Chapitre 17 (partie 2/3) - Clef


Les gardes s'approchèrent, mais Helja riposta aussitôt :

Otstek !

L'air vibra avant que tous ne se retrouvent propulsés sur plusieurs mètres. Charlie, qui n'était pas visée, fut elle aussi catapultée et se cogna contre le mur.

Ils revinrent à la charge, attrapant Luba pendant que d'autres occupaient Helja ! La fillette essayait de sauver la métamorphe à coup de bâton, brûlant les visages et Bastet tentait en vain de les faire reculer avec ses griffes, mais ils étaient dépassés par le nombre.

Helja repoussa un homme mais reçut un choc dans la nuque qui la fit tomber à genoux, face à la seule femme pour qui elle avait un jour éprouvé un amour pur et sincère. On passa une lame sous sa gorge. Une trace de sang coula. La sorcière rugit et alors, plusieurs choses se déroulèrent en même temps.

Quelqu'un s'attaqua à Charlie.

Bastet bascula lourdement sur le sol.

Le garde qui tenait Luba releva son couteau pour lui planter dans le cœur.

Helja jeta un dernier sortilège :

Obkas !

La métamorphe grésilla avant de disparaître. Un garde apparut à sa place, se faisant poignarder d'un coup vif.

Helja s'écroula, la force demandée pour cet échange l'ayant totalement épuisée. Il y eut des cris, un bruit étrange suivi d'ultimes hurlements avant que quelqu'un ne la traîne et la retourne. Elle aperçut Charlie, un œil gonflé et une coupure sur la joue qui lui souriait.

— Tu vas le payer sorcière ! vociférait le roi plus loin.

Avec beaucoup de mal, soutenu par la jeune fille, elle se releva et tint tête à Gargoth. Derrière lui la porte numéro quatre s'était révélée et Dolos s'en approchait déjà.

Luba émergea soudainement dans son champ de vision, une main couvrant sa trachée légèrement entaillée et l'autre sur sa poitrine. Le souverain se dirigea vers elle pour finir ce que le garde avait commencé, mais la sorcière puisa dans ses réserves pour intervenir :

Shcalk !

Le bouclier se matérialisa entre eux et elle ajouta :

— Inutile de la tuer. La porte est là maintenant. Ma magie a peut-être des limites, mais je suis prête à les dépasser si vous tentez quoi que ce soit. Et je crois pourtant que vous avez besoin de moi dans ma plus grande forme alors, abandonnez !

Une bataille semblait se dérouler dans la tête du roi avant qu'il ne décide de renoncer. Le champ de force disparut sans un bruit et Helja se laissa de nouveau tomber.

— Je dois me reposer, annonça-t-elle.

— Ce n'est pas vous qui commandez ici, lui répondit le souverain qui enjambait le cadavre pour aller vers la porte. On continue !

— Je ne peux pas avancer pour l'instant, insista-t-elle. Et sans moi et ma magie à son maximum, vous n'arriverez jamais au bout.

Une nouvelle fois, Gargoth consentit à écouter la sorcière et déclara une courte pause. Les gardes éloignèrent alors leurs frères décédés, traçant une lignée de sang sur le sol métallique et glacial. Chacun dévisageait Helja et exprimait un profond dégoût, mais elle s'en fichait. Elle avait réussi à leur faire gagner quelques minutes de répit. Ce temps, elle en profiterait autant que possible, désirant pour une fois dans sa vie, le passer avec ceux qu'elle considérait comme des amis. Elle regarda Luba, Charlie et Bastet. Les blessures du combat marquaient leur corps. Elle espérait de tout son être qu'ils s'en sortiraient tous.

Plus rien n'avait d'importance. Ni sa vengeance, ni la puissance que renfermait ce lieu. Tout ce que voulait Helja à présent c'était libérer Charlie du lien avec le roi et mettre des kilomètres entre eux et cet endroit maudit.

Après un moment impossible à définir, Gargoth se releva et ordonna de continuer. Helja, à moitié remise de son dur sortilège, avança et pénétra dans la salle suivante.

La pièce était entièrement constituée de carrelages carrés qui devaient autrefois être blancs, mais aujourd'hui recouverts de crasse, de sang et d'une substance sombre et visqueuse. Quelques-uns étaient cassés, leurs débris jonchant le sol. Des traits de lumière clairs accrochés au mur éclairaient la chambre avec une telle intensité que tout le monde fut ébloui.

En plein milieu, il y avait un cube lisse en marbre opalescent et aux angles pointus. Mais en s'approchant, Helja constata que c'était une baignoire, remplie d'une eau ténébreuse, totalement opaque. Un noir composé de silence.

