Chapitre 18 (partie 1/2) - Gloire


84e jour de la période du croissant de lune — 1338

Sanla [sanla] = Gloire

Au loin, sous les rayons flamboyants du soleil, la sorcière disparaissait dans le puits, la petite fille et le roi à sa suite. Y rechaperait-elle ? J'en étais persuadé. Elle était forte et intelligente, je n'avais aucun doute là-dessus. En tout cas, je l'espérais. J'avais hâte de pouvoir enfin la rencontrer, elle qui me ressemblait tellement. Comment était-ce possible ? J'avais encore du mal à le comprendre aujourd'hui, mais peu importait. Tout ce qui comptait à présent, c'était la mission. Et bientôt, tout ce pour quoi j'avais travaillé, tous ces sacrifices, trouverait un but. Le chapitre final à des cycles de recherches.

Je devais rentrer chez moi les informer de ce qui était en train d'arriver. Et si tout fonctionnait comme prévu alors, la deuxième partie de mon plan pourrait commencer.

J'enlevais ma capuche pour mieux sentir le vent sur mon visage. Ils étaient maintenant tous dans ce puits, il n'y avait donc plus aucune chance que quelqu'un ne me voie.

Je m'éloignais doucement de la bourgade aux treize maisons, agrippant les pans de mon long manteau. Et alors que je libérais les chevaux qu'Helja et le siens avaient attachés, quelque chose craqua dans les bois. Y avait-il quelqu'un ? Un garde du roi resté pour surveiller ? Non, il me l'aurait dit.

Une voix enfantine s'élevait de l'ombre, ôtant toute question sur l'identité de la personne.

Je m'approchais quand un petit garçon sortit de derrière un arbre, les cheveux ébouriffés et les yeux rouges. Il portait des habits sales et troués et s'aidait d'un bâton aussi grand que lui pour avancer. Il ne me remarqua pas de suite, mais, quand son regard apeuré se posa sur moi, il ne bougea plus.

— Je cherche mon chien, vous l'avez vue ?

Considérant ce ridicule humain qui ne devait pas faire plus d'un mètre vingt, je me demandais s'il avait conscience des enjeux qui étaient en train de se dérouler sous ses pieds. Bien sûr que non, il ne le pouvait pas. Il était si ignorant, si faible. Il était la parfaite représentation des personnes qui dominent ce monde. Totalement inutile. Mais plus pour bientôt.

Je décidais de poursuivre ma route quand il m'appela à nouveau.

— C'est vous qui avez mon chien ? insista-t-il, commençant à pleurer. Je vous reconnais.

Bien évidemment qu'il me connaissait. Tous me connaissaient. Enfin, ils connaissaient mon visage.

— Vous avez volé mon chien ! dit-il, reprenant son souffle entre deux sanglots. C'est vous qui...

Mais il ne pouvait plus parler. J'avais été si rapide qu'il n'avait rien senti. Je balançais à côté de son cadavre sa trachée que je venais de lui arracher puis continuais mon chemin. Je posais un pied dans l'herbe et l'instant d'après, je glissais dans ce vaste infini qu'était notre univers, apercevant bientôt les terres ocre de chez moi.

***

Dans la nouvelle salle, Charlie se précipita sur le souverain et le frappa avec son bâton. La brûlure qu'elle lui causa au cou se répercuta sur elle, mais la fillette renouvela son attaqua, arrêtée brusquement par les gardes.

— C'est à cause de vous ! Il est mort à cause de vous ! hurlait-elle pleine de rage.

— Tenez donc cette fillette ! beugla Gargoth qui se massait la peau recouverte de cloques. Je regrette déjà mon compliment pour l'énigme.

Alors qu'Helja retenait Charlie qui donnait des coups dans le vide, le souverain ajouta :

— Et la seule responsable du décès de ce chat est la femme qui est derrière vous jeune fille. Ce n'est pas moi qui devais maintenir ce bouclier fermé.

