Chapitre 17 (partie 3/3) - Clef
La sorcière se précipita pour aider son amie, mais lorsqu'elle lui étala le baume, cela n'eut pas l'effet escompté. La fillette perdait énormément de sang et devenait de plus en plus livide. De l'autre côté, le souverain criait sur Helja pour qu'elle vienne lui porter secours et elle comprit. Pour guérir Charlie, elle devait le soigner lui.
A contre coeur, elle se dirigea vers Gargoth, posant brutalement la pâte sur la plaie de son épaule. Elle n'y alla pas de main morte, appuyant aussi fort qu'elle le pouvait, mais elle entendit Charlie jurer. Elle ressentait également la douleur.
Le sang s'arrêta de couler des miroirs fissurés. Les gardes traitèrent eux-mêmes leurs blessures avec leurs propres ressources et le roi exigea quant à lui une pause pour que tout le monde se remettent de leurs mésaventures. Ils éloignèrent les cadavres puis mangèrent dans leur coin un casse-croûte composé principalement de viande, l'odeur alléchante se portant jusqu'à Helja.
— J'ai tellement faim... gémit Luba doucement, nous aurions dû prendre de quoi nous restaurer.
— Moi aussi, surtout que ça aurait sûrement été notre dernier repas, répondit sombrement Bastet.
— Ne dis pas ça, rétorqua Helja, nous allons trouver un plan, ajouta-t-elle, le regard viré sur le groupe à l'autre bout de la salle. Je n'ai pas d'idée pour l'instant, mais je ne laisserai aucun d'entre vous mourir. Pas aujourd'hui.
— Je crois en toi, la réconforta Charlie, la gratifiant d'un sourire franc pour la première fois depuis bien longtemps.
— Désolée pour tout à l'heure, quand j'ai soigné le roi. Je ne voulais pas te faire mal.
— Ce n'est pas grave.
Luba et Bastet les fixaient en silence. Charlie et Helja se contemplaient mutuellement et, sans avoir à parler, elles se comprirent. Ce fut un instant incroyable, rempli de magie. Une magie qu'Helja n'avait encore jamais pratiquée et qui lui réchauffa le cœur.
Après quelques discussions à voix basse pour essayer d'élaborer une stratégie une fois qu'ils auraient atteint la dernière salle, Gargoth ordonna la reprise de leur avancée.
La porte se verrouilla derrière eux et tous découvrirent un nouvel endroit immaculé. Elle était tellement blanche et lumineuse qu'ils ne discernèrent pas tout de suite le socle au centre. Un cylindre en marbre clair, orné de sculptures complexes et effrayantes. La tête coupée d'un homme était posée dessus, de longues lignées de sang ayant coulé tout le long du piédestal. Il n'avait pas de cheveux, un nez épaté, et non pas un, mais trois yeux fermés.
Personne ne bougea, se demandant quels dangers les attendaient. Chaque pièce était plus éprouvante que la précédente et tous avaient peur de ce qui arriverait.
Le roi bouscula un garde devant lui pour qu'il avance. Alors, la tête remua légèrement, ouvrant ses yeux globuleux, de trois couleurs différentes et aux pupilles dilatées. Il poussa un horrible cri, mélange de plusieurs voix comme emprisonnées dans sa gorgée. Tous se bouchèrent les oreilles, le son atroce et strident résonnant à l'intérieur de leur crâne comme d'affreux bruits de cloche. Enfin, un poème doux et mélancolique prit place aux hurlements, chanté directement par la tête coupée :
En ces lieux et en cette heure, vous êtes mes prisonniers
Mon bétail que je tourmenterai pour l'éternité
Mais si vous souhaitez pouvoir continuer
Votre intelligence se devra d'être évaluée
Écoutez bien mon énigme,
Écoutez bien mes rimes
Car une réponse chacun vous sera accordée
Et si nul ne trouve réponse à mon énoncé
Alors jamais plus vous ne repartirez
Il s'interrompit quelques secondes pendant lesquels tous tendirent l'oreille pour mieux écouter. Alors, l'homme reprit la parole, sa voix amplifiée résonnant dans la vaste salle.
Elle communique les vibrations,
Qui font chanter le violon.
En entrant dans ces lieux, vous avez été condamnés,
À rendre ce qu'un jour, on vous a donné.
Pendant un instant, personne n'osait parler. Le silence régnait dans la pièce et le poids de la devinette était comme une épée de Damoclès. Chacun avait peur que ses premiers mots ne soient pris pour une réponse, leur ôtant toute chance de pouvoir avancer.
Ce fut un des gardes qui proposa une première solution, d'une voix un peu tremblante :
— La vie ?
Mais pour toute réaction, la tête se remit à hurler, plus fort que la première fois. Tous plaquèrent leurs mains aux oreilles pour atténuer le son, mais les cris étaient tellement intenses qu'ils résonnaient en eux, faisant même tomber certain à genoux.
