Chapitre huit

Je suis dans une forêt. Il fait nuit. Seule une partie de la lune est visible et éclaire mon chemin. Le silence est mon unique compagnie. Aucun oiseau, aucun animal ne se manifeste, pas même un hibou.

 Je suis seule et apeurée.

Je suis solitaire et effrayée.

Je suis vulnérable.

Il fait froid et ma robe est déchirée. Le vent s'engouffre facilement et me glace les entrailles. Des mèches me tombent devant les yeux. Mon rythme cardiaque s'est accéléré. L'obscurité est de plus en plus pesante.

 Je ne sais pas où je marche. J'erre telle une âme coincée entre deux mondes.

Je veux me cacher. Non ! Je veux plutôt fuir.

Fuir. Loin d'ici.

Lili-May...

Quelqu'un m'appelle. Mais qui ?

Je frissonne. Ce n'est plus la peur qui s'est emparée de moi, mais la terreur.

Certains arbres ont l'allure de géants. On dirait qu'ils me surveillent.

J'avance petit à petit pour ne pas trébucher car je vois à peine où je marche. Je n'entends que mon cœur cogner dans ma poitrine.

J'ai l'impression d'être la proie et qu'un chasseur rôde dans les parages en attendant le moment propice pour me sauter dessus.

Je marque des temps d'arrêt fréquemment pour surveiller les alentours.

J'ai la sensation d'être suivie. Pourquoi ai-je le sentiment que ma vie va s'arrêter ?

Peu d'étoiles sont présentes dans le ciel. Les rares que je peux apercevoir ne me rassurent pas.

Alors que je continue ma progression, un crépitement parvient à mes oreilles. Il est de plus en plus fort et sinistre dans ce décor nocturne.

Où suis-je censée aller ? J'ai l'impression de me diriger tout droit vers l'origine du bruit.

Je n'arrive pas à savoir ce que c'est.

Au loin, une lueur orangeâtre vacille dans la nuit. Une odeur de fumée se fait sentir.

Du feu ?

Je dois cligner des yeux plusieurs fois avant d'être sûre que je n'hallucine pas.

Qui est en train de faire du feu ? Ou bien est-ce un bâtiment qui brûle ?

Est-ce un piège pour m'appâter ? Car si c'est le cas, je vais tomber en plein dedans, et il n'y aura personne pour me rattraper.

Je veux faire demi-tour, mais je n'ose pas, ou alors je ne peux pas. Les flammes m'attirent. L'odeur est désagréable mais je poursuis ma route jusqu'à la source de chaleur.

Lili-May... Lili-May...

Envoûtée. Je suis littéralement envoûtée par une voix dont j'ignore à qui elle appartient.

Lili-May... Lili-May...

J'ai été hypnotisée, c'est ça ? Serait-ce donc pour ça que je ne peux pas me souvenir de mon but en venant dans ces bois ? Que s'est-il passé juste avant ? Qu'est-ce qui m'amène ici ?

Ça n'a aucun sens. Que fais-je ici ? 

Lili-May... Lili-May...

Tant de questions demeurent pour l'instant sans réponses.

— Lili-May ! Te voici !

Je sursaute en entendant mon prénom prononcé par une voix rauque et ténébreuse qui me fait frissonner. Je ne vois pourtant personne autour de moi, ce qui me fait encore plus peur.

Qui êtes vous ? Que voulez vous ? je demande d'une petite voix.

— Lili, voyons, tu abuses ! Je suis Jaffe, ton o...

Je tressaille encore en entendant son prénom. Je ne comprends pas la fin de sa phrase car le vent souffle trop fort.

— Mon quoi ?

— Lili-May... je suis ton on....

Il ne finit pas sa phrase. Au lieu de ça, je vois sa silhouette surgir des flammes. Avant que je ne puisse dire quelque chose, je remarque une deuxième silhouette près de lui.

Qui est-ce ? Un extraterrestre ?

Il ne manque plus que les violons et l'atmosphère serait encore plus lugubre.

— C'est tellement dommage que tu te sois enfuie sur Terre ! Nous aurions pu collaborer toi et moi, afin de faire de grandes et belles choses ! Cela aurait été fantastique ! Merveilleux !

Collaborer ? Il n'est pas sérieux ?  Pour faire de grandes et belles choses ?

— Je vais être obligé de m'en prendre à tes amis, en commençant par ce jeune homme !

Il tend la main vers la silhouette à côté de lui.

J'ignore totalement qui c'est, mais je pense que c'est quelqu'un à qui je tiens plus que tout.

— Que cela doit être dur de perdre un être cher ! Rejoins-moi, Lili, et tout ira bien pour toi et tes proches.

Hors de question que je rejoigne cet homme. Pourtant, qui sait ce qu'il est capable de faire pour parvenir à ses fins ?

— Rejoins-moi, princesse, et tout ira bien.

Il ricane.

 Puis je n'entends plus rien. Je ne vois plus rien. Je ne sens plus rien.

Et soudain, je tombe.

J'ai l'impression de voler. Haut dans le ciel. Ou peut-être suis-je en train de nager dans les ténèbres d'une mer profonde et agitée ?

Pourtant, il y a une étincelle au loin.

Je vole, guidée par l'apesanteur.

Je nage. Le courant m'entraîne.

Je ne peux que sentir.

Je vole.

Je m'écrase.

Je nage.

Je me noie.

Je vole.

Terre. Terre. Terre. Terre. Terre. Terre. Terre.