La sorcière bloqua la fillette qui s'acharna davantage, vociférant injures et grossièretés. De grosses larmes coulaient sur ses joues. Et tandis que le groupe commençait à avancer, Helja vit également Luba pleurer en silence. Son regard triste trahissait un profond désespoir. Une véritable désillusion, comme si la métamoprhe avait compris qu'aucune d'entre elles ne sortiraient d'ici vivantes.

— Helja ? Vous êtes Helja la sorcière ? l'interpella un homme.

Elle se retourna vers une forêt où un inconnu l'attendait, son visage dissimulé dans l'ombre.

— Oui c'est bien moi. Vous m'avez demandée de venir en urgence pour vous protéger.

— Oui oui, j'ai.... comment dire ? Des personnes me traquent parce que, hum, j'ai tenté de leur dérober pas mal d'or.

Sa voix tremblait de terreur. Il poursuivit :

— Cela fait déjà un cycle que j'arrive à me cacher d'eux, mais ils sont redoutables et je crains de ne plus pouvoir continuer longtemps. C'est pour ça que je fais appel à vous. Pour que vous m'aidiez.

— Vous n'êtes pas capable de vous protéger seul ?

— Je suis un voleur, pas un assassin, se défendit-il. Et un piètre voleur, je l'avoue.

— Bien. Je peux me débarrasser d'eux pour vous si vous voulez. Tuer de simples humains sera un jeu d'enfant pour moi.

— Oui, ça serait parfait. Le souci, c'est que je n'ai plus d'or pour vous payer. Comme je vous l'ai dit, je ne suis pas vraiment doué quand il s'agit de voler.

— Dans ce cas, répondit Helja avant de se retourner et de s'éloigner.

— Attendez ! Je serais prêt à tout en échange de votre service. Je peux vous seconder dans vos tâches, vous faciliter la vie pour le ménage et les courses par exemple.

L'homme tomba à genoux, son visage désormais éclairé. La sorcière le regarda droit dans les yeux, quand il ajouta :

— Je suis désespéré, je ne sais plus quoi faire.

Contre toute attente, Helja changea d'avis. Elle ne savait pas ce qui l'avait convaincue, peut-être le supplice de cet inconnu ou la mort récente de sa tutrice, mais la solitude qui la suivait depuis, et qui lui pesait énormément, lui donna une idée. Une brillante idée même.

— Je peux peut-être faire quelque chose pour vous. Comment vous appelez vous ?

— Je m'appelle Bastet.

Des bras sortirent du présent, déchirant le souvenir comme du papier, et enlacèrent la sorcière. Charlie pleurait, blottie contre elle.

— À quoi ça sert ? demanda-t-elle. À quoi ça sert de continuer, puisque tout le monde finit pas crever ? Ma mère, mon père, Bastet. Les prochaines ce sont nous. Dès qu'on aura atteint la dernière salle, ils n'hésiteront pas à nous tuer !

Helja l'éloigna et posa ses mains sur ses épaules. Le visage de l'homme qu'était Bastet avant de devenir un chat flottait encore devant elle, mais elle le chassa d'un battement de cil. Elle ne devait pas se laisser submerger par le passé sinon elle serait rapidement perdue. La sorcière se concentra pour tenir le coup, tenir pour ses camarades, puis elle répondit :

— Ça n'arrivera pas, je les combattrai, je te le promets.

— C'est ce que tu avais dit et Bastet est quand même mort, souffla-t-elle avant de partir.

La pièce suivante n'était pas bien éclairée. Seules quelques flammes voletaient dans les airs. Il y avait au centre une dizaine de statues d'hommes et de femmes. Toutes semblaient attendre dans des positions étranges, comme s'ils faisaient face à quelque chose qui les effrayait.

Le roi, Dolos et les gardes, atteignaient déjà leur hauteur, examinant attentivement les représentations humaines d'une incroyable précision. Quand Helja avança, le martèlement de ses bottes sur le sol en brique résonna fort. Elle regardait droit devant elle, scrutant les sculptures qui, elle ne savait pour quelle raison, lui procuraient un sentiment d'angoisse profond.

