Chapitre 11 (partie 2/2) - Cacher
Tous les quatre descendirent vers le sud, espérant tomber dès que possible sur le campement installé par le roi. La chaleur étouffante semblait enfermée entre les montagnes, si bien que rapidement, la progression devint difficile. Au bout d'un moment, ils virent deux panneaux, l'un indiquant Burdig, l'autre Munalu. Helja se souvint alors de la carte dans le cylindre et de la croix dessinée entre les deux villes.
— Nous devons aller vers le sud-ouest.
— Et pourquoi ? demanda Luba.
— Fais-moi confiance.
Sans rien ajouter de plus, les filles et le grand chat noir prirent le chemin décidé par la sorcière.
Marchant derrière la métamorphe, Helja n'arrivait pas à détacher son regard d'elle. Pourquoi la reine l'avait-elle envoyée ? Était-ce pour les surveiller ? Vérifier qu'ils accompliraient bien leur mission ? Dans tous les cas, pourquoi Luba ?
Elle ne connaissait pas la vérité. Luba n'était pas au courant qu'elle avait au départ travaillé pour Gargoth et qu'ensuite, il avait essayé de la tuer. Elle ne savait pas non plus qu'ils étaient partis se venger bien avant que Missélia ne leur impose cette mission. Et c'était parfait comme ça.
Personne ne parlait. Tout le monde avait beaucoup trop chaud. Ils avaient mal aux jambes – ou aux pattes – et au dos, le sentier irrégulier ne faisant que monter et descendre. Le bruit de leurs pas sur le gravier se reproduisait en échos contre les parois des montagnes rocheuses couleur craie. Les quelques végétations qu'ils trouvèrent étaient des arbustes morts, ou bien d'énormes cactus aux épines acérées. Par moment, des geysers d'eau bouillante explosaient, les surprenant tous les quatre.
— J'ai entendu dire que c'était des dragons endormis sous terre qui provoque ces jets, expliqua Charlie qui essayait de lancer la conversation.
— Et bien on t'a appris n'importe quoi. Les dragons ont pratiquement tous disparu et de toute façon, le plus souvent, ils vivent dans des cavernes en hauteur, rectifia Helja.
— Il y a bien des dragons sous nos pieds petite, corrigea Luba sans même se retourner, crois-moi.
— Bien sûr parce que toi tu sais tout mieux que tout le monde ? pesta la sorcière. Cette histoire a été inventée par les humains pour justifier un phénomène qu'ils ne comprennent pas, tout simplement.
— Encore une fois c'est toi qui dois avoir raison.
— J'ai toujours raison.
Charlie et Bastet se regardèrent d'un drôle d'air avant que ce dernier ne lui murmure :
— Je sens que le reste du voyage ne va pas être amusant.
— Ah bon, parce que tu t'amuses depuis le début toi ?
Helja se tourna :
— Vous avez dit quelque chose vous deux ?
Ils firent non de la tête, mais une fois que la sorcière avait repris son ascension, ils ne purent s'empêcher de rire.
Après encore quelques minutes de marche sous un soleil éclatant et une chaleur insupportable, Charlie demanda une pause, mais Luba leva la main pour lui indiquer de se taire. Elle s'était soudainement arrêtée.
Helja s'approcha et découvrit en contre bas une dizaine de tentes installées, ainsi qu'une cinquantaine de gardes qui s'affairaient à diverses tâches, affûtant leur épée, nettoyant les armures, préparant de nouvelles flèches pour les archers... Et dans ce paysage, Helja distingua une habitation plus grande que les autres, bleu et jaune, d'où un petit homme replet, à la face ronde, sortit accompagné d'un deuxième, beaucoup plus haut perché et portant une couronne sur le crâne.
— Dolos et le roi, murmura Helja.
— Nous les avons trouvés, maintenant nous devons décider d'un plan ! ordonna Luba qui s'éloignait déjà.
Au moment où elle s'apprêtait à la suivre, quelque chose attira son attention au milieu du camp. Une silhouette émergeait des ombres, drapée dans un manteau noir qui semblait absorber la faible lueur des feux environnants. Une capuche camouflait habilement son visage.
Des frissons de colère glissèrent le long de la colonne vertèbre d'Helja. Cette silhouette, sans aucun doute, était celle qui avait enflammé sa demeure et avait dérobé son grimoire. Mais ce qui énervait d'autant plus la sorcière, c'était la manière dont cette ombre mystérieuse avait réussi à briser son sortilège de dissimulation, révélant ainsi une vulnérabilité qu'elle pensait inviolable.
