Chapitre trois
Il y a des moments où vous avez l'impression que tout va tellement vite que vous avez du mal à comprendre ce qui se passe. Comme si vous écoutiez quelqu'un jouer d'un instrument à un rythme effréné et que vous ne saisissiez plus les notes que vous entendez. Vous ne savez pas à quoi vous accrocher. Vous avez le sentiment que le monde tournoie et va vous aspirer. Comme si vous grimpiez un mur d'escalade qui tourne vite. Une tempête infernale. Un cyclone incroyablement puissant. Un trou noir d'une profondeur inexplicable.
C'est ce qui est actuellement en train de m'arriver. Littéralement.
Le ciel est devenu rouge et noir. Des flammes ont jailli du sol. De la fumée est montée. Des hurlements ont commencé à se faire entendre. D'abord un, puis deux, puis dix, puis cinquante.
Et tout ça, en l'espace de quelques secondes. Il pleut même une certaine substance noire. On dirait du goudron. Il n'a jamais plu du goudron dans ce monde. Et je crois bien que j'entends une musique et des chuchotements. J'en ai la chair de poule. Tout mon corps est en train de vibrer.
— Ah, susurra quelqu'un derrière moi. Enfin, Sorcellia est à moi !
Je sursaute et me met à redouter le pire. Je me retourne et balaie les environs du regard pour voir qui est à l'origine de cette réplique et de ce rire lugubre.
Mon cœur manque de s'arrêter et mes jambes vont se dérober.
Une chose, ou plutôt un homme maléfique se dresse sur les marches du conseil. Des silhouettes dans l'ombre entourent cette entité et rendent le spectacle encore plus terrifiant. Si l'Enfer avait un adjectif, j'aurais dit du spectacle qu'il est enférique.
Une longue robe noire virevolte dans son sillage et des bandes de tissus écarlates claquent au vent. Un col en pointe sombre accentue le tranchant de sa mâchoire et la pâleur de sa peau. Le haut de son visage disparaît dans l'ombre de son chapeau, mais les deux billes qui lui servent d'yeux scintillent dans l'obscurité. Rougeoyantes et impitoyables, elles sont parfois fendues par un trait noir qui évoque les yeux d'un félin. Mon corps se tétanise alors que le sorcier s'approche, lévitant dans un nuage grisâtre, toujours entouré des silhouettes. Des gardes ?
Il faut que je m'enfuie ! Je dois quitter cet endroit qui est en train de devenir maudit ! Mais mes jambes tremblantes restent figées sur place, sourdes aux ordres de mon esprit. Mon cœur tambourine plus fort dans ma poitrine, noyant le bruit de la tempête dans un emballement de battements sourds.
Le sorcier tient dans sa main droite un long sceptre, qu'il agite dans tous les sens, comme une massue. Il me fait penser au sceptre de Maléfique, cette sorte de sorcière d'un conte, avec une boule verte au bout, qui brille et crépite. Son bras gauche est orné d'un serpent doré. J'ai du mal à distinguer si c'est un vrai ou un faux, mais je ne serais nullement étonnée si c'était un vrai.
— Que tout le monde s'incline devant votre nouveau dirigeant !
Pardon ?
Nouveau dirigeant ? C'est une blague j'espère ? Il veut voler le trône de mon père ? D'ailleurs, où est mon paternel ?
Certaines personnes, trop effrayées pour faire quoi que ce soit d'autre, obéissent et se mettent à genoux, tels des esclaves qui n'ont pas d'autres choix que de se soumettre. D'autres restent immobiles et jettent des regards autour d'eux, totalement paniqués. D'autres encore essaient de jeter des sorts pour se protéger. Quelques uns tentent de fuir et y parviennent avec difficulté.
Où sont mes parents ? Et mes gardes ? Et les gardes de ma famille ?
— Alors, qui refuse de s'agenouiller maintenant ?
Certains ne veulent pas s'incliner. Il vise une personne et sans réfléchir une seule seconde, il la transperce sans la moindre pitié et se retourne vers la foule horrifiée.
Et là, le vrai carnage commence. Les invités en pleine fuite se retrouvent instantanément changées en statues ou pulvérisées. Je commence à hurler, mais étouffe la fin de mon cri avec une main que je place devant ma bouche. Des adultes tentent de s'aligner pour le contrer, et mêlent leur magie, mais le sorcier est plus fort et les bat tous. Il les décime à coup de boules de feu, ou bien il les change en pierre grâce à son sceptre.
Les boules de feu viennent détruire des habitations entières, celles qui bordent la grande place. Ces maisons et autres bâtiments deviennent très vite des ruines tandis que de la fumée s'échappe dans les airs en formant un épais brouillard.
Des gens viennent d'être tués dans leur maisons. Des gens viennent d'être tués à la fête. Des âmes viennent d'être éclatées et ne reviendront pas.
