Chapitre 3 (partie 2/2) - Roi / Reine
La sorcière pénétra dans le bâtiment puis monta un escalier en spirale qui conduisait à un corridor. Elle dépassa une salle dont la porte entre-ouverte laissa deviner une armurerie. Jamais elle n'avait vu autant d'équipement différent. D'immenses sabres, épées ou haches. Il y avait aussi des arbalètes et des arcs ainsi que plusieurs objets inconnus aux yeux de la jeune femme. Elle n'eut pas l'occasion de s'arrêter pour les examiner que son guide tournait à nouveau vers des marches en marbre.
Encore dans un couloir, ils suivirent le chemin cérulé qui menait vers une porte ornée d'arabesques complexes. C'était là que l'homme l'abandonna.
— Vous pouvez entrer, annonça-t-il d'une voix assurée, marquant son respect par le salut régalien.
Il resta ensuite parfaitement immobile, sans ciller, même lorsque Helja dévoila entièrement son visage, passa doucement une main devant ses yeux, ou lui fit une petite pichenette sur l'oreille. Finalement, elle décida de poursuivre son chemin, au grand soulagement du garde.
Un extraordinaire tapis bleu et jaune parcourait cette pièce tout en longueur, recouvrant le sol en dalles blanches. Des étendards aux mêmes couleurs, le symbole du souverain en son centre – un poing surmonté d'une couronne – décoraient chaque colonne de pierre. De hautes fenêtres en ogive laissaient percevoir la lumière de la lune et de la ville en contrebas. Des torches et bougies disposées en quantité phénoménale ajoutaient davantage d'éclairage. Plusieurs gardes patientaient le long des parois, totalement statiques.
Au milieu du séjour, sous d'immenses lustres, une table était dressée, pouvant accueillir pas moins de trente convives. Une profusion de luxe qui ne déplaisait pas à la sorcière. Elle contemplait avec avidité les nombreuses assiettes, verres, couteaux et fourchettes en porcelaines ou en or. Peut-être pourrait-elle en subtiliser quelques-uns. Les énormes vases remplis de camélias et de chrysanthèmes devaient se revendre pour une véritable fortune. Elle imagina déjà les sorts pour réduire leurs tailles bien trop imposantes quand une porte tout au bout de la pièce s'ouvrit.
Un petit homme entra, vêtu d'un beau costume en soie mauve et d'élégants souliers en cuir. Il tourna la tête à la recherche de son invitée. Lorsqu'il l'aperçut au loin, il l'appela d'une voix presque enfantine :
— Approchez, je vous prie.
Helja avança, le son de ses poignards qui se balançaient doucement résonnant en échos. Le regard des gardes se posa immédiatement dessus.
De plus près, le nouveau venu avait l'air encore plus minuscule. Son visage rond ne paraissait pas plus grand qu'un ballon et une unique touffe de cheveux argentée semblait avoir poussé sur son crâne. Une moustache grisonnante cachait le haut de sa bouche et une paire de lunettes ovale grossissait anormalement ses étranges yeux clairs qui étincelaient d'une lueur mauvaise. Ses mains tremblantes se dirigèrent vers la jeune femme quand il se présenta :
— Je suis Dolos, c'est moi qui vous ai contactée.
Helja ne serra pas la main tendue. À la place, elle attrapa une chaise et laissa tomber son sac à ses pieds.
— Oui bien, asseyez-vous.
L'homme avança d'un pas claudicant et se posa face à son invitée. Helja remarqua qu'il avait l'air d'un petit être fragile que l'on pourrait briser en un claquement de doigts.
— Je ne savais pas que les nains travaillaient au service du roi. Vous vous êtes échappé de la ville souterraine ? se moqua-t-elle.
— Oh non, je ne suis pas un être magique, répondit-il totalement décontenancé par cette accusation.
Il y eut un silence gêné momentané avant que Dolos ne reprenne :
— Vous avez fait bon voyage ?
