Chapitre quatre

Beaucoup de personnes oublient la petite étoile du vote. N'oubliez pas que si vous aimez, ça ne prend que peu de temps et c'est un plus pour l'auteur(e) !

Je crois que je n'ai jamais couru aussi vite de ma vie. Je crois que là, j'ai battu tous les records de vitesse. Même une gazelle ou un guépard n'aurait pas couru aussi vite. Mais là, c'est une question de vie ou de mort. Je suis essoufflée et mes jambes sont à deux doigts de fléchir, mais je ne peux pas m'arrêter.

Vivre ou mourir. Exister ou disparaître. Être ou ne pas être.

Je rejoins le château le plus rapidement possible. Je ne vois pas où le reste de ma famille pourrait être si ce n'est pas chez nous. Et peut-être que ma décision d'aller au château est complètement stupide mais je ne vois pas ou je pourrais aller.

L'essoufflement prend le dessus et je suis obligée de m'arrêter à contre cœur. Mains sur les cuisses, respiration saccadée, j'ai la sensation que je vais cracher mes poumons. Je suis prise d'une grosse quinte de toux qui semble ne pas vouloir se terminer et qui fait que je suis repérable par le bruit que je fais.

Une bonne minute se passe avant que je ne me décide à ouvrir la grande grille forgée une fois ma quinte de toux terminée. Je traverse la pelouse, sans prendre la peine de refermer derrière moi et sans prendre la peine non plus de passer par le sentier de cailloux blancs.

Lili-May... Lili-May... Lili-May...

Les chuchotements continuent. J'essaie tant bien que mal de les ignorer, même si ce n'est pas facile. Pourquoi j'entends cette voix chuchoter mon prénom ? Pourquoi me semble-t-elle si familière ? Et pourquoi les lampes qui sont censées éclairer le jardin vacillent-elles ?

Lili-May... Lili-May... Lili-May... 

J'ouvre la porte du château après avoir inséré la clé dans la serrure. D'habitude, trois ou quatre gardes se tiennent là, armés, pour protéger l'entrée. Ce soir, il n'y a personne.

Je rentre et traverse la salle à manger après avoir marché dans le long couloir principal. Je ne vois personne. Le mobilier paraît intact et tout est exactement au même endroit qu'avant la fête. Personne n'est entré entre temps.

— Père, Mère, vous êtes là ?

Personne ne me répond.

Puis, je me souviens que ma mère est encore sur la place, changée en statue. Je suis prise d'un vertige en revoyant la scène dans ma tête. Comment vais-je faire sans elle ? Elle qui m'a toujours guidée, telle une boussole ?

— Daisy ? Grace, Manuela, Rosa ?

Toujours pas de réponse.

— Roseillia ?

Même ma grand-mère ne répond pas.

Le silence. Rien que le silence. Le silence étrange et effrayant, terrorisant. D'habitude, le silence procure un état de paix mais là, il me terrifie.

— Il y a quelqu'un ?

Il n'y a personne, Lili. Tu as appelé tout le monde là !

Je sors dans le jardin. J'ai encore des maux de tête et des picotements dans les mains. Une larme roule même sur ma joue et tombe au sol.

Ne pas pleurer. Tout va bien se passer.

Toujours aucune trace de ma sœur, de Roseillia et de mon père. Je ne sais même pas non plus où sont mes deux amies. Je suis terriblement inquiète. Et je me sens terriblement seule.

Inquiète est un euphémisme bien faible.

Je décide d'aller au fond du jardin. C'est peut-être une bonne cachette. Il fait sombre, et on peut se dissimuler derrière quelques arbres.

L'idée est pitoyable, Lili !

J'ai envie de disparaître. Les tremblements de mon corps ne pourront jamais être décrits.

Lily-May... Lily-May... Lily-May...

Je me demande vraiment ce que c'est que ces chuchotements. Un fantôme ? Le sorcier maléfique qui menace mon monde ? Mon cerveau qui me joue des tours ? Suis-je en train de devenir folle ?

Au moment où j'allais m'enfoncer dans les sous-bois derrière le jardin, je m'arrête. Je sens une présence pas loin de moi. Plus que tout, je redoute qu'il s'agisse de cet horrible sorcier.

J'entends soudain une voix familière m'appeler.

— Lily-May !

