Chapitre Deux

— Alors Lili-May, tu t'amuses bien ? me questionne mon amie Stella.

— Oui, je réponds un brin déçue.

Je dois bien avouer que croiser Kaitlyn était la dernière chose que je voulais. Stella a dû le remarquer.

— Ne la laisse pas te pourrir la soirée. Elle n'en vaut pas la peine.

Facile à dire.

Comme si Stella lisait dans mes pensées, elle poursuit :

— Ne t'inquiète pas, ça va bien finir par arriver. La voyante ne se trompe jamais, elle prédit tout ce qui arrive. Tu verras. De peu de pouvoirs, tu passeras à une explosion de rose !

Je soupire, peu convaincue.

— Viens, allons trouver Savana. Sors-toi cette jolie peste de la tête et profite de la fête.

Bon choix d'expression. Kaitlyn est jolie. Je dirai même magnifique, il n'y a pas de doute possible. Elle est la beauté incarnée. Elle est rousse et ses habits verts mettent toujours en valeur ses yeux émeraude. Inutile de dire qu'elle est splendide. Elle est aussi belle que ma sœur. En revanche, elle est terriblement méchante envers certaines personnes, et surtout moi. Pourtant, je ne lui ai rien fait.

Tu n'es qu'une faible pour elle... Et on se moque des faibles...

Je maudis le jour où je suis tombée dans la boue, à l'orée de la forêt, quand nous étions en cours de philosophie de la nature. C'était un vendredi 13, en fin d'après-midi. Notre professeur devant nous, nous récitions la leçon sur la nature et la culture.

Je me rappelle même la façon dont monsieur Verne se promenait, une brindille dans la bouche. Pas étonnant que son prénom est Robin. Ça lui va bien, puisqu'il ressemble au fameux Robin des bois. C'est un conte que le fondateur de Sorcellia appréciait beaucoup sur Terre. Alors il l'a rapporté ici.

Nous nous enfoncions au cœur de la forêt. Il pleuvait de fines gouttes de pluie. Je marchais entre mes deux amies. L'atmosphère était un peu lugubre, je dois bien l'avouer. Est-ce parce que tout le monde savait que nous étions vendredi 13, ou bien juste car il faisait sombre dans les bois ? Tout se passait pourtant bien, jusqu'à ce que ma robe s'accroche à une branche. Je ne pouvais pas tirer un grand coup, sinon le tissu se serait déchiré. J'avais dû manipuler délicatement la branche pour pas qu'elle ne fasse un trou dans ma robe. Kaitlyn avait pouffé de rire, avant de poursuivre son chemin.

J'avais réussi à me défaire de la branche sans faire trop de dégâts à ma jolie robe. Je me souviens qu'elle était légère, et qu'il y avait un nœud papillon dans le dos. J'avais ensuite rattrapé le groupe. Nous avions poursuivi notre chemin. Et puis, ce qui devait arriver arriva. La pluie avait commencé à s'abattre sur nous mais heureusement, les tours de l'école pointaient au loin, nous étions presque rentrés. Certains comme Stella, ma meilleure amie et meilleure élève de la classe, avait réussi à nous abriter avec sa magie.

J'étais contente d'être arrivée. Les balades en forêt avec monsieur Verne n'étaient pas ce que je préférais. Nous avions tous accéléré la cadence. Même le prof. Il n'avait pas l'air d'aimer la pluie.

Boum ! D'un coup, mes deux pieds avaient glissé dans la boue.

Quelqu'un m'avait poussée.

Kaitlyn.

J'étais tombée sur les fesses et ma robe était toute salie. Bien sûr, j'avais fait rire la galerie, et surtout Kaitlyn, qui s'était empressée de se moquer de moi.

— Bah alors, on ne tient pas debout ? C'est le manque de pouvoir qui te fait perdre l'équilibre ?

Et c'est toujours resté. Chaque fois qu'elle me croise, elle se rappelle de moi, la fille qu'elle a poussé et qui est tombée dans la boue un vendredi 13. La fille qui n'a presque aucun pouvoir, alors qu'on lui a prédit un grand avenir.

Le pire dans tout ça est que je ne peux pas me défendre. Le père de Kaitlyn est un conseiller du mien et possède le large domaine "des Vertes" près de la forêt Sorcellienne. Il y fait régulièrement des échanges avec mon père le roi. Nous aussi possédons un domaine, "des Lilas". On pourrait penser qu'il y a concurrence. Mais nos pères sont amis. Donc je ne peux pas dire que Kaitlyn est insupportable avec moi, ils ne me croiraient pas. Puisqu'ils s'apprécient, nous devrions nous aussi nous entendre.

Ce n'est pas le moment de penser ça ! Je dois positiver et ne pas repenser à cette journée, loin derrière moi.

Stella part dans la foule à la recherche de notre amie. J'hésite un instant avant de la suivre. Je la vois intercepter un serveur qui se promène pour distribuer des gâteaux apéritifs. Quelle gourmande celle là ! Puis Stella, une fois ses mains pleines de petits-fours, continue son chemin.

