Chapitre 13 (partie 2/2) - Bonjour

Durant le deuxième jour d'expédition, Charlie et Bastet jouèrent pour passer le temps :

— Alors c'est une grande femme, qui se met souvent en colère et qui regarde les autres d'une drôle de manière, mais ce n'est pas Helja ? répéta Charlie qui eut pour effet de faire souffler une nouvelle fois la principale concernée.

— Oui c'est ça.

— Elle a des ailes ? questionna Luba qui se joignit à eux.

— Oui !

— Facile ! C'est la reine souterraine ? proposa la fillette.

— Bravo ! À toi de penser à quelqu'un maintenant.

Charlie était en train de réfléchir quand son teint devint soudainement rouge.

— C'est bon.

— C'est Tiguil ! crièrent en cœur Bastet et Helja.

— Mais ? Comment vous savez ?

Après avoir fait le tour des personnes qu'ils avaient rencontrées durant leur route, le grand chat suggéra un concours de blagues qui parvint à tirer le début d'un sourire à la sorcière.

Les paysages arides étaient impressionnants. Des déserts de roches salées où seule une végétation à l'allure morte arrivait à pousser. Des arbres gris, sans feuilles et aux branches friables. De nouveaux geysers d'eau bouillante explosaient ce qui eu pour effet de relancer le débat sur les dragons qui vivaient peut-être sous leurs pieds.

Pendant les pauses, la sorcière voulut entraîner Charlie au combat. Elle trouvait qu'elle s'était bien défendue contre les gardes, mais l'homme lui avait arraché son bâton beaucoup trop facilement selon elle. Aussi, elle lui enseigna les bases comme Médée le lui avait appris. Luba lui montra également ses propres techniques alors que Bastet se contentait de se reposer au soleil.

— Vous savez, commença Charlie, dans les histoires où une troupe part en mission pour sauver le monde, ils ont toujours un nom d'équipe. On pourrait faire pareil.

— Sauf que nous ne sommes pas vraiment une troupe, répondit Luba qui s'arrêtait un instant pour boire une gorgée d'eau.

— Et nous n'allons pas non plus sauver le monde, compléta Helja.

— Oui bon, mais l'idée est là, insista la fillette. On pourrait se faire appeler Les Voyageurs Mysterieux.

— Hum, pas terrible, commenta Bastet. Pourquoi pas Le Groupe Qui Transporte Un Cercle D'or Inconnu A Travers Tout Le Pays ?

— Ou alors L'humaine, Le Chat Parlant, La Métamorphe et La Sorcière ? ajouta Charlie

— Je dirais plutôt L'humaine, Le Chat Parlant, La Métamorphe et La Sorcière Grincheuse, suggéra Bastet, ignorant le regard noir d'Helja.

Tous deux continuèrent de discuter d'un potentiel nom d'équipe. Un nom qui relaterait leurs aventures mais qui imposerait aussi le respect. Et c'est vers le début d'après-midi du lendemain, après une nouvelle nuit à la belle étoile et alors que Charlie et Bastet hésitaient toujours entre Les Survivants De L'Hydre Déchaîné et Les Tueurs De Roi Fourbe Et Laid, que les premières courbes de Pontes se dessinèrent dans l'horizon. Située en contre bas, entourée de hauts monticules de pierres albâtres, la ville se démarquait par ses bâtiments aux contrastes bleu azur et blanc. Déjà, le son d'une foule se répercutait entre les parois qui encerclaient la cité et résonnait bruyamment.

Helja ouvrit la marche, suivant le sentier qui descendait à la verticale et se tenant aux branches des quelques arbustes qui parsemaient le chemin. Au bout de quelques mètres, ils rencontrèrent un panneau en bois sur lequel était clouée une quantité impressionnante d'affiches à son effigie. La sorcière releva alors la capuche de son manteau de voyage qui cachait son visage dans l'obscurité.

Lorsqu'ils entrèrent dans Pontes, Helja fut frappée par l'abondance de bleu qu'on pouvait voir absolument partout dans cette ville. Dans les habits des villageois, la végétation luxuriante et même, dans le pelage des moutons qui se promenaient librement dans le dédale des rues pavées. Les résidents avaient pour la plupart tous la peau d'une belle couleur cuivre.

La façon dont avaient été bâtis les lieux, dans une cuve en plein milieu des hautes montagnes, faisait de ce lieu une vraie fournaise, la chaleur du soleil se retrouvant enfermée. Helja commençait déjà à suer dans ses lourds vêtements inadaptés à cette région, mais elle ne pouvait pas risquer de dévoiler sa présence.

