Chapitre 17 (partie 1/3) - Clef
84e jour de la période du croissant de lune — 1338
Klyhtar [klitaʁ] = Clef
En pénétrant dans la vaste salle, la propreté du lieu déboussola Helja qui s'attendait à retrouver un genre de cave humide, poussiéreuse et tapissée de toiles d'araignée. Pourtant, on aurait dit que quelqu'un vivait ici. Du parquet en bois poli et brillant recouvrait chaque mur, sol et plafond. Un feu brûlait joyeusement dans une cheminée et éclairait la pièce avec une grande intensité. Il n'y avait rien d'autre mis à part un large canapé et une seconde porte tout au bout. Comme pour la première, un chiffre était peint dessus : le deux, les lignes coulantes telles des traînées de sang.
Le roi entra à son tour, poussant Charlie à côté de la sorcière. Tous les gardes arrivèrent, jetant leur torche, ainsi que Dolos, Luba et Bastet. Une fois tout le groupe réuni, la porte derrière eux se verrouilla.
— Bien, avançons ! ordonna Gargoth tout en désignant l'issue devant lui.
Ils marchèrent en silence, les crépitements du feu couverts par le bruit de leurs pas qui résonnaient sur le sol en bois. Examinant chaque recoin de la pièce, Helja se demandait ce qui était enfermé ici. À ses côtes, Charlie ne quittait pas des yeux le symbole sur son poignet.
— Ça va aller, chuchota-t-elle.
— Oui, nous trouverons un moyen de te sauver, compléta Bastet qui sautillait à sa droite.
La fillette leur répondit par un triste sourire.
Ils avaient parcouru la moitié de l'immense salle lorsqu'une voix retentit derrière la sorcière.
— Regarde-toi !
Elle se retourna et fit face à Médée. Elle portait les mêmes vêtements que lorsqu'elle était partie pour sa dernière mission et arborait la même coiffure dont se rappelait parfaitement la sorcière. Son regard non plus n'avait pas changé, il était toujours aussi noir.
— Tu es devenue si faible, lui balança la femme sur un ton rempli de dégoût.
Elle n'osait plus avancer, ne comprenant pas ce qui lui arrivait. Ce n'était pas un souvenir qu'elle était en train de revivre, elle en était persuadée, mais pour autant, autour d'elle, personne ne semblait voir son ancienne tutrice. Ils avaient simplement arrêté de marcher et tous fixaient un coin vide de la pièce. Helja crut même entendre Charlie murmurer « papa » quand Médée reprit la parole. Sa voix exprimait sa répugnance à l'égard de son ancienne protégée :
— Tellement faible et minable. Je pensais avoir fait de toi une sorcière forte. Mais je me suis trompée.
— Je ne suis pas faible, rugit Helja sans que personne ne réagisse.
— Tu ne veux pas tuer le roi pour sauver cette petite. Comme c'est pitoyable. Tu es une telle déception pour moi.
Helja tenta de répliquer, mais un garde se mit à pleurer en tombant à genoux, implorant le pardon d'un homme qu'elle ne pouvait discerner.
— Non papa, ce n'est pas moi ! cria Charlie, au bord des larmes.
Bientôt, tous parlèrent en même temps, suppliant, hurlant, sanglotant, devant des personnes que la sorcière n'arrivait pas à voir. Lorsque Médée ouvrit la bouche, sa voix couvrit celle de tous les autres.
— Tu pourrais assassiner Gargoth si facilement, récupérer la puissance de ce lieu rien que pour toi et devenir la sorcière la plus redoutable du monde. Mais non. Tu fais tout pour sauver cette pauvre humaine. Si tu savais à quel point c'est humiliant pour moi.
— Tu m'as abandonnée ! Tu es morte et j'ai dû tout gérer. Cinq cycles que je suis seule par ta faute !
Helja s'interrompit un instant puis reprit, criant aussi fort qu'elle le put :
— Jamais tu n'as été tendre avec moi. Ma vie n'a toujours été que chaos, brutalité et insultes. Si je suis comme ça avec les autres aujourd'hui, c'est uniquement à cause de toi !
