Chapitre 5
-Je retire immédiatement ce que j'ai dit hier à propos de la ville! lança Biana en remettant en place ses lunettes de soleil et en sa cachant derrière Linh. Il y a beaucoup trop de monde. C'est fou ce que les humains se rassemblent
-Légère crise d'agoraphobie, diagnostiqua Tiergan. Ça va passer.
-Mais pourquoi on ne vas pas attaquer immédiatement les Invisibles? gémit Dex.
-On attend la nuit, pas de discussion! répondit M. Forkle pour la centième fois au moins.
-Mais à quoi ça sert de venir tout de suite, alors? plaida Linh.
-Je vous rappelle que c'est vous, les gamins, intervint Tiergan, qui ne teniez plus en place! Nous avons cédé à la condition que vous attendiez la nuit tombée, comme prévu.
Sophie, elle, contemplait les lieux sans pouvoir s'empêcher d'avoir honte des humains. L'air était pollué et les trottoirs sales d'Hollywood Boulevard différaient tellement de ceux parfaitement immaculés des cités perdues! Pourtant, elle redressa les épaules quand Tam s'exclama:
-J'aime bien, moi. Il y a de l'animation et les gens ont l'air heureux. Par contre, rassurez-moi, les empreintes sur le sol, ce ne sont pas la liste de gens morts durant une des nombreuses guerres pour le territoire américain?
-Non, répondit Sophie. C'est la liste de personnalités connues pour leurs performances dans le domaine du divertissement.
-C'est marrant, commenta Keefe.
-Quoi?
-Quand tu prend ce ton-là qui signifie que tu sais quelque chose que nous autres pauvres incultes ne connaissons pas, et que tu es consciente de ta supériorité intellectuelle. C'est marrant.
Elle fusilla du regard Fitz et Tam, qui tentaient de ne pas rire mais étaient complètements trahis par leurs joues rouges et gonflées, alors que Dex se contentait d'un: "Pas faux" agrémenté d'un petit sourire. Linh ne fit aucun commentaires mais la fixait d'un air compatissant. Biana, elle, détourna l'attention en s'exclamant joyeusement:
-Pourquoi on ne reprendrait pas une glace, là, comme la dernière fois?
Elle désignait une échoppe assaillie par les touristes, en ce chaud mois de juillet, venus se désaltérer avant de poursuivre la marche du Walk of Fame. Sophie haussa les épaules en lissant sa tunique écarlate. Elle avait fait un petit effort niveau vestimentaire, vu que les humains n'étaient pas habitués à la beauté surnaturelle des elfes, et, ne souhaitait pas être la petite dernière du groupe en terme de beauté, la jeune fille avait suivis à la lettre les conseils de Vertina: elle avait donc mis sa tunique la plus sophistiquée (rouge, donc, ornée de volutes noires et légèrement décolletée afin de mieux supporter la chaleur américaine), appliqué un minimum de maquillage (ombre à paupière couleur pêche, mascara, gommage de cernes, eye-liner, rouge à lèvre rosé), prit soin de retirer l'assortiment anormal de fioles et onguents à son cou pour les ranger dans un petit sac à main offert quelques semaines plus tôt par Edaline, s'était laissée convaincre de ne pas mettre de collant en nylon (elle n'aimait pas ses jambes), chaussé des escarpins à talons avant de sortir l'argument "oui mais se battre en talons, c'est pas pratique-pratique", réussi à faire céder Vertina sur les chaussure et finalement enfilé des bottines plates (qui cachaient deux poignards) puis avait fait validé le tout par Biana. Finalement, son réveil à 6 h du matin avait payé car la réaction de Fitz, Dex, Keefe, et même Tam l'avait rassurée (et carrément gênée, aussi): Fitz l'avait complimentée, Dex s'était contenté de détourner les yeux, Keefe avait lâcher un commentaire du style "tiens tiens, Foster change de style...", et Tam avait rougis. Avant de reporter un regard préoccupé sur Biana. Sophie avait donc tenté de se cacher derrière ses cheveux tout en se justifiant:
-Je ne pouvais pas prendre le risque de passer pour je-ne-sais-qui auprès de canons comme vous... Keefe, pas de commentaires.
