Kaitlyn.

Une silhouette qui m'est familière plonge son regard ombrageux dans le mien et je sens tout mon corps se raidir comme un bâton.

L'adolescente fronce les sourcils dans ce moment brutal avant de me lancer avec véhémence :

— Qu'est-ce que t'as à me mater comme ça ?

Les mots restent bloqués à la barrière de mes lèvres. Mon sang se fige. Mon cœur fait un tour de manège dans ma poitrine, frappé par ces mots.

Mes yeux se mettent à faire des allers-retours entre la personne en face de moi et la cour, que je scrute dans l'espoir que Savana et Stella apparaissent.

Je ne comprends pas.

J'ai devant moi la copie conforme de Kaitlyn. Pourtant, ce n'est pas elle.

Ce n'est pas Kaitlyn. Je le sais. C'est tout.

Sa sœur ?

Sa jumelle ?

Ou bien juste un pur hasard ?

Ou bien est-ce juste moi qui perd le contrôle et qui me met à imaginer tout et rien juste parce que la fille en face de moi est rousse comme mon ennemie de Sorcellia ?

— Bon et bien c'est l'heure de faire les présentations à ce que je vois, déclare David en réapparaissant subitement dans mon champs de vision et en levant les mains en un geste incompréhensible.

— Pas besoin ! s'écrie Kaitlyn numéro deux, les mains sur les hanches, le menton relevé avec assurance.

Elle marque une pause pour m'étudier d'une façon étrange. Mal à l'aise, je baisse les yeux pour fixer mes chaussures dans l'espoir qu'elle s'en aille aussi vite qu'elle est apparue. Ma mine dépitée accentue un peu plus son hilarité.

— Tout le monde connaît bien princesse Lila ! lâche-t-elle avec une froideur qui s'accorde parfaitement avec son air hautain et malsain.

Sa réplique se répercute violemment dans tout mon esprit et mon âme et vient inonder mon cœur comme un pot de peinture que l'on aurait renversé sur une surface.

Primo, elle connaît mon nom.

Deuzio, elle m'a appelée princesse.

Tertio, je la hais déjà.

— On ne parle que d'elle dans le bahut ! Comme un nouvel animal de foire dans un cirque ! enchaîne-t-elle.

Non mais je rêve.

Agacée, irritée, je me retiens de lui cracher à la figure. Mais cela irait à l'encontre de mes principes.

Et je n'oserai jamais...

Si seulement je pouvais la démolir avec ma magie !

Et David ? Il ne va même pas la remettre à sa place ?

Elle vient quand même de me traiter d'animal de foire !

OK, Lila, tu viens juste de prier pour que David vienne à ta rescousse.

Je me redresse et rassemble tout l'aplomb que j'ai en moi et lui demande :

— Tu es jalouse de ne pas être au centre de l'attention ?

Sa mâchoire se crispe et je suis presque fière du ton sans appel que j'ai employé.

Je suis carrément surprise même !

Pourtant, Kaitlyn numéro deux ne se laisse pas faire.

— Moi, jalouse d'une fille comme toi ? Et bien ça ne risque pas d'arriver ! réplique-t-elle en laissant échapper un rire amer.

Je serre les dents. Son aura est presque menaçante et provoque des frémissements dans tout mon être.

Tout va bien se passer.

Je suis peut-être inférieure à elle ici mais je reste une magicienne. Promise à un grand avenir même si je doute encore de la fameuse prophétie.

Je n'ai qu'une envie, rentrer chez moi, me jeter sur mon lit, prendre le premier truc qui sera à ma portée et le serrer contre moi en criant.

Ridicule. Je n'ai plus mon chez moi.

— Bon, Stecy ! Laisse Lila tranquille. Si tu pouvais même NOUS laisser tranquille, ce serait top, intervient enfin David.

— Oh mais parce que t'étais en pleine discussion avec elle ? Samantha va être jalouse !