Helja devait à tout prix connaître son identité.
Sans écouter Luba qui lui intimait de revenir, elle descendit rapidement et prudemment le sentier qui menait au baraquement. Les autres étaient restés là-haut. Tant mieux, elle n'avait pas besoin d'eux pour régler ses comptes.
Sans se faire repérer, elle avança doucement dans les buissons, à l'abri des regards. Tout le monde était trop occupé pour la remarquer. La silhouette à la capuche entra dans la tente royale sans se retourner. Elle était prise au piège. Helja courut et se faufila in extremis, des gardes arrivant.
Pourtant, une fois à l'intérieur, elle ne vit plus personne. L'endroit était rempli de caisses, de coffres et d'étagères, ainsi que d'un grand lit, mais aucune trace de l'inconnu. Comment la personne avait-elle fait ? On ne pouvait pas disparaître ainsi. À moins d'être devenu invisible.
— Aciveni vur ! dit-elle alors, le bras tendu.
Mais rien ne se passa.
Enfin, c'est ce qu'Helja pensait au début. Une des malles trembla violemment, comme si un animal voulait en sortir. La sorcière s'approcha, déverrouilla le loquet et en tira un livre agité. C'était le grimoire qu'on avait volé chez elle. Elle trouva également plusieurs dizaines de fioles au contenu rouge foncé, toutes étiquetées à son nom. C'était le sang qu'on lui avait arraché de force. Elle tomba aussi sur plusieurs affiches de recherche avec son portrait.
— Je le savais, affirma quelqu'un dans son dos.
Lorsque elle se retourna, elle aperçut deux gardes, leur épée pointée vers elle.
— J'étais sûr de t'avoir vue, ajouta celui qui avait une figure enfantine, constellé de boutons.
Helja se releva, serrant le livre contre elle. Elle déglutit difficilement quand le jeune homme lança :
— Le roi va être tellement content quand je lui apporterai ta tête. Nous allons être récompensés. Grandement récompensés même, expliqua-t-il en donnant un coup de coude à son partenaire.
Mais ce dernier l'assomma du revers de la main. Puis, doucement, les parties de son visage se mirent à bouger, se déformer, s'étirer, pour laisser place à celui de Luba.
— Ne me remercie surtout pas, ironisa-t-elle. Mais qu'est-ce qui t'as pris bordel ? Tu es complètement imprudente ?
— Il y a ici quelqu'un dont je dois absolument connaître l'identité.
— Encore une fois tu agis comme une égoïste. Peu importe tes raisons, nous avons une mission qui prime sur tout le reste ! Alors on arrête les conneries du genre, d'accord ?
Au ton de sa voix, cela ressemblait bien plus à un ordre qu'à une question.
— Qu'est-ce que c'est ? ajouta-t-elle en fixant le grimoire que tenait Helja.
— Un bouquin que le roi a volé chez moi, résuma-t-elle, je t'expliquerai plus tard.
— Allons retrouver Charlie et Bastet maintenant, avant que quelqu'un d'autre nous trouve.
Helja hocha la tête, rangea le livre dans son sac sans fond puis se tourna vers l'homme dans les vapes.
— Zabyr tmak ! formula la sorcière avant que ses pupilles ne virent au vert. Je lui ai effacé la mémoire, dévoila-t-elle. Il ne se souviendra pas de nous et pensera simplement qu'il a fait une chute en entrant dans la tente. Skrakla ! Allons-y !
Luba sortit la première, de nouveau sous l'apparence du garde. Quand à Helja, elle était désormais totalement invisible. Elles prirent aussitôt le chemin vers les montagnes quand une énorme explosion retentit dans leurs dos. La terre trembla, les cactus se penchèrent dangereusement et deux habitations de fortune s'écroulèrent.
Les deux filles se tournèrent vers le mont de fumée opaque qui s'élevait haut dans le ciel. Plusieurs hommes courraient en tous sens dans un chaos sans nom.
— Retourne avec Charlie et Bastet, je vais voir ce qui se passe, souffla Helja.
— Mais... commença la métamorphe.
— Fais ce que je te dis !