Elle ne tarde pas à trouver Savana. Elle met ses gâteaux dans un gobelet qu'elle pose sur une table, puis se jette dans les bras de notre amie.

Leurs robes sont encore plus belles que la mienne, on dirait presque qu'elles scintillent plus que les étoiles dans le ciel.

Elles sont sublimes. Le cadre est magnifique. Il y a des musiciens, principalement des violonistes et trompettistes. L'odeur de biscuits se mêlent à celle du jus de fruits. Des lampions de toutes les couleurs sont accrochés tout le long de la place.

Parfois, je me demande vraiment ce que je fais dans ce monde.

— Aller, Lili-May, rejoins le câlin ! me dit Savana avant de m'attirer vers elles.

Elle me tire tellement fort que je manque de trébucher, ce qui la fait sourire.

*

— C'est tellement beau ! Et dire que j'ai attendu une année entière pour voir ça ! se réjouit Savana.

— Tu m'étonnes, c'est une expérience incroyable ! Ça brille de partout ! j'enchaîne.

— On dirait un petit cœur là-haut !

— Et en-dessous on dirait une licorne ! Et y a même un bébé singe à côté !

— Quelle imagination ! Je ne vois ni ta licorne, ni ton bébé singe !

C'est Stella qui est à l'origine de cette dernière réplique qui me fait rire.

Cela fait plus d'une heure que Savana, Stella et moi sommes allongées dans l'herbe fraîche, nos jupons étalés autour de nous. Nous regardons toutes les trois le ciel multicolore, en discutant. Et croyez-moi, les filles ont beaucoup d'imagination. Enfin surtout Savana, qui voit tout et n'importe quoi dans le ciel. Comme Stella, je ne vois ni licorne, ni bébé singe. Je vois juste des étoiles et des traits multicolores. Les nuances rougeoyantes de la magie du feu se mêlent aux éclats argentés de la magie de la glace, tandis que le bleu profond de la magie de l'eau s'entrelace avec les étoiles dorées de la magie du soleil. La magie des fleurs se mêle à la magie des terres et le tout forme une voûte astrale à couper le souffle.

— Et dire que dans quelques heures ce ciel redeviendra gris, et qu'il faudra à nouveau attendre trois-cent-soixante-cinq jours ! crie Savana.

— Même la couronne de ma mère ne brille pas autant... je précise avec une légère exagération.

Nous pouffons de rire encore une fois.

J'adore ce genre de moment avec elles. Je les connais depuis ma naissance et je ne passe pas un seul jour sans les voir. Nous avons grandi ensemble. Nous avons joué ensemble. Nous avons fait nos premiers pas ensemble. Nous allons à l'école ensemble. Comme si nous étions de la même famille. Il n'y a aucun secret entre nous trois.

Quand je suis avec elles, j'oublie tout le monde extérieur.

Il n'y a qu'elles qui comptent.

On dit souvent que le chiffre trois n'est pas beau pour les amitiés. Qu'il est impair, et qu'il y aura toujours l'une des trois qui sera mise de côté. Pourtant, nous sommes soudées. J'aime autant Stella que Savana. Il n'y a pas de distinction entre elles. À l'école, quand il faut faire des travaux en binôme, nous alternons. Un coup je me mets avec Stella, une autre fois avec Savana, et puis elles se mettent ensemble. Bien sûr, nous faisons ça une fois que nous sommes sûres qu'il est impossible d'être à trois. Parfois, nous négocions tellement longtemps que la moitié du cours est passée.

J'ai des goûts de luxe. La preuve, j'ai des amies en or.

Nous sommes tellement proches que nous nous considérons comme des jumelles. Enfin, des triplettes, car nous sommes trois. Pourtant, physiquement, nous ne nous ressemblons pas. Stella est la plus grande de nous trois. Elle me dépasse d'une tête. Elle se tient toujours fièrement, le menton relevé avec assurance. De douces mèches dorées encadrent son visage mature et ses yeux marrons pétillent d'une lueur vive.

Savana est au contraire la plus petite. Une fine frange brune recouvre son front. Ses yeux sont bleus et évoquent les vagues d'un océan. Ses traits fins et délicats correspondent tout à fait à son âme d'enfant.

— Je me demande si le ciel sur Terre ressemble à ça des fois... s'interroge Stella.

— J'ai entendu dire que souvent, au mois d'août, il y a beaucoup d'étoiles filantes. Mais pas de ciel multicolore comme ici.

— Dommage, je réponds.

— Bon personnellement, je retourne à la fête, annonce Stella en se mettant debout et en frottant ses jupons pour enlever l'herbe restée accrochée. Vous venez ?

— J'arrive ! s'exclame Savana en se levant à son tour. J'ai trop envie de goûter à nouveau ces petits fours...

Je souris.

