Chapitre 15 (partie 1/2) - Os
78e jour de la période du croissant de lune - 1338
Komik [komik] = Os
Un mal de crâne épouvantable réveilla Charlie. Elle se redressa, tenta de se lever, mais chancela. Le bruit provoqué sortit Bastet de sa nuit.
— Ça va ? demanda-t-il.
— Oui, je me sens juste un peu... bizarre, comme si j'avais bu beaucoup d'alcool.
— Attends, ne bouge pas.
Le grand chat sauta sur le lit pour la rejoindre. Il la renifla un court moment puis déclara :
— Pourtant tu n'empestes même pas.
— Je sais, je n'ai rien bu. J'ai simplement la sensation d'être complètement saoule, comme dans la ville souterraine.
Tandis que la fillette fermait doucement les yeux, le matelas sous elle se mit à danser, la soulevant en une valse arrière. Elle s'étendit sur le dos, une main caressant sa tête. Dans le noir, des étoiles tournoyèrent devant elle, splendide ballet céleste. Une chorégraphie électrisante, parfaite, qui éveilla en elle une impression de vertige profond.
Helja, j'ai besoin d'Helja, pensa-t-elle.
Puis, les mots acerbes de la sorcière résonnèrent à nouveau à ses oreilles, faisant monter en elle une nouvelle colère insurmontable. Oh, comme elle se blâmait de toujours dépendre d'elle, cette personne qu'elle détestait aimer. Elle qui était comme une sœur. Elle qui ne désirerait jamais de sa présence dans sa vie.
Elle cligna doucement des paupières, et la première chose qu'elle distingua dans la pénombre fut le symbole ornant son poignet. Les deux triangles luisaient d'un éclat mauve envoûtant.
— Depuis que j'ai cette... rune, il m'arrive de ressentir des trucs étranges par moment, comme si je n'étais plus moi, avoua-t-elle enfin.
— Tu devrais en parler à Helja, lui suggéra Bastet qui se posait à ses côtés.
— Hors de question. Elle ne veut pas de moi et ça, je l'ai très bien compris. Je demanderai conseil aux sœurs de la sagesse quand on ira les voir.
— Tu sais, Helja a été maladroite à la taverne la dernière fois, tu la connais.
Charlie se redressa d'un bond, furieuse.
— Maladroite ? Non, elle n'a pas été maladroite, elle a été sincère. Et son comportement désagréable ne justifie pas tout. Pourquoi tu continues à la défendre comme ça, Bastet ? Elle t'a transformé en chat quand même.
L'animal baissa la tête, les moustaches frémissantes.
— Je ne sais pas. Peut-être parce qu'elle est tout ce qu'il me reste. Avant tout ça, j'étais très seul et Helja est en quelque sorte ma première amie. En attendant, ton état m'inquiète, on ne sait rien de cette marque et si elle te fait du mal, tu dois en parler.
— J'en discuterai avec les sœurs, pas avec Helj...
Mais Charlie ne put terminer sa phrase. Elle venait de vomir tout son dîner.
***
Helja sortit son poignard de la nuque d'une femme qui tomba raide morte sur le sol. Elle se retourna et planta l'œil d'une autre. Des bras se fermèrent autour de sa taille et l'envoyèrent valdinguer dans le décor, son dos se claquant contre la paroi de la grotte.
Allongée face contre terre, elle vit au loin Luba se changer en une femme démesurée, le poing massif tel des tonneaux, avant de fondre sur la foule compacte qui l'entourait. Des corps volaient en tous sens.
La sorcière se releva, mais on lui porta un coup dans les reins ce qui la fit à nouveau tomber.
— Galvat !
Helja tressaillit en entendant le sortilège lancé plus loin. Une autre sorcière se trouvait parmi ses ennemies.
Elle se redressa d'un bond alors que Luba, elle, s'effondrait. De grandes cordes sombres entouraient son corps imposant. Helja se précipita vers son alliée mais un homme pourvu de six bras lui barrait le chemin. Ses nombreux poings s'abattirent sur elle d'un seul tenant, l'obligeant à croiser les bras devant son visage pour se protéger. Il enchaînait les coups avec une telle rapidité qu'elle ne pouvait répliquer.
Helja se concentra :
— Sitat !
Sa magie le propulsa dans le ciel obscur. Au même moment, quelqu'un d'autre s'écria :
— Galvat !
Une fois de plus, des cordes noires jaillirent du néant, dansant avec une ferveur frénétique en direction d'Helja qui ne parvint pas à esquiver l'assaut. S'enroulant violemment autour d'elle, les liens comprimèrent sa poitrine, brisèrent ses poignets et l'obligèrent à lâcher prise sur son arme. Finalement, ils serpentèrent autour de ses fines chevilles, la faisant basculer en avant, sa tête venant heurter le sol d'un bruit sec et froid.
Une haute femme sortit alors de la nuit. Sa grande cape produisait d'horribles bruissements contre la terre. Helja ne prit pas le temps de la regarder davantage et hurla :
— Nig !
Les cordes prirent feu.
Libérée, elle se releva. Elle donna un coup de pied dans le crâne d'un homme sans visage puis se tourna vers Luba qui avait retrouvé son apparence. Une distraction de trop. La sorcière inconnue lui souffla dans les yeux une poussière étoilée.