Je me retourne rapidement. Je vois Savana courir pour me rejoindre. Elle se jette sur moi et m'enlace fort. Je soupire de soulagement en serrant ma meilleure amie dans mes bras.

— Je suis si contente que tu ailles bien ! s'exclame-t-elle, elle aussi soulagée de ne plus être seule.

Sa robe est tachée de boue et ses cheveux sont en bataille. Quelques épines sont plantées dedans. À part ça, elle semble aller bien. Plus de peur que de mal.

— Moi aussi ! Quel soulagement ! Je me croyais toute seule !

— Et moi donc ! Ma famille a disparu dès que le sorcier est arrivé et je ne sais pas non plus où est Stella !

— Ma mère a été changé en statue, et aucune nouvelle de mon père ni de ma sœur de mon côté.

— Oh ! Je suis vraiment désolée pour ta mère, sanglote-t-elle en me serrant dans ses bras.

— Elle m'a sauvée...

Je lutte contre les larmes qui menacent de couler à nouveau.

— Je vois... Elle a été très courageuse, c'est une héroïne. Je te promets que nous la vengerons.

Elle marque une pause, encore essoufflée d'avoir couru, puis reprend :

— C'est terrible, quand j'ai vu ce sorcier, j'ai cru mourir ! Il est terriblement effrayant et encore, ces mots ne suffisent pas à le qualifier ! J'ai tellement peur pour Stella !

— J'ai pensé la même chose de lui ! J'ai cru que j'allais être changée en statue ! Pour Stella, ne t'en fais pas, je suis sûre qu'elle s'en est sortie. Il n'y a pas plus maligne, plus rusée qu'elle.

C'est la vérité. Stella est la personne la plus intelligente que je connaisse. Elle ne tombe jamais dans les pièges. Elle est la meilleure de la classe. Ses pouvoirs sont déjà bien développés. En plus de ça, il n'y a pas plus mature comme adolescente qu'elle. J'ai peur pour elle, mais au fond, je sais qu'elle a réussi à se cacher.

J'ai la gorge nouée en pensant encore et encore à ma mère, encore sur la place. Mes joues sont plus que trempée par une tristesse sans nom. 

Est-ce qu'elle est encore vivante ? Et mon père, le roi, où est-il donc ?

Je ressens littéralement une bombe d'émotions. Tristesse, rage, peur, refus d'admettre, colère. confusion et j'en passe... Je dois pourtant garder mon sang-froid.

— Bon, il faut qu'on trouve quelqu'un. Nous devons faire quelque chose avant que la situation n'empire. Je ne tiens pas à être changée en statue ou autre s'il nous retrouve ! Qui sait ce qu'il est capable de faire ! 

Tant qu'il ne jure pas de détruire le monde, tout va bien.

— Oh moi non plus... Mais on va où exactement ?

— Peut-être devrions-nous rejoindre la maison du sage ? Il saura quoi faire.

— Bonne idée, allons-y.

Sans réfléchir une seconde de plus, nous nous mettons en route. Je tiens toujours la couronne de ma mère dans la main. Je ne veux pas la lâcher.

Nous traversons la forêt obscure et parcourons quelques mètres sur le long sentier étroit et bordée d'arbres qui mène à la maison du sage.

C'est une convention à Sorcellia. Il y a toujours un sage. Il vit reclus dans la forêt et étudie les étoiles, les symboles et les rêves. C'est en quelque sorte notre gardien. Quand une sombre vérité se profane ou que quelque chose de mal arrive, c'est lui qui s'en occupe. Le sage est toujours quelqu'un d'âgé qui a de l'expérience et qui, comme son nom l'indique, fait preuve d'une grande sagesse.

L'atmosphère est lugubre. Très lugubre. Le ciel n'a jamais été aussi sombre. Il n'y a aucune étoile et la lune est rougeâtre, avec des traînées de rouge tout autour, chose que je n'avais pas remarqué auparavant.

Une lune de sang. Et dire que c'était supposé être la plus belle nuit de l'année et voilà que c'est devenu un cauchemar sans nom.

J'ai très peur. 

Tu es terrifiée, Lili ! Arrête d'utiliser le mot peur !

