Chapitre 13 (partie 1/2) - Bonjour
68e jour de la période du croissant de lune — 1338
Hab [ab] = Bonjour
Lorsqu'ils arrivèrent dans la ville la plus proche, Charlie se chargea d'aller chercher de quoi manger. Par la même occasion, elle découvrit sur un calendrier qu'ils n'avaient en réalité passé qu'une nuit dans le temple, malgré cette impression d'y être restés plusieurs jours éprouvants.
Ils s'installèrent ensuite en dehors de la cité, à l'ombre d'une haute montagne, et s'attardèrent à soigner leurs blessures sous une chaleur dense. Des taches sombres laissées par la vague noire et le sang de l'hydre recouvraient encore le corps d'Helja. Mais celui qui avait le plus souffert était sûrement Bastet, balancé par un des gardes. Heureusement, la sorcière avait de quoi le guérir dans son sac. Elle s'occupa de préparer des potions et autres remèdes.
Malgré qu'ils se soient retrouvés face à l'hydre, il était fort à parier que la personne sous la capuche ait réussi à sauver le roi et Dolos. En attendant, ils les avaient bien distancés et c'était eux qui avaient récupéré l'arme. Par conséquent, ils avaient ralenti leur progression. Dès qu'ils auraient compris comment elle fonctionne, ils pourraient s'en servir contre Gargoth.
Ils se passèrent ainsi de mains en pattes le cercle d'or pour essayer d'appréhender son utilisation. L'objet était totalement plat, légèrement bombé en son centre. À la lumière du soleil, on ne le voyait pas autant briller que dans l'obscurité du temple, mais on pouvait distinguer les inscriptions gravées tout autour. Des runes étranges, inconnues aux yeux de la sorcière.
Alors que les autres s'allongeaient sur le sol craquelé et âpre pour faire une sieste, Helja examina son poignard qui contenait maintenant tellement de gouttes de sang en mouvement qu'elle ne pouvait plus les compter. Elle rangea sa lame puis sortit le livre qu'elle avait récupéré dans la tente du roi. Si on lui avait volé, c'est qu'il avait son importance. Mais elle eut beau le parcourir dans son entièreté, elle ne vit aucun rapport avec cet anneau d'or ou le temple. Le grimoire relatait l'histoire des trois sœurs créatrices de l'univers : Sihrla, Lilith et Lybova. Ce récit, elle le connaissait par cœur pour l'avoir étudié de nombreuses fois avec Médée et jamais il n'y était mentionné une arme aussi puissante que Gargoth le décrivait.
Helja le feuilleta une seconde puis une troisième fois, sachant parfaitement que c'était inutile. Elle pouvait réciter mot pour mot un ouvrage à sa première lecture, mais cet acte désespéré semblait la rassurer. Peut-être était-elle passée à côté de quelque chose d'important, quelque chose qu'elle n'aurait pas vu avant. Pourtant, rien n'en ressortit, pas même les symboles que l'on trouvait sur le cercle ou celui gravé sur le poignet de Charlie.
À cette pensée, la sorcière regarda la jeune fille dormir paisiblement, se souvenant de son courage et sa détermination lorsqu'elle se trouvait face à l'assassin de son père.
Mais elle se rappela également ce moment d'hésitation qu'elle avait eu dans le temple. Elle avait été à deux doigts de laisser filer le garde qui détenait l'arme. Et s'il avait pris la fuite, elle aurait dû dire adieu à sa vengeance.
Cette marque de faiblesse la dégoûta. Comment avait-elle pu réagir ainsi ? Jamais elle n'avait fait passer les autres avant elle et ce n'est pas maintenant qu'elle allait commencer. Si la sorcière continuait dans cette direction, si elle continuait de voyager avec eux, elle éprouverait sentiments et émotions, ce qu'elle s'était toujours refusés. Helja avait un objectif clair et précis : tuer le roi. Rien ne devait entraver ses plans.
Aussi, elle rangea le cercle d'or dans son sac, y fourra le grimoire ainsi que quelques provisions. Elle se leva en silence et sans un regard en arrière, elle s'éloigna. Helja ne savait pas où aller, mais une chose était sûre, elle devait partir.