Elle rattrapa rapidement Charlie pour progresser à ses côtés quand un souffle d'air étouffa toutes les flammes, plongeant la pièce dans une obscurité totale. Aussitôt, des bruits de pas précipités tonnèrent tout autour d'eux. C'était comme si plusieurs personnes s'étaient mises à courir. C'est là que des cris retentirent. C'était des gardes. Et Luba.

Nig sitat nerskac ! formula la sorcière avant que plusieurs feux follets ne prennent vie au-dessus de leur tête.

La lumière réapparut et Helja découvrit avec effroi une statue juste devant elle. La femme n'avait plus peur, mais affichait une expression de folie, semblable à celle d'un démon. Un sourire beaucoup trop large qui étirait ses traits et dévoilait ses gencives.

Lorsqu'elle regarda autour d'elle, la sorcière en était sûre, toutes les sculptures avaient bougé dans le noir.

— Où est Mathieu ? demanda un garde qui cherchait autour de lui l'un de ses camarades.

Il finit par le trouver, changé en pierre noire.

— Luba ! beugla Charlie.

Helja vit la jeune fille se précipiter vers la métamorphe, son poignet agrippé par une statue.

— Je ne parviens pas à me dégager ! dit-elle.

Une des boules de feu au-dessus de leur tête disparut, obscurcissant légèrement la pièce. Dans les coins d'ombres, des personnes se déplaçaient sans qu'on ne puisse les apercevoir.

Charlie et Helja essayèrent de tirer, mais elles n'arrivèrent pas à sortir leur amie. La prise de l'homme en roche était beaucoup trop forte.

— Recule ! ordonna la sorcière.

— Dépêchez-vous ! appela Dolos qui atteignait déjà la porte.

Polma !

Le bras de la statue se brisa en morceaux. Mais au-dessus d'eux les dernières lueurs se volatilisèrent, replongeant la salle dans les ténèbres.

De nouveaux bruits de pas précipités, des cris un peu partout.

Helja s'apprêta à allumer un feu au moment où elle reçut un violent coup dans le dos. Elle tomba à genoux. Quand elle parvint enfin à ramener de la lumière, d'autres gardes avaient été changés en roche. Gargoth et Dolos faisaient face à des sculptures redevenues immobiles et derrière elle, Charlie et Luba regardaient avec effroi les femmes et les hommes de pierre qui s'étaient rapprochées d'eux.

— Si vous voulez vivre, vous feriez mieux de venir ! beugla Dolos avant d'entrer dans la salle au chiffre neuf accompagné du roi et des derniers gardes.

Les filles se précipitèrent vers la porte quand un vent souffla à nouveau sur les flammes. Aussitôt, Helja envoya un sort.

Elles découvrirent qu'elles étaient encerclées. Les statues formaient un mur autour d'elles tellement compact que la sorcière ne distinguait plus la sortie.

Le feu s'évapora plus rapidement, mais Helja s'était préparée et le relança immédiatement. Malheureusement, les sculptures étaient efficaces et s'étaient rapprochées encore un peu plus.

— Il faut qu'on se dépêche ! s'empressa Luba

La métamorphe avança et passa entre deux hommes qui se tenaient fermement l'un à l'autre. Charlie suivit, réussissant elle aussi à s'insinuer par le mince interstice puis, la sorcière s'échappa à son tour. Elles se précipitèrent vers la porte, quand de nouveau l'obscurité engloutit les lieux.

Helja alluma une braise dans sa main et propulsa les flammes dans son dos, éloignant provisoirement les statues. Lorsqu'elles refermèrent l'huis, elles aperçurent à la lumière de la nouvelle pièce toutes les sculptures se mouvoir dans l'ombre, leur visage effrayant tourné vers elles.

— Nous avons encore combien de salles comme ça ? pesta Helja avant de se retourner.