— Ça va. La nourriture que j'ai vue en cuisine, est-ce que je peux en avoir ? Je suis affamée.
— Bien sûr, bien sûr. Dès que sa majesté arrivera, nous pourrons manger et discuter de cette affaire.
Helja marqua une brève pause, son regard glissant vers les hommes massés derrière elle, avant de revenir fixement sur le conseiller.
— Pourquoi n'y a-t-il jamais de femmes dans vos rangs ? Les craignez-vous tant que ça ?
Dolos esquissa un sourire nerveux et se mit à tirer sur le col de sa chemise.
— Il est de tradition que la garde royale soit réservée aux hommes, de même que la passation du pouvoir entre le souverain et la direction du sanctuaire. Ce n'est pas une question de peur envers les femmes, mais plutôt... les traditions, répéta-t-il d'une voix fébrile.
Elle leva les yeux au ciel.
— Encore quelque chose de bien débile chez vous les hum...
La porte s'ouvrit brusquement, interrompant les paroles de la sorcière.
— Excusez-moi pour mon retard.
Gargoth, dont la stature dépassait aisément les deux mètres, pénétra majestueusement dans le salon, la couronne élégamment posée sur son crâne. Son apparence antipathique se révélait à travers de longues boucles noires qui encadraient son visage dur, mais surtout par son nez crochu qui pointait vers le sol et sa bouche quasiment dépourvue de lèvres. Une aura de prestance et de charisme l'entourait et son regard dur semblait rayonner d'une puissance incontestable. Pour la sorcière, il ne détenait ni une beauté remarquable ni une robustesse marquée, il était probablement un pitoyable guerrier, mais il possédait richesse et puissance, ces seules choses qui comptaient à ses yeux.
L'homme prit place à l'extrémité de la table, entre la jeune femme et son conseiller qui s'était redressé après une révérence. Même les nombreux gardes avaient levé la main en signe de respect. Une fois tous assis, le roi claqua des doigts. Aussitôt, plusieurs servants firent leur apparition, disposant les multiples plats devant eux ainsi que de grands brocs de vin. Un véritable festin s'offrait à elle.
— J'espère que vous avez faim, s'enquit Gargoth.
Son timbre de voix était de ceux qui nous marquent à jamais, à la fois rauque et autoritaire, mais avec une nuance de complaisance.
— Très faim, répondit la sorcière, les yeux ronds comme son assiette qu'elle s'empressa de remplir de divers mets savoureux.
Pendant le repas, une fois que les derniers domestiques eurent quitté la salle, le souverain entama enfin la discussion :
— Très bien, passons à la raison pour laquelle je vous ai invitée ce soir. Je veux que vous récupériez un colis pour moi.
— Un colis ? interrogea Helja, étonnée. Je ne suis pas une messagère.
Dolos ricana, la tête cachée derrière son bol de soupe.
— C'est un colis particulier va-t-on dire, ajouta Gargoth tout en versant du vin dans son verre. Et vous êtes la plus à même de pouvoir effectuer cette transaction en toute... discrétion.
Il tendit la bouteille vers la coupe d'Helja, mais elle le bloqua brusquement d'un geste de la main. Tous les gardes tirèrent leur épée jusqu'à ce que la lame émerge de la moitié du fourreau, prêt à dégainer en cas d'attaque.
— Ça va aller, calma-t-il.
Et d'un geste de la main, il ordonna à ses hommes de ranger leur arme.
— Je ne pensais pas que le simple fait de vous toucher déclencherait cette apocalypse, répondit Helja.
— Je suis le roi de ce pays, vous vous attendiez à quoi ? se vanta le souverain avant de boire une longue gorgée.
La sorcière se retourna vers la personne juste derrière elle et lui tira la langue au moment où Gargoth reprit :
— Comme j'étais en train de vous l'expliquer, ce colis, vous êtes la seule à même de pouvoir le récupérer, sans que personne ne sache qu'il soit à destination de la cour.