Samantha ?

J'ai l'impression qu'on me parle dans une autre langue.

Pire. J'ai l'impression que j'ai atterri dans un autre univers.

En fait, c'est déjà le cas. Je suis déjà dans un autre monde. Et j'ai déjà envie de repartir.

— J'ai loupé un épisode ? intervient une voix familière dans mon dos, ce qui me fait faire un demi-tour sur moi-même.

— Non, c'est moi qui ai loupé quelque chose ! annonce une autre voix que j'ai déjà entendu auparavant.

Stella et Samantha se trouve rapidement côte à côte devant moi. Les deux blondes nous observent et je n'ai qu'une envie, fuir loin de ce lycée maudit.

— David, que se passe-t-il ? l'interroge Samantha en me fusillant du regard.

Génial ! Je suis désormais en présence de deux pestes et non une seule. Je m'amuse déjà...

— Tu ne me laisseras donc jamais tranquille ? questionne David à l'adresse de Samantha.

Je tourne mon regard vers Stella qui ne semble pas plus comprendre la situation que moi, puis mes iris se redirigent vers Samantha pour étudier ses traits.

— J'essaie juste de te faire ouvrir les yeux, mon ange.

Pardon ? Elle vient de l'appeler mon ange ? Je suis en train de regarder un spectacle là, ce n'est pas possible... Je dois fuir !

— Nous étions beaux tous les deux, enchaîne-t-elle en me scrutant et en posant sa main sur le torse de David, visiblement gêné.

Tout fait sens dans ma tête.

Je me remémore ses paroles d'il y a quelques minutes.

« Si jamais tu es intéressée, fais-le moi savoir. J'essaie juste de trouver un sens à ma vie. »

Tout fait sens.

Il veut se servir de moi.

Samantha est son ex.

Tout fait vraiment sens !

— Vous savez quoi ? je lâche sèchement. Je vous laisse à vos petites affaires de vieux couple. J'ai pas envie d'assister plus longtemps à ça.

Je m'éloigne sous le regard satisfait et mauvais des deux pestes, probablement amies.

David essaie de me rattraper.

— Lila ! Pourquoi tu t'en vas ? C'est à elles de s'en aller. J'aimerais qu'on termine notre discussion.

— Il n'y a rien à dire, David. Peut-être que cette fille a raison. Vous deviez être beaux ensemble.

— Je rêve où tu es jalouse ? me questionne-t-il en essayant de me suivre.

Mon cœur refait un tour sauvage dans ma poitrine. Mes joues s'empourprent mais mon regard le foudroie instantanément.

— Non ! Je ne suis pas jalouse !

Pas du tout. Je ne suis pas du tout jalouse. Je ne te connais même pas. Comment être jalouse d'un inconnu ? Je ne sais que ton nom et ton prénom.

— Je vois juste plus clair à ton petit jeu ! Tu essaies juste de te rapprocher de moi parce que cette fille te rend fou !

Une étrange lueur passe dans ce regard désormais sombre, posé sur moi.

L'atmosphère autour de nous change. Elle devient plus lourde. Plus suffocante. Plus pénétrante.

— Ce n'est pas ça, Lila !

— Alors c'est quoi ? Ne me mêle pas à tes histoires de cœur David ! J'ai déjà plein de problèmes, plus que tu ne peux l'imaginer et je n'ai pas besoin de ça !

Il reste muet face à mes répliques prononcées sur un ton violent. Je sais qu'il se demande probablement quels sont mes problèmes.

Mais il ne le saura jamais.

Je suis venue sur Terre pour développer mes pouvoirs et me voici en train de me disputer avec un terrien que je ne connais que depuis quelques jours ! J'ai déjà l'impression d'avoir le cœur brisé et je me sens ridicule dans cette situation !

Oh, cher Sage ! Pourquoi m'avoir envoyée sur Terre ?

