Chapitre 11 (partie 1/2) - Cacher


67e jour de la période du croissant de lune — 1338

Skrakla [ʃkʁakla] = Cacher

Encore une fois, Helja passa une courte nuit. Premièrement, elle avait dû s'occuper de Charlie qui avait passé la fin de soirée à vomir et à se plaindre du bruit qui résonnait dans son crâne. Ensuite, sa rencontre avec Luba avait fait resurgir tant de souvenirs agréables qu'elle n'arrivait plus à penser à autre chose. Elle n'avait pas arrêté de voyager à travers les cycles, revivant inlassablement les bons moments passés avec la jeune femme.

Elle marchait pour la rejoindre l'autre côté de la rue, la boule au ventre, quand une dizaine de mains la tira en arrière. L'ambiance festive et conviviale de la ville souterraine se changea en un lieu plus cosy, éclairée par des torches qui reflétaient une lueur rouge. Devant elle, Luba riait aux éclats, son verre de vin déjà à moitié vide. Helja s'approcha, lui frôlant la cuisse du bout du doigt lorsque le sol se fendit sous elle pour l'emporter dans le gouffre de sa mémoire.

Elle tomba dans un lit aux draps en soie. Deux mains lui caressaient le dos et elle n'eut pas besoin d'ouvrir les yeux pour savoir qui était avec elle. Sa douce odeur fruitée éveillait tous ses sens.

La jeune femme se retourna et passa au-dessus de la métamorphe qui baignait dans une magnifique lumière violette. Elle léchait le galbe de sa poitrine si parfaite, lui effleurait les lèvres. Encore une fois, son enveloppe corporelle se souleva. Helja montait haut dans la chambre puis traversa le plafond, traversa les souvenirs.

Elles étaient toutes les deux dans une boutique en compagnie de Janus puis brusquement, elle se retrouva sous un ciel étoilé, en pleine discussion. Et c'est là que les mauvais moments prirent place.

Des flammes partout autour de la sorcière. Son visage maculé de sang. Des hurlements et des pleurs. À ses pieds, la meurtrière de Médée était dans un état pitoyable, totalement méconnaissable, des morceaux de corps en moins ou en trop. Au loin, des miliciens de la reine arrivaient. Et sachant très bien qu'elle ne pourrait jamais revenir, Helja prit la fuite, ses pensées tournées vers son grand amour.

Après cette nuit, elle n'avait jamais revu Luba, mais jamais elle n'avait cesser de songer à elle. Elle avait bien tenté de l'effacer de sa tête, mais même la magie ne pouvait supprimer les sentiments. Cette femme enflammait son cœur, lui faisait ressentir tant de choses. Elle était drôle et intelligente, d'une beauté à couper le souffle. Une véritable bouffée d'air frais. Luba demeurait indélébile.

Mais pour Helja, rien n'était plus violent que l'amour. Il surgissait toujours par surprise et exigeait une totale soumission, sans jamais donner la possibilité de s'y soustraire. C'est pour cela qu'elle n'avait pas envie de réveiller son attachement pour Luba. Elle voulait pouvoir garder le contrôle.

Entre deux excursions dans le passé, la sorcière avait bien essayé de trouver le sommeil en commençant la lecture de son grimoire rempli des sortilèges les plus horribles, parfois accompagnés de dessins sanglants, mais entre un maléfice qui permettait d'arracher les ongles à une distance de cinquante mètres et un autre qui brisait instantanément tous les os d'un corps, elle était plus excitée que fatiguée. Quand finalement elle s'endormit, l'horloge de la chambre louée pour la nuit sonna l'heure de se lever.

Les filles se lavèrent et changèrent enfin de vêtements. Charlie abandonna sa robe d'enfant pour une tenue beaucoup plus adaptée au voyage. Un pantalon en lin, une veste en cuir de dragon avec de nombreuses poches, des gants et son bâton ensorcelé, soigneusement accroché dans son dos.