— Et qu'y a-t-il à l'intérieur exactement ? demanda Helja, sa curiosité piquée au vif.
— Le contenu de cette transaction devra rester un mystère pour vous. En aucun cas vous n'êtes autorisée à regarder.
Helja hocha la tête en signe d'approbation, mais au fond de son estomac, une lueur d'indiscipline brûlait. Elle savait qu'elle désobéirait dès que l'opportunité se présenterait, comme elle aimait le faire à chaque fois.
La porte s'ouvrit brusquement et un jeune homme fit irruption. Ses larges épaules et sa stature imposante dépassaient amplement son jeune cycle. Ses traits étaient soigneusement ciselés, comme si un artiste talentueux avait sculpté chaque détail dans l'argile. Une chevelure d'un roux foncé magnifique encadrait son visage et mettait en valeur ses yeux d'un bleu turquoise éclatant. Une mâchoire carrée et un nez proéminent ajoutaient une touche de charisme à sa beauté. Ce qui choqua encore plus Helja c'est quand il demanda d'une voix mêlant exaspération et tristesse :
— Père, avez-vous bientôt terminé ?
Le roi se tourna vers lui. Helja les examina et constata qu'ils n'avaient aucun point commun sauf peut-être leur grande taille.
— Gaston, que t'ai-je dit des centaines de fois, mais qu'apparemment, tu as du mal à comprendre ? répondit-il, manifestement agacé.
— De ne jamais te déranger pendant que tu reçois des invités, murmura le jeune homme entre ses dents, presque inaudibles.
— Bien et que fais-tu donc ici ?
Il plissa les yeux et fixa son fils avec sévérité.
— Nous avions normalement notre soirée ensemble, se justifia-t-il, une pointe de désespoir dans la voix. Tu devais enfin passer du temps avec moi.
— J'ai finalement eu un empêchement plus important, comme tu peux le voir, rétorqua le souverain sèchement. Ah, Margarette, vous voilà !
À ce moment-là, une femme âgée fit son entrée dans la pièce, traînant légèrement la jambe. Sa peau extrêmement ridée donnait l'impression qu'elle arborait plusieurs visages différents posés les uns sur les autres et ses cheveux, attachés en un chignon impeccable, semblaient prêts à céder sous la pression.
— Désolée mon roi, implora la vieille dame, essoufflée, j'ai essayé de l'arrêter, mais vous le connaissez, quand il décide quelque chose, il est difficile de le convaincre du contraire.
— Je connais mon fils, oui.
Le roi marqua une pause, puis désigna Helja d'un mouvement subtil de la tête.
— Maintenant, si vous voulez bien, je suis en pleine conversation.
— Bien sûr monsieur. Mon prince, s'il vous plaît.
La femme attrapa la main du jeune homme, mais il se dégagea.
— Encore une fois, ton travail passe avant moi. Que dois-je faire pour que tu me regardes enfin ?
La tristesse profonde et la demande désespérée se lisaient sur son visage.
— Inutile de faire une scène ce soir. Nous en parlerons dès que j'aurai terminé. Retourne dans tes appartements à présent.
— Et si je m'y refuse ?
— Mon prince, implora Margarette, fébrile. Veuillez me suivre, je vous en prie.
— Gaston, quitte immédiatement cette pièce. Ta mère n'aurait pas apprécié ton comportement si elle était toujours parmi nous.
La voix de Gargoth résonna avec une telle puissance que même Helja ressentit le besoin de fuir cette discussion qui devenait des plus gênantes pour elle.
Les yeux du jeune homme, humides de colère, défièrent son père encore un instant avant qu'il ne parte précipitamment, sans même jeter un dernier regard derrière lui.
— Bien, veuillez m'excuser pour cette interruption.
— Pas de soucis, répondit Helja en saisissant un morceau de pain devant elle.
Finalement, même le roi a des problèmes familiaux. Sirhla soit louée, je n'ai aucun enfant à charge, pensa-t-elle.