-Tu me blesse, Foster! s'était indigné le jeune Empathe. Je ne vois pas du tout de quoi tu veux parler...
-C'est ça, fait l'innocent...
Le coup de coude de Biana la fit revenir sur Terre. A Los Angeles, précisément.
-Ouh-ouh, Sophie! Ils sont en train d'avancer, là! On va au bar. Et on a besoin de toi, parce que même si mon frère frime, en anglais, il ne sait dire que "yes", "no", "please" et "I love you". Donc commande-nous des glaces!
-Tss, vous ne pouvez pas demander à Granite ou autre?
Par autre, Sophie entendait M. Forkle, qui était présent sous sa forme de Sir Astin, et Granite sous celle de Tiergan. Juline n'avait pas pu venir, et Blizzard et Spectre ne pouvaient pas révéler leur identité. Le Cygne Noir comptait, pour attaquer les Invisibles, sur l'avantage de la surprise et leur probable supériorité numérique.
-J'ai comme une impression de déjà-vu, grogna Sophie s'engageant dans la queue, derrière les garçons. Au fait, ne vous attendez pas à avoir la même qualité que celle du glacier italien, ok? Là, on est plutôt sur du industriel...
-Pas grave! la rassura Tam, bien qu'il ne voyait pas trop la référence au glacier italien.
-Je déteste cette sensation d'être perpétuellement observée, soupira Linh.
-Je crois qu'il va falloir si habituer, la prévint Keefe, parce que, comme le dit si bien Foster, un groupe de canon comme nous ne passe pas inaperçu...
Biana leva les yeux au ciel. Mais Sophie ne put le contredire: ç'aurait été de la mauvaise foi. Car en effet, les murmures s'étaient accentués sur leur passage, beaucoup les scrutaient, (un groupe d'adolescentes dévorait littéralement Tam et Fitz du regard), et quelques uns, mine de rien, les photographiaient tout en prétextant viser la boutique du glacier (qui ne valait absolument rien, du point de vue de Sophie, face à des mannequins comme Fitz, Tam, ou Keefe. Même Dex était carrément plus mignon que les autres garçons de son âge). En parlant de mannequins: un homme s'approcha d'eux et leur sourit aimablement:
-Bonjour! Vous habitez le coin?
-Oui! mentit sans réfléchir Sophie. Pourquoi?
-Parce que je travaille dans une agence de mannequins et nous recherchons des apprentis mannequins! C'est la première fois que je vois un groupe de jeune beautés pareil... D'autant, que vous deux (il désigna Tam et Linh), vous feriez un magnifique et parfait couple! Les mêmes pointes argentées, le même sourire... Si vous êtes intéressés, appelez au numéro de cette carte!
Il leur tendis un petit carton blanc. Keefe l'attrapa et lu à voix haute:
-Kyle Withman, recruteur pour l'agence de mannequinat The Society.
Le dénommé Kyle leur souris.
-Même si vous n'êtes pas majeurs, nous acceptons aussi les jeunes adolescents. A condition que leurs parents soient d'accord, évidemment (il jeta un regard à M. Forkle, sous les traits de Sir Astin).
Biana lui renvoya un délicieux sourire et Kyle prit congé, visiblement fier de sa trouvaille. Qu'il ne garderais pas longtemps, vu que la trouvaille en question était un groupe d'elfes.
-Je ne comprendrais jamais cette attirance déraisonnable envers la beauté, soupira Tam.
-Evidemment, vu que les elfes sont tous magnifiques! rétorqua Sophie. Les humains sont donc perpétuellement à la recherche de perles rares.
-Moi j'aime bien, lâcha Biana avec un sourire.