Seules quelques lumières nous permettent de voir aux alentours. J'ai même l'impression d'apercevoir de la fumée autour de moi. Ce doit être les maisons qui ont brûlé toute à l'heure, suite aux multiples attaques du sorcier.

Lily-May... Lily-May... Lily-May...

La maison du sage n'est qu'à un kilomètre à pied du château. Elle est située au fond des bois, juste à côté du portail magique qui mène sur Terre. Je n'y suis jamais allée car c'est un endroit défendu. Tout comme je n'ai jamais vu de portails magiques. Il y en a trois qui mènent à la Terre. Un ici, un dans des souterrains, et un autre dont j'ignore la localisation car son emplacement est tenu secret. Apparemment, ma mère le sait, comme c'est la reine. Peut-être qu'un jour, ce sera Daisy qui connaîtra sa place, et qui me partagera le secret.

Nous marchons rapidement et discrètement. Nous sommes aux aguets, au cas où quelqu'un nous suivrait.

— Je n'ai jamais autant eu peur de toute ma vie ! chuchote Savana.

— Moi aussi ! 

— J'espère que Stella va bien et que beaucoup ont pu aller se cacher !

Elle marque une pause avant d'ajouter d'une toute petite voix :

— Et puis j'espère que ma famille va bien aussi...

— C'est sûrement le cas t'inquiètes pas et puis connaissant Stella, elle est si maline que je suis sûre qu'elle est à l'abri.

Après encore quelques minutes de marche, nous apercevons le toit de la maison du sage derrière quelques d'arbres. Savana commence à courir, en soulevant le bas de sa robe pour ne pas tomber. J'hésite un court instant avant de l'imiter lorsqu'en plus elle m'appelle pour que je la suive.

Lily-May... Lily-May... Lily-May...

Argh ! Je vais devenir folle si cette chose qui m'appelle ne se tait pas dans la minute !

Nous arrivons enfin devant la porte de la maison du sage. Nous reprenons notre souffle, puis nous nous décidons à toquer à la porte. Nous frappons sur le battant en bois toutes les deux ensemble, main dans la main.

Rien ne se passe. Je regarde derrière moi. Il fait tout noir. Je frissonne. Je crains de voir l'être maléfique débarquer à tout moment et de ne pas avoir le temps de réagir.

Lily-May... Lily-May... Lily-May...

Après quelques secondes sans qu'il ne se passe quelque chose, la porte s'ouvre toute seule. Je m'attendais à voir quelqu'un derrière, mais il n'y a personne.

Nous nous engageons dans le couloir. Nous ne savons pas trop où aller car le couloir est bordé de portes identiques qui semblent fermées à clé, alors nous suivons notre instinct qui nous dit d'avancer tout droit. Les bougies sur les murs s'allument dès que nous passons à proximité, et nous éclairent faiblement devant. C'est assez étrange. Nous l'appelons la maison du magicien mais cela s'apparente de l'extérieur plutôt à une sorte de couloir avec une grand salle plutôt qu'à une maison.

— Il est long ce couloir ! s'exclame mon amie avec encore des sanglots dans la voix.

— C'est vrai.

— Et c'est flippant...

— C'est pas faux non plus...

Je frissonne à moitié. Ce couloir me fait vraiment froid dans le dos.

Nous apercevons enfin devant nous une autre porte, semblable à la première. Pourtant, celle-ci s'ouvre déjà, comme si elle avait détecté notre présence au loin.

Nous parcourons les derniers mètres qui nous séparent de cette porte et apercevons quelques silhouettes dans ce qui me semble être une grande salle. Je ne parviens pas encore à voir qui sont ces gens, mais je me sens légèrement rassurée. Même si ce ne sont pas quelques personnes qui vont vaincre le sorcier, après ce que l'on a vu sur la place.

— Il y a quelques personnes, annonce Savana, confirmant ce que j'ai vu.

Ça va, je ne deviens pas folle. Il y a vraiment des gens devant nous.

Je soupire de soulagement et pousse un cri du cœur quand je vois Stella nous rejoindre et que je réalise que je suis au moins avec mes deux meilleures amies.

— Vous nous avez trouvés ! s'écrie-t-elle.

Savana et moi sommes vraiment soulagées. Nous échangeons un regard qui témoigne de notre soulagement et nous jetons toutes les deux sur notre amie. Je ne sais peut-être pas où est le reste de ma famille, mais au moins, maintenant, mes deux meilleures amies sont avec moi.