Helja était habillée d'une de ses habituelles combinaisons de combat, un foulard dans les cheveux et son nouveau poignard dissimulé sur l'une de ses cuisses. Elle portait également le petit sac qui contenait bien plus qu'il ne laissait paraître. Un vacarme d'objets encombrants qui s'entrechoquent avait même résonné quand la sorcière l'avait attaché à son épaule. Enfin, tous les trois prirent la route en direction du château.

La ville souterraine était beaucoup moins bondée que la veille. Se promenaient seulement de vielles magiciennes aux chapeaux pointus, un homme au visage de taureau et une bande de gnomes, de minuscules êtres à la peau grisâtre comme de la pierre, la tête pas plus grosse qu'un pouce et munie d'un seul œil. Le plafond représentait actuellement un magnifique ciel bleu qui tirait sur le mauve et un soleil artificiel d'une teinte rouge vif se levant derrière l'une des nombreuses tours de la demeure de la reine Missélia. Une résidence bien plus grande que les autres habitations. Elle se distinguait par sa couleur aussi noire qu'une nuit sans étoiles. De loin, cela ressemblait à une gigantesque araignée, les tours formant les pattes et les fenêtres éclairées, les multiples yeux.

Lorsqu'ils arrivèrent en bas des hauts escaliers sombres et luisants, ils découvrirent la souveraine vêtue d'une nouvelle robe ténébreuse. Autour d'elle, pas moins de dix miliciens au masque sans expression la protégeaient. Helja aperçut également une seconde femme avec une frange, portant un manteau de voyage et une épée, à la lame longue et fine.

— Luba ? s'étonna la sorcière. Qu'est-ce que tu fais là ?

— Bonjour Helja, s'exclama la reine de cet air hautain qui la caractérisait tant. Je vois que vous avez eu l'occasion de vous équiper.

— Oui, nous avons fait quelques emplettes, raconta-t-elle en fixant Luba.

— Bien, suivez-moi, je vais tout vous expliquer.

Et sans rien ajouter, elle monta les marches qui menaient au château, les gardes et la métamorphe, qui n'avait pas adressé un regard à Helja, sur ses talons.

Les portes s'ouvrirent toutes seules. Ils avancèrent dans un interminable couloir fait de carrelage opaque brillant, arrivèrent dans une cour, puis descendirent un escalier en colimaçon. Ils croisèrent à nouveau les créatures diaphanes qui passaient le balai en silence, faisant une révérence à l'approche de leur reine.

Après encore quelques galeries sombres, la souveraine poussa l'huis d'un jardin. Une étendue d'herbes grises où quelques arbres totalement noirs avaient grandi. Les uniques touches de couleur étaient les bêtes qui jouaient, mangeaient ou dormaient.

Au nombre de treize, elles ressemblaient à première vue à des lions, mais bien plus massif, avec une tête à peu près cinq fois plus grosse que celle d'Helja. Leur fourrure s'illuminait d'une magnifique teinte d'or, deux énormes dents d'environ soixante centimètres sortaient de leur gueule et leurs yeux entièrement jaunes fumaient comme deux brasiers.

— Des aslevs ? s'esclaffa Helja. Mais comment ? Je croyais qu'ils avaient disparu lors de la guerre contre les humains.

La sorcière avança prudemment vers les animaux, une main tendue pour caresser leur imposante crinière qui entourait leur épais visage. Elle n'avait entendu parler d'eux que grâce aux anciens grimoires et n'avait jamais envisagé en voir un jour.

L'un d'eux, le plus impressionnant de la meute, s'approcha et se laissa docilement toucher. Son pelage paraissait à la fois doux et chaud. Derrière elle, Charlie allait à son tour vers eux, les yeux emplis d'admiration. La reine répondit enfin :

— Ce sont les derniers de leur espèce. Il n'en restait plus que deux quand nous avons perdu la guerre et la royauté a réussi à agrandir leur nombre jusqu'à aujourd'hui. Très peu de personnes, même au sein de la ville souterraine, sont au courant de leur existence et vous savez sûrement pourquoi, mademoiselle Helja.

