est pas faite pour devenir la tienne.
Un voile de déception se posa sur le visage de Charlie qui relâcha la main d'Helja. Et alors que la sorcière continuait d'avancer, elle entendit au loin la fillette crier :
— Je tuerai le roi. Crois-moi, je réussirai !
Sa voix se perdit dans la nuit.
Helja marcha pendant des heures, ses pas s'enfonçant dans le sol caillouteux. Quand le soleil fit enfin son apparition à l'horizon, elle tomba sur un sentier dérobé. Suivant les indications des panneaux, elle prit la direction de Losa, un minuscule hameau entre Isla et chez elle. Là-bas, elle pourrait voler un cheval pour ne pas devoir finir la route à pied.
Le chemin était constitué de terre et de roches si bien que chacun de ses pas résonnait dans le silence de l'aube. Mais elle n'était pas la seule à emprunter cette direction, quelqu'un venait derrière elle. Pourtant, quand elle se retourna, la sorcière ne vit personne. Elle ne distingua que la laie, les sapins qui la bordaient et un couple de petits lapins.
De nouveaux bruits dans son dos attirèrent son attention et cette fois, Helja aperçut une charrette avancer vers elle. Un homme, qui portait un grand chapeau, se trouvait au commande d'une embarcation de deux chevaux qui tiraient une remorque remplie de caisses en bois. À ses côtés, une femme aux cheveux bouclés et habillée en salopette était en train de lire une carte.
Quand ils s'approchèrent, elle leva le bras et alors l'inconnu arrêta le convoi à sa hauteur. Il tourna sa tête ridée vers elle et lui demanda :
— Je peux vous aider ?
— Oui, répondit Helja, je suis perdue en fait. Vers où se situe Cularos ?
— Et bien vous êtes dans la bonne direction, il vous suffit de... qu'est-ce qu'il y a chérie ? Il s'était retourné vers sa conjointe qui avait lâché un drôle de bruit et avait de grands yeux ronds fixés sur la sorcière.
— C'est... c'est... He... Hel...
Apparemment, elle avait reconnu Helja, mais n'arrivait plus à parler, trop effrayée.
L'homme reporta son attention de nouveau sur la jeune femme qu'il dévisageait désormais. Il l'avait également reconnu.
Helja ne pouvait plus attendre pour agir. Sans ses poignards, elle n'était pas désarmée pour autant. Et voler cette charrette à ces pauvres humains serait aussi facile que d'arracher les ailes d'une petite fée.
La sorcière bondit sur le banc où étaient assises les deux personnes. L'homme essaya de la frapper, mais elle lui bloqua le poing avec la main. Lui retournant le poignet, elle le fit basculer par-dessus bord. Son gros corps tomba dans un bruit mou sur le sol.
La femme hurla à pleins poumons, sa voix encore plus stridente qu'un couteau. Lorsque Helja se tourna vers elle, l'innocente n'osait plus bouger, beaucoup trop apeurée. Elle l'agrippa alors par les épaules et la jeta au côté de son mari.
Attrapant les rênes, Helja ordonna aux étalons de faire demi-tour et de galoper, laissant leurs ex-propriétaires sur le bord de la route. Le temps qu'ils retrouvent la population, la sorcière serait bien loin et même s'ils allaient voir la garde royale pour se plaindre, ils la recherchaient déjà pour avoir voulu tuer le souverain. Une nouvelle accusation à son encontre était bien le cadet de ses soucis.
Avant de détourner le regard, Helja scruta une dernière fois l'horizon, où les deux silhouettes se réduisaient à de minuscules points noirs, s'estompant lentement. C'est alors qu'elle distingua une touffe sombre dépasser de derrière une des caisses. En tirant d'un coup sec, elle fit arrêter les chevaux puis se retourna :
— Je savais bien que je t'avais entendue, dit-elle avant d'ajouter, montre-toi !
Doucement, la crinière de cheveux se souleva laissant apparaître le visage toujours couvert de suie de Charlie.
— Je t'ai déjà dit que je n'ai pas besoin de toi. Sors d'ici !
— Mais je n'ai personne. Je ne sais pas où aller, confessa-t-elle. Et je peux me rendre utile. Regarde, j'ai réussi à te suivre et à monter dans la charrette sans que tu ne me vois.
— C'est ça. Premièrement, je m'étais rendu compte que tu me pistais depuis un bon moment et puis si nous sommes en train de parler, c'est que je t'ai trouvé, non ? Descends maintenant.
— Mais...
— DESCENDS ! trancha Helja. Je n'ai pas besoin de toi, tu ne vas être qu'un boulet. Je suis désolée pour ton père, mais tu ne vas pas devenir mon fardeau désormais.
La petite fille baissa les yeux puis sauta hors de l'embarcation. Elle regarda ensuite le véhicule partir au loin jusqu'à ce qu'elle se retrouve seule sur le chemin.
Il fallut toute la journée à Helja pour rejoindre la ville de Cularos. Elle laissa les chevaux non loin de l'entrée avant d'ouvrir une caisse qui se trouvait dans la remorque, espérant tomber sur de la nourriture. Malheureusement, elle contenait toutes des manteaux en laine. Pas de quoi manger, ni même de pièces d'or pour pouvoir s'acheter quelque chose en ville.
Vidée de toute énergie après une nuit mouvementée sans dormir, un long voyage et avoir échappé à la mort de justesse, la jeune femme aspirait plus que tout à rentrer chez elle. Mais avant, elle devait récupérer le double de son collier pour pouvoir franchir le sortilège de dissimulation. Elle n'avait pas le courage ni le temps d'en fabriquer un nouveau et se félicita d'en avoir caché un deuxième au cas où elle perdait celui qu'elle portait toujours au cou.