Les mots étaient sortis avant qu'Helja ne les ait pensé. Depuis le temps qu'elle rêvait de retrouver Médée, pouvoir laisser parler son cœur semblait une bénédiction en ce moment.
— Tu es une meurtrière ! Dès ton plus jeune âge tu as tué tes parents, tes sœurs et depuis, tu ne t'es jamais arrêtée. Tu ne mérites pas d'être aimée. Tu ne mérites que la solitude et le désespoir. Tu imagines qu'en sauvant la vie de Charlie, elle voudra de nouveau rester avec toi ? C'est de ta faute si son existence est devenue si misérable, aboya Médée qui commençait à marcher vers elle. Tu vas tout gâcher, comme tu l'as toujours fait. Tu vas mourir seule, sans personne pour venir te pleurer.
— Helja ! cria Luba en lui secouant le bras.
— Minable, continuait Médée qui se rapprochait de plus en plus. Faible ! Médiocre ! Pitoyable !
— Helja, rien n'est vrai !
— Nig ! formula Helja, prête à attaquer, une boule de feu fraîchement apparut dans le creux de sa main.
— Lamentable ! Ratée ! Bonne à rien !
— HELJA NON !
La sorcière détourna le regard et aperçut Luba le visage recouvert de larmes. Lorsqu'elle tourna la tête, Médée avait disparu.
Les hurlements provoqués par les autres se mirent à résonner plus fort. Charlie sanglotait à genoux, suppliant son père de la pardonner tandis que Bastet tentait en vain de lui dire que tout cela n'était pas réel. Plusieurs gardes étaient également effondrés et le roi essayait d'expliquer qu'il n'était pas responsable de la mort d'une certaine Marie. Dolos arriva, impassible.
— Je vois que vous avez réussi la première épreuve mesdames. Allons les réveiller maintenant.
Alors qu'il avançait vers Gargoth, Helja fit s'évaporer la flamme dans sa main et se tourna vers Luba.
— Comment tu as fait ?
— Bastet m'a sauvée. Je crois que le charme n'a pas agi sur lui, comme c'est un chat. Tu as parlé avec Médée, c'est ça ?
— Oui et elle m'a dit que... je ne sais pas quoi en penser.
— Mais ce n'était pas réel. Médée n'était pas vraiment là et jamais elle ne te traiterait comme ça, tu le sais ?
— Tu en es sûre ? Et si c'était bien elle sous cette capuche ?
Helja marqua une pause puis :
— Et toi, qui as-tu vu ?
— La femme qui gérait le foyer pour fille, celui où j'ai vécu après la mort de mes parents. Elle a toujours été horrible avec nous, mais cette fois, c'était pire que...
— PAPA !
Le cri déchirant de Charlie se répercuta en échos. Peu à peu, tous reprenaient leurs esprits, essuyant leurs yeux rouges et bouffis. Pourtant, elle, rien ne semblait pouvoir la sortir de ce cauchemar. Elle persistait à implorer son père. La sorcière s'agenouilla à ses côtés et lui saisit les mains.
— Charlie, tout cela n'est pas réel ! Il faut que tu reviennes avec nous !
— Papa, je suis tellement... tellement désolée, gémit-elle la voix secouée par des sanglots. Non, ne dis pas ça, ce n'est pas moi... je...
— Charlie, écoute-moi. Je suis là, avec toi !
— PAPA !
— Charlie ! insista la sorcière.
Contre toute attente, elle s'approcha de la jeune fille, ses bras l'entourant avec force, comme si elle voulait la protéger du monde entier. Helja fut surprise, car jamais auparavant elle n'avait offert une telle marque de tendresse. Cet amour presque maternel qui émanait d'elle créa un instant magique, comme si le temps lui-même s'était suspendu, et les soucis qui les accablaient s'évanouirent dans l'éclat de ce moment unique.