Quand le silence revint, Helja put enfin se concentrer. Elle n'était pas très bonne en énigme, mais elle était sûre de pouvoir trouver. Autour d'elle tous semblaient en profonde réflexion. Elle aperçut également Charlie marmonner.
« Elle communique les vibrations, qui font chanter le violon. » La sorcière se répétait la première partie un nombre incalculable de fois, mais elle n'avait jamais joué de cet instrument. Pourtant, le mot qu'elle cherchait était un morceau du violon, mais en même temps, quelque chose qu'ils allaient perdre ici. « En entrant dans ces lieux, vous avez été condamnés, à rendre ce qu'un jour, on vous a donné. »
— Je pense que c'est l'écho, dit soudainement Dolos.
La tête s'égosilla à nouveau, les obligeant à fermer les yeux et à se plier en deux. Les cris firent vomir quelques hommes et Luba, dont le teint était devenu extrêmement pâle.
Quel était le lien entre un violon et quelque chose qu'ils allaient tous perdre ? C'était à se tirer les cheveux.
Certains gardes, le roi et Bastet proposèrent une réponse, mais à chaque fois, la tête rugissait de ses nombreuses voix décharnées, plus fort et plus longtemps à chaque tentative. Cela provoqua même un malaise chez la métamorphe. Helja alla l'aider quand Charlie se mit à glousser. Son sourire était tel qu'on pouvait l'entendre et alors, la fillette suggéra :
— Ma mère jouait du violon quand j'étais petite, raconta-t-elle, je me souviens encore de ses mélodies. Je me souviens aussi quand elle avait cherché à m'apprendre à l'utiliser quelques jours avant sa mort. Elle m'avait décrit chaque partie, chaque composante. Et depuis tout à l'heure j'essaie de trouver le rapport avec ce que nous avons tous et que nous devrons rendre. Et maintenant, je sais. C'est l'âme ! L'âme fait vibrer le violon et en venant ici, nous allons tous perdre notre âme.
Ces derniers mots, elle les prononça plus doucement, son regard directement porté sur son poignet.
Cette fois, la tête ne s'époumona pas. Elle se contenta de fermer ses trois yeux et la porte numéro sept juste derrière s'ouvrit sans un bruit.
— Félicitation jeune fille, je suis presque heureux que tu ne sois pas morte, balança le roi avant d'avancer.
Helja leva les yeux au ciel, une lueur de colère dans son regard, tandis qu'elle serrait les dents pour réprimer ses pulsions meurtrières. Alors que Bastet se dirigeait vers Luba, elle chemina en direction de Charlie qui continuait de fixer la tête décapitée, son visage dépourvu de toute émotion.
— Comment ça va ? s'enquit-elle.
— Je ne parle jamais de ma mère, soupira la petite fille d'une voix à peine audible, comme si elle n'avait jamais existé.
— Tu étais jeune quand elle est morte, c'est normal. Je ne parle jamais de mes parents non plus tu sais.
— Je n'ai presque aucun souvenir d'elle et j'ai l'impression qu'elle ne me manque pas. Enfin, pas vraiment. C'est plutôt l'idée d'avoir une maman qui me manque le plus.
La sorcière posa doucement sa main sur l'épaule de son amie, qui sursauta et releva les yeux vers elle, la mâchoire tremblante.
— Je serai toujours là si tu veux en discuter, murmura-t-elle.
— Hel... Helja.
Elles se retournèrent vers Luba qui commençait à se réveiller. Helja l'aida à se redresser, pendant que les autres franchissaient déjà la porte, pressés par Gargoth.
— Est-ce que ça va ? demanda-t-elle, inquiète.
— Oui, c'est simplement que ce cri me rappelle de mauvais souvenirs.
— Comment ça ? questionna Bastet.
— La tête utilise le maléfice du Crikitu. Ils avaient recours à des créatures capables de le reproduire pour nous torturer à Kruotté.
— Tu as été à Kruotté ? s'étonna Charlie
— Oui. Quand Helja s'est vue interdire l'entrée de la ville souterraine, j'ai voulu sortir la retrouver, mais comme je ne pouvais pas partir à cause de mon cycle de naissance, j'ai essayé de me transformer. Mais apparemment mon plan n'était pas efficace puisque j'ai été arrêtée.
— Désolée, je ne savais pas, s'excusa Helja, regardant la femme droit dans les yeux.
— Non, c'est de ma faute. Je connaissais les risques. Et pour toi, j'étais prête à...
— Vous venez oui ? Nous avons besoin de vous Helja, hurla un garde.
La sorcière souffla longuement, mais ses compagnons l'aidèrent à rester calme.
En approchant de l'entrée, ils entendirent plusieurs petits sifflements étranges, évoquant des battements d'ailes de centaines d'oiseaux, mais en passant par l'ouverture, ils découvrirent que la réalité était toute autre. Les volatiles étaient des couteaux, des dagues et des poignards qui s'agitaient dans tous les sens et qui fendaient l'air dans un bruit assourdissant.