— Leur fourrure est entièrement constituée d'or, mentionna-t-elle en se tournant vers la souveraine. Ces bêtes peuvent être vendues une véritable fortune. Encore plus maintenant si ce sont les dernières.

Et il est vrai que l'idée de commercialiser ces aslevs afin de gagner beaucoup de pièces d'or lui avait immédiatement traversé l'esprit. Mais pour l'heure, elle devait tuer le roi de Gallia. Elle reviendrait peut-être plus tard pour en voler un ou deux.

— C'est pour ça, ajouta Missélia, avançant d'un pas lent vers l'un des aslevs qu'elle caressa, que tout ceci doit rester secret.

Charlie se mit soudainement à rire. Quand Helja se retourna, elle remarqua l'animal, beaucoup plus mince que ses congénères, lui sauter dessus et lui lécher le visage. Contrairement aux adultes, les jeunes aslevs arboraient une fourrure argentée et leur corpulence était semblable à celle des poneys. Leurs yeux, moins brillants, possédaient tout de même cette particularité de fumer.

Helja détourna le regard pour reporter à nouveau son attention sur la reine qui demanda :

— Connaissez-vous les autres talents des aslevs ?

— Ces bêtes sont très rapides. Elles peuvent parcourir de grandes distances en quelques minutes. Elles peuvent également porter de lourdes charges.

— Je vois que vous avez bien appris vos leçons, admit Missélia qui esquissa un sourire. Je vais vous prêter deux de mes aslevs qui vous conduiront jusqu'au roi, nous ne pouvons prendre le risque d'ouvrir un point de passage proche d'eux et qu'ils le découvrent. Aussi, nous savons qu'il est arrivé hier soir près de Burdig et qu'il y a installé un campement avec une partie de son armée. Une fois que mes aslevs vous auront déposées, vous et mademoiselle Luba serez seules pour accomplir votre périple. Dès lors qu'il sera mort, votre dette sera payée et vous serez libre d'aller et venir à votre guise dans la ville souterraine, même s'il semble inévitable que notre peuple ne reste plus caché pour très longtemps.

Helja regarda successivement la souveraine et Luba, voulant demander pourquoi cette dernière les accompagnait. Pourtant, elle s'abstint. Si la métamorphe les suivait dans leur mission suicide, elle aurait bien l'occasion de la questionner. La sorcière se contenta donc d'acquiescer poliment.

Charlie salua le petit aslev avec qui elle avait joué puis rattrapa le groupe qui retournait au château, deux bêtes aux pelages d'or avec eux. Ils traversèrent encore un couloir puis un autre, jusqu'à ce qu'ils arrivent dans une large salle où était installé le trône de la reine. Elle ressemblait beaucoup à celle du roi Gargoth. Grande, tout en longueur, un interminable tapi menant jusqu'au siège royal et de nombreuses statues représentant différents êtres magiques. Il y avait même des têtes coupées suspendues à des potences en fer accroché aux tapisseries. Mais ici, aucune fenêtre par laquelle jetait Helja la gorge grande ouverte. À la place, des flammes noires voletaient au-dessus d'eux comme de minuscules oiseaux de lumière.

Ils avancèrent jusqu'à une arche de pierres, cachée dans un coin d'ombre. Les gardes posèrent alors des selles sur les aslevs qui se laissèrent faire. Helja reçut également un sac qui contenait un énorme morceau de viande saignante afin de les nourrir une fois arrivé.

— Ils savent exactement où vous amener, ajouta la reine. N'oubliez pas de leur donner de quoi manger, ils reviendront d'eux-mêmes ensuite.