Les silhouettes endormies de ses ex-compagnons n'étaient plus que de simples taches dans le paysage quand elle s'arrêta. Devant elle, un chemin descendait vers la ville de Munalu. Là-bas, elle pourrait voler un cheval et galoper jusqu'à trouver un endroit où se mettre à l'abri. Ensuite, elle réfléchirait à ses différentes options et déciderait ce qu'elle devrait faire. Helja s'avança au moment où quelqu'un criait son nom. C'était Luba.
— Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t-elle, haletante.
— Ça ne se voit pas ? Je continue la route seule, répondit sèchement la sorcière.
— Je suis désolée de te le dire, mais ça ne peut pas se passer comme ça. Les ordres de la reine sont clairs.
— Je me fiche de ce que pense Missélia, rétorqua Helja.
— Tu n'as pas le choix ! s'emporta la jeune femme
— Moi, j'ai toujours le choix.
— Alors si tu ne le fais pas pour ton devoir envers la reine, fais-le pour Charlie et Bastet. Tu es pour eux ce qui se rapproche pour le moment de leur famille ou du moins, d'une amie. Tu ne peux pas leur faire ça.
— Sauf que je ne suis ni leur famille ni leur amie. J'ai constamment été seule et ma vie me va très bien comme ça.
— C'est ça ton problème Helja, tu es dans la fuite en permanence. Si tu es seule c'est parce que tu ne t'impliques jamais dans une relation. Jamais.
— Ah quoi bon ? J'ai toujours été abandonnée. Mes parents, Médée.
— Je ne t'ai jamais laissée tomber moi. J'ai sans cesse été présente pour toi.
— Parce que j'ai mis un terme à ce qu'il y avait entre nous avant que toi tu ne le fasses. À quoi bon s'attacher à quelqu'un puisque ça ne dure jamais ? Aucune relation n'est éternelle.
— Et c'est pour ça qu'il faut en profiter autant qu'on le peut parce qu'on ne sait pas quand cela va se terminer, répondit Luba qui attrapa la main de la sorcière. Savourer chaque instant, comme si c'était le dernier, tu comprends ? Je... Je ne t'ai jamais oubliée, tu le sais ? Et je... je...
Mais les mots qu'elle portait si lourdement sur son cœur semblaient prisonniers, incapables de s'échapper au grand complet.
Helja la regarda droit dans les yeux et s'écroula. Elle était de nouveau avec elle dans ce lit d'une taverne perdu dans la ville souterraine, des cycles auparavant. Le corps de la femme baignait dans une douce lumière mauve. Elle lui souriait.
— Je t'aime, dit-elle.
La sorcière s'approcha, lui embrassa la cuisse puis remonta jusque dans son cou. C'est alors qu'elle lui susurra :
— Moi aussi je t'...
Mais elle ferma les paupières et se dégagea du souvenir pour revenir à la réalité. Tout était différent désormais. Comment pouvait-elle envisager un avenir avec elle après tous ces évènements ? Comment pouvait-elle considérer le futur alors que son passé ne faisait qu'embrouiller son présent ? Elle restait bloquée dans un temps qui n'existait plus et elle n'arrivait plus à s'en dépêtrer, elle en avait conscience. Pour une sorcière, avancer et créer de nouvelles choses était toujours plus compliqué que de revivre sans cesse des moments qu'elle connaissait déjà.
— Je ne peux pas, dit-elle alors, la voix secouée.
Elle lui lâcha la main et s'éloigna avant d'ajouter :
— Maintenant, laisse-moi trouver comment fonctionne ce foutu cercle pour que je puisse tuer le roi avec.
Luba baissa la tête, les yeux humides.
— Et comment vas-tu faire ? répliqua-t-elle. Tu n'as pas la moindre idée de comment t'y prendre je parie.
— Figure-toi que si, j'ai un plan.
— Je t'écoute, répondit la métamorphe les bras croisés et un sourcil levé. Quel est donc ce merveilleux plan ?
— C'est ça, pour que vous me suiviez après. Je t'ai déjà dit que je n'ai pas besoin de vous, s'agaça la sorcière.
— Et bien pour une fois tu as tort. Tu as besoin de nous parce que moi je sais comment faire. Alors si tu veux pouvoir te venger du roi et par la même occasion éviter de faire du mal à cette petite et à ce chat en les abandonnant, reviens avec nous. Et encore une fois, je te rappelle l'ordre de la reine. Donc finalement, tu n'as pas vraiment d'autres options.
