Chapitre quatorze
— Les humains sont vraiment bizarres des fois... soupire Savana en attachant sa chevelure brune en queue de cheval.
— Je confirme, je réponds dans un souffle en me remémorant l'épisode de ce matin.
Je dois bien dire que mon premier vrai dialogue avec un humain ne m'a pas laissé indifférente. Au contraire, je n'arrive pas à arrêter d'y penser. Les répliques de ce David ne cessent de venir me tourmenter.
Mais c'est le cadet de mes soucis. Mon avenir est en danger. Mon destin est peut-être brisé. Je vais peut-être finir esclave d'un fou.
— Bienvenue sur Terre, enchaîne ma deuxième amie.
Assises sur un banc, la brise de l'automne caressant nos visages, nous discutons de notre début de matinée. Mes phalanges sont légèrement rougies par le froid et régulièrement, des mèches de cheveux viennent dissimuler mes iris.
— Des fois je ne comprends même pas quand ils parlent... Ils ont des expressions bien à eux ! s'exclame Savana avec un air rieur.
Je la comprends. J'ai remarqué la même chose au niveau du langage terrestre. Il y a bien des profondes différences qui peuvent, j'en suis sûre et certaine, créer des quiproquos !
— J'ai appris à dire "ça schlingue " personnellement, confesse Stella avec un air dur.
Je la fixe du regard, puis après un court instant, je commence à m'esclaffer, jusqu'à partir littéralement dans un fou rire. Je suis rapidement rejointe par Savana.
Ça schlingue ? Du verbe schlinguer ?
Vraiment, que veut dire cette chose que vient de prononcer Stella ?
— Ça veut dire que ça pue, s'explique-t-elle aussitôt en restant de marbre.
Je rie à nouveau. Comment Stella parvient-elle à encaisser ça sans même sourire ?
C'est tellement peu crédible dans la bouche d'une adolescente aussi sérieuse ! Avec Savana, nous sommes presque pliées de rire. Stella nous regarde avec des grands yeux ronds.
— Donc dans une culotte de grand-mère ça schlingue ! remarque Savana avant de s'esclaffer de nouveau.
Je n'en peux déjà plus. Ce mot est juste ridicule. Ça schlingue. Je ne suis même pas sûre de savoir bien l'orthographier. J'ai l'impression que les humains ont juste pris quelques lettres au hasard pour les aligner, sans même se soucier de la prononciation.
— C'est comme le "Ça va le sang ? " mais sérieusement ça veut dire quoi ? On est vraiment sur Terre ? Des fois j'ai des doutes, débite Stella d'un seul coup. C'est une question pour savoir si mes artères se portent bien ?
Je rie encore et encore, toujours plus fort à chaque fois. Je sens que je vais bientôt attirer tous les regards.
— Je crois bien que ce sont des expressions familières et qu'elles ne veulent rien dire de spécial.
C'est tellement déstabilisant ! Stella vient donc de parler grossièrement, elle qui ne dit jamais ou que rarement des gros mots !
— Je crois bien qu'on va avoir un gros décalage avec cet univers, conclut Stella en soupirant avec un air très exaspéré.
Savana et moi parvenons à nous calmer. Après ça, nous ne disons plus rien et nous contentons de balayer chacune les environs du regard.
J'essaie de réfléchir à quelque chose de sérieux pour changer de sujet et surtout pour ne pas recommencer à rire de plus belle à m'en faire mal.
Car oui, rire, ça peut faire mal et donner des crampes. J'ai appris ça il y a quelques temps, en me faisant ma propre expérience.
Avec Daisy.
Un souvenir du passé me revient en tête et mon âme se remplit de nostalgie à l'évocation de ce simple moment.
Nous étions dans le château et nous jouons à interpréter des personnages divers. J'avais neuf ans, et Daisy en avait onze. Les corridors étaient déserts, les servantes étant dans les cuisines et s'activant au ménage et à la préparation du repas tandis que nos parents étaient sortis se promener dans les jardins.
Les moments où nos parents se promenaient en amoureux étaient rares.
Daisy voulait à tout prix essayer le casque de la statue d'un chevalier. Elle s'était fixée cet objectif quelques semaines auparavant, mais n'avait jamais eu l'occasion de tenter car maman et papa recevaient toujours des invités et que les couloirs étaient toujours occupés. J'ignore pourquoi elle avait jeté son dévolu sur cette statue en particulier.
Nous étions donc allées au cœur du château. Un endroit vaste et illuminé par de jolis vitraux et décoré d'innombrables statues en tout genre comme le chevalier dans son armure.
Elle a donc levé la main pour pouvoir attraper l'objet. Il lui a fallu monter sur le socle car la statue était beaucoup plus grande qu'elle.