Elle opéra un geste étrange du poignet avant qu'une spirale mauve n'apparaisse entre les deux extrémités de la voûte.

— Ce portail conduit hors de la ville, au plus proche de votre destination, mais assez éloigné pour ne pas être repéré par des gardes. Vous connaissez votre mission. Maintenant, allez-y !

Missélia les salua d'une manière solennelle.

Lorsque la sorcière passa à travers le voile tourbillonnant, ce fut comme si on la tirait par le ventre d'un coup sec. Ses bras, ses jambes et sa tête se détachèrent de son corps et reprirent leur place aussitôt que ses pieds touchèrent le sol. La chaleur du soleil sur la peau lui indiqua qu'elle se trouvait dehors avant même qu'elle n'ouvre les yeux sur la forêt.

Charlie semblait déboussolée par le voyage rapide, si bien qu'elle se posa quelques instants à l'ombre d'un arbre. Sans dire un mot, Luba chevaucha une des bêtes avec grâce, mais Helja ne pouvait pas attendre plus longtemps. La reine n'était plus là pour l'empêcher d'obtenir une explication sur sa présence ici.

— Qu'est-ce que tu fais avec nous ? D'abord, tu me fais ce coup hier soir à la taverne et aujourd'hui ça ?

— Cela ne te regarde pas, rétorqua-t-elle. Ta mission est de tuer le roi, la mienne est toute autre. Maintenant, allons-y. Debout ! ordonna-t-elle à l'adresse de Charlie.

— Ne lui parle pas comme ça, l'avertit-elle. Il n'y a que moi qui ai le droit de lui crier dessus. Allez, debout Charlie !

La jeune fille se releva tant bien que mal et s'approcha pour monter sur le deuxième aslev avec Helja et Bastet.

— On se retrouve là-bas, tonna Luba avant de donner un coup de talons et de se volatiliser dans un éclair doré.

— Tenez-vous bien, prévint alors Helja avant d'à son tour, infliger un coup à la bête.

L'animal se mit à courir avec une telle rapidité que tous les trois durent se cramponner fermement à la selle. Charlie serrait également Bastet qui était à deux coussinets de tomber.

Autour d'eux, le paysage changeait à une vitesse impossible. C'était au départ un mélange de formes et de nuances vertes, représentant les forêts du nord. Mais bientôt, toute couleur disparut, ne laissant place qu'à des teintes grises, leur indiquant qu'ils arrivaient dans les chaînes de montagnes du sud.

Devant eux, seul l'aslev que chevauchait Luba apparaissait net dans cet horizon flou. Elle tenait l'animal d'une main et ne semblait pas avoir de mal à voyager ainsi.

Tout s'arrêta soudainement de bouger. Ils se trouvaient en plein milieu d'une plaine d'herbe jaune entre de hautes collines de pierre. Helja, Charlie et Bastet s'allongèrent, leurs têtes tournant encore, comme s'ils étaient toujours en train de galoper à grande vitesse. Luba s'occupa alors de donner la carcasse à manger aux aslevs puis fit face au groupe.

— Allons-y ! Le campement du roi ne doit pas être très loin et nous devons établir le meilleur plan pour le tuer.

— Depuis quand est-ce que c'est toi qui décides de ce que nous devons faire ? lâcha Helja qui haussa les sourcils.

— Écoute, je ne suis pas là pour que l'on passe notre temps à ces enfantillages, d'accord ? Au plus vite le roi sera mort, au plus vite nous pourrons nous séparer. Et ça, tu sais très bien le faire si je me souviens bien !

Sur ces mots, la métamorphe s'écarta. Les deux aslevs disparurent dans un éclair doré.

— Qu'est ce qu'il y a eu entre vous ? interrogea Charlie.

— Ce ne sont pas tes affaires. Maintenant, avance ! ajouta-t-elle avant de rejoindre Luba, laissant Charlie et Bastet seuls avec leurs questions. 

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