— Maintenant que j'ai votre accord sur la discrétion la plus totale concernant ce contrat, reprit le souverain, voici les instructions.
Dolos sortit une lettre de la poche de sa veste et dut se mettre debout sur sa chaise pour pouvoir la transmettre à Helja.
— Vous trouverez à l'intérieur le nom de la taverne où vous avez rendez-vous dans trois jours, ainsi qu'une description pour reconnaître la personne à qui vous devrez vous adresser. Une fois que vous aurez récupéré le colis, vous n'aurez qu'à me le rapporter en passant par la porte de service, comme vous avez fait aujourd'hui.
Helja se saisit du pli cacheté du sceau monarchique.
— Maintenant, parlons de mon salaire si vous le voulez bien, rappela la sorcière.
— Bien évidemment, vous serez récompensée à la hauteur de la mission. Disons que dix mille pièces d'or semblent être un prix raisonnable, déclara Gargoth.
La jeune femme fut choquée du montant proposé pour un contrat aussi simple que celui-ci, mais n'en montra rien. L'occasion était trop belle pour ne pas tenter d'augmenter les gains.
— Je pense, commença-t-elle, que si la cour du roi est prête à débourser dix mille pièces d'or pour cette transaction, elle pourrait, pourquoi pas, me payer quarante mille pièces de plus. On va dire que c'est, le prix de mon silence et... de ma discrétion.
— Désolé, mais nous ne pouvons pas négocier avec... répondit aussitôt Dolos.
— Trente mille pièces d'or au total, l'interrompit Gargoth.
— Cinquante mille, insista Helja.
— Quarante mille, pas une pièce de plus, conclut le souverain coupant court à la discussion.
— Dans ce cas, termina la sorcière en se levant, je crois que vous devrez trouver quelqu'un d'autre pour cette mission.
Elle laissa tomber la lettre dans son assiette, attrapa son sac et partit.
Mais elle n'avait pas fait plus de dix pas vers la porte que le roi l'interpella :
— Attendez !
L'homme jeta un regard à Dolos pour lui faire un signe de tête puis il céda à la requête :
— D'accord pour cinquante mille, dit-il d'un souffle.
— Parfait. Je demande cinq mille pièces maintenant et cinquante mille une fois le colis livré. Les cinq mille premières pièces c'est pour avoir voulu négocier avec moi.
— Vous savez madame, menaça Gargoth en se mettant debout à son tour, personne ne peut me parler sur ce ton et s'en tirer aussi facilement.
Les gardes fixaient la sorcière, prêts à recevoir la consigne d'attaquer.
— C'est que je suis quelqu'un d'exceptionnel, répliqua la jeune femme, fière de montrer qu'elle pouvait défier l'ordre royal et ne subir aucune conséquence.
Elle revint près de la table, attrapa l'enveloppe, le sac contenant la première part de son salaire que lui tendait Dolos, puis se tourna vers le souverain.
— Merci pour le repas, c'était... intéressant.
L'homme lui répondit par un sourire, une lueur mauvaise brillant dans son regard. Mais Helja n'en avait que faire. Elle sortit de la pièce sans se retourner et enfila le foulard autour de sa tête.
Après avoir quitté le château et avoir traversé la moitié du chemin qui mène à la ville, elle ouvrit le pli. Elle en tira un morceau de parchemin élégant sur lequel Dolos avait écrit :
Taverne de la Tête à Trois Yeux dans la ville de Masselia
Femme en manteau noir et aux cheveux rouges.
Le soixante-deuxième jour de la période du croissant de lune quand le soleil est au plus haut.
Merci de faire disparaître cette lettre après lecture.
Dolos
Conseiller du roi
Après avoir pris connaissance des instructions, Helja la déchira.
— Nig !
Sa formule fut suivie d'un claquement de doigts. Instantanément, le papier s'enflamma. Elle lâcha le parchemin qui tomba au sol, se réduisant en un petit tas de cendres emporté par le vent.
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