Chapitre 5 (partie 2/2) - Ouvrir
Le lendemain, Helja s'éveilla à l'aube, bien avant que le soleil ne daigne se révéler. Sa nuit dehors n'avait pas été des plus reposantes, surtout après s'être battue, mais elle se réconforta à l'idée que dans quelques heures son immense lit l'accueillerait, toujours aussi moelleux. Et surtout, elle imagina les cinquante mille pièces d'or qui se rajouteraient aux cinq mille premières.
La jeune femme partit au galop au petit matin et arriva vite aux abords d'Isla. À ce moment de la journée, inutile pour elle de se couvrir le visage afin de passer inaperçue puisque les rues se trouvaient désertes. Elle n'eut pas non plus besoin d'attendre pour entrer dans la ville et après un rapide contrôle des gardes, elle s'en alla attacher son cheval qui retrouva ses compagnons des jours précédents.
Dans le cœur de la capitale, elle ne croisa personne hormis un groupe d'hommes et de femmes beaucoup trop ivres pour voir clair. Elle progressa vers le chemin constitué de pierres et de cailloux qui menait droit à la porte de service quand elle entendit des cris qui la firent se stopper net.
L'un des hommes de la bande qu'elle avait précédemment dépassée abandonnait ses amis et se précipitait vers elle.
— Et att... hic... et toi ! beugla-t-il avec le hoquet d'une dure soirée.
Helja reprit sa route, mais il la rattrapa et la força à se retourner une main sur son épaule.
— Tu n'es pas la sorcière Helja t... hic... oi ? essaya-t-il de dire.
Les yeux bruns de l'inconnu ne la regardaient pas vraiment en face.
— Non pas du tout.
Elle se détourna et continua d'avancer quand il l'agrippa une nouvelle fois et lui dit :
— Si c'est hic toi ! Du moins tu lui ress... aaaaarrh.
Helja venait de lui casser le bras.
— Je te répète que ce n'est pas moi, compris ! rétorqua-t-elle pleine de colère.
La colère roulait entre ses mot. Lorsqu'elle leva la tête, elle aperçut les amis du jeune homme la fixer au loin.
— Maintenant, rentre chez toi, conclut la sorcière avant de lui asséner un coup de pied dans l'entre-jambes.
Elle repartit vers la porte de service à laquelle elle frappa. Un garde ouvrit le petit carré au niveau de ses yeux puis, quand il distingua le visage d'Helja, il la laissa entrer. Ce matin, la cuisine apparaissait complètement déserte, personne pour préparer de quoi manger à son grand désarroi.
L'homme, celui-là même qui l'avait accueillie lors de sa première visite, la conduisit dans la cour et lui réitéra sa demande de remettre ses armes.
— Écoute mon vieux, on ne va pas encore avoir cette discussion ? J'ai ce que le roi voulait. Maintenant, s'il souhaite le récupérer, je garde mon poignard avec moi.
— Je suis désolé madame, répondit le garde un peu mal à l'aise, mais le souverain n'est pas seul et il est impératif que vous entriez le voir sans votre arsenal.
— Qui est avec lui ? interrogea Helja.
— Je ne peux pas vous le dire madame.
Helja hésita, puis fit mine de céder pour ne pas perdre plus de temps.
La sorcière confia alors un poignard tout en gardant soin de laisser dissimulé dans sa botte le petit canif qu'elle avait en cas d'urgence. Après les évènements qu'elle venait de vivre, il était toujours plus prudent de rester armée.
Le garde la remercia puis la mena dans une nouvelle partie de la demeure. Elle monta de nombreuses marches dans la plus haute tour de ce château avant que l'homme ne lui ouvre une grande porte en bois, ornée de fleurs en marbre.
La pièce s'étendait sur plusieurs mètres. Un tapis bleu et jaune était déployé jusqu'à l'énorme trône majestueux où était assis Gargoth. Des vitraux représentant la bataille des humains face aux créatures magiques constituaient l'entièreté du mur du fond. Ils coloraient les premiers rayons du soleil qui n'arrivaient pas encore au niveau d'Helja, si bien que le lieu semblait coupé en deux, avec une partie sombre et une partie claire.