Tandis que la sorcière examinait le mystérieux liquide inodore et immobile qui lui renvoyait son reflet, Dolos se dirigeait vers la porte numéro cinq.

— Elle est verrouillée. Essayez de l'ouvrir Helja ! lui ordonna le petit homme.

— Vous pourriez peut-être le demander plus gentiment, rétorqua-t-elle avant de se tourner vers la porte. Otkik te !

Elle vibra un instant, mais demeura fermée.

— Où est la clef ? lança un garde.

— Sûrement dans cette eau, suggéra le roi.

Il effleura le bord de la cuve du bout du doigt tout en gravitant autour, son regard rivé sur le liquide épais.

— Qui va aller la chercher ? questionna Dolos qui s'approchait également.

— La seule personne d'entre nous qui a des pouvoirs, répondit Gargoth.

Il se plaça subtilement derrière Helja et la poussa violemment dans l'étendue. Son corps disparut sans bruit et sans produire la moindre éclaboussure.

La sorcière eut la sensation de passer à travers un mur. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle ne vit que du noir. Un lieu d'obscurité qui ne semblait pas exister. Il n'y avait aucune source de lumière, pourtant, elle arrivait à distinguer ses mains. Tout autour d'elle, tout n'était que ténèbres. Un espace infini. Un endroit sans repère.

Helja se demanda un instant si elle n'était pas morte, si tout son être n'avait pas arrêté de vivre dès lors où elle avait franchi cette mystérieuse eau. Ne restait-il plus rien d'elle ?

Cependant, elle pouvait encore réfléchir et bouger.

Elle s'aventura à explorer ce nouveau monde, ses pieds ne reposant sur rien, mais produisant le même bruit que si elle marchait sur une plaque de métal. C'est alors qu'une voix de femme, qui semblait venir de très loin, l'appela. Elle se retourna et vit quelque chose remuer.

Trop reculée pour déceler son visage, c'était un minuscule point blanc dans l'horizon de ténèbres. Rapidement, la sorcière découvrit que la chose avançait sur quatre pattes, d'une démarche désarticulée, sans aucune coordination. Chacun de ses mouvements faisant craquer ses os fragiles.

Soudain, une main se referma sur son poignet. Quand elle se tourna pour identifier son agresseur, il avait déjà disparu, laissant une trace de brûlure sur sa peau. C'est à ce moment que le bruit d'os de la bête se tut. Elle le perçut immédiatement.

L'atmosphère devint glaciale et plus effrayante. Elle se remit à marcher, mais trébucha et tomba sur le dos. En se redressant, elle fit face à un genre d'homme, au corps blafard et squelettique. Complètement nu, se tenant à quatre pattes, la tête à l'envers, ses membres formaient des angles inimaginables. Ses longs doigts se terminaient en griffes pointues, sauf un, qui avait la forme d'une clef.

La chose lui sauta sur la poitrine et la plaqua contre un sol qui n'existait pas. Il agrippa son crâne entre ses paumes et ouvrit la bouche pour lui vomir une substance semblable à de la boue sur le visage. La sorcière qui se débattait ne parvenait pas à riposter, la pression sur son corps étant trop forte. L'odeur pestilentielle lui brûlait les narines et le liquide qui entrait dans sa trachée semblait pourvue de lames, lui écorchant les organes. Enfin, elle réussit à articuler :

Otstek !

La magie projeta le monstre qui s'écroula. Sa tête tournait sur son cou comme une toupie. Helja se releva, la main tendue :

Sit... ! commença elle.

Mais la créature lui avait de nouveau bondi dessus.

Elle lui lacéra les joues et les bras à plusieurs reprises. Helja arriva à se dégager et à retourner l'adversaire. Elle sortit son poignard, mais reçut un coup de pied dans le poignet. L'arme glissa sur plusieurs mètres.

Elle courut pour la récupérer, mais la bête lui entailla les chevilles, la faisant tomber à plat ventre. Son corps fut tiré en arrière puis brusquement plaqué sur le dos. Le monstre ouvrit une seconde fois la bouche pour dégobiller, mais la sorcière fut plus rapide cette fois-ci. Elle fit venir à elle son couteau par un simple sort et quand le manche se plaça dans le creux de sa main, elle lui planta dans la mâchoire inférieure. La lame traversa tout son crâne. La chose arrêta de bouger et s'effondra sur le côté.

Helja s'approcha, essuyant son visage. Elle attrapa à son tour le poignet de l'homme et coupa son doigt en forme de clef. En un battement de cil, elle se retrouva à nouveau dans la salle avec tout le reste du groupe.