Je le sentais mal. Quelque chose allait se passer. C'était sûr. Beaucoup trop sûr. Certain. Inévitable. Prévisible. Soit elle allait tomber et se faire mal, soit elle ferait un gros vacarme qui alerterait quelqu'un.
Je surveillais donc les environs dans la crainte que quelqu'un surgisse et nous trouve.
Daisy est redescendue du socle et a entreprit d'essayer l'élément qui composait l'armure du chevalier. Jusque là, tout allait bien.
" Je suis un vaillant chevalier nommé Daisy et je viens vous sauver ! "
La situation était comique. Daisy portait une très belle robe et le vieux casque presque rouillé rendait son apparence ridicule. Elle utilisait même ses mains pour faire des gestes et rendre ses paroles plus ridicules.
Nous avons joué quelques minutes ainsi, Daisy interprétant un noble chevalier et moi une princesse qu'il courtise. Jusqu'à ce que des bruits de pas nous ont interrompu dans notre jeu.
" Ma chère princesse, vous êtes saine et sauve, dans les bras d'un-"
Daisy a été interrompue dans sa réplique. Il fallait partir avant de se faire gronder. Sauf qu'au moment où Daisy a voulu retirer le casque, celui-ci est resté coincé sur sa tête.
J'ai commencé à rire tandis que ma sœur se débattait pour essayer de libérer sa tête. J'avais peur de me faire disputer, bien sûr. Mais l'amusement était bien plus fort.
" Planquons-nous ! " avait chuchoté Daisy a travers son heaume.
Je riais encore. Sa voix était presque déformée par le casque. Je ne voyais que son regard à travers la lisière, qui témoignait de son inquiétude. Daisy était toujours une jeune fille sage qui ne voulait pas décevoir ses parents. Cela ne l'empêchait pourtant pas de faire des bêtises.
" Lili ! Arrête de rire ! Ce n'est pas drôle ! On va se faire disputer ! "
Nous nous sommes précipitées au bout du couloir et nous nous sommes cachées dans la fente d'un mur. Bien sûr, Daisy a eu du mal à rentrer avec le casque. Elle tentait toujours de l'enlever. J'ai cru qu'elle allait mourir de frayeur. Ce n'était pas drôle mais je riais. J'aurais pourtant moins fait la maligne à sa place et n'aurais pas voulu que l'on se moque de moi.
Par chance, nous avons pu nous dissimuler sans nous faire remarquer par Grace, la servante.
Nous avons aussitôt pensé qu'elle avait été alertée par le bruit.
Nous l'observions depuis notre cachette. Elle a avancé dans le couloir avant de s'arrêter devant la statue. Nos cœurs battaient en harmonie. Nous étions très inquiètes de nous faire prendre.
Nous savions que si nous n'étions pas sages comme des images, la punition serait terrible. Privées d'aller à la Fête des Lumières. Le meilleur moment de l'année.
Grace a remarqué que le heaume n'était plus sur la tête du chevalier. Elle fronçait les sourcils et tournait autour de la statue. Comme si le casque était caché derrière ou à proximité. Elle frottait même ses yeux plusieurs fois, comme si sa vision lui jouait des vilains tours.
Elle est restée à fixer la figure médiévale quelques minutes avant de partir. Allait-elle prévenir ses compagnes ? Nos parents ? Allions-nous être découvertes ? L'attente est insupportable pour nous.
Nous savions que maman et papa tenaient à ce chevalier. Mais après tout, nous n'avions rien cassé. Juste emprunté. Pour l'instant.
Daisy ne risquait pas d'être démasquée en tout cas ! Cela faisait près de cinq minutes qu'elle se débattait pour libérer son visage.
Quand ma grande sœur a enfin réussi à se libérer du heaume. J'étais plus que pliée de rire. Tellement pliée que ma respiration était coupée. J'avais les larmes aux yeux, si bien que ma vision était totalement brouillée. J'avais chaud et mes joues étaient probablement rouges comme des tomates.
Daisy, une fois sûre que personne ne reviendrait tout de suite, s'est précipitée vers le mannequin avant de lui rendre son accessoire. Puis elle est réapparue devant moi au même moment où Grace revenait, accompagnée des autres servantes et de notre mère.
Quelle était la stupeur de notre servante lorsqu'elle s'est aperçue que la statue était intacte et que son accessoire était de nouveau sur la tête du mannequin ! Grace était complètement abasourdie tandis que Daisy respirait et se sentait libre.
—Vous devenez un peu folle, Grace ! avait dit notre mère en riant. Vous m'avez fait peur ! J'ai bien cru que ce chevalier était abîmé !
Nous riions encore. Même Daisy, qui était maintenant soulagée de ne plus être coincée. Nous étions à deux doigts de les rejoindre mais nous nous en sommes abstenues. Nous devions faire comme si rien ne s'était passé. Si nous manifestions notre présence, cela signifiait que c'était nous les coupables.