Passant sous l'arche qui marquait l'entrée de Cularos, Helja avança directement vers la cabine où était posé le livre pour y écrire des demandes de missions. En y arrivant, outre les insultes taguées à la peinture, plusieurs affiches étaient collées dans tous les sens. De loin, la jeune femme ne pouvait voir de quoi il s'agissait, mais en s'approchant, elle comprit l'ampleur de la situation.
Elle arracha d'une main un papier jauni sur lequel un portrait peu flatteur d'elle était grossièrement dessiné, mais la ressemblance semblait tout de même évidente. Sa cicatrice sur sa lèvre supérieure était accentuée par les coups de crayon noir. Au-dessus, l'annonce disait : Cherche sorcière Helja pour tentative de régicide. Et juste en dessous, un message indiquait une somme de cent-mille pièces d'or offerte pour sa capture, morte ou vive. Apparemment, le roi et Dolos n'avaient pas tardé à répandre cette fausse accusation dans le pays. Il lui serait d'autant plus difficile de circuler qu'en temps normal.
Helja déchira le parchemin puis le jeta à terre avant d'entrer dans la cabine. Le carnet rouge était complètement détruit, toutes les pages lacérées et tachées d'encre, une partie ayant coulé pour former une énorme flaque sous ses pieds. Visiblement, les habitants du coin n'avaient plus besoin de ses services.
La sorcière ôta une des planches en bois puis, la main pointant un petit casier vide, elle puisa dans ses dernières ressources de magie :
— Aciveni vur !
Le sort de camouflage disparut comme si quelqu'un venait de souffler dessus et un collier semblable à l'autre apparut dans l'espace inoccupé. Helja s'en saisit et le mit aussitôt autour de son cou.
Lorsqu'elle sortit, une foule l'attendait. Certains tenaient des torches allumées, d'autres des fourches et quelques-uns, peu nombreux tout de même, étaient armés de machettes aussi grandes que des bras. Le boucher de la ville, celui-là même que la sorcière avait raillé il y a quelques jours, avait pris son gros couteau.
— Ce n'est pas un peu cliché les amis ? lança-t-elle d'un air nonchalant. Les machettes d'accord, mais les torches, vraiment ? La nuit n'est même pas encore tombée.
Helja regarda ce demi-cercle de personnes prêtes à lui sauter à la gorge, mais personne ne répondit. Un mélange de colère et de confusion s'insinua dans son cœur. Elle était déconcertée par le retournement soudain des villageois. Après tout ce qu'elle avait fait pour eux, les aider à se débarrasser de leurs fantômes et de leurs tourments, voilà qu'il se ruaient à sa poursuite comme des chasseurs de sorcières. Un accusation mensongère qui plus est.
— Bien, avertit-elle, à présent, je vais rentrer chez moi.
Le boucher s'avança d'un pas ferme, se détachant du groupe :
— Ne bouge pas sorcière !
— Et tu crois franchement que c'est toi qui vas m'en empêcher ?
— Les gardes du roi sont en chemin et tu finiras pendue sur la place publique, expliqua-t-il sur un ton de défi.
— Quand ils arriveront, je ne serai plus là.
— À mort la régicide ! fulmina une femme brandissant un bâton.
— À mort la sorcière ! renchérit une autre.
— N'oubliez pas que l'on doit conserver son corps pour les pièces d'or, aboya le boucher qui s'approchait un peu plus.
Helja, le bras tendu, cria :
— OTSTEK !
L'air vibra autour d'eux et expulsa l'homme en arrière. Il tomba lourdement sur le dos, obligeant la foule à reculer. Certains allèrent l'aider à se relever, mais la plupart gardaient les yeux rivés sur la sorcière.
— Je peux tous vous battre à moi seule. Avez-vous réellement envie d'essayer ?
Sa voix inspirait la peur, quelque chose qu'elle savait divinement faire, même quand elle mentait. Le sort qu'elle venait de lancer avait suffi à impressionner ce rassemblement, mais il n'avait pas été aussi brutal que la sorcière l'aurait voulu. Elle le sentait, son énergie était au plus bas. Si tout le monde l'attaquait en même temps, elle n'était pas certaine de s'en tirer. Pas tant qu'elle n'aurait pas retrouvé sa pleine puissance en tout cas. Elle devait donc remporter ce combat autrement.
La formule correctement prononcée, un claquement de doigts et une flamme se mit à danser dans la paume de sa main. Tous les habitants frissonnèrent et commencèrent à murmurer.
— Si vous vous approchez, je n'hériterai pas à tous vous cramer, compris ? Maintenant, laissez-moi passer.
Elle s'avança et une brèche se créa dans le cercle de villageois. Elle s'éloigna à pas feutrés, son regard ancré dans ceux qui la fixaient. Les battements frénétiques de son cœur résonnaient dans sa poitrine, provoquant une nausée tenace et son cerveau travaillait tellement qu'elle sentît le sol tanguer sous ses pieds.
Si seulement elle avait avec elle ses poignards, elle ne serait pas obligée de forcer autant sur son énergie. Contrairement à la magie, ils étaient des compagnons fidèles, jamais susceptibles de la trahir comme l'avait si bien souligné Médée.
Le corps bouillant, elle continuait de reculer en marche arrière. Les habitants ne bougeaient toujours pas. Le vent se souleva. Le feu dans sa main vacilla. Un léger retour de flammes, quelques dernières braises puis, plus rien.
Personne ne remua et on entendait que le bruit de toutes les respirations irrégulières. Puis, comme si le temps s'était remis en route, la foule fondit sur la sorcière, la contraignant à déguerpir.
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