Lorsqu'elle se dégagea, Charlie arrêtait de pleurer, regardant dans le vide.
— Ça va ? demanda Helja.
— J'ai vu mon père et il m'a raconté des choses atroces, expliqua-t-elle.
— Je sais, mais rien n'était vrai. Ton père n'était pas là et je suis sûre qu'il est fier de toi en ce moment, j'en suis conv...
— Bon, avançons, coupa le roi.
— Laissez-nous juste le temps de...
Mais à peine Helja avait-elle haussé le ton que les gardes dégainaient leur épée, les lames pointées vers eux. Dolos sortit également un poignard qu'il tourna sur Luba.
— Ne-me-parlez-plus-jamais-comme-ça, exigea le souverain en détachant chacun des mots pour mieux se faire comprendre. Ici, c'est moi qui décide. Alors, quand je dis qu'on continue, on continue.
Helja aida Charlie à se relever, puis elles marchèrent vers la porte numéro deux. Certains semblaient encore bouleversés par ce qu'ils venaient de vivre, mais ils persistaient malgré tout à obéir au roi. La jeune fille avait du mal à tenir debout. Bastet resta à ses côtés et essayait de la réconforter discrètement. Quant à Luba, elle se colla à Helja avant d'entrer dans la deuxième salle.
Un long couloir en forme de tube s'étendait désormais devant eux. Des centaines de lumières colorées brillaient dans l'obscurité, clignotant par moment. Elles tournaient toutes à des rythmes différents, mais toujours autour d'un pont de fer qui disparaissait dans les ténèbres. On aurait dit qu'ils se trouvaient à l'intérieur d'une roue éblouissante, aux éclats stroboscopiques, lancé à vive allure le long d'une colline.
Helja fut la première à s'élancer. Mais dès qu'elle posa le pied sur la plateforme, elle sentit le sol sous ses talons se fendre en deux. Tout était devenu flou. La pièce semblait rouler comme un dé géant et les vertiges la firent tomber à plat ventre.
Elle essaya de se relever, mais chuta aussitôt. Helja éprouvait une désagréable sensation au niveau de son crâne, comme si son cerveau était en train de gonfler. Gonfler à tel point qu'il allait exploser. Une bouffée de chaleur la submergea, l'empêchant de se redresser.
Un garde tenta à son tour de passer, mais ce fut le même résultat. Pareil pour les deux suivants et Luba. Aucun sort n'arrêta le phénomène et le roi ordonna à la sorcière de poursuivre.
Elle rampa sur le sol froid et lisse, hurlant de toute son âme. La douleur devenait de plus en plus insupportable. Son cœur battait d'une manière irrégulière. Beaucoup trop vite pour rester dans son corps sans lui briser la cage thoracique, ou bien beaucoup trop lentement pour la maintenir en vie.
Les lumières continuaient de tourner plus rapidement, produisant un sifflement suraigu qui résonna dans le crâne d'Helja. La température montait davantage, mais elle persistait, sans ménager ses efforts. Derrière elle, les autres l'imitèrent, se traînant à plat ventre. Leurs cris se mélangèrent au son mécanique qu'émettait la roue qui ne cessait d'accélérer, transformant les points brillants de couleur en de longues lignées fluorescentes.
L'avancée demeura interminable, périlleuse et d'une douleur inimaginable. Sa tête était devenue une bombe à retardement, menaçant d'exploser à chaque instant. Quand enfin elle arriva au bout du chemin, elle distingua une porte marquée d'un trois. Et lorsqu'elle posa la main dessus, tout s'arrêta autour d'elle.
Des hurlements de soulagements résonnèrent derrière elle et petit à petit, tous se relevèrent, titubant. L'un des gardes eut un haut-le-cœur avant de vomir sur les pieds du roi, ce qui fut d'une grande satisfaction pour Helja. Elle alla voir Charlie, Luba et Bastet.
— Vous allez bien ? demanda-t-elle.
— Oui, mais un peu plus et moi aussi je régurgitais notre dernier repas, répondit Bastet.