— Pensez-vous bien à prendre vos cachets Grace ?
— Oui bien sûr ! Mais je n'ai pas rêvé !
— Et bien peut-être que quelqu'un ici connaît le sort pour faire bouger des objets car je ne vois personne aux alentours !
Nous avons quitté notre cachette et rejoins nos chambres respectives, toujours les larmes aux yeux.
Au repas du soir, maman nous a raconté l'épisode. Bien sûr, elle ne savait pas que nous savions.
Daisy et moi nous échangions des regards plus que complices. Nous tentions de ne pas nous esclaffer de trop.
Curieusement, nous n'avons été suspectées de rien.
Au même moment ou je me remémore ce souvenir incroyable, je vois Monsieur Prode passer, un chapeau dans la main droite, son costard gris le rendant bien visible et son attitude le rendant charismatique et je me rappelle alors que nous avons aussi philosophie dans notre monde. Sorcellia. Je me retiens de pleurer.
Oh mon très cher univers, ma très chère vie d'avant... Revenez.
Je me rappelle aussi que je retourne souvent dans mon monde en ce moment... dans mes cauchemars où je rencontre Jaffe. J'en frissonne.
— Alors les filles, vous parlez de quoi ?
Je sursaute quand une voix qui m'est maintenant familière vient nous interpeller.
Je lève la tête pour que mes iris croisent sans la moindre surprise... ceux de David.
Qu'est-ce qu'il veut encore celui là ? N'ai-je pas été assez claire ce matin ? Je ne veux pas d'attaches. Qu'il aille voir les blondinettes. Qu'il aille voir sa Sam chérie qu'il doit embrasser ou je ne sais pas quoi.
— Qu'est-ce que tu nous veux ? réplique Stella avec une froideur indescriptible.
— Tu viens papoter avec nous, David ? enchaîne avec enthousiasme Savana.
Quoi ?
Elle est pas sérieuse là ? Oh Savana, je t'adore tellement, mais là je vais t'étriper. Il doit s'en aller.
Je vois Stella lui donner un coup de coude, comme en écho avec ma pensée.
— Qu'est-ce que tu as ? demande Savana à Stella.
— C'est que nous avons un truc très important à gérer, et nous ne devons pas être déconcentrées, s'explique Stella en affichant un franc sourire à David.
Un franc sourire ironique.
Je ne dis rien. Je garde une expression neutre en triturant mes doigts.
— Oh, d'accord, je comprends, répond le garçon. C'est un truc top secret de filles c'est ça ?
Stella acquiesce avant de se retourner vers nous. Elle tourne désormais le dos à David et espère que le message va passer et qu'il va s'en aller.
David semble comprendre car il commence à s'éloigner. Pourtant, il paraît hésiter et se retourne comme s'il s'était souvenu d'une chose importante.
Je peux sentir la rage de Stella d'ici. Elle a les poings fermés et serre les dents.
— Vous viendrez voir mon spectacle de magie la semaine prochaine ? nous interroge David avec enthousiasme sans précédent.
Quoi ? Un spectacle de quoi ? Pardonnez-moi mais je n'ai pas compris.
Magie ?
Avec mes deux meilleures amies, nous nous échangeons des regards pleins de stupeur.
De la magie ? Mais bordel ! Que se passe-t-il pour que tout m'étonne ?
— Tu fais de la magie ? je le questionne.
Je n'y crois pas.
On est pas à Sorcellia là ! Ah moins qu'il soit comme nous ?
— Oui oui ! s'exclame-t-il tout fier. Je suis magicien !
— Mais euh, je ne comprends pas, enchaîne Savana. La magie... euh... ça n'existe pas ! Ni même les magiciens !
Si ça existe. Juste pas sur cette planète ! Et on a peut-être trouvé un allié !
— Non bien sûr que non ! répond le garçon en grattant la terre du sol avec ses chaussures.
David semble également étonné de nos réponses.
Il y a un problème. Quelque chose cloche. Pourtant, tout content, il se lance dans des explications.
— J'ai juste appris quelques trucs comme faire apparaître un lapin, téléporter des pièces, faire disparaître un jeu de cartes... Par contre ça me fait chier à chaque fois que je fais ce tour faut j'en rachè-
— Stop David, lui ordonne Stella en le coupant dans son extase. C'est de la vraie magie ça ! Tu es comme nous ?
Il est magicien ? Je ne comprends pas. Je ne veux pas comprendre, ou bien je ne peux pas comprendre. Il sait faire disparaître des choses !
— Mais non ! C'est juste des trucs qui s'apprennent ! Avec de la technique, l'art de la diversion et de la rapidité, tu peux faire de grandes choses ! Vous êtes magiciennes aussi ?
