Chapitre 16 (partie 3/3) - Pluie
Ses compagnons quittèrent la résidence et se dirigeaient vers Helja. Luba la rattrapa en première :
— Qu'est ce qu'il y a ? Qu'as-tu vu ?
— Cette lâche, marmonna-t-elle
La colère prenait rapidement place à l'angoisse.
— Que s'est-t-il passé ? répéta la métamorphe.
— Rien. Il ne s'est absolument rien passé.
— Tu devrais sûrement nous en parler Helja, nous sommes tes amis, intervint Bastet.
— Je vous dis qu'il ne s'est rien passé, vous êtes sourds ?
Et sur ces mots, Helja s'éloigna pour rejoindre Pontes, se remémorant sans cesse ce qu'elle venait de voir.
Ils volèrent deux chevaux en ville puis galopèrent jusqu'à Masselia. Pendant les quatre jours et demi de voyage, Helja ne discuta quasiment pas, trop perdue dans ses pensées. Jamais elle n'avait envisagé qu'un jour, elle pourrait mourir. Pas qu'elle ait cru que la mort ne la rattraperait pas, tout le monde devait y passer et elle était bien placée pour le savoir, mais pour elle, ce moment semblait fort lointain. Tellement loin qu'il n'arriverait pas avant qu'elle ne devienne à son tour une vieille sorcière. Pourtant, dans sa vision, son visage paraissait jeune, comme si la faucheuse l'attendait déjà à sa porte. Comment Médée pourrait en venir à de telles extrémités ? Et pourquoi ?
Helja tenta de se rassurer en se répétant en boucle que le destin n'était pas quelque chose d'écrit, quelque chose de fixe. Si elle avait eu cette vision, c'était justement pour changer son avenir. Elle essayait de se convaincre, mais elle avait du mal à l'intégrer aussi bien qu'elle l'aurait voulu.
Tous les soirs, ils dormaient à la belle étoile et installaient des campements provisoires. Le plus souvent, c'était la sorcière qui s'occupait de chasser le repas, désirant se retrouver seule. Les uniques moments où elle daignait leur adresser la parole c'était lors des entraînements. Ne sachant pas quels nouveaux dangers les attendaient, ils devaient tous se préparer au combat. Mais loin d'avoir pardonné Helja, Charlie préféra apprendre auprès de Luba.
Cette fois, il n'y eut aucun jeu ou aucune blague durant leur traversée du pays. Bastet et Charlie discutaient beaucoup en tête-à-tête, bien décider à trouver un nom pour leur groupe. Les Aventuriers De Gallia plaisait beaucoup à la petite fille, mais le chat continuait de proposer d'autres idées, Les Voleurs Aux Milliers De Pièce D'or étant le dernier en date.
À de rares occasions, la métamorphe tentait le dialogue avec Helja, mais sans réel succès. Grâce à la carte interactive achetée à la ville souterraine, ils purent dénicher facilement de quoi manger, l'objet magique leur indiquant où débusquer fruits et légumes comestibles mais aussi les points d'eau et endroits calme pour une pause.
Après avoir parcouru Munalu, Cularos et Losa, après avoir soigneusement contourné Isla, ils atteignirent enfin Masselia. Comme le soir tombait, ils s'arrêtèrent dormir dans une auberge où ils partagèrent un copieux repas dans un silence équivoque avant d'aller se coucher. Ils reprirent la route avant le lever du soleil, galopant encore quelques heures dans la matinée glaciale.
Arrivant aux abords de la bourgade, ils attachèrent les chevaux. Helja fit face au cercle que formaient les treize maisons délabrées et se remémora sa dernière visite. Devant elle, une silhouette se faisait tirer par une corde autour du cou, incapable de prononcer une formule magique. La sorcière secoua alors la tête, chassant les souvenirs, puis ordonna :
— Séparons-nous pour essayer de trouver quelque chose. Au moindre indice ou signe suspect, on sonne l'alerte.
