Chapitre 12 (partie 3/3) - Reculer


Ils entrèrent dans une grande pièce ovale, au plafond tellement haut qu'on ne pouvait le voir. Plusieurs ouvertures, identiques à celles qu'ils venaient d'emprunter, étaient réparties à intervalle régulier le long du mur de roches noires. Au centre, un piédestal en marbre blanc brillait d'une lumière bleue. Une chose dont le groupe ne distinguait que les contours était posée dessus. Mais quand Helja s'en approcha, des bruits de pas vifs retentirent. Une troupe de gardes déboula par l'une des autres brèches, leurs armures recouvertes d'une substance visqueuse et sombre et leurs peaux tailladées.

Pendant un moment, tous se regardèrent en silence. Helja reporta son attention sur le milieu de la salle et sur l'objet. Elle se précipita vers lui, mais tous les hommes en avaient fait de même. La sorcière attrapa son poignard qui s'était mis à chauffer, prêt à accueillir de nouvelles gouttes de sang. Elle attaqua la première.

Elle sauta sur le garde à proximité et, d'un coup sec, lui trancha la gorge. Elle se releva face au deuxième.

Otstek !

La magie catapulta violemment l'homme qui percuta durement la paroi rocheuse de la pièce. Helja fendait déjà son poignard sur un troisième. Ce dernier para son assaut avec son sabre et renvoya le coup, l'obligeant à reculer de quelques pas. Il prit le dessus, sa lame passant régulièrement près du visage de la sorcière. Elle se laissa alors tomber et lui enfonça son arme dans le tibia.

Helja se tourna vers le socle de marbre, mais Luba s'écroula sur elle. Toutes les deux se retrouvèrent aux prises de quatre adversaires. Encerclées, elles virent au loin un autre avancer trop prés de l'objet. Charlie le somma d'arrêter, son long bâton à la main. L'homme ricana, essuya la substance noire sur sa bouche et lui lança d'un ton méprisant :

— Et tu penses que c'est toi qui vas m'en empêcher gamine ?

Sa voix n'était pas inconnue aux oreilles d'Helja. Elle ne perdit pas plus de temps et planta son poignard dans le crâne d'un garde. Charlie aussi reconnut cette voix, inoubliable pour elle. Elle abattit son arme, vociférant des injures :

— C'est vous qui avez assassiné mon père !

La petite fille pleine de rage lui asséna deux nouveaux coups qui lui laissèrent une marque rouge et brûlante sur la joue. Le suivant n'atteignit pas sa cible car l'homme attrapa le bâton. Sa main se mit à fumer comme un brasier mais il fit abstraction de la douleur provoquée par le bois enchanté et tira dessus d'un coup sec.

— J'ai tué tellement de monde que je ne m'en souviens même plus, mais je me ferai un plaisir de t'envoyer le rejoindre.

Désarmée, Charlie recula jusqu'à percuter le piédestal. Sorti de nulle part, Bastet bondit sur le visage de son agresseur. Il le griffa à plusieurs reprises, lui planta ses crocs pointus, mais le garde lui attrapa la queue et le balança à travers la pièce.

La fillette regarda l'animal voler dans le décor puis reporta son attention vers l'homme. Il avait à présent la peau maculée de sang et un œil crevé.

— Ce n'est pas un stupide chat qui va m'arrêter !

Charlie ne pouvait plus lui échapper.

Dans une tentative désespérée, elle s'empara de l'arme posée dans son dos. Un simple cercle d'or. Mais à peine avait-elle saisi l'objet que le socle s'enfonça dans le sol, laissant un trou béant.

Tous cessèrent de se battre. La terre se mit à vibrer sous leurs pieds. Quelque chose d'énorme se déplaçait en dessous d'eux et cette chose se rapprochait du passage récemment ouvert.

C'est alors qu'une affreuse tête de serpent sortit de la brèche. Gigantesque, aussi grande qu'une tour de château, elle possédait deux yeux jaunes et des écailles d'une couleur noire et lilas. Elle montait haut, dandinant son long corps jusqu'à ce qu'une deuxième apparaisse, à l'autre bout du reptile. C'était une hydre, telle que représentaient les statues à l'entrée du temple.