***
À son réveil, l'obscurité l'enveloppait. Helja se redressa doucement, ses mains appuyées contre une paroi froide et lisse. Elle ne trouva pas son sac, ni même son poignard et lorsqu'elle essaya d'user de sa magie, elle reçut un choc électrique qui lui parcourut tout le corps. Elle chercha alors à tâtons, mais ne sentit rien d'autre que les quatre murs qui la retenaient prisonnière. Frappant à grand coup contre les cloisons, hurlant et proférant d'horribles jurons, Helja se laissa finalement tomber pour s'asseoir et attendre.
Qui l'avait emprisonnée ici ? Où était Luba ? Combien d'heures avait-elle dormi ? Toutes ces interrogations se pressaient dans son esprit, mais elles se heurtaient au silence.
La sorcière perdit toute notion du temps qui s'écoulait, quelques minutes ou bien des jours, lorsqu'un rayon de lumière transperça les ténèbres. Elle se redressa instantanément, prête à l'assaut, ignorant la douleur lancinante de ses poignets meurtris. Un rectangle se dessina lentement, révélant ensuite une porte qui laissa entrevoir l'apparition d'une silhouette imposante.
Sans dire un mot, l'inconnu entra. Dans la pénombre Helja n'arrivait à distinguer que les contours de son importante carrure. Elle voulut alors lui abattre son poing dans la figure mais il attrapa son avant bras et la fit tomber d'un coup de genou dans l'estomac. La sorcière ne put s'empêcher de lâcher un atroce hurlement. Il lui posa ensuite des menottes et la tira hors de la pièce.
L'homme la poussa à travers un long couloir où elle découvrit plusieurs autres personnes retenues en otage. Ils étaient tous derrière des murs transparents et comme elle, ils semblaient plongés dans les ténèbres. Helja vit plusieurs humains, mais aussi des êtres magiques. Elle aperçut également la femme d'Ugo, toujours dans le coma. Mais pas une seule trace de Luba.
Dehors il faisait encore nuit pourtant, les étoiles avaient l'air d'avoir complètement disparu du ciel. À la lueur bleutée d'un immense feu de camp, la sorcière distingua une foule colossale réunie en cercle, tous la dévisageant à son approche. Elle n'aurait su dire combien de personnes formaient cette masse importante de corps différents. Autant d'hommes que de femmes, parfois même des enfants, humains ou êtres magiques, hurlant des injures, brandissant des armes tranchantes et lâchant des sortilèges dans l'atmosphère. Une explosion de bruits, de couleurs et d'odeurs. Son regard s'attarda un instant sur une inconnue avec peu de vêtements, au ventre rond caractéristique d'une femme enceinte, la peau recouverte de symboles dessinés à la peinture verte.
C'est là que, parmi la foule, Helja aperçut Luba, ligotée contre un haut poteau en bois, à quelques pas du feu. Son visage était tuméfié à cause du combat survenue quelques temps plus tôt et la terreur se lisait dans ses yeux.
L'homme derrière la sorcière l'attacha au côté de la métamorphe, serrant le lien aussi fort qu'il le put. Lorsqu'il s'avança, Helja découvrit pour la première fois son apparence à faire froid dans le dos. Il mesurait plusieurs mètres et avait les bras les plus gros et les plus musclés qu'Helja n'ait jamais vus. Toute sa peau était entièrement noire, striée de rouge, comme un zèbre. L'inconnu posa un regard glacial sur elle, lui renifla le cou, puis il s'éloigna en balançant son sac sur le sol.
Alors que tout le clan hurlait, éclatait de rire, vociférait des paroles indistinctes, frappait des pieds... le cœur d'Helja s'emballa.
Puissance.
Contrôle.
Elle essaya de se concentrer dans ce tumulte et transforma ses mots en ordres :
— Salviz !
— Ve ! aboya une voix derrière elle. Galvat !
Et alors que les cordes avaient commencé à la libérer, elles s'arrêtèrent de bouger et se resserrèrent encore plus.
Une femme apparut avec une telle légèreté qu'elle semblait glisser sur l'herbe. Vêtue d'une large cape noire, Helja s'attarda sur son visage qui lui était curieusement familier. Elle avait des longs cheveux charbonneux bouclés, un teint laiteux et des lèvres pulpeuses peintes de rouge.
Elle cligna des paupières, pensant rêver.
— Médée ?
Comment son ancienne tutrice pouvait-elle être là ?
Mais à mesure qu'elle s'approchait, Helja réalisa son erreur. L'inconnue, d'une beauté singulière et atypique, paraissait bien trop jeune pour être sa tutrice. De plus, ses yeux vairons brillaient de jaune et de violet.
— Ne recommence pas petite sorcière, sinon je vais devoir corser les choses et je ne voudrais pas abîmer davantage ce magnifique visage.
Elle lui claqua légèrement la joue, sa main aussi froide qu'un glaçon.
Totalement déboussolée par cette parfaite ressemblance, Helja ne pouvait détourner son regard.
La femme se releva, contourna le feu d'une démarche aérienne, maniant avec grâce un grand bâton en bois clair au bout duquel un orbe multicolore brillait.
La sorcière s'arrêta, se retourna vers les deux prisonnières solidement ligotées, puis ordonna au rassemblement de se taire d'un mouvement sec. Elle fit pivoter son arme en prononçant une formule et quatre hautes chaises apparurent, alignées les unes à côté des autres.
— Ce soir, vous avez pénétré sur le territoire du clan des cavaliers de l'apocalypse. Et pour cet affront à l'encontre de notre peuple, vous serez toutes les deux exécutées !
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