Oui.
Je suis intriguée. Stupéfaite. Toute mon âme s'est noyée dans un étonnement sans précédent.
Mais je finis par soupirer car je viens de saisir ce qu'il a dit. C'est de la technique.
Je suis aussi soulagée. Ce n'est pas de la vraie magie. Juste des petits tours. Mais je suis aussi un peu déçue.
Comme si dès le deuxième jour nous aurions trouvé un allié.
Je réalise alors un truc impensable : Vraie magie sur Sorcellia, fausse magie sur Terre.
— Euh en fait on a compris autre chose, rétorque Stella. On... en fait on sait faire des petits tours mais pas comme toi ! Ça a l'air impressionnant !
— Vous savez faire quoi ?
— Oh non rien de spécial, je réplique en essayant de rattraper la situation.
Notre amie est en train de bouillir et j'ai l'impression que ce n'est pas uniquement à cause de la situation.
Je sens encore son ironie d'où je suis.
— Ok... Et donc vous viendrez ? réitère-t-il sa question.
— Et bien, je suis partante ! s'excite Savana et sautant sur le banc. C'est quand et où ?
Hein ? J'ai bien entendu ?
Je vais la faire souffrir. Je vous jure je vais la noyer sous des peluches et lui faire des chatouilles jusqu'à ce qu'elle promette de ne jamais recommencer.
— C'est lundi prochain je fais ça dans la salle de permanence à dix-sept heures. Je sais que pas mal prennent le bus donc il n'y aura pas grand monde mais beaucoup habitent pas loin et j'ai aucun autre moment dans la journée où je peux faire ça.
— On ne peut pas, je rétorque sèchement devant ses explications.
— Nous sommes occupées, enchaîne Stella.
— Vous avez prévu un truc les filles ? nous interroge ensuite Savana, qui visiblement, ne comprend pas la situation.
Hors de question que je m'attache à ce gars en allant assister à ces petits tours de "magie". Hors de question que j'assiste à un spectacle de magie au milieu de je ne sais combien d'élèves. Surtout que quelque chose me dit que David est très populaire.
— Pourquoi donc ? Vous n'êtes pas disponibles ?
Mentalement pas disponible, ouais !
— Non, je réponds en croisant les bras sous ma poitrine.
Nous devons rentrer tôt pour nous entraîner. Bien sûr, ce que tu ne sais pas et ce que tu ne sauras jamais, c'est qu'on doit s'exercer chez nous à notre magie.
— Moi je serai là !
Argh !
Savana, tais-toi par pitié ! Ne m'entraîne pas la dedans...
— Ce n'est vraiment pas possible ! affirme ensuite Stella en se levant et en insistant sur les mots pas possible. Nous devons nous entraîner !
— Vous entraînez à quoi ? questionne David.
— Rien ! réplique Stella avec un ton froid.
Je me tourne vers elle.
— En soi, on peut peut-être essayer d'y aller, je dis.
Je me surprends aussitôt à changer d'avis. Savana sautille sur place et laisse échapper un petit cri.
Je suis vraiment indécise. Je change parfois d'avis comme de robe. C'est comme mes humeurs.
Stella me jette quant à elle un regard noir et s'en va.
— Euh... elle a pas l'air très contente votre amie, remarque David. Je ne vous force pas à venir, c'est juste que vous m'avez l'air fort sympathiques et que peut-être vous aimeriez être là ! Après tout vous êtes nouvelles et j'imagine que vous n'avez pas encore fait beaucoup de choses dans le coin.
David explique ça avec gêne. Il passe une main dans ses cheveux. Je constate que c'est un tic chez lui, car il fait ce geste très souvent.
— C'est Stella, elle est du genre à tout contrôler et à se fâcher très vite, je m'explique. Surtout quand elle n'est pas du même avis que les autres. Et elle n'est pas du genre à faire la fête ou sortir beaucoup.
— Ah, d'accord...
— T'inquiète David. J'essaierai de venir... lui chuchote Savana sous mon regard sidéré.
Je la vois entortiller une mèche de ses cheveux en regardant avec des yeux de chat.
Elle, elle va tomber amoureuse. Et on ne pourra pas la sauver.
— Je viendrai aussi, je soupire.
Je ne suis pas forcément pour venir. Mais visiblement, Savana si. Reste plus qu'à convaincre Stella. Et puis qui sait, va-t-on apprendre une astuce pour cacher nos pouvoirs ? Parce que là, ça devient critique. On en a déjà dit trop.
Merci de ta lecture ! N'oublie pas la petite étoile du vote ⭐ si tu as aimé ainsi qu'un petit commentaire si tu le souhaites pour me faire part de tes impressions. 🌹🌹🌹
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