La douleur à ma tête s'amplifie tandis qu'un spasme me parcourt encore. Je ne vais pas pouvoir supporter ça encore bien longtemps. Je n'ai jamais eu aussi mal.
Ma mère n'est plus là. Je panique. Je regarde autour de moi, mais je ne la vois pas. Je n'aperçois pas non plus ma sœur ni mon père et mes deux meilleures amies sont également absentes. Je n'ai plus de repère. Même mes gardes, d'habitude plantés discrètement non loin de moi, sont invisibles à mes yeux. Leur robustes silhouettes manquent à l'appel, si bien que je suis davantage vulnérable.
Vite ! Trouve une solution ! Tu as dix-sept ans bientôt, un an après, c'est la majorité terrestre ! L'âge où l'on est capable de faire ses propres choix !
Lili-May... Lili-May... Lili-May...
On prononce mon nom. Une voix familière mais que je ne parviens pas à identifier m'appelle. Qui est-ce ? C'est une enfant ou une jeune adulte.
J'ignore les chuchotements et m'avance de quelques pas afin de chercher mes proches.
Lili-May... Lili-May... Lili-May...
— Agenouillez-vous et obéissez-moi, ou bien votre existence dans ce monde s'arrêtera.
L'injonction de ce sorcier se répercute dans les airs, dans mon âme et résonne comme si nous étions dans une grande salle où le plafond est à la hauteur du ciel. Je crois même entendre jouer d'un instrument à cordes.
Lili-May... Lili-May... Lili-May...
Je continue de chercher mes parents et ma sœur parmi les gens encore présents sur la place. Je suis bientôt la seule à ne pas être agenouillée, parmi les gens encore présents. Peu importe. Je dois trouver mes parents et ma sœur.
—Tu ferais mieux de t'agenouiller si tu veux pas finir comme les autres...
— Oh ferme-la sale petite tête...
— Et toi là-bas ? Pourquoi ne te prosternes-tu pas devant ton cher nouveau dirigeant ?
Je lève la tête. C'est à moi que ce sorcier s'adresse. Je tremble d'effroi. Je ne sais même pas comment je fais pour tenir encore debout, car mes jambes flageolent beaucoup trop.
Terrifiée. Je suis tellement terrifiée que je joue les courageuses en restant debout. C'est pitoyable.
— Oh mais je ne rêve pas ! Tu es bien Lili-May !
Lili-May... Lili-May... Lili-May...
J'ouvre grands les yeux et arque un sourcil interrogateur, fortement intriguée. Comment connaît-il mon prénom ? Qui lui a dit ?
En même temps, je fais partie de la famille royale...
— Dieu sait que j'ai beaucoup entendu parler de toi. La fameuse princesse aux capacités incroyables prédites par une simple voyante ! Voudrais-tu me faire une démonstration ? Ou préfères-tu être directement changée en statue pour toujours ? Agenouille-toi et je te promets que ça n'arrivera pas.
Il se fend d'un rire rauque qui résonne en moi comme un écho funeste et me plonge dans une angoisse glaciale. J'ai même l'impression que le serpent se moque de moi avec sa petite langue qui bouge à un rythme irrégulier dans ma direction.
Je sens la peur grandir encore en moi. Et dire que je croyais qu'elle était déjà à son paroxysme... Je veux parler, mais aucun son ne sort de ma bouche. Je veux bouger, mais je ne peux pas. Je veux respirer, mais j'ai l'impression d'être en apnée au plus profond de l'océan.
— Oh mais c'est vrai, suis-je bête ! Tu n'as aucun pouvoir ! La voyante a dû se tromper ! Une simple humaine dans un monde de fées. Que cela doit être dur à vivre !
Je n'ai pas aucun pouvoir. Ils sont juste trop faibles pour être utiles.
Je sens la colère monter si fort qu'elle en étouffe la peur. Mon sang est encore plus brûlant qu'une mer de feu. Je serre les dents pour ne rien ajouter, ne sachant pas où ce déchaînement de violence pourrait m'emmener.
En Enfer.
Comment est-il au courant de ça ? Comment le sait-il pour la voyante et sa prédiction à mon sujet ? Et puis d'où vient cette monstruosité qui se croit tout permis et qui vient de décimer une partie de la population ? Cette créature qui a fait disparaître pour toujours des Sorcelliens que je croisais tous les jours et qui ne demandaient rien à personne !
Son serpent rampe et s'enroule autour de son sceptre, la langue pendante, et ses pupilles fendues me fixent avec intensité.
— Tu as raison, mon beau serpent, cette jeune fille m'est inutile. Autant s'en débarrasser tout de suite !
— Laisse-la tranquille, pauvre type ! s'écrie quelqu'un derrière moi.