-Comme tu es bien plus belle que la norme, c'est facile à dire, avança Fitz. Seuls quelques rares personnalités peuvent se targuer d'avoir été remarqué par une agence de mannequins.
Biana haussa les épaules pendant que Tiergan s'impatientait:
-Bon, les enfants, et si on quittait cette queue bien trop lente?
-Ah! s'exclamèrent Sophie, Fitz, et Keefe simultanément. Vous voyez ce que ça fait d'attendre, maintenant!
Tam, Linh et Biana eurent un petit sourire narquois et Sophie rougit légèrement.
-De toute façon, lança Dex, on est bientôt arrivés. On ne va pas quitter la queue si près du but.
Tiergan et Sir Astin soupirèrent mais ne protestèrent pas plus longtemps. Bientôt, ils purent ressortir du glacier avec des cornets de glace bien remplis et ils se mirent en route. L'ambiance, alors qu'elle aurait pu être plombée par l'angoisse de l'affrontement prochain contre les Invisibles, était joviale et allègre. Étendus sans l'herbe jaunie par le soleil, les jeunes adolescents avaient obtenu le droit de rester sans bouger, chaleur oblige, pendant que les deux adultes vaquaient à leurs occupations de touristes acharnés dans les multiples magasins de Los Angeles. Biana, Dex et Tam firent plusieurs fois l'aller-retour entre le glacier et le parc dans lequel ils s'étaient établis pour satisfaire leurs envies de frais. L'après-midi passait donc rapidement. Les chose devinrent sérieuses quand Juline, suivie d'un homme et d'une femme qu'ils ne connaissaient pas, apparurent. Keefe s'écria, surexcité, aux deux inconnus:
-Alors c'est ça, les vraies identités de Spectre et Brume?
-Non, répondit Juline. Ils ont emprunté les apparences d'elfes quelconques. Appelez-les Tyro et Delphia quand on est dehors.
L'excitation de l'Empathe retomba brusquement et il se renfrogna.
-On y va? s'enquit Fitz.
-J'appelle Forkle et Tiergan! lança la mère de Dex.
-Les transmetteurs passent même dans les cités interdites? s'étonna Linh, perplexe.
-Non. C'est donc pour ça que j'ai acheté... ça!
Elle brandit un téléphone portable.
-Rassurez-vous, Forkle et Tiergan ont les même, les informa Delphia.
-C'est quoi? demanda Tam.
-Je sais! s'écria Fitz. Les humains se baladent tout le temps avec ça. C'est un peu magique, vous allez voir.
-Normal, répondit Sophie, c'est super pratique; il y a un GPS, de quoi envoyer des messages, passer des appels, FaceTime, tout ça, quoi.
-Marrant, commenta Biana. Je ne savais pas qu'ils étaient aussi évolués en matière de technologie.
-Hum, Sophie? demanda Juline. Sur quel bouton on appuie pour l'allumer?
Keefe ricana alors que la jeune fille saisissait l'appareil. Lorsqu'elle passa le doigt sur l'écran pour aller dans les contacts, les yeux des elfes s'écarquillèrent. Keefe voulut absolument tester et il s'amusa à tripoter tous les boutons jusqu'à ce que Sophie, mi-amusée, mi-exaspérée, récupère le portable et accède aux contacts sous les regards ravis et émerveillés de ses amis. Lorsque le portable vibra au moment d'appeler les deux membres de Comité en vadrouille, les elfes sursautèrent. Sophie dut maîtriser au dernier moment un fou rire, qui retomba en tombant sur le répondeur par défaut -ils n'avaient probablement pas eu le temps de le changer- de M. Forkle. Tout en tâchant de ne pas s'inquiéter, elle essaya de joindre Tiergan. Échec. Elle eut le temps de s'arracher une dizaine de cils avant que Tiergan et Forkle n'apparaissent, essoufflés, au coin de la rue. Juline les agressa presque:
-Mais pourquoi vous ne répondiez pas?! hurla-t-elle. C'est trop demander? On était en train d'imaginer le pire!