Charlie et Bastet partirent vers La Taverne de la Tête à Trois Yeux où les corps des démons pourrissaient toujours, Luba vers une bâtisse baptisée Manoir aux Mornes Souvenirs et Helja vers la résidence la plus éloignée, le numéro treize.
Lorsqu'elle s'en approcha, elle vit un écriteau qui indiquait La Prison de la Mère. Elle se demanda qui avaient pu donner tous ces noms aux différentes constructions après que la famille Kalam, ses ancêtres, aient quitté les lieux.
La sorcière frappa à la porte, mais personne ne répondit. Elle renouvela la tentative puis elle regarda à travers une fenêtre noire de crasse. Avec beaucoup de difficulté, Helja distingua tout de même un semblant de salon, composé uniquement de deux meubles. Un canapé éventré et une étagère entièrement vide. Il y avait également un vieux tableau qui montrait une jeune femme très jolie, aux pommettes saillantes et aux longs cheveux fuligineux enroulés autour de son corps telle une robe. Mais l'endroit paraissait totalement désert.
Helja déverrouilla l'entrée d'un simple sort puis pénétra dans le bâtiment qui dégageait une affreuse odeur de renfermé. À l'intérieur, elle ne découvrit rien de plus que ce qu'elle avait vu depuis la fenêtre. Et malgré des recherches approfondies et quelques formules magiques, elle ne décela aucune trappe cachée, pièce secrète ou indice indiquant un passage pour rejoindre la puissance emprisonnée.
En sortant de la maison, elle tomba sur Luba qui l'empêcha de continuer.
— Nous devons parler de ce qui t'est arrivé chez les sœurs de la sagesse.
— Je t'ai déjà expliqué qu'il ne s'est rien passé !
— Très bien, alors discutons de nous, bredouilla-t-elle, se grattant machinalement l'avant-bras.
— Ah parce que maintenant tu es disposée à en parler ? rétorqua-t-elle d'une voix froide. Désolée, mais je ne pense pas que ce soit le bon moment. De toute façon, il n'y a rien à dire. Tu es venue dans ma chambre, il s'est passé ce qu'il s'est passé et puis c'est tout. Fin de l'histoire.
Et sans se retourner, la sorcière partit explorer le bâtiment juste à côté, le numéro douze intitulé : Rêve ou Cauchemars tout Reste Brouillard.
Ils passèrent au peigne fin le village pendant des heures, mais ils ne trouvèrent rien. Tous les habitants semblaient avoir soudainement abandonné leur maison, laissant tout dans l'état. Il n'y avait rien non plus dans les environs de la forêt, ou bien au centre de la place.
— Je crois que c'était une fausse piste, maugréa Charlie, assise sur le banc près du puits, la tête dans les mains.
— Nous n'avons peut-être pas cherché partout, tenta Helja.
— Si, nous avons inspecté chaque recoin de la ville et il n'y a rien, soupira Luba, allongée à même le sol.
La sorcière se pencha au-dessus du puits pour regarder son contenu, mais elle ne discerna que l'obscurité de sa profondeur.
— Nous devrions peut-être...
Elle laissa sa phrase en suspens.
— Quoi donc ? demanda Bastet.
— Le puits. Écoutez !
Ils se joignirent tous à elle, l'oreille tendue.
Alors que le silence régnait dehors, ils distinguèrent un bruit étrange, comme un râle, émanant de l'intérieur du puits. On aurait dit que quelque chose était en train de dormir sous leurs pieds.
— Nous devrions allez jeter un coup d'œil, suggéra Helja.
— Pourquoi ? Ce n'est qu'un puits, s'opposa Charlie.
— Si tu savais tout ce qu'on peut faire avec un simple puits. Je suis sûre qu'il doit y avoir quelque chose là dedans.
— Et bien, je pensais que jamais vous n'y arriveriez !