Et sur ces mots, Luba repartit vers le bivouac.
Il était vrai qu'Helja n'avait aucun plan et, qu'à moins d'avoir une brillante idée dans la seconde, il était peut-être plus judicieux de continuer avec eux.
Mais elle demeura malgré tout plantée là, pendant quelques instants, regardant la femme disparaître doucement dans le paysage. Elle sentait son esprit s'égarer dans le passé, mais elle se concentra pour garder les pieds dans le présent.
Si elle retournait au campement, elle devrait mettre des barrières entre elle et ses compagnons. Si à nouveau elle devait choisir entre eux ou elle, la sorcière se choisirait toujours. C'était sa vengeance qui primait sur le reste. Aussi, elle s'engagea à ne plus jamais accepter une mission royale, peu importe le montant de la récompense.
Lorsqu'elle retrouva Charlie et Bastet, tous deux dormaient profondément. Luba croqua à pleines dents dans une poire puis se tourna vers Helja.
— Je savais que tu reviendrais, chuchota-t-elle, sourire aux lèvres.
— C'est uniquement pour entendre ton plan, rien d'autre.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Charlie d'une voix somnolente.
— Rien, nous discutions de la suite avec Helja. Tu peux te recoucher.
— Non, je veux vous aider, répondit-elle en s'étirant. Tu as trouvé quelque chose dans le livre Helja ?
— Rien, dit-elle en s'asseyant, comme si elle n'avait pas essayé de les quitter. C'était juste un vieux grimoire sur la naissance de l'univers.
— La naissance de l'univers ?
— Oui avec les divinités Sihrla, Lilith et Lybova, expliqua Luba. Tu ne connais pas cette histoire ?
— Non. Helja m'avait parlé de ces deux femmes avant qu'on entre dans la ville souterraine, mais je ne savais pas que c'était les sœurs de Lybova. On m'a toujours dit que c'était la seule déesse de ce monde.
— Il y a beaucoup de choses que tu ignores encore, ajouta Helja. Mais je t'enseignerai tout ça le moment venu !
— Bien, je vois que vous êtes parties pour une longue conversation, pesta Bastet, je ne peux même pas finir ma sieste tranquillement.
— Oh ça va, rétorqua Charlie en donnant une petite tape au chat, ce n'est pas comme si on venait d'échapper à une hydre enragée et à des gardes prêts à tout pour nous tuer.
La jeune fille éclata de rire, Bastet l'accompagnant joyeusement. Même Luba se mit à glousser.
— Bon, quel est ce plan ? demanda Helja coupant toute convivialité.
Luba fixa tout le monde avant de lâcher :
— Les sœurs de la sagesse.
— Ces vieilles harpies immondes qui n'ont aucune idée que le bain existe ? s'étonna Helja qui n'aurait jamais pris la peine de penser à elles. Elles sont à peine capables de faire voler une chaise en unissant leurs trois magies ! Comment peuvent-elles nous aider selon toi ?
— Qui sont-elles ? questionnèrent Charlie et Bastet en chœur.
— Les sœurs de la sagesse sont trois antiques sorcières, révéla Luba
À ces mots, Helja leva les yeux au ciel et simula un haut-le-cœur. La métamorphe la fixa puis reprit :
— Ce sont les femmes les plus anciennes du pays. On raconte même qu'elles étaient présentes lors de la guerre entre les êtres magiques et les humains, il y a des siècles de cela. Certes, leurs pouvoirs ne sont plus aussi puissants qu'à l'époque, mais leur savoir sur les arts mystiques est quant à lui incroyable. S'il y a des personnes qui connaissent l'utilisation du cercle d'or, c'est forcément ces sorcières.
— Et j'imagine que tu peux nous amener jusqu'a chez elles ? demanda Helja.
— Oui. Pendant leur dernière visite de la ville souterraine, elles ont expliqué à qui voulait bien les entendre qu'elles avaient élu domicile dans une vieille grotte de dragon, qu'elles avaient elles-mêmes terrassé.
Luba eut un petit rire, mais poursuivit en voyant que la sorcière restait le visage de marbre.