— Merci d'avoir réussi pour nous, la gratifia Charlie
— Bon dépêchez-vous, nous n'avons pas de temps à perdre. En plus, qui sait le nombre de salles qu'il nous reste à visiter.
Gargoth passa au côté d'Helja, la bousculant. La sorcière dut faire d'incroyables efforts pour ne pas lui briser la nuque. Elle regarda Charlie puis la marque à son poignet, avant de continuer.
En franchissant la porte, la sorcière ressentit aussitôt un froid glacial. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle découvrit la troisième pièce. Elle apparaissait étriquée et plutôt basse de plafond. Tout ressortait d'une couleur grise, comme constituée de métal. Divers couteaux étaient alignés sur une table qui trônait au centre de l'alcôve. Les armes allaient du plus petit au plus grand, du plus tranchant au plus anguleux, de quoi satisfaire les goûts de tout à chacun.
Helja s'avança doucement et une fois que tout le monde fut entré, l'huis se verrouilla comme les deux premières. Par rapport aux deux premières salles, ici, il n'y avait pas d'issue. Ils étaient pris au piège.
Les gardes s'approchèrent des poignards. Le souverain les rejoignit, mais Helja resta en retrait avec ses compagnons. De la vapeur blanchâtre et épaisse sortait de leur bouche quand ils respiraient et tous frissonnaient. Et alors que la sorcière fit apparaître une flamme pour se réchauffer elle et ses amis, la voix haute et forte de Gargoth retentit dans la pièce :
— Helja ! Venez me lire ce qui est écrit !
Si je tue le roi, je tue Charlie. Helja se répétait cette phrase en boucle pour s'obliger à ne pas l'assassiner ici et maintenant. Et attaquer tous les gardes serait prendre le risque que quelqu'un ne meure dans la bataille. Elle ne pouvait pas se le permettre.
En s'approchant de la table en fer, elle vit un message gravé sous l'ensemble des poignards.
— Zhertorn karov otkik kapver ! murmura la sorcière.
— Qu'est-ce que ça veut dire ? questionna sèchement un homme qui glissa son doigt sur la lame courbe d'un couteau.
Helja réfléchit rapidement. Elle ne pouvait pas dire que la salle demandait le sacrifice du sang pour ouvrir la porte. Le roi tuerait alors l'une d'entre elles ou bien Bastet. Mais elle ne pouvait pas non plus dissimuler toute la vérité, sans quoi ils resteraient enfermés ici à tout jamais.
— Ça indique que pour accéder à la prochaine épreuve, il faut qu'on se fasse tous saigner, expliqua-t-elle, espérant que son stratagème fonctionne.
— Attendez ! intervint Dolos qui approcha, claquant des dents. Je connais un peu le Sihrla.
Alors qu'un garde lui lut le message – l'homme était trop petit pour voir le dessus de la table –, Helja aspirait à ce que le conseiller se trompe. Comment un humain pouvait-il maîtriser l'ancienne langue du pays ? Non, elle était certaine qu'il allait se fourvoyer.
— Pas du tout, révéla-t-il enfin après un moment. Cela n'exige pas notre sang à tous, mais juste du sang. Je suis sûr que le sang d'une seule personne répondra à la demande.
— Impossible, vous avez tort ! se défendit Helja.
Mais les gardes brandirent aussitôt leur arme, certains préférant prendre les couteaux à disposition. Helja dégaina encore plus vite la sienne. Charlie et Luba se mirent en position de combat également et Bastet sortit ses griffes.
— Nous ne sommes pas obligés de tuer quelqu'un. Si chacun se fait saigner, alors cela suffira, essaya la sorcière.
— Dolos a raison, coupa le roi. Vous avez même peut-être tous les deux raison, mais, pourquoi tous nous blesser inutilement ? Nous ne pouvons pas nous débarrasser de vous tout de suite ni de la jeune fille et je pense que le sang du chat ne sera pas assez honorable. Attaquez donc l'autre femme.
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