— Et puis le serveur est trop mignon... ajoute-elle.

Cette fois, je rigole. En soi, elle n'a pas tort.

— Et toi Lili-May tu viens ?

— J'arrive dans cinq minutes.

Elles s'éloignent sans poser de questions. Je me redresse. Je commence à me sentir mal. J'ai la tête qui tourne. Sans doute la fatigue.

— Tu ne participes plus à la fête ? interroge une voix familière dans mon dos qui me fait sursauter.

Je me lève et pivote d'un demi tour.

Ma sœur se dresse devant moi. Elle tient le bout de sa robe qui traîne légèrement par terre.

— Oh Daisy ! Tu m'as fait peur !

Daisy a ce don de souvent me faire sursauter. Elle se déplace avec une telle grâce et une telle discrétion qu'elle me fait penser à une danseuse fantôme. Bon est-ce qu'une danseuse fantôme existe ? Pas sûr. Mais bon vous voyez le truc.

— J'allais justement rejoindre mes amies, j'informe Daisy.

— OK, cool. Me ferais-tu l'honneur d'une danse ?

— Haha, avec plaisir !

Elle me tend une main que j'accepte. Je serais ravie de danser avec Daisy, histoire d'oublier à quel point je me sens humaine. Nous quittons l'endroit pour rejoindre la place et je m'arrête à quelques pas de la foule.

— Aïe, je crie presque.

Je lâche la main de ma sœur pour la poser sur ma tête.

— Ça va ?

Je ne réponds pas.

— Lili-May que se passe-t-il ?

— J'ai une douleur... à la tête...

Puis la douleur disparaît, aussi vite qu'elle est arrivée.

— En fait, c'est rien, je... c'est déjà passé, je réponds.

— D'accord...

Ses sourcils se froncent, mais elle ne semble pas se soucier de ce qui vient de se passer.

— Viens, allons danser !

Elle m'entraîne alors dans la foule. Elle commence à bouger en rythme. Je fais de même. Il y a vraiment tout le monde. Rares sont les fenêtres qui filtrent de la lumière, indiquant la présence de gens restés chez eux.

Des couples dansent. Des enfants courent dans tous les sens et rigolent. Des groupes d'amis se sont formés et sont en pleine conversation. Même nos gardes sont en train de bouger au rythme de la musique. C'est assez comique.

Profiter du moment présent. Toujours profiter. On ne sait pas ce que l'avenir nous réserve. Le passé est passé. Le futur est futur. Mais le présent est maintenant.

Très vite, une autre douleur à la tête, plus aiguë que la première, se fait ressentir. Je me mords la lèvre pour ne pas crier à nouveau.

Daisy continue de tournoyer et de danser comme une folle. Elle n'a pas vu mon second malaise.

J'aime bien voir Daisy comme ça. Son chignon s'est défait, si bien que sa chevelure flotte autour d'elle. Sa robe vole et brille de mille feux. Elle est radieuse. Elle pourrait être vêtue de haillons qu'elle serait toujours aussi belle. Comme Cendrillon.

Pourquoi ai-je soudain la sensation que quelque chose ne va pas ? Et que sont ces douleurs aiguës qui apparaissent et disparaissent aussitôt ?

Je m'éloigne de ma sœur qui virevolte encore et m'approche d'un buffet. Nous sommes tellement nombreux ce soir qu'il y en a plusieurs. Je parcours les boissons du regard avant de jeter mon dévolu sur du jus de fruits. Je me sers un grand verre que j'avale d'un seul coup. Peut-être que boire va atténuer la douleur.

Pourtant, deux minutes après, une troisième douleur apparaît.

Bon sang que se passe-t-il ?

J'hésite un instant puis me décide à aller en parler à ma mère. Peut-être qu'elle saura.  Je la cherche des yeux dans la foule. Il me faut quelques secondes avant de repérer sa chevelure brune surmontée de sa couronne. Elle est assise à une chaise près du buffet. Mon père est debout pas loin d'elle, il discute avec l'un de ses conseillers.

Je rejoins ma mère aussi vite que possible, après m'être frayée un chemin dans la foule.

— Alors, ma chérie, tu t'amuses bien ?

Je grimace. Je dois être toute pâle. Ma tête tourne et j'ai du mal à respirer.

— Que se passe-t-il ?

— J'ai mal à la tête. les douleurs sont irrégulières... Ça me fait de plus en plus mal...

— Les symptômes ! s'exclame ma mère en tapant des mains.

— Comment ça les symptômes ?

— Mais oui ma chérie ! C'est les symptômes ! Ma petite fille chérie devient grande !

Dit comme ça, on pourrait croire que j'ai mes règles pour la première fois.

Je sourcille. Puis je comprends. La hausse des pouvoirs.

Je n'ai pas le temps de réagir davantage que j'entends un grand fracas, comme une explosion.

Mais ce n'est pas ça qui me fait le plus peur. C'est le ciel. Car les étoiles viennent de s'éteindre.


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