L'être maléfique tend la main et envoie une décharge à la personne, qui est projetée en l'air avant de mourir écrasée. Un spasme me parcourt. Je ne préfère pas me retourner pour voir le désastre.
Son doigt se dirige à présent vers moi. Je suis sa prochaine cible.
Je sens que je vais mourir à mon tour. Il va me changer en statue ou me projeter dans les airs. Je n'ai aucun moyen de fuir.
Il oriente son sceptre dans ma direction.
C'est donc comme ça que ma vie va s'arrêter ? Foudroyée par un être abominable sorti de nulle part qui veut régner sur notre univers ?
Je ferme les yeux, me préparant au pire. Je ne peux pas fuir. Il me rattraperait. Je ne peux pas lui jeter de sort, je n'ai presque aucun pouvoir et ils ne se manifestent pas sur commande. Je ne peux rien faire, je suis vulnérable. Le désespoir s'abat sur moi. Je me sens impuissante. Mon esprit paniqué cherche une échappatoire mais il est incapable de mettre de l'ordre dans mes idées.
Où sont donc mes gardes ?
J'entends soudain un « Nonnnnnnnn ! » suivi d'un gros fracas assourdissant. Je rouvre immédiatement les yeux pour voir ma mère poussée par l'un de ses gardes pour la défendre. Les deux roulent dans la poussière avant d'être foudroyés par un sortilège du sorcier sans que je n'ai eu le temps de réagir.
La pierre vient recouvrir leurs corps progressivement tandis que je hurle devant cet abominable spectacle.
Je hurle à m'en casser la voix. Tellement fort que les verres des buffets se brisent. Tellement fort que je suis sûre que l'on pourrait m'entendre depuis la Terre. Tellement fort que je sens les fenêtres des habitations de Sorcellia vibrent en écho avec mon âme.
Mes mains commencent à me brûler et mon cœur a dû battre son record de battements à la minute. J'en ai mal à la poitrine. J'ai mal partout. La douleur insoutenable se mêle à une vague de haine et d'incompréhension dans laquelle je pourrais me noyer.
J'ai refusé de me soumettre et je n'avais aucun moyen de me défendre. J'aurai pu fuir, mais l'horreur m'a paralysée, si bien que ma mère et son garde sont devenus de la pierre.
Je ne veux pas y croire. Mes sens sont juste en train de me tromper. Je suis juste en train d'halluciner. Tout ceci n'est qu'un funeste rêve et bientôt, je me réveillerai dans ma chambre.
Non. Je ne peux pas y croire. Je ne peux pas accepter ce que je vois. Je dois me frotter les yeux encore une dizaine de fois avant d'être sûre de ce qui se trouve devant moi.
Elle m'a sauvée. Il m'a sauvé. Ma mère a voulu me sauver et le garde a voulu nous protéger toutes les deux. C'est de ma faute. C'EST DE MA FAUTE !
Ma vision est brouillée par l'arrivée des larmes.
Une larme roule.
Puis deux.
Puis trois.
Jusqu'à ce qu'un torrent s'échappe et que je pousse un second cri strident aussi puissant que le premier.
Je regarde l'homme, cette créature maléfique, qui vient de transformer ma mère en pierre.
— PAUVRE TYPE, ALLEZ VOUS FAIRE VOIR !
Et là, une chose que je pensais ne jamais se produire se réalise, ce qui explique les brûlures à mes deux extrémités.
De la magie sort de mes mains. De la vraie magie, de couleur rose. DE LA VRAIE MAGIE ! UNE EXPLOSION DE ROSE !
Plus les émotions sont fortes, plus la magie sera puissante.
Je vois le sorcier frémir.
La magie disparaît aussitôt. Je soupire tout en essuyant les larmes qui brouillent ma vue. Ma colère était si intense qu'elle a fait naître en moi les premières vraies étincelles de magie.
La couronne de ma mère scintille. Elle est tombée à terre quand elle a été changée en pierre.
Je fusille du regard le sorcier.
Comme si un simple regard mauvais allait changer les choses.
Puis je me baisse pour attraper la couronne, le plus rapidement possible. Je la ramasse, puis sans réfléchir, je m'enfuis, en évitant les sorts qu'il me jette et en évitant de marcher sur ma robe que j'ai dû relever.
Sauf que je remarque que le serpent glisse du bras du sorcier et se faufile dans les hautes herbes qui bordent la place. J'accélère la cadence, je cours comme je n'ai jamais couru, pour sauver ma peau et potentiellement mon monde.
Je dois venger ma mère. Et si possible, avec des pouvoirs super puissants. Je dois aller chercher le reste de ma famille s'ils sont encore vivants.
Pourquoi je pense à ça ? Ils sont vivants. Je dois y croire.
Mais je pense que derrière cet homme, se cache quelque chose de plus profond, de bien plus dangereux. Et je suis peut-être la clé.
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