La voix qui avait retenti dans leur dos était familière à Helja. Elle ne fut donc pas surprise lorsqu'elle vit le roi, debout devant elle, une trentaine de gardes avec lui. Dolos et la personne à la capuche se tenaient à ses côtés.
Cette vision provoqua en elle une telle folie, une telle rage, qu'elle dégaina son poignard avant même d'y avoir songé. Elle s'élançait déjà, prête à tuer, mais l'inconnu leva la main et, sans prononcer une seule formule, bloqua la sorcière dans les airs. Son corps était arrêté dans sa lancée, ses bras et ses jambes formant d'étranges angles. La capuche donna un nouveau mouvement sec de la paume, renvoyant Helja en arrière. Son dos glissa sur quelques mètres avant qu'elle ne se relève et attaque à nouveau.
— KES... commença-t-elle mais quelque chose fit pression sur ses lèvres, l'empêchant de continuer son sortilège.
— Je ne ferais pas ça si j'étais vous, la mit en garde le roi.
Helja put enfin de nouveau parler.
— Et pourquoi ne devrais-je pas vous tuer ? demanda-t-elle, arrogante.
— Tout simplement parce que si vous tenez à votre chère amie, vous ne me ferez aucun mal.
Et pour compléter ce que le souverain venait de dire, il montra son poignet. Le même signe mauve que Charlie y était gravé.
— Tout ce que vous me ferez subir, expliqua-t-il en se munissant d'un couteau, sera répercuté sur cette jeune fille.
Gargoth se tailla légèrement le pouce et aussitôt, Charlie sursauta, du sang dégoulinant de son propre doigt.
— Donc si vous me tuez, vous la tuez également, ricana-t-il. Une petite précaution pour ce qui nous attend tous.
— Et qu'est-ce qui nous attend exactement ? demanda Luba.
— Nous allons récupérer l'arme tous ensemble.
— Pourquoi nous ? Vous pouvez très bien y arriver sans notre aide, répondit Helja, les yeux rivés sur l'inconnu à capuche. Pourquoi fais-tu ça Médée ? Pourquoi protéger le roi ? Qu'as-tu à gagner dans tout ça ?
Mais Médée ne répondit pas.
— Notre compagnon doit partir pour une autre mission, c'est pour ça que nous allons vous garder avec nous. Et, si nous avons besoin de chair fraiche, quelques personnes en plus ne nous feront pas de mal. Allons y maintenant, j'ai assez attendu.
Tous les gardes se rapprochèrent et déployèrent une corde dans le puits. En même temps, Gargoth discuta avec Médée avant qu'elle ne s'éloigne sans se retourner. La première pensée d'Helja fut que si son ancienne tutrice ne venait pas avec eux, c'est qu'aujourd'hui n'était pas le jour où elle se ferait tuer. Luba et Bastet regardaient tout le monde s'affairer autour d'eux tandis que Charlie attrapa la main d'Helja.
Au moment où la petite fille la toucha, la sorcière éprouva une peur incroyable, comme elle n'en avait jamais eue auparavant, éclipsant même le soulagement ressenti en voyant la capuche partir. Elle ne pouvait pas accepter que Charlie meure ce soir. Pas à cause d'elle. Pas à cause de ses choix. C'était difficile de reconnaître ses torts pour Helja, mais en cet instant, alors qu'ils s'apprêtaient à pénétrer dans un lieu inconnu sûrement rempli de dangers, à l'issue fatale évidente, la vérité lui sauta aux yeux. Elle était responsable de Charlie. Elle avait consenti à ce qu'elle l'accompagne et si quelque chose lui arrivait, ce serait sa faute.
— Prêts pour l'aventure ? demanda Dolos en dévisageant la jeune fille de son regard porcins cachés derrière ses grosses lunettes.
En quelques minutes seulement, la moitié des gardes avaient disparu à l'intérieur du puits. Luba les suivit, Bastet sur ses épaules. Il n'y avait que le roi et Charlie lorsque cette dernière se tourna vers la sorcière :
— Je suis désolée de ce que je t'ai dit, je ne le pensais pas.