Mis à part son air effrayé, sa chevelure décoiffée comme Savana, et un trou dans sa robe jaune au niveau des jupons, Stella semble se porter bien.

— Venez venez, le sage aimerait vous parler ! nous annonce-t-elle en se redirigeant vers la grande salle.

Nous entrons. Quelques habitants du village sont ici. Le sage et ses gardes sont également présents. Je me sens déjà un peu mieux. Je n'ose pas trop m'approcher. L'atmosphère est lourde. Je n'ai pas les mots pour la décrire. Un mélange d'horreur et de tension.

— Entrez vite, jeunes filles, nous dit le sage. Nous allons devoir vous donner des consignes très importantes.

Je m'avance donc sans tarder, imitée par Savana, Stella et quelques autres personnes.

Le sage est très impressionnant. Il porte une toge blanche à rayures noires. Une petite barbe orne son menton et une moustache renforce son côté puissant et énigmatique. Plus grand que moi, c'est le type d'individu qui va faire converger tous les regards sur lui quand il entre dans une pièce. Un collier avec une clé brillante est suspendu à son cou et attire mon attention. Sa chevelure grisonnante est coiffée d'un chapeau blanc orné de petites étoiles évoquant la voûte céleste. Malgré son grand air, il semble effrayé. Une lueur dans ses yeux trahit cette peur. Il essaie tant bien que mal de le cacher, mais ses mains ridées tremblotent. Malgré ce sentiment, il garde son sang-froid pour exposer clairement et assurément les détails de la situation.

— Notre monde connaît une mauvaise période. L'arrivée de ce sorcier maléfique ne fait qu'aggraver les évènements. Il est extrêmement puissant, et rien ne peut l'anéantir.

Aggraver la situation ? Notre monde était déjà en danger ? Pourquoi je ne comprends rien ?

Des exclamations de stupeur se font entendre sur ces derniers mots. Quant à moi, je reste muette. Aucun son ne parvient à sortir de ma bouche qui pourtant veut hurler à en briser toutes les vitres que l'on pourrait trouver dans ce monde.

— Il est donc de notre devoir de lutter, pour qu'il ne puisse pas accéder à la Terre. Dorénavant, l'accès aux portails magiques sera fermé pour tout le monde jusqu'à nouvel ordre.

Pour qu'il n'accède pas à la Terre ?

De nouvelles exclamations se font entendre. C'est un choc pour nous tous. Avant, il était possible de passer de notre monde à la Terre. De nombreux missionnaires partaient sur Terre et ramenaient des plans de ce monde. Ils vérifiaient souvent que tout allait bien. Il était même possible, quelques fois, d'y aller pour de courts voyages. Ou bien quand vous vous ne sentiez pas à votre place à Sorcellia. Comme ma tante. Maintenant, cela signifie que je ne suis pas prête de la revoir s'ils veulent bloquer l'accès. Mais je comprends leur décision. Il faut protéger la Terre pour ne pas la voir transformée en Enfers. Et si Sorcellia se fait détruire par cette ignoble individu, il vaut mieux que la Terre soit protégée pour qu'il y ait un autre endroit pour nous.

— Mais avant de préparer ce combat, je dois vous confier quelque chose de très important.

Je suis intriguée par ce qu'il va dire. J'ai remarqué qu'il n'arrête pas de jeter des coups d'œil dans ma direction. C'est étrange. Pourquoi me regarder moi, et pas les autres ? Et d'ailleurs je me demande aussi pourquoi le sorcier a frémi quand des étincelles de magie ont jailli de mes mains. S'y attendait-il ?

T'es pas le centre du monde, princesse !

— Les trois jeunes filles que vous voyez ici vont jouer un rôle primordial dans cette résistance.

Les trois jeunes filles. Je regarde autour de moi. Mes deux meilleures amies et moi sommes les seules adolescentes dans la pièce. Il n'y a que des adultes.

Il parle donc de nous ! J'échange un regarde interrogateur avec Savana et Stella.

Je me rends compte que j'ignore où sont mes deux ennemies, Kaitlyn et Gwendolyn. Même si je les déteste, je ne peux que frissonner en les imaginant dehors, près de cette créature.