Tous la regardaient avec de grands yeux ronds. Certains faisaient la grimace ou se bouchaient le nez quand elle s'avança. Elle jeta la clef au pied de Dolos qui s'en saisit pour ouvrir la porte. La sorcière se tourna alors vers le roi :

— La prochaine fois, demandez-moi pour faire les choses que vous êtes incapable de faire.

Il la gifla.

Helja embrasa aussitôt son poing, mais le souverain l'avertit :

— Tuez-moi et vous la tuez elle. Je vous l'ai dit, vous avez perdu. Vous m'êtes totalement soumise. Et parlez-moi encore une fois comme ça, vous pourrez dire adieu à ces deux-là, précisa Gargoth d'une voix trop calme, le doigt pointé sur Luba et Bastet.

Ils avancèrent tous quand Charlie lui prit la main et lui murmura :

— Il a peur de toi et rien que pour ça, tu as gagné. Ne l'oublie pas.

Lorsqu'elle pénétra dans la salle numéro cinq, Helja se retrouva immédiatement bloquée. Face à elle, son image se décomposait en milliers d'éclats. Des miroirs de toutes les formes et toutes les tailles recouvraient entièrement la pièce. Au centre, à peine visible, attendait une chose vaguement féminine, elle aussi façonnée de miroirs. La créature de gabarit moyen ne possédait pas de visage, ni même de couleurs. Au contraire, elle affichait une infinité d'apparences, chaque individu présent se mirant dans son corps.

Sans pouvoir se contrôler, tous s'avancèrent de quelques pas et s'alignèrent face à la femme miroirs, Helja entre un garde et Luba. La porte claqua derrière eux avant de se verrouiller.

La créature se mit aussitôt sur la pointe des pieds et leur fit une révérence à la manière d'une danseuse. C'est alors que, tels des simples reflets, chaque personne l'imita à la perfection. La sorcière sentit ses pieds se tordre puis son dos se craquer pour la contraindre à se baisser.

De nouveau droite, leur nouvelle ennemie gloussa en les pointant du doigt, l'autre main posée là où devait normalement se trouver sa bouche. Encore une fois, tous firent de même.

— Que... se pa... passe... t ... il ? bégaya le roi, sa voix secouée par son rire incontrôlable.

— J.. je cr... crois qu'elle... ex... exerce une empr... emprise sur.. no... nous, répondit Dolos tout aussi hilare.

La femme miroir s'arrêta puis leva la jambe, obligeant tout le monde à copier le mouvement. Tout ce qu'elle faisait, ses victimes le reproduisaient. Helja essaya de résister, mais cela lui semblait impossible. C'était bien plus fort qu'elle.

Un des gardes s'avança seul, marchant d'une étrange façon, et hurlant qu'il ne pouvait pas s'en empêcher. Tous les autres le regardaient, sans bouger, jusqu'à ce qu'il arrive au côté de la danseuse. Il se retourna et fit face au groupe tandis que dans son dos, la créature sortit un énorme morceau de miroir brisé.

Elle rigola et tous rigolèrent. Elle passa le bord tranchant de son arme contre sa main et ils l'imitèrent. Elle entailla la joue de l'homme qui ne cilla pas, et ils participèrent tous à sa torture. Elle gloussa à nouveau et tous se tordirent de rire. Elle se tourna vers sa victime, leva le miroir cassé et tous en même temps, ils le poignardèrent d'un coup vif.

À chaque fois que l'être magique plantait le garde, chacun d'eux reproduisait le même geste, fendant l'air de leur couteau imaginaire.

Les hommes hurlaient, tentaient de se libérer de cette emprise. En vain. Ils continuaient alors d'assister, impuissants, à la mise à mort de leur frère d'armes. Ce dernier finit par tomber à genoux après avoir reçu une vingtaine de coups sur l'ensemble de son corps. Son cadavre gisait désormais dans une marre de sang au pied de la femme, tachant le sol de glace. Encore une fois, elle riait. Encore une fois, ils riaient.

Maintenant, tous se tournèrent, Helja se retrouvant nez à nez avec Luba. Sans qu'ils puissent contrôler leurs mouvements, ils se donnèrent tous une claque. La sorcière entendit Charlie crier sous le coup d'un des gardes et aperçut au loin Bastet griffer le visage de Dolos.

La créature s'amusa avec eux pendant un long moment, sans que personne n'arrive à lui désobéir. C'était impossible. Helja avait réussi à retenir le coup de pied qu'elle s'apprêtait à infliger à Luba, mais elle sentit le charme se renforcer. Et pour la punir, elle la contraignit à cogner deux fois plus son amie.