Devant elle, à quelques centimètres à peine, un mur invisible retenait une quantité impressionnante d'eau. Le liquide paraissait flotter en plein milieu d'un bocal qu'on ne pouvait voir. À l'intérieur, divers poissons se baladaient tranquillement, certains projetant des gouttelettes lorsqu'ils faisaient demi-tour. La dixième porte se trouvait de l'autre côté de ce qui leur apparaissait comme être un véritable océan à parcourir en apnée.

— J'espère que tout le monde sait nager, ironisa le roi en passant sa main sur la surface de l'or bleu. Il semble que l'on puisse traverser facilement. Qui se dévoue pour y aller en premier ?

Il se retourna vers la sorcière qui sentait en elle monter une haine incroyable envers cet homme.

Elle s'approcha du liquide et y plongea son pied. L'eau était glaciale. Elle fit marche arrière, puis se tourna vers Gargoth.

— Il vaut mieux qu'on y rentre tous ensemble ! suggéra-t-elle.

— Et vous n'avez pas un sort pour nous permettre de respirer sous l'eau ou bien de tenir plus longtemps sans air ? demanda Dolos qui contemplait l'océan artificiel remuer doucement au gré des vagues.

— Je peux faire quelque chose, mais je ne pourrai pas aider tout le monde. Je ne sais pas combien de salles il y a derrière, alors je dois conserver le peu de force qu'il me reste.

— Bien, vous emploierez votre magie sur moi et mon conseiller ordonna le souverain, mais aussi sur vous. Vos compétences nous serons sûrement encore utiles. Les autres s'en passeront.

Helja s'exécuta, faisant pousser temporairement des branchies sur elle, Dolos et le roi. Grâce à la malédiction, Charlie reçut également le don de pouvoir respirer sous l'eau et lorsque personne ne la regardait, la sorcière gratifia Luba de ce nouvel organe.

Ils entrèrent tous en même temps. La sensation était la même que lorsque l'on franchit un rideau de perles. Helja attrapa la main de Charlie qui ne savait pas nager et la guida dans cet univers féérique. Il faisait extrêmement froid, mais leur récente capacité leur permit de s'acclimater rapidement, contrairement aux gardes qui se dépêchait de rejoindre l'autre côté à coups de grandes brasses.

Ce moment paraissait étrange, ne ressemblant pas du tout aux premières salles. C'était presque trop beau pour eux qui arrivaient à respirer aisément. Avancer au milieu des poissons multicolores, sans réel danger, s'apparentait plus au rêve qu'au cauchemar. Même Charlie semblait prendre du plaisir, caressant un saumon qui passait tout près d'elle.

Helja se demandait ce qui les attendait vraiment ici. Chaque pièce avait été plus dure et plus éprouvante que la précédente. Alors pourquoi cette pause maintenant ?

Elle trouva vite réponse à sa question. Des hommes approchaient déjà de la porte quand un énorme requin émergea des profondeurs obscures. Il en attrapa un au passage, le sang formant un nuage rouge dans l'eau, puis il disparut. Tout le monde accéléra brusquement. Lorsque la sorcière baissa la tête, elle découvrit les abysses. Jusqu'à quelle distance pouvaient-ils descendre ?

Six yeux apparurent puis trois autres gros prédateurs surgirent. Ils déchiquetèrent les personnes sur le point de sortir. Certains gardes parvinrent à s'échapper, mais d'autres n'eurent pas la même chance.

Helja se mit à nager aussi vite qu'elle le put, traînant Charlie derrière elle par la main. Tout à coup, elle fit face à l'une des redoutables créatures.

Elle agrippa son poignard et l'abattit aussitôt dans le nez de l'animal qui repartit au fond de l'eau. Helja continua son avancée. Quand elle fut assez proche, elle propulsa Charlie. La jeune fille dériva et retourna à l'air libre. Luba passa à son tour, suivi par la sorcière.

Tous ceux qui s'en étaient tirés étaient trempés jusqu'à l'os. Au fils des salles, le nombre de gardes qui accompagnaient le roi s'était réduit de plus de moitié mais ce dernier ne s'en souciais guère. Il se dirigeait déjà vers la porte numéro dix, Dolos sur ses talons. 

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