L'endroit ressemblait à une incroyable volière de la mort, éclairée par des torches, accrochées aux murs de pierre et au toit constitué de verre. En face, la porte suivante les attendait, mais entre eux, un véritable arsenal menaçait de les taillader jusqu'à l'os.
— Bien, à vous de jouer Helja. Faites-nous un de vos petits tours de passe-passe, sollicita le souverain sous les rires moqueurs de ses compagnons.
— Nous sommes beaucoup trop nombreux, je ne pourrai pas protéger tout le monde.
— Et bien vous allez pourtant devoir y arriver.
La sorcière se retint de répondre, lâcha Luba qui s'agrippa aussitôt à Charlie puis elle tendit les paumes vers cet étrange nichoir.
— Shcalk !
Le bouclier les enveloppa dans une énorme bulle transparente.
Ils avancèrent doucement, collés les uns aux autres. Les lames rebondissaient contre les parois du sortilège dans de faibles bruits. Des volutes sortaient des mains d'Helja et alimentaient leur abri, mais elle consumait énormément d'énergie et avait déjà beaucoup usé de sa magie récemment. Charlie et Bastet essayaient de l'encourager alors que le roi ordonnait au groupe de marcher plus vite.
— Je sais que tu peux tenir, lança Bastet.
— Nous sommes presque à la moitié, ajouta Charlie. Va-y Helja, tu es la meilleure !
— Oui la sorcière la plus puissante de ce pays c'est bien toi. Je crois en toi ! renchérit le grand chat.
Des gouttes de sueur perlaient sur le front d'Helja et son teint était devenu extrêmement rouge. L'effort était considérable. Elle ne voulait pas lâcher. Non, elle ne le voulait pas. Elle s'acharnait, dépassant ses limites, continuant de puiser dans ses ressources alors qu'elle sentait déjà à bout.
— Je ne peux pas !
La bulle explosa dans un petit plop et alors, les armes se mirent à attaquer les chairs, couper les membres, planter les corps, tuer.
— Shcalk ! gémit la sorcière à bout de force.
Mais un dernier couteau glissa silencieusement à travers l'air tendu et transperça sa cible sans hésitation, lui arrachant la vie d'un seul coup.
De nouveau repliée sous le bouclier, Helja reprit son avancée accompagnée des autres qui essayaient de panser leurs plaies, quand Charlie hurla. Elle tourna alors la tête, le cœur battant à tout rompre, et se rendit compte que Bastet ne bougeait plus. Le grand chat ébène baignait dans un océan de pourpre.
La petite fille se précipita vers lui, implorant qu'on lui apporte un baume guérisseur, mais Luba l'attrapa au passage pour l'empêcher de quitter la protection de la bulle.
— Il est trop tard, je suis désolée ! murmura-t-elle.
— NON ! BASTET ! s'égosillait Charlie, ses mots brisés par la douleur.
Elle se débattait pour sortir de l'étreinte de la métamorphe, les mains tendues vers le corps sans vie de son ami, mais incapables de l'atteindre.
Helja, les yeux rivés sur le cadavre, les dents serrées et la vision brouillée par les larmes, ordonna d'une voix fébrile :
— Dépêchez-vous, je vais plus tenir très longtemps.
Une fois hors de portée des armes, le bouclier se dissipa, et la sorcière s'effondra d'épuisement. Dolos et Gargoth ouvrirent la porte pour continuer leur chemin, sans égard pour les morts qui jonchaient le sol.
Charlie, elle, tomba à genoux. Ses cris déchiraient l'air, résonnant dans les oreilles d'Helja, qui elle, n'entendait que le silence absolu de Bastet. Un silence si assourdissant, si douloureux, que ça en devenait insupportable. Beaucoup trop insupportable.
Luba posa une main apaisante sur son épaule, mais ses yeux restaient rivés sur le corps inerte de Bastet, en attente désespérée d'un miracle qui ne se produirait jamais. La voix cassée, la rousse souffla :
— Bastet...
Un tourbillon d'émotions s'abattit sur son cœur brisé.
Solitude. Tristesse. Colère.
Remords.
Elle comprit alors qu'elle était tombée et tenta de se relever, mais ses jambes semblaient ne plus obéir. Telle une spectatrice impuissante de sa propre existence, elle ne pouvait plus rien contrôler. Et tout était de sa faute.
La voix du roi la ramena à la réalité. Elle regarda d'un côté l'obscurité de la salle suivante puis se tourna vers Bastet. Elle ne pouvait attendre ici plus longtemps. Avec l'aide de Luba, elle força Charlie à continuer, la fillette se débattant de toutes ses forces pour rester près de son ami. Mais alors que la porte se refermait, Helja aperçut le corps du chat se transformer en celui de l'homme qu'il avait été dans une autre vie. Et juste avant que tout ne soit scellé, elle souffla, le cœur lourd de culpabilité :
— Pardonne-moi, mon ami.
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