-Désolés! répondit Tiergan en grimaçant. On a reçu vos appels, mais comme ça fait longtemps que je n'ai pas utilisé ce truc, dit-il en pointant le portable du doigt, je ne savais pas sur quel bouton appuyer pour décrocher...
-Mais quels boulets! marmonna Sophie pendant que Fitz, Keefe, Tam et Dex hoquetaient de rire.
Biana se retenait clairement alors que Linh, exaspérée, levait les yeux au ciel. Pourtant, son sourire n'échappa pas à Sophie. Une fois calmés, les garçons reprirent leur sérieux, et pendant que M. Forkle et Tiergan se drapaient dans les lambeaux de leur orgueil sérieusement entamé, Delphia, Tyro et Juline prirent la tête de file. Ils empruntèrent rues après rues, depuis les grand boulevards au ruelles mal éclairées pour enfin arriver à destination: une vielle échoppe insalubre et abandonnée. Après un instant d'hésitation, Tyro déclara:
-C'est là.
-Bon, ben, si on pouvait éviter de rester là trop longtemps! s'exclama Linh en poussant la porte.
Celle-ci pivota sur ses gonds sans un bruit. Suspect...
-Elle est huilée, observa Tam.
-Conclusion, commença Keefe.
-Les Invisibles ne sont pas discrets, termina Fitz.
-Ou alors c'est un piège, ajouta Dex.
-Et dans ce cas-là, on va tous crever, conclut Biana.
-T'as vraiment un don pour mettre une sale ambiance, ironisa Sophie.
-Un peu de silence, c'est trop demander? réclama Tiergan, toujours vexé.
-Quel rabat-joie, ricana Keefe.
-Tais-toi! rétorqua Juline.
Les pas se réverbéraient sur les murs lézardés de l'étroite pièce dans laquelle ils venaient de pénétrer. Sophie frissonna dans l'air bien plus frais que l'extérieur.
-Les Invisibles ne pouvaient pas avoir une planque confortable et accueillante, pour une fois? grommela Linh.
-Tu m'ôtes les mots de la bouche, lâcha Keefe.
-Silence!
Sophie s'approcha du mur nu, au fond, alors que les autres se dispersaient à travers la pièce. La rue, qu'on apercevait à travers la seule fenêtre, était déserte -si on omettait les deux ou trois mecs bourrés qui déambulaient lamentablement de trottoirs en trottoirs, une bouteille à la main- et ils ne craignaient plus, à présent, d'être remarqués. Elle sonda les murs avec ses poings à la recherche d'un son creux, jusqu'à ce que Fitz lance:
-Heu, Sophie... On peu savoir ce que tu fais?
-Ça ne se voit pas? J'essaie de trouver un potentiel passage!
-Tu n'es pas capable de pister les pensées? s'étonna le jeune garçon.
-Pas faux, concéda la Télépathe.
-Vous voyez! s'exclama Keefe. Vous, le Cygne Noir, l'avez doté de tellement de capacités qu'elle ne peut même pas se souvenir de toutes!
Sophie l'ignora -comme tout le monde, à l'exception de Biana-, pour fermer les yeux et sonder l'obscurité à travers sa télépathie, qui fonctionnait aussi comme une sorte de radar.
-Touché! s'écria-t-elle quand elle perçut la présence d'un inconnu.
-Qu'est-ce qu'on fait, pressa Dex. On défonce le mur?
-Pas la peine, résonna une voix sombre.
Chacun se retourna vers la source de la voix. Une femme sortis de l'ombre se planta devant eux, un sourire narquois plaqué sur ses lèvres d'un rouge carmin, presque noir. Étonnamment, elle était vêtue de vêtements typiquement humains -jean couleur nuit, t-shirt ample noir et baskets sombres-, ce qui déparait totalement avec sa peau d'une clarté étonnante.
-Ombre, souffla Linh.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top