— Je sais.
— Si je meurs, je veux que tu saches...
— Tu ne mourras pas aujourd'hui, je ferai tout pour que ça n'arrive pas, coupa Helja.
— Comme c'est touchant, intervint Gargoth. Maintenant, allez-y !
Charlie passa la première, puis ce fut au tour d'Helja.
Pendant plusieurs longues minutes, elle se laissa descendre doucement dans les profondeurs ténébreuses du puits. Bientôt, la lumière du soleil disparut totalement, la plongeant dans le noir le plus complet. Le râle se faisait de plus en plus sonore, de plus en plus oppressant.
Helja essayait de trouver une solution mais tenter quoi que ce soit, pour l'instant, était bien trop risqué. Elle ne pouvait tuer le roi sans tuer Charlie et tant que la marque les lierait encore tous les deux, elle se retrouvait prise au piège.
La lueur de torches perça l'obscurité, indiquant qu'Helja était arrivée. Lors des derniers mètres, elle eut l'impression de passer à travers un voile d'eau, un peu comme lorsqu'elle entrait chez elle avant que sa maison ne devienne un tas de cendre.
Elle posa pieds sur un sol fait de gravats charbonneux. Les parois rocheuses du tunnel étaient sombres et humides. La sorcière se sentit étouffer dans cet endroit exigu envahit d'un grand nombre de personnes. Le son ressemblait maintenant davantage à un ronflement, comme si quelque chose de colossal hantait cette caverne trop basse pour se tenir correctement. Elle retrouva rapidement Charlie, Luba et Bastet avant que Gargoth ne se montre.
— Bien, allons-y !
— Pourquoi Médée vous aide à récupérer cette puissance ? demanda Helja.
Gargoth se tourna vers elle, perplexe.
— Médée ? De qui parlez-vous ?
— Sous la capuche, c'est elle qui manigance tout ça.
Alors, l'homme se contenta de sourire avant de continuer sa route.
Ils marchèrent pendant quelques minutes, le bruit des bottes et des armes qui s'entrechoquent résonnant en échos. La lumière des torches projetait une multitude d'ombres contre la roche, formant d'affreuses créatures de la nuit.
Helja repensa à l'attitude du roi. Si, au départ, il n'avait pas l'air de connaître son ancienne tutrice, il avait rapidement changé d'expression à l'évocation de l'identité de la personne sous la capuche. Se pouvait-elle qu'elle fasse fausse route ? Dans ce cas, qui pouvait se cacher dans les ombres de ce manteau ? Il lui fallait trouver rapidement, mais avant ça, elle devait sortir d'ici et sauver ses amis.
Bientôt, ils se retrouvèrent bloqués face à une haute porte en bois, sans poignet. Le chiffre un était peint en rouge dessus, dégoulinant comme du sang frais.
— Passez-moi le cercle et le grimoire ! ordonna le souverain.
Helja leur donna sans discuter, mais à contre-coeur.
Dolos logea l'anneau d'or contre la porte et celui-ci se mit à tenir tout seul. Il jeta ensuite le contenu d'une fiole de sang dessus et il s'illumina comme un petit soleil, éclairant la grotte comme en plein jours. Le roi prit enfin le livre, et l'examina de côté. Il plaça les pages de telle manière qu'une incantation apparaisse sous ses yeux.
— Nous avons besoin d'une sorcière, lisez-moi ça ! ordonna-t-il à Helja.
Elle attrapa le grimoire, mais dévisagea le souverain. Elle se tourna alors vers Charlie et consentit à courber l'échine :
— Taprika klyhtar vi karov ne predklif. Slush ne sozva. Otkik kapver vi vefur ne dosiris mashny !
Aussitôt la porte s'ébranla et s'ouvrit sans un bruit. Gargoth lui fit signe de passer la première. Lorsqu'Helja entra, elle ne pensait plus qu'à une seule chose. Comment allaient-ils sortir de ce pétrin ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top