Un nouveau garde perdit la vie des mains de la danseuse. Ils se frappèrent de nouveau tous à tour de rôle. Bastet était dans un piètre état, mais Dolos n'était pas bien mieux. Le roi se mit à marcher vers la femme, imitant un canard.

— Arrêtez-la ! cria-t-il.

Ses hommes essayèrent en vain de briser la malédiction. Certains parvenaient à bouger un peu, mais ils reprenaient aussitôt leur place, aussi immobiles que des statues. Ils hurlaient de douleur, tentant de contrer le pouvoir de la créature.

— Helja ! intervint le souverain. Si je meurs, votre amie meurt également ! dit-il lorsqu'il arriva au pied de la danseuse qu'il fut obligé de lécher.

Lorsque Gargoth se releva, elle lui entailla la joue tout en rigolant. Tous copièrent son geste, tandis que Charlie reçut le coup en échos.

— HELJA ! beugla le roi

Le morceau de miroir caressa son cou.

C'était beaucoup trop difficile. La sorcière essayait de résister, de combattre cette soumission, mais elle ne pouvait pas. Elle ne parvenait pas à jeter de sort ni même attraper son poignard. Les plaintes de l'homme se mélangeaient à ceux de Charlie, qui subissait chacune de ses blessures.

Le pied d'Helja remua, brusquement contrôlé par ses propres pensées. Elle fulmina, poussa, fit appel à toute la force qui se trouvait au fond d'elle comme jamais elle n'imaginait devoir le faire.

— Je vais faire de toi la sorcière la plus puissante du pays.

La voix de Médée vibrait dans le présent.

La sorcière réussit à déplacer son deuxième talon. À ce moment-là, le roi et Charlie prirent un premier coup de miroir dans l'omoplate, leur tirant d'affreux cris.

Cela fut insupportable pour la sorcière qui bougea doucement sa main vers son poignard. C'était quelque chose d'éprouvant, qui lui demandait une volonté hors du commun. Lorsqu'elle se saisit enfin du manche, elle le relâcha aussitôt.

L'être magique bouscula violemment Gargoth qui tomba sur le côté. Helja se mit alors à marcher vers elle, marcher vers la mort. Ses mouvements étaient incertains. Parfois, elle s'avançait et parfois, elle reculait. La pression sur ses épaules s'accentua. Son cerveau fut comprimé et à nouveau, elle s'approcha encore plus de la créature.

Face à elle, la sorcière distingua ses traits se refléter à l'infini, mais elle n'arrivait pas à se reconnaître. La femme qu'elle avait devant elle lui souriait et une lueur mauvaise brillait dans ses yeux.

La danseuse gloussa puis planta son arme dans le ventre d'Helja qui hurla. Elle sentit à cet instant précis, tout ce poids qui lui pesait sur le corps se soulever. Elle attrapa alors son arme et d'un geste vif, l'enfonça dans le front du monstre. Dans son propre visage.

Tous les miroirs qui constituaient la créature explosèrent en mille morceaux et partout autour d'eux, la surface des murs se brisa, du sang dégoulinant des fissures.

Sous une véritable pluie carmin à l'odeur de fer, tout le monde tomba, reprenant brusquement le contrôle de leurs pensées. Helja s'écroula à côté du tas de fragments tranchant, la douleur de sa blessure à l'abdomen se propageant dans tout son être. Elle porta ses mains sur la plaie qui saignait abondamment, percevant une chaleur qui se répandait en elle. Sa tête commença à tourner et elle eut une profonde envie de dormir quand Bastet arriva, le sac de la sorcière dans la gueule.

Le grand chat était bien amoché, mais il parvint à déverser tout un flot de fioles et autres bocaux à côté d'elle.

— Qu'est-ce qui pourrait t'aider ? demanda-t-il, affolé.

— Le baume d'Enapiod, répondit Helja qui cracha un jet cramoisi. La petite boîte rose.

Bastet lui apporta alors ce dont elle avait besoin. Elle l'ouvrit, souleva son haut, puis appliqua la pâte compacte, semblable à de la boue colorée, à l'endroit où la danseuse l'avait poignardée. Le résultat fut immédiat. Elle se releva d'un bon, la douleur toujours présente, mais diminuant doucement.

Helja se tourna et aperçut Luba s'occuper de Charlie qui était elle aussi grièvement blessée. Les gardes quant à eux soutenaient le roi pendant que Dolos avançait déjà vers la porte au chiffre six. 

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