Ils arpentèrent les extraordinaires allées de Pontes sous une température caniculaire à la recherche du chemin qui mènerait aux sœurs de la sagesse, mais la cité était un authentique mélange de ruelles grouillantes de vie.

Après plus d'une heure, rien ne leur avait sauté aux yeux. Ici, tout demeurait identique. Des maisons d'ivoire à trois étages, aux toits en forme de sphère azurée et aux fenêtres et portes en ogives, qui avaient poussé comme des champignons. Une véritable foret de bâtiments entourée par de vastes jardins luxuriants et arborés, à l'herbe turquoise soyeuse où les habitants pouvaient se prélasser au soleil ou cultiver.

Le groupe s'arrêta au centre de la ville où l'on apercevait la même fontaine et la même statue du roi qu'à Cularos. Le liquide qui en coulait paraissait toutefois différent, une teinte beaucoup plus proche du saphir.

Ils se posèrent tous sur un banc, cherchant un indice qui les mènerait aux sorcières. Le bruit de la foule qui circulait se mêlait au clapotement de l'eau régulier et apaisant. Helja proposa à Luba de les appeler à nouveau quand Charlie les interpella. Au loin, entre une épicerie et une bande d'enfants qui attendait d'entrer dans leur école, un étroit passage se profilait en direction des montagnes. Cependant, ce sentier se distinguait des autres. Il se constituait de courtes racines d'une teinte pourpre.

— Vous pensez que c'est par ici ? demanda alors la fillette, pointant du doigt l'escalier végétal.

— Sûrement ! C'est bien leur genre de faire des trucs excentriques comme ça en tout cas, répondit Luba qui s'était déjà levée.

Lorsqu'ils s'approchèrent du chemin, l'homme qui accompagnait les élèves les arrêta. Il avait un visage ovale, des cheveux noirs en bataille et une barbe bien entretenue. L'inconnu s'avança, remettant en place les lunettes rondes sur son nez tombant.

— Désolé mesdames, mais vous ne devriez pas allez là bas, dit-il d'une voix grave et joviale à l'accent chantant.

— Ah bon, et pourquoi ? rétorqua Helja, fixant le professeur de haut.

— Et bien, c'est par là que vivent les sorcières. Et on raconte que parfois, elles mangent les enfants, expliqua-t-il en regardant Charlie d'un air suppliant. Ici, personne ne monte jamais les voir et quand c'est elles qui descendent, on se barricade dans nos maisons. Malheureusement, on ne peut pas les chasser puisque sans elles, les démons et fantômes nous envahiraient vous comprenez. Mais elles restent des sorcières.

Le sang d'Helja bouillonnait dans ses veines. Elle ouvrit la bouche pour lancer une réplique cinglante, sûrement appuyée par un sortilège, mais Luba fut la première à répondre.

— Nous sommes au courant, merci. Mais nous devons nous entretenir avec elles pour une affaire urgente.

— Je vous aurais prévenu, les mit en garde l'homme, avant de retourner surveiller les enfants qui commençaient à s'éparpiller.

— Mais de quoi se mêle-t-il lui ? Qu'il s'occupe de ces stupides gamins déjà, fulmina Helja.

— Il voulait simplement être gentil. D'ailleurs, nous avons eu de la chance qu'il ne t'ait pas reconnue, déclara Bastet.

Helja observa une dernière fois l'homme d'un regard sombre, puis elle suivit le reste du groupe.

Le chemin en pente raide ondulait entre les montagnes. Les racines carmin craquaient sous leurs pieds et parfois, les plus volumineuses d'entre elles s'enroulaient autour de leurs chevilles pour les faire tomber en avant. Alors, le rire des vieilles sorcières résonnait à leurs oreilles comme d'antiques échos magiques.

— Aie ! s'écria Charlie

Tous les trois se tournèrent vers elle d'un même mouvement. Le grand chat demanda :

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Quelque chose m'a piquée, répondit la fillette qui se grattait la nuque.

Helja s'approcha et vit en effet une marque rouge sur la peau de Charlie. Il n'y avait pas le dard et l'insecte était à présent loin.

— Ça va, ce n'est rien, sûrement une abeille.

— Je ne l'ai même pas entendue.

— Allez ! Moins de blabla, plus d'action, motiva la sorcière qui reprit la route.

Ils montèrent ainsi pendant une longue demi-heure au cours de laquelle le temps changea radicalement. De gros nuages noirs couvraient le soleil et la pluie menaçait de s'abattre à chaque instant. Le vent se mit à souffler de plus en plus fort avant que la température ne chute drastiquement. Enfin, ils arrivèrent face à une surprenante chaumière.