La sorcière avança vers la lumière, passant entre tous les gardes en rang. Les cloisons étaient décorées de nombreuses toiles d'anciens rois et reines du pays. Plusieurs piédestaux en pierre blanche étaient disposés partout dans la pièce et sur chacun d'eux, un énorme vase était posé.
Au côté du souverain se tenait Dolos qu'Helja n'avait pas tout de suite remarqué. Mais à part lui, personne d'autre n'avait l'air de l'accompagner.
— On m'avait dit que vous étiez en compagnie de quelqu'un d'important, lança Helja.
— En effet, j'étais avec le seigneur de Kentex, mais il a dû regagner ses appartements. Veuillez m'excuser pour cette gêne occasionnée, je ne m'attendais pas à ce que vous arriviez si tôt ce matin. Je pensais que vous seriez arrivée hier déjà.
— J'ai eu quelques soucis, répondit Helja montrant les bleues sur son visage. Une bande de démons s'est attaquée à moi. Ils ont tué la femme avec qui j'avais rendez-vous.
— Par Lybova comme c'est affreux, déclara Gargoth. Je n'ose imaginer comment cela a dû être difficile de vous tirer d'affaire.
— On ne peut pas dire que je n'ai reçu aucun coup, mais j'ai l'habitude.
— Bien bien.
Il plana un silence gênant durant lequel la sorcière regarda les gardes qui ne cillaient pas. Puis, le roi se leva et demanda :
— Vous avez le colis ?
— Je l'ai avec moi.
Helja sortit le cylindre de son sac. Les yeux de Dolos et du souverain tardèrent dessus.
— Venez Helja, suivez-moi, lui intima ce dernier.
Il contourna son trône puis avança vers l'énorme fenêtre qui donnait sur l'autre côté de la ville.
— C'est magnifique n'est-ce pas ?
— Oui, répondit la sorcière sans véritablement penser que cette étendue de forêt soit réellement magnifique.
— Cette tour est tellement haute que nous nous trouvons au-dessus de la cime des arbres. J'adore ce sentiment. Me sentir supérieur au monde. Aux autres. C'est quelque chose de réconfortant et j'estime que vous êtes la plus à même de comprendre. Puis-je l'avoir ? ajouta-t-il enfin après une pause.
Sa main était tendue vers le cylindre. Helja lui remit et le regarda contempler le bois lisse et brillant au soleil.
La jeune femme attendit quelques instants avant de demander :
— Bien, maintenant que vous avez ce que vous voulez, à vous d'honorer votre part du contrat.
— Bien sûr, bien sûr, s'excusa Gargoth en rangeant le rouleau dans sa poche. Dolos, allez me chercher les pièces d'or !
— Oui monsieur, répondit celui-ci avant qu'une porte ne claque.
— Vous savez ce que contient ce cylindre, Helja ?
— Non, mentit cette dernière.
— Et désirez-vous le découvrir ?
— Peu importe, ce sont vos affaires désormais. Tout ce qui m'intéresse, c'est l'argent.
— Je comprends, vous êtes une sorcière, nous n'appartenons pas au même peuple.
Le roi ne regardait plus à travers la vitre, il semblait analyser les dessins qui y étaient gravés. Une représentation morbide et réaliste d'un passé maintenant fort lointain. Des cadavres d'êtres magiques par centaines qui jonchaient le sol et des humains marchant dessus, vaillants et arrogants, leur arme à la main. Dans le fond, on pouvait apercevoir les bateaux qui amenaient encore plus de soldats.
— Ce sont mes ancêtres qui ont réussi à conquérir ce continent.
— Je connais cette histoire, vous savez.
— Et je me dois de leur faire honneur, ajouta-t-il plus pour lui-même que pour Helja. C'est mon devoir de souverain.
Une lueur de fierté brillait dans ses yeux.
— C'est pourquoi j'ai besoin de ce cylindre, expliqua-t-il. Il mène vers une arme qui nous permettrait de remporter la bataille qui va bientôt avoir lieu. Après la prise de Gallia, les trois pays vivaient dans une parfaite harmonie, un parfait équilibre même. Mais cet équilibre est menacé. Le roi de Kentex me l'a encore confirmé ce matin. Skregel se prépare à nous attaquer pour voler nos ressources et notre armée, voler nos richesses et nos connaissances. Mais grâce à ça, nous pourrons gagner la guerre à coup sûr.