— Mesdemoiselles, ce que je vais vous dire là est d'une extrême importance. Vous devez m'écouter avec la plus grande des attentions et vous devrez ensuite m'obéir.

Nous hochons toutes les trois la tête en signe d'acquiescement.

— Vos pouvoirs sont encore faibles pour l'instant. Vous êtes, sans vouloir vous vexer, inutiles en termes de capacité magique. J'étais comme vous à votre âge. Les pouvoirs d'un magicien se développent à cette période là de votre vie. Nous savons aussi que vous êtes de brillantes élèves. Avec de l'entraînement, beaucoup d'entraînement, il est possible de développer plus rapidement vos capacités pour atteindre votre puissance maximale.

Il marque un temps d'arrêt pour reprendre son souffle, puis poursuit :

— Et la prophétie nous dit que vous êtes notre unique chance de rétablir la paix.

La prophétie. Celle qui dit que je serai très puissante ? Pourquoi tant de doutes viennent rendre mon cerveau agité ?

— Je vais donc devoir vous envoyer sur Terre.

Quoi ? Pardon ? Ai-je bien entendu ? Ou ai-je des pétales de roses qui bouchent mes oreilles ?

Cela dit, ça fera un petit voyage pour Lily-May ! Elle qui se pose sans cesse des questions sur la Terre !

Il fait encore une pause dans ses explications et je dois secouer la tête pour chasser toutes ces pensées presque saugrenues.

— Vous n'êtes désormais plus en sécurité dans ce monde. Le sorcier peut débarquer à tout moment et vous anéantir avant même que vous ayez levé un doigt. Ce ne serait pas raisonnable de rester ici pour vous exercer... Sur Terre, vous pourrez vous entraîner librement. Mais il y a une condition.

Il se racle la gorge et déglutit péniblement avant de finir :

 —  En aucun cas vous ne devez révéler qui vous êtes. L'existence de notre monde doit rester secrète pour les Terriens. Cela sèmerait la panique s'ils savaient la vérité et cela ne ferait que nous freiner dans notre mission de sauvetage. Avez-vous des questions jeunes filles ? Le sorcier risque de débarquer...

Je réfléchis. Que puis-je lui demander ? Je suis sûre d'avoir oublié quelque chose d'important qui me tracasse. Et j'ai aussi l'impression qu'il a omis volontairement de nous dire quelque chose de primordial. J'ai la sensation qu'il était déjà au courant de la venue de ce monstre avant même qu'il ne débarque. Tout est bousculé, si bien que je ne parviens pas à ménager mon cerveau.

— Que va-t-on faire exactement sur Terre ? Et pendant combien de temps ? Et où irons-nous ?

C'est Stella qui a posé la question. Enfin les questions.

Avant même que le sage n'ouvre la bouche, les portes de la grande salle s'écartent en grand et manquent de se décrocher. Certains poussent un cri horrifique à la vue du sorcier. D'autres ne disent rien et seul leur silence témoignent de leur sentiment. Je tressaille d'horreur et manque de tomber.

— Ah ! Je n'ai pas raté la fête j'espère ? Pourquoi donc ne m'a-t-on pas invité ? Moi, Jaffe, n'ai pas été convié ! Tu te rends compte mon beau serpent ?

Il lève la main droite, celle qui tient l'animal, et dépose un baiser sur celui-ci, qui laisse échapper un filet... de bave noire.

Il est répugnant. Affreux, abominable, terrifiant, mauvais, hideux, tout ce que vous voulez.

— L'enveloppe contenant mon invitation s'est égarée ? Il faut croire que ces derniers temps, les pigeons sont bien gras et ne remplissent pas aussi bien leur mission !

Le sage se lève et se dirige vers nous tandis que le sorcier se fend encore et encore d'un rire diabolique.

Lily-May... Lily-May... Lily-May...

— Les filles, il va falloir vous contenter des explications que je vous ai donné. Je vais ouvrir le portail. Vous n'aurez que peu de temps pour y aller, compris ?

Je jette un coup d'œil à Jaffe, occupé à faire tomber les bougies posées sur un autel. Un incendie se déclare immédiatement et l'atmosphère devient bouillante.

Quoi tout de suite ? On va y aller tout de suite maintenant ?

Non, non, Lili, dans dix ans quand il sera trop tard ! Regarde, si ça continue, tu vas être brûlée vive !