La maison rectangulaire, entièrement érigée en bois, possédait un énorme toit pointu qui touchait le sol de part et d'autre. Une fumée violacée à l'odeur de lavande sortait d'un conduit de cheminée qui exécutait plusieurs vrilles. Il y avait également trois portes rouges, chacune gravée au nom des trois sorcières : Slekor, Glir et Nemiz. Ce qui voulait dire respectivement aveugle, sourde et muette.

La salissure qui recouvrait les grandes fenêtres en forme d'étoile empêchait de voir au travers. Une girouette affreuse, la même qui était présente chez Helja, était plantée dans l'herbe, à côté d'une boîte aux lettres remplies d'enveloppes jaunies par le temps et tapissée de fiente d'oiseaux.

Luba passa la première, ouvrant le portique de la basse clôture en bois qui donnait accès au jardin. Charlie se protégea les yeux de la bourrasque et tourna la tête vers une serre aussi mal entretenue que les carreaux de la maison. Rien ne devait pousser à l'intérieur. En s'approchant, on pouvait apercevoir différentes plantes pourries, des mouches volant abondamment autour.

— Elles ne vivent pas vraiment à l'intérieur d'une grotte de dragon, observa Bastet, le regard rivé sur le sol grouillant d'insectes.

— Qu'est-ce que j'avais dit ? lui répondit Helja un sourcil levé.

Charlie sursauta et cria lorsqu'elle remarqua les trois chevaux qui broutaient l'herbe un peu plus loin. Leur chair et leurs os apparents, quelques lamelles de robe pendouillaient par endroits alors que des vers pullulaient dans leurs orbites vides. Une odeur des plus ignoble s'en dégageait.

— Qui est là ? hurla soudainement une voix vibrante de femme à l'intérieur de la maison.

— C'est moi, Luba. Je vous ai contactées pour vous demander de l'aide.

Il y eut des bruits de pas, puis les trois portes s'ouvrirent à la volée.

Les trois sorcières se ressemblaient en tout point. Une peau grise, fripée comme un fruit sec, élastique et crasseuse, le crâne parsemé de quelques cheveux blancs. De grosses verrues verdâtres avaient germé sur leur nez crochu. Leur corps squelettique était dissimulé sous des vêtements amples empilés les uns sur les autres. Elles possédaient des mains aux longs doigts décharnés, recouverts de bijoux et leurs pieds nus aux ongles noirs et pointus semblaient plus velus que Bastet. Le seul point qui les différenciait était que l'une avait les paupières cousues, la deuxième les oreilles coupées et la dernière, les lèvres attachées entre elles par de maigres fils.

Ce fut la sorcière aveugle qui parla la première :

— Aaaah, Luba, quel plaisir de te revoir ! Enfin, on se comprend !

Sa voix apparaissait comme celle d'une dame âgée sur le point de mourir d'une seconde à l'autre.

— Entrez donc, entrez donc, compléta Glir, la sourde, d'un timbre identique, appuyée par des gestes équivoques de Nemiz, la muette.

Les trois femmes semblaient reliées par un lien mystique. Une maison à trois portes, un esprit à trois corps.

Elles passèrent chacune par l'entrée à leur nom, suivies par les autres.

L'intérieur de la résidence était aussi malpropre que le jardin. En premier lieu, une forte odeur leur piqua les narines. Un mélange d'urine, de tabac froid et d'alcool. Puis, quand ils découvrirent l'état du premier étage, ils restèrent pétrifiés.

Des piles de vaisselles sales, touchant presque le plafond, s'entassaient dans l'évier situé juste à côté d'une corbeille de fruits moisis. Des taches sombres et visqueuses s'étalaient un peu partout sur le sol en parquet et les murs jaunes. Une dizaine de rats suspendus par la queue garnissaient le dessus d'une cheminée dans laquelle un feu mauve brûlait. Divers objets, pour la plupart cassés, s'éparpillaient dans le salon. Quelque chose goûtait à un rythme régulier et quand Helja leva les yeux, elle aperçut une grosse flaque pourpre.

Plusieurs têtes réduites d'enfants pendaient aux barreaux d'un escalier craquelé qui menait à l'étage et à sa droite, trois vieux balais étaient posés contre une armoire en bois. Trois canapés désuets, entièrement rapiécés, formaient un triangle en plein milieu de l'appartement. C'est là que les sœurs s'installèrent, les invitant à faire de même.

Helja examina attentivement le divan douteux avant d'y prendre place, grimaçant. Charlie l'imita tandis que Bastet préféra s'asseoir sur le sol recouvert de poussière. Luba, quant à elle, resta debout, les yeux rivés sur une énorme toile d'araignée.

— Un thé ? proposa la sourde.