- Lili-May Lili-May Lili-May Lili-May Lili-May Lili-May Lili-May Lili-May Lili-May Lili-May Lili-Mayyyyy...

L

I

L

I

May....

Je suis de retour sur Terre.

*

Je me réveille en sursautant et pousse un hurlement strident.

— Lili-May que se passe-t-il ? demande Savana en débarquant dans ma chambre. Un tsunami, un incendie, une invasion de licornes ?

Elle allume la lumière et il me faut quelques secondes avant que mes yeux s'habituent. Mon amie se frotte les yeux et bâille à s'en décrocher la mâchoire.

— J'ai fait un très mauvais rêve, je lui explique en tentant de reprendre une respiration normale.

Des gouttes de sueur perlent sur mon front et mes aisselles sont mouillées, comme si j'avais couru très longtemps.

Comme quand je suis revenue au château après l'attaque de Jaffe.

— Ah zut ! T'inquiète pas, ça va aller, tu es en sécurité !

Savana pose une main réconfortante sur mon épaule. Je parviens à me calmer.

Des pas retentissent dans le couloir. Mon cri a dû réveiller Stella et tante Martine, qui dorment non loin de ma chambre.

— Tout va bien, ma puce ? m'interroge ma tante en entrant à son tour dans ma chambre, suivie de près par mon autre amie.

— J'ai fait un très mauvais rêve.

— Tu veux bien nous raconter ? me demande Stella, encore l'air ensommeillé.

Toutes les trois paraissent inquiètes. Au fond, je m'en veux de les avoir réveillées pour rien, même si ce n'est pas directement ma faute. On ne contrôle pas nos rêves.

Je leur raconte tout. Je n'omets pas de préciser que ce rêve avait l'air réel. J'ai vraiment eu la sensation de tomber à la fin.

Elles m'écoutent toutes les trois très attentivement.

Ma tante fronce même les sourcils.

— C'est très étrange ce que tu nous dis...

— Ah tu trouves ? C'est rien, j'affirme. Ce n'est qu'un simple rêve.

Elle n'a pas l'air convaincue. Pourtant, c'est la vérité. Je suis juste traumatisée par ce sorcier et ses pouvoirs incroyablement puissants, capables d'anéantir toute une population. Je me demande d'ailleurs ce qu'il se passe à Sorcellia. Où sont allés les résistants ? Que fait Jaffe dans notre monde ?

— Je doute que ce ne soit qu'un simple rêve... annonce Stella. J'ai comme l'impression qu'il y a un lien...

Je soupire et jette un œil à mon horloge. Il est quatre heures du matin. Dans trois heures, nous serons debout et nous nous préparerons pour le lycée.

— Je reviens, nous prévient ma tante avant de sortir précipitamment de ma chambre.

Où va-t-elle ?

— C'est la première fois que tu fais ce genre de rêve ? me questionne Stella en repoussant une mèche blonde qui lui tombe sur les yeux.

— Oui.

Le silence s'installe. Je ne sais pas quoi dire tant je me sens mal à l'aise. Je sens que je ne vais pas réussir à me rendormir.

— Je sais ! s'exclame ma tante dans le couloir.

Elle pénètre à nouveau dans la pièce. Elle tient dans ses mains un gros livre. On dirait une sorte de grimoire magique. La couverture est marron. Un cercle est dessiné avec différents symboles tout autour.

— Qu'est-ce que c'est ? je demande.

— Un manuel d'informations pratiques sur la magie en générale !

Je fronce les sourcils. Comment a-t-elle pu se procurer ce livre ?

— Le sage me l'a donné quand je suis partie. C'est au cas où des pouvoirs se manifestent chez moi, ou que je rencontre une personne de Sorcellia sur Terre.

Je soupire.

— C'est un peu tard pour avoir des pouvoirs cela dit, ajoute-t-elle en s'installant sur mon lit.

Ma tante commence à feuilleter le grimoire, qui est très poussiéreux. Je la vois chercher le chapitre sur les rêves. Je ne comprends pas vraiment ce qu'elle cherche. Elle tourne les pages plusieurs fois avant de s'arrêter.

J'ouvre des yeux ronds quand je remarque l'inscription "Connexion par les rêves" .

Savana s'est penchée pour lire par dessus l'épaule de ma tante. Stella observe quant à elle ma chambre en attendant une réponse.

Savana lève la tête pour me regarder. Son regard témoigne de la stupéfaction. Qu'a-t-elle vu ?

Ma tante poursuit sa lecture pendant ce qui me parait durer une éternité, puis elle lève les yeux pour croiser mon regard. Je me suis assise au bord de mon lit et ma jambe tressaute, indiquant ma nervosité. Une boule s'est formée dans ma gorge, si bien que j'ai du mal à déglutir. J'appréhende terriblement ce que tante Martine va m'annoncer.

Elle se racle la gorge avant de dire :

Le portail qui mène à la Terre est fermé. Jaffe va donc essayer de communiquer avec toi dans tes rêves.

Je manque de crier. J'entends mes amies pousser des soupirs.

— Il va falloir être très prudente à l'avenir, poursuit Stella.

— C'est ça, enchaîne ma tante, en nous regardant chacune droit dans les yeux.

— Jaffe n'a peut-être pas le pouvoir de détruire la Terre. Mais il a le pouvoir de te détruire. Et dans tes rêves, il aura accès à toutes tes pensées. Il pourra te contrôler.

Elle marque une pause. Je finis à sa place :

— Je ne suis qu'un pion dans son jeu.


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