— Bien sûr, personne n'a réellement cru qu'elles avaient réussi à combattre un dragon, mais ce sont les doyennes, alors personne ne leur dit jamais rien.
— Formidable, nous n'avons plus qu'à chercher dans toutes les cavernes à dragons du pays. Si elles ont bien évidemment raconté la vérité.
— Figure-toi que ça sera inutile puisque j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec elles. Et apparemment, je leur ai fait une bonne impression parce qu'elles m'ont invitée à boire le thé dès que je pourrais sortir de la ville souterraine. Et pour combler le tout, elles m'ont même donné la procédure à suivre pour les contacter !
— C'est super ça, allons-y ! s'exalta Charlie, déjà debout. Comment on procède ?
— Il me faudrait juste de l'eau.
Tous se tournèrent vers Helja qui fit alors surgir un breuvage transparent dans un récipient.
Luba s'en saisit et l'installa entre ses jambes. Elle se pencha au-dessus puis, d'une voix claire et précise, elle appela les sœurs de la sagesse. Prenant une grande inspiration, la métamorphe plongea sa tête dans le liquide, mais la surface demeura parfaitement lisse.
Elle resta dans cette position pendant plusieurs minutes, sans bouger ni montrer le moindre signe de danger. Autour d'elle, tout le monde la regardaient silencieusement. Elle ne remuait pas d'un poil jusqu'à ce qu'elle se relève, le visage dégoulinant et suffoquant légèrement. Elle toussa une gerbe d'eau puis leur dit :
— Voilà. Je leur ai expliqué brièvement notre situation et elles acceptent que l'on vienne. Il suffit d'avancer jusqu'à Pontes, puis de suivre la route qui mène à leur maison. Apparemment, nous reconnaîtrons tout de suite de quel chemin il s'agit.
— Alors c'est parti ! répondit Bastet
Pontes était une grande ville construite en plein cœur des montagnes, à environ deux journées et demi de marche vers le sud d'après la carte interactive. Helja regrettait la compagnie des aslevs de la reine avec qui le voyage n'aurait duré que quelques minutes. Le sentier qu'ils empruntaient été sinueux et souvent en pente raide.
Une douleur cuisante se fit immédiatement ressentir dans les mollets de chacun, qui devaient travailler davantage pour les retenir dans les descentes par moment escarpées. Le groupe s'accorda une courte pause près d'un ruisseau où ils purent se rafraîchir. Le soleil leur brûlait la peau.
L'obscurité tomba rapidement en cette période de croissant de lune qui approchait à sa fin et ils durent une nouvelle fois s'arrêter. Avancer sur ces routes était beaucoup trop dangereux dans le noir, surtout que la soirée apportait un froid glacial. Helja se chargea de faire jaillir un feu qui réchauffa l'atmosphère, pendant que Charlie et Luba préparaient de quoi manger avec des baies et fruits trouvés dans les environs. La sorcière arriva même à capturer un lapin sauvage, au plus grand plaisir de Bastet.
Le ventre bien rempli et sous un dôme de chaleur, ils purent dormir tranquillement. Ils montèrent tout de même la garde à tour de rôle. S'installer dans les montagnes sans de réels abris n'était pas conseillé, nombre de bêtes y chassaient une fois la nuit tombée.
Il y avait aussi les brigands solitaires en quête de victimes à dépouiller. Mais le danger le plus à craindre était sans doute le clan des cavaliers de l'apocalypse. Un groupe d'hommes et de femmes marginaux, sanguinaires et d'une brutalité sans nom. Ils se plaisaient à vivre en dehors des lois du roi. Leur peuple était composé autant d'humains que d'êtres magiques. Quant à leurs chefs, ils représentaient les quatre plus grands maux de ce monde : le meurtre, le mensonge, le vol et la torture. Personne ne les avait rencontrés, du moins, personne encore capable de le raconter. Et d'après les rumeurs qui couraient en Gallia, la tribu avait élu domicile dans les montages du sud.
Mais par chance, la nuit fut calme et paisible, si l'on faisait abstraction des ronflements de Bastet. Dès les premiers rayons de soleil, tous replièrent bagages et reprirent le voyage aussitôt. Ils continuaient d'avancer le long des routes rocheuses qui serpentaient entre les chaînes de montagnes.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top