Le garde en profita pour dérober le cercle d'or dans la main de Charlie et la poussa dans le trou. En même temps, la terrible créature à deux faces se mit à serpenter vers un homme qu'elle avala d'un coup.

Helja resta paralysée. Elle regardait le garde fuir avec l'arme puis l'orifice par lequel Charlie avait disparu. Elle hésitait. Tout allait trop vite.

La sorcière aperçut les doigts de la petite fille accrochés au rebord, mais combien de temps pourrait-elle maintenir cette position ? Son cerveau bouillonnait tellement qu'elle en avait le tournis. Sauver Charlie ou récupérer le cercle ? Charlie ou le roi ?

Elle ne pouvait pas choisir, elle n'y arrivait pas. Elle se tenait plantée là, sans bouger, jusqu'à ce que Luba hurle :

— Je m'occupe de Charlie, va chercher l'arme !

La métamorphe courrait déjà vers le trou.

Helja se mit alors à sa poursuite. L'hydre s'étalait tout autour de la pièce, bloquant chacune des sorties.

Shcalk ! beugla Helja.

Un bouclier transparent surgit du néant et le garde s'écrasa dessus, lui laissant le temps de l'atteindre.

Elle se déchaîna sur lui, donnant coup après coup et esquivant autant qu'elle le pouvait ceux qu'il lui renvoyait. Un autre arrivait en renfort, mais une vaste bouche le goba d'un coup et l'une des monstrueuses faces de l'hydre émergea. Jamais Helja n'en avait vu une aussi grande.

Le serpent fixa le cercle d'or et cracha sur le garde une substance verdâtre. Il lâcha l'objet et battit en retraite, s'égosillant. Son corps commençait à se couvrir de pustules et de cloques qui éclataient comme des ballons. Il finit par s'effondrer au sol, méconnaissable.

Helja tenta alors de ramasser l'anneau, mais la deuxième tête de l'hydre apparut derrière elle et rejeta la même substance. La sorcière recula par réflexe et se mit à courir, le large reptile à ses trousses.

Galopant tout autour de la pièce, Helja fut rassurée en voyant que Luba avait réussi à extraire Charlie du trou. Juste derrière elles, une brèche s'était libérée, mais, comme si le serpent avait lu dans ses pensées, elle fut instantanément rebouchée par l'imposante musculature du monstre.

— Dès que vous le pouvez, partez ! Je vous suis ! leur hurla-t-elle, filant toujours en rond et évitant de temps à autre rejets acides et coups de crocs.

Le corps de l'hydre n'était pas assez long pour obstruer toutes les sorties en même temps. Helja accéléra le pas. Puis, dans le fond de la salle, elle les vit tous franchir une des ouvertures tout juste débloquée. Elle opéra alors un deuxième tour puis changea soudainement de cap et fonça vers le cercle d'or. Elle tendit la main, mais la créature cracha encore, l'obligeant à reculer au dernier moment.

 Elle tourna sa tête, visa l'une de ces faces abominables et :

Kesyr !

Son sortilège rebondit en douceur sur l'hydre et découpa nettement une parcelle du plafond qui chuta en pluie de pierre dans l'antre. Au moins, j'ai essayé !

Les écailles du serpent, telles des murailles impénétrables, repoussaient sa magie. L'attaquer était vain, mais elle pouvait néanmoins le distraire. Dans sa course effrénée, elle se concentra, puisant au plus profond de son être.

Civoyt ne !

Son corps trembla, grésilla quelques secondes, puis une deuxième Helja sortit d'elle, simple reflet de ses derniers mouvements.

Toutes les deux filaient côte à côte jusqu'à ce que l'une d'elles ne bifurque au dernier instant. La sorcière galopa alors vers l'issue empruntée par ses compagnons, l'hydre continuant de poursuivre le fantôme.

Helja dépassa le cercle. Elle tendit néanmoins le bras et formula :

Hayti !