Oh, Tante Martine ! Pourquoi nous avoir envoyées dans un lycée ? 

On savait tous ce qui se passerait ! Je vais faire une erreur dans très peu de temps si ça ne s'arrête pas !

À moins que la prophétie ne puisse s'accomplir que si je ne reste pas ici ?

Je suis coupée de mon monde, avec aucune nouvelle de ma famille. Le seul lien avec mon univers est dans mes rêves avec un monstre qui veut faire de moi son esclave et qui veut s'en prendre à tout le monde.

C'est lamentable.

Les larmes me brouillent la vue.

— Lila, tu pleures ?

— Non ! je crie avec le cœur au bord des lèvres.

Il ne bouge pas mais je vois son corps se raidir.

— Laisse-moi tranquille, tu veux bien ? Je ne veux rien avec toi !

Mes dernières paroles le blessent. Il faut que je m'en aille de ce bahut maudit et que je ne revienne jamais.

Je le fusille de mon regard mouillé par les larmes une dernière fois avant de faire demi-tour et de m'éloigner.

Le visage de ma sœur aînée revient dans mon esprit juste quand il ne faut pas.

Daisy.

Stella me rattrape alors que je me prends la tête entre les mains, comme si ma sœur allait disparaître de ma mémoire.

— Tu veux qu'on rentre à la maison ?

Oh oui, Stella, je veux rentrer à la maison. Seulement, je dois battre un sorcier maléfique et libérer ma famille avant.

— Oui, je réponds simplement avant de prendre la direction de la sortie de l'établissement.

Je sais que j'ai encore des heures de cours mais je m'en fiche. Je rentre chez tante Martine, même si elle va probablement me gronder pour être rentrée plutôt alors que la journée de cours n'est pas finie.

Les larmes ne se tarissent pas. Je vois à peine ou je marche. Quand j'aperçois le toit de la maison, les tours élancées de mon château me reviennent en tête avec des bribes de souvenir.

*

— Les symptômes ! s'exclame ma mère en tapant des mains.

— Comment ça les symptômes ?

— Mais oui ma chérie ! C'est les symptômes ! Ma petite fille chérie devient grande !

*

— Ma mère a été changé en statue, et aucune nouvelle de mon père ni de ma sœur de mon côté.

— Oh ! Je suis vraiment désolée pour ta mère, sanglote-t-elle en me serrant dans ces bras.

— Elle m'a sauvée...

Je lutte contre les larmes qui menacent de couler à nouveau.

— Je vois... Elle a été très courageuse, c'est une héroïne. Je te promets que nous la vengerons.

*

— Et la prophétie nous dit que vous êtes notre unique chance de rétablir la paix.

— Je vais donc devoir vous envoyer sur Terre.

                                                                                                  *

Je deviens folle. Je deviens tout le temps folle. Tellement folle que je ne vais plus bien.

Les souvenirs rejaillissent par centaines. Les paroles des êtres chers que j'ai peut-être perdu pour toujours. Tout ça à cause d'un être abominable. Je me répète.

Arrivée devant le portail, je ne réfléchis pas. J'ouvre et je prends l'allée de cailloux qui mène à l'entrée de notre demeure. La porte est ouverte alors je rentre et traverse le couloir comme si quelqu'un était à mes trousses.

— Lila ! Que fais-tu donc là ? N'es-tu pas stupide de...

Elle s'arrête nette dans sa phrase quand elle me voit me retourner et lui faire face, les yeux inondés d'une tristesse sans nom. Je ne lui laisse néanmoins pas le loisir de m'observer. Je fuis et arrive rapidement dans ma chambre. Je ferme la porte pour laisser l'obscurité m'engloutir aussi rapidement qu'un éclair. Je cherche à tâtons mon lit et me jette dessus.

Je m'allonge en espérant que mes blessures trouvent les bons pansements. Malheureusement, en voulant dormir, je sais que je vais me retrouver... en la compagnie du Diable.