Nous hochons la tête, incapables de prononcer le moindre mot tellement la terreur, la haine, l'incompréhension nous paralyse.

Nous nous dirigeons vers le bout de la salle, tandis que les autres tentent de faire diversion avec le sultan.

— Vous vous retrouverez chez la tante paternelle de Lily-May. Quand ce sera le bon moment, vous reviendrez et combattrez à nos côtés.

Pardon ? Chez ma tante ?

Ma tante ?

Je vais aller chez ma tante ? C'est une blague ? Ok, je devrais me réjouir, mais je ne comprends pas.

Il arrache la clé qui pendait à son cou, et la met dans la serrure de l'une des deux portes en bois que je vois devant moi. Elles s'ouvrent immédiatement.

Et là, pour la première fois de ma vie, je vois un portail magique. Un vrai portail, qui mène à un autre monde. Un accès à une autre dimension.

Y a-t-il d'autres mondes que la Terre ?

Je vais revoir ma tante !

C'est magnifique. Le portail est un immense tourbillon blanc avec des étincelles de toutes les couleurs. Je vais devoir passer à travers ça ? L'idée m'effraie un peu, je dois bien l'avouer.

Elle me terrifie. Comme tout ce qui vient de se passer jusqu'à présent.

Mais il le faut.

— Comment saurons-nous qu'il faut revenir ? je questionne le sage. Comment saurons-nous que nous sommes prêtes à vous rejoindre ?

— Vous ne le saurez pas, vous le sentirez....

— Comment ça on le sentira ?

Je suis poussée vers le portail magique. Je crois que je n'aurai pas de réponse à cette question. J'ai peur pour ma vie, tout comme j'ai peur pour mon monde.

Mon cœur a éclaté. Mon âme s'est transpercée. Mon esprit s'est divisé. Et maintenant, j'ai un devoir à accomplir tandis que je vais être coincée sur Terre.

— Ah ! Je ne vais pas te laisser t'échapper, Lily-May ! s'écrie Jaffe.

Non !

 Je sursaute encore.

— Je détiens ta sœur, ta mère et ton père. Ce serait dommage de t'enfuir comme une lâche. Tu ne crois pas ?

Je me retourne.

— Ne fais pas attention à lui, Lily-May ! Viens vite, il faut partir ! me crie Savana. Il ne doit surtout pas nous suivre !

— Ce n'est pas vrai ce qu'il dit ! ajoute Stella. Ne te laisse pas hypnotiser !

Pourtant, je suis persuadée qu'il dit la vérité. Une larme, puis deux, puis trois, roulent sur mes joues et me brouillent la vue.

— Il dit ça pour te freiner, viens vite !

La terreur m'a paralysée.

— Lili-May, viens ! On a plus le temps !

Je veux rejoindre mes amies mais ce que je redoutais le plus arrive. Le sorcier, tend la main et fait faillir des filaments de magie qui vont rapidement dans ma direction.

Je vais mourir.

Je n'ai pas le temps de réagir autrement qu'en mettant mes deux bras en croix devant moi et en baissant ma tête. Alors que je pensais être foudroyée par ce flux de magie noire encore plus sombre que le fleuve des Enfers, une sorte de bouclier rose apparaît devant moi.

OUI !

Oui ! Oui ! Oui !

Ma magie vient de réapparaître et m'a sauvée !

— Lili ! Dépêchez-vous de fuir ! Tu ne pourras pas refaire jaillir de la magie tout de suite ! nous hurle le sage.

Alors je leur obéis tandis que je sens mon énergie me quitter peu à peu. Je me précipite en veillant à garder la couronne de ma mère. J'attrape la main droite de Savana. Cette dernière prend celle de Stella.

Ensemble, nous traversons l'épaisse lueur qui constitue l'accès à la Terre et je sens les toutes dernières forces me quitter.

Je suis presque sûre d'entendre Jaffe me dire que c'est quelqu'un que je connais qui chuchote mon prénom.

Je ne vois ensuite plus rien, et je n'entends plus rien. C'est le trou noir.


Merci de ta lecture ! N'oublie pas la petite étoile du vote si tu as aimé ainsi qu'un petit commentaire si tu le souhaites pour me faire part de tes impressions. 🌹🌹🌹


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