L'objet s'envola et se posa délicatement dans sa main au moment ou elle franchit l'ouverture en ogive. À l'autre bout de la salle, la gueule du reptile se referma sur une illusion qui disparut en petits fragments.

Helja retrouva Luba et Charlie qui l'attendaient dans le noir. Bastet, mal en point, reposait dans les bras de la petite fille.

Un grondement fit trembler tout autour d'eux et l'une des têtes de l'hydre força la brèche, détruisant le couloir trop étroit pour elle.

Tous les quatre détalèrent. Le serpent glissait rapidement derrière eux, terrassant tout sur son passage. Le temple commençait à s'effondrer. Des morceaux de roches tombaient devant eux, les ralentissant dans leur sprint effréné.

Étonnement, le cercle d'or produisait une lumière suffisante pour les éclairer dans ces ténèbres. Helja utilisa sa magie pour essayer d'envoyer tous les bouts de pierre sur le reptile, mais il ne semblait ressentir aucune douleur, ni même aucune fatigue.

L'hydre cracha une nouvelle fois son venin. Helja matérialisa un bouclier derrière eux, les protégeant temporairement.

Ils empruntaient les directions au hasard, espérant vite trouver une issue, mais tout était en train de s'effondrer. Ils croisèrent des gardes qui ne les remarquèrent pas tout de suite, trop occupés à fuir à la vue du serpent géant. L'un deux tenta tout de même de récupérer l'arme, mais Helja le fit tomber et la créature lui passa dessus, l'écrasant de tout son poids. Il n'eut pas le temps de crier, ses os brisés le firent à sa place. Les autres gardes n'entreprirent rien, privilégiant la survie à la mission.

À gauche, à droite, bientôt, ils ne pouvaient plus tourner. Des éboulis bouchaient chaque couloir. Ils continuèrent sans relâche, hors d'haleine, jusqu'à ce qu'un fin filet de lumière apparaisse devant eux. La sortie se trouvait à quelques mètres, mais ils n'étaient pas tirés d'affaire pour autant. Le reptile pourrait les poursuivre éternellement, peu importe où ils iraient.

Lorsqu'ils franchirent la porte du temple, le soleil était levé au plus haut et ses rayons leur piquèrent les yeux, mais ils ne pouvaient pas s'attarder. Ils descendirent les marches du bâtiment quatre à quatre quand derrière eux, le passage explosa sous la force de l'hydre. La première tête du monstre se dégagea du nuage de poussière et la créature croqua l'un des gardes à proximité. Elle le balança loin dans les montagnes environnantes avant d'enchaîner sur les autres.

Le petit groupe arriva devant la longue échelle pour sortir de la crevasse. Helja fit grimper Charlie en première, Bastet sur ses épaules. Luba la suivit de près.

Quand la sorcière voulut l'emprunter à son tour, un homme lui saisit le coude. Elle le cogna au visage, lui cassant le nez. Derrière, les deux têtes du serpent étaient occupées à manger ou cracher sur les rescapés.

L'ascension paraissait interminable. Lorsqu'enfin Helja posa une main sur le rebord, l'échelle céda.

L'hydre attendait en dessous, redressée sur le centre de son corps, ses deux faces hideuses pointées vers le ciel. Ses gueules étaient grandes ouvertes sur Helja.

Elle se sentit partir en arrière, le souffle d'une exquise tiédeur de la bête lui caressant les chevilles.

Luba lui attrapa le poignet au dernier moment.

Les jambes dans le vide, elle regarda sous elle le reptile qui commençait à s'élever. La métamorphe et Charlie se mirent alors à tirer. Les dents pointues de la créature se trouvaient à quelques centimètres des talons de la sorcière, sa langue coupée en deux lui léchant déjà les mollets.

Une fois sur la terre ferme, elle se tourna vers l'unique tête qui dépassait du trou béant formé dans le sol. Elle allait bientôt pouvoir serpenter jusqu'à eux et les avaler comme de vulgaires petites souris. La sorcière était la seule à pouvoir agir et elle devait faire vite.