— Non merci, répondirent-ils tous en chœur.

Les trois sœurs exécutèrent au même moment un geste étrange avec leurs doigts et la porte d'un des placards de la cuisine s'ouvrit. Trois tasses en porcelaine, ébréchées et souillées, volèrent jusqu'à elles, suivies par trois sachets de feuilles et trois longues cuillères. Elles firent jaillir de l'eau de leurs narines puis elles remuèrent le contenu verdâtre de leur tasse, sous le regard étonné de leurs invités.

Luba attendit un peu, le temps que les femmes boivent bruyamment quelques gorgées, celle aux lèvres cousues se contentant de mélanger son thé. Les deux autres rotaient sans gêne ce qui pouvait faire sourire Charlie, mais énervait fortement Helja. Tout venant d'elles énervait Helja.

Enfin, la métamorphe exposa à nouveau pourquoi ils étaient là.

— Comme je vous l'ai expliqué brièvement, nous avons besoin de votre aide pour comprendre le fonctionnement de cette arme. Helja s'il te plaît, ajouta-t-elle à l'adresse de la sorcière qui lui tendit alors le cercle d'or en fixant attentivement les trois sœurs. Merci. Nous l'avons trouvé dans un temple qui paraissait très ancien.

— Montre-moi, ordonna la sourde qui balança sa tasse dans le coin de la pièce.

— Tenez. Nous l'avons récupéré avant le roi Gargoth, car d'après nos sources, c'est une puissante arme. Il compte s'en servir contre Skregel dans une guerre qui devrait bientôt avoir lieu. Mais il pourrait tout aussi bien l'utiliser contre nous ce qui serait... mais Luba arrêta de parler, les femmes ne l'écoutaient plus.

Elles avaient toutes jeté leur thé pour se passer le cercle d'or de mains en mains, le léchant, le reniflant, l'examinant sous tous les angles. Elles semblaient communiquer entre elles, mais aucune ne s'exprimait à voix haute. Les sorcières se contentaient de hocher la tête ou bien d'émettre, par moment, d'étranges petits grincements.

— Ceci n'est pas une arme, commença Slekor.

— Oui, absolument, ajouta Glir

Et Nemiz secoua activement la tête pour approuver ses sœurs.

— Bien, alors qu'est-ce que c'est ? demanda Helja, sa curiosité piquée au vif.

— Nous vous donnerons cette information contre deux-mille pièces d'or, répondit l'aveugle.

— Pas une de plus, pas une de moins, compléta la sourde.

Encore une fois, la muette remuait vigoureusement la tête, produisant d'étonnants bruits avec ses horribles boucles d'oreilles.

— QUOI ?! Deux-mille pièces d'or ? s'emporta Helja.

— C'est une sacrée somme c'est vrai, appuya Charlie.

— Sinon vous pouvez très bien... commença l'une.

— Nous remettre l'enfant... termina l'autre.

À ces mots, les trois sorcières bavèrent abondamment, les yeux rivés sur Charlie. La salive de la muette était rouge, semblable à du sang.

— Et vous n'auriez plus qu'à nous payer mille pièces d'or.

— Désolée, mais cette fille n'est pas à vendre ! protesta Luba

— Cela nous ferait déjà mille pièces en moins, lança Helja, sans réellement s'adresser à personne.

— Mais je ne veux pas moi, répliqua Charlie.

Son regard s'était posé sur les têtes d'enfants accrochées aux escaliers et elle se rendit compte de ce qui allait lui arriver si son groupe acceptait l'offre.

— De toute façon, nous n'allons pas te donner à ces affreuses femmes Charlie, il en est hors de question ! intervint Bastet, le poil hérissé et les griffes sorties.

Helja fronça les sourcils et croisa les bras.

— Comment allons-nous trouver deux-mille pièces d'or alors ?

— Vous êtes une jeune sorcière, madame Helja...

— Vous dégoterez sûrement un travail dans le coin...

— Il est vrai que les fantômes ne manquent pas dans la région....

— Ni même les goules des montagnes...

— Ou bien les créatures des marécages, friantes de chair humaine...

— Si vous voulez absolument savoir à quoi sert ce cercle d'or....

— Et pourquoi le roi y tient tant...

— Revenez nous voir quand vous aurez notre argent !

Sur ces mots, les trois femmes se levèrent à l'unisson, rendirent l'anneau à Luba et tapèrent dans leurs mains.

Il y eu une petite détonation et une bourrasque emporta avec elle tout le groupe hors de la maison. Ils tombèrent tête la première dans le jardin au moment où les trois portes se claquèrent. Il ne resta alors plus que le silence et l'odeur épouvantable.

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