Avec tout le vacarme ambiant, on ne pouvait entendre le bruit de ses pas. Une véritable avalanche de poussière et de débris était en train de s'abattre sur le camp du roi.
Après avoir soigneusement évité tout contact avec les gardes qui affluaient, Helja arriva au bord d'un précipice. Un énorme cratère d'environ vingt mètres de profondeur à l'intérieur duquel apparaissait un antique temple.
À cette distance, la sorcière ne voyait que ses contours grisâtres, mais elle en devinait la forme. Une volée de marches donnait accès à une imposante porte, elle-même encastrée dans le gigantesque bâtiment dont une partie était encore enterrée.
— Nous avons réussi, cria une voix de l'autre côté du trou béant. L'arme est à portée de main désormais. Maintenant, dépêchez-vous de descendre !
Gargoth se tenait debout, à l'opposé d'Helja, Dolos à sa droite et la personne à capuche à sa gauche, les avant-bras dégoulinants de sang tendus vers l'immense fosse. C'était cet inconnu qui avait provoqué cette explosion.
Tous les gardes se mirent au travail, amenant d'importantes échelles pour leur permettre de rejoindre le temple.
Helja contourna le cratère d'un pas décidé. C'était l'occasion pour elle de tuer le souverain et de découvrir qui pouvait bien se cacher sous cette capuche. Tout le monde était beaucoup trop occupé pour le défendre. Elle était invisible, et lui, sans protection. Toutes les bonnes conditions étaient réunies. C'était le moment opportun.
Comment allait-elle procéder ? Lui arracher le cœur ? Lui tordre la nuque d'un simple sortilège ? Lui briser tous les os en même temps ? Tant d'idées merveilleuses se bousculaient dans sa tête.
Gargoth ne bougeait pas, absorbé par une grande discussion avec Dolos. À côté, l'inconnu à capuche ne montrait toujours pas son visage, mais Helja eut la soudaine impression qu'il pouvait la voir. Comment était-ce possible ?
Peu importe. Dans quelques minutes, tout serait enfin terminé. Elle aurait eu sa vengeance. Une intense satisfaction envahissait tout son corps et elle ne faisait plus attention où elle mettait les pieds. Son environnement se mua alors en un souvenir douloureux et la poussa dans les abysses de sa mémoire.
Tout était noir et elle flottait dans un liquide à la fois doux et chaud. Ici, tout n'était que paix et amour. Elle était bien. Puis, sans qu'elle le veuille, elle dut quitter cet endroit réconfortant dans lequel elle avait toujours été. Helja ne souhaitait pas partir, abandonné son nid sans plus jamais pouvoir le retrouver, mais elle en fut contrainte, obligée de devoir découvrir un nouveau monde.
En ouvrant les yeux, elle était de retour dans la salle du trône, se sentant à nouveau impuissante face à son agresseur. Le couteau lui lécha la gorge. Ses forces se volatilisèrent. Elle n'avait plus d'arme, plus de magie et bientôt, elle n'aurait plus de corps.
Quand elle bascula par la fenêtre, elle reprit conscience d'où elle était réellement. Mais durant ce furtif laps de temps où son esprit n'était ni dans le passé ni dans le présent, elle donna un coup d'épaule à un garde.
Il se retourna et en accusa un autre qui contesta immédiatement. La sorcière s'arrêta de marcher. C'était vraiment agaçant comme parfois ses pensées pouvaient s'égarer sans qu'elle ne le décide. Elle souffla longuement, essayant de reprendre le contrôle.
Puissance.
Contrôle.
Une fois opérationnelle, elle reprit son avancée. Rien ne pouvait l'empêcher d'accomplir sa mission.
Elle regarda rapidement la dispute, contente de cette confusion qu'elle venait de provoquer puis elle se tourna à nouveau vers le roi. Elle tendit la main, prête à jeter un sort.
Prête à tuer.
— Polm... commença-t-elle.
Mais un des hommes recula violemment dans la bagarre et la percuta sans comprendre ce qu'il avait touché. Helja, elle, vacilla dangereusement vers la crevasse, tenta de se rattraper, mais ne parvint qu'à s'accrocher à un morceau de terre. Sous le poids de la sorcière, celui-ci s'effrita. Elle chuta alors dans le cratère, roulant contre le sol rocheux. Sa tête se cogna lourdement contre une racine et lorsqu'Helja s'arrêta enfin de tomber, elle ne put se relever.
Elle était inconsciente.
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