Sa magie se révélait inefficace face à cette créature mais, comme Médée lui avait très bien appris, un seul élément ne la trahissait jamais : son poignard.

Aussi, elle jeta le cercle au pied de ses compagnons puis se précipita à l'assaut de l'hydre élevée de toute sa hauteur. Sa lame s'enfonça aisément dans la peau de la bête.

Le hurlement sifflant du reptile se répercuta en échos dans les montagnes pendant qu'Helja escaladait le monstre, plantant sans ménagement son arme dans sa chair. La créature avait beau s'agiter en tous sens pour tenter de la faire basculer, la sorcière résistait. 

Des gouttes de sang lui tombaient dessus, aussi lourdes que des pierres. Le vent lui fouettait le visage et le cri strident lui perçait les tympans, mais elle persistait. Quand enfin elle parvint au niveau de sa gueule, ses crocs bien plus grands qu'elle, Helja s'élança pour lui monter sur le museau.

Elle se retrouva alors face aux pupilles verticales du serpent. Sans hésiter, Helja lui creva un premier œil.

Plus loin, au fond de la fosse, une explosion détourna son attention. Les morceaux du temple qui en bouchaient l'entrée étaient à présent en lévitation afin de laisser sortir Gargoth, Dolos et la personne à capuche.

Cette seconde de distraction permit à l'hydre de donner un violent coup de tête, envoyant voler Helja.

Son corps allait s'écraser avec force, mais elle changea la composition du sol, atterrissant comme dans un lit.

Ses compagnons se joignirent à elle pour faire face à la bête, l'œil rouge et boursouflé, les écailles recouvertes d'entailles sanglantes. À quelques mètres, on entendait les bruits de la bataille qui se déroulait déjà contre la deuxième tête. C'est alors qu'Helja eut une idée afin de gagner du temps.

Elle demanda à tous de reculer, puis articula :

Korok rmakam delvers !

Malgré l'extrême fatigue qui la tiraillait, les nombreuses blessures qui avaient fleuri sur son corps. Malgré la peur qui pulsait dans son estomac. Malgré la colère, l'incompréhension, l'épuisement, le doute. Malgré tout ce qu'elle avait enduré, la sorcière sacrifia toute la magie dont elle disposait.

Ses doigts s'allongèrent et se multiplièrent de manière extrême. Ils changèrent de teinte et ressemblèrent rapidement bien plus à des racines qu'à de la peau humaine. Ils ondulèrent jusque dans la brèche puis se mirent à grossir. Les lianes vivantes s'étendirent sur la rive opposée du cratère et commencèrent à reboucher le passage.

Le monstre beugla, mais il fut forcé de retourner dans la fosse, les plantes lui frappant le visage et son œil unique à grand coup, comme des fouets. En quelques minutes, des végétaux recouvrirent l'énorme orifice et bloquèrent le roi et les autres avec l'hydre enragée.

La sorcière tomba à genoux, rapidement soutenue par ses amis qui l'aidèrent à se redresser. Cependant, alors qu'ils s'éloignaient du temple en hâte, Helja resta un instant en retrait. Son cœur battait violemment dans ses oreilles, et son souffle rapide lui irritait la gorge, mais elle n'en avait cure. Elle écoutait la bataille qui faisait rage à quelques mètres en dessous, débordante de rage.

Une colère envers elle-même qui ne cessait de grandir. Si sa mémoire ne lui avait pas joué ce mauvais tour, elle n'aurait pas percuté un garde alors qu'elle était invisible avant de s'évanouir. Si elle avait été aussi forte qu'elle le prétendait, tout cela serait déjà terminé. Le souverain serait mort, la personne à capuche également. Comment avait-elle pu être si négligente ? La déception la traversa, lui donna froid.

Pourtant, elle le savait, tout n'était que partie remise. Sa vengeance n'était que repoussée. Elle retrouverait bientôt le roi et à ce moment-là, elle lui trancherait la gorge avec la plus grande des satisfactions.

— Helja, tu viens ? appela Charlie.

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