— C'est captivant, mentit une nouvelle fois Helja qui n'avait que faire de ce discours. Bon, je ne voudrais pas tarder, où est Dolos ?
— Le problème avec cette arme, c'est qu'elle a été dissimulée il y a fort longtemps par une puissante sorcière et, allez savoir pourquoi, seul votre sang permet d'ouvrir la boîte qui renferme la carte menant à sa cachette.
C'est alors qu'Helja sentit quelque chose se refermer autour de son poignet et une sensation de froid l'envahit, comme si l'on venait de lui jeter un seau d'eau glacé. Elle n'avait ni vu, ni entendu Dolos arriver.
Merde !
— Avec ceci nous sommes sûrs que vous n'allez pas user de votre magie contre nous.
Lorsque la jeune femme essaya de toucher le bracelet en or, celui-ci la brûla.
— Allez-y ! ordonna le roi.
Deux gardes l'attrapèrent par les épaules pour la forcer à s'agenouiller. Elle tenta de se relever, mais ils exerçaient une pression bien trop forte.
Dolos posa une jarre devant la sorcière avant de la regarder dans les yeux. Pourquoi avait-elle était trop négligente avec lui. Si elle n'avait pas été si arrogante, elle l'aurait vu venir.
L'homme offrit un couteau à Gargoth.
— D'habitude, je n'aime pas faire le sale boulot moi-même, mais on ne tue pas une sorcière tous les jours après tout.
Helja se débattait aussi fort qu'elle le pouvait, mais elle se retrouvait prise au piège. Le bras tendus vers ses bottes, elle ne parvint même pas à se saisir du canif.
— Hayti ! hurla-t-elle, la main vers son arme.
Mais rien ne se passa.
— Inutile, ricana Dolos, comme le roi vous l'a déjà expliqué, ce bracelet vous empêche de vous servir de toute forme de magie.
Helja criait à pleins poumons. Elle continuait d'essayer tous les sortilèges qui lui traversaient l'esprit :
— POLMA ! SOU ! NIG ! SIK ! SITAT...
Plus aucun son ne pouvait sortir de sa bouche. Le souverain venait de lui trancher la gorge.
Dolos s'empressa de positionner la jarre sous la cascade de sang qui coulait en continu tandis qu'Helja sentit toute force la quitter.
Tout semblait flou. Devant elle, ses assassins se transformaient en de drôles de figures vaporeuses et le décor en des lignes colorées qui ondulaient. Pour Helja, tout devenait tellement confus qu'elle était persuadée d'avoir déjà vécu cette scène il y a plusieurs cycles. Une impression de réminiscence sans fin, où passé et futur se mélangeaient dans sa tête avec une légèreté désinvolte. Était-ce ça mourir ? Non, ça ne ressemblait pas à ça la mort. Impossible.
Mais comment pouvait-elle le savoir après tout ?
Les gardes relâchèrent doucement la pression qu'ils exerçaient sur Helja. Elle en profita pour se relever avec le peu d'énergie qui lui restait. Aussitôt, elle s'empara de son arme mais reçu un coup dans le poignet, l'obligeant à la lâcher.
Elle recula d'un pas fragile, les mains pressée contre sa gorge ensanglantée. Un homme tenta de l'arrêter, mais glissa sur la flaque qui maculait le sol et passa à travers la fenêtre. Son cri disparut dans l'aube alors que le deuxième saisit l'avant bras de la sorcière. Elle se débattait de toutes ses forces, tentait désespérément d'échapper aux créatures vaporeuses et sans visage qui la tourmentaient, mais chaque mouvement la privait de plus en plus de sa précieuse énergie. Ses jambes fléchirent et dans un ultime effort pour contrer ses assaillants, elle bascula de la plus haute tour du château.
— Monsieur, elle est tombée ! brailla Dolos qui se précipita au bord de la vitre brisée.
— Pas de souci, nous avons assez de sang, répondit le roi en vérifiant le contenu de la jarre. Et à cette hauteur, la gorge grande ouverte, elle ne risque pas de survivre. Amenez-moi son cadavre, personne ne doit être au courant !
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