Chapitre 17

Idunn promena son regard sur les immenses verreries de Foxfire, un peu distraite. Sophie l'observait du coin de l'œil, guettant le moindre changement suspect. Sur leurs passages, les gens écarquillaient les yeux. Le Colibri, la sublime nouvelle, et la non moins belle Biana Vacker ensemble, c'était un tableau du genre à interpeller.

-Où es Fitz?

Sophie serra les lèvres. Idunn avait fini par parler. Sa voix douce, avec l'onctuosité du miel, ne parvenait pas à effacer l'impression glaçante que la jeune fille lui avait laissée.

-Aucune idée, répondit Sophie avec du détachement feint dans la voix. Je ne suis pas du genre à le tracer sur chacun de ses déplacements.

Idunn se raidit, et la Télépathe se félicita mentalement. Briser le masque rigide de son adversaire, ne serait-ce que pour une fraction de seconde, est toujours jouissif.

-Je posais simplement la question, finit par répondre la nouvelle en reprenant son sourire amical. Cela fait bien longtemps que je ne l'avais pas vu.

-Moi aussi, j'existe, répliqua sombrement la voix de Biana, à côté de Sophie.

Idunn écarquilla les yeux, incarnant plutôt bien l'image qu'on se faisait de l'innocence.

-Bien sûr! Je ne t'ai jamais oubliée, Biana. Mais, tu sais, tu n'as pas changée. J'ai l'impression de te retrouver comme si c'était hier.

-Et pourtant, c'était il y a huit ans, piqua Biana d'une voix neutre, mais dont les tremblements de main trahissaient la nervosité.

Idunn écarta les bras d'un mouvement ample, empreint de grâce.

-Je suis toujours la même qu'il y a huit ans.

-Que s'est-il passé, il y a huit ans? questionna Sophie en plantant ses yeux dans ceux d'Idunn.

Celle-ci perdit son sourire. La jeune fille aurait pu jurer que c'était volontaire.

-Je ne sais pas, répondit Idunn d'une voix frémissante de tristesse. Je n'en sais absolument rien. Mon cerveau a volontairement occulté tout ce qui m'est arrivé. Puis je me suis réveillée, dans la chambre de mes parents, à Hoovergarden. Comme si rien n'avait changé.

Sophie renonça. Son explication vibrait de vérité. Et elle avait l'air réellement défaite. Ses yeux s'étaient assombris, un peu mélancoliques. Pile la tête qu'arborerait quelqu'un qui aurait perdu huit ans de sa vie, sans aucun souvenir.

Les trois jeunes filles achevèrent la visite de Foxfire par une traversée du parc gorgé de soleil. Des adolescents se prélassaient sous l'ombre des arbres pimpants de coloris, hum, surprenants.

Sophie laissa glisser son regard sur la végétation violette dans un coin, admirant les feuillages aux formes extravagantes. Elle reconnut, un peu plus loin, une rangée de Purs.

-FOSTEEEEEEEEER!

Une forme volante non identifiée s'abattit sur ses épaules, et enserra son coup en criant de joie. Sophie accusa le coup avec un glapissement, et finit par se dégager tant bien que mal de l'étreinte forcée, les cheveux emmêlés. Furax, elle planta ses yeux dans ceux, noirs et agrandis d'innocence, du garçon qui venait de l'assaillir.

-KEEFE! Tu veux mourir?!

Le jeune garçon se contenta de lui offrir un sourire charmant et un clin d'oeil ravageur.

-Allons, je sais très bien que tu es ivre de joie à l'idée de me revoir. Non non, n'insiste pas. Je sais que tu m'aimes.

Sophie réprima l'envie de meurtre qui monta en elle, et elle se contenta de l'assassiner du regard.

Elle se tourna vers Idunn, et ouvrait la bouche dans l'idée de faire les présentations -elle avait oublié que Keefe la connaissait aussi.

Mais la fringante jeune fille prit les devants. Son sourire s'agrandit, et elle fit voler ses cheveux en une sombre forme floue, dont la teinte profonde faisait ressortir sa peau de porcelaine.

-Salut, toi, sourit-elle de sa voix de velours.

Les deux adolescents s'affrontèrent dans un duel de regard qu'Idunn brisa d'un petit rire, en détaillant Keefe de fond en comble. Le garçon, pour sa part, avait perdu son attitude joyeuse. Il contemplait Idunn avec, au fond des yeux, un savant mélange de surprise, de colère, et, tiens, de la méfiance.

Il ne répondit pas quand elle lui tendit la main.

-Idunn, se contenta-t-il de dire. Qu'est-ce que tu fous ici?

-Je suis rentrée, répondit aussitôt la jeune fille en souriant de plus belle. Tu es devenu beau, dis donc, en huit ans!

Sophie pinça les lèvres et leva les yeux au ciel. Keefe en profita pour recouvrer un sourire faiblard.

-T'as vu, Foster? se vanta-t-il. Il n'y a que toi qui ne veut pas te rendre à l'évidence!

Elle ne put s'empêcher d'être rassurée de le voir capable de plaisanter malgré tout.

-Et Fitz? insista Idunn en se tournant vers Keefe.

-Aucune idée, répondit le garçon dont le visage se ferma. Mais si tu l'approches...

Idunn se figea brusquement. Sophie scruta Keefe, qui avait laissé sa menace en l'air, menaçant. Elle crut qu'il n'allait jamais la finir.

-Je te le ferais amèrement regretter, acheva le garçon en perforant la nouvelle du regard.

Le temps parut ralentir sa course infernale. Les secondes de silence semblaient se compter en heures. Sophie serra les poings. Elle haïssait cette situation. On aurait cru qu'elle se trouvait à ses débuts en temps qu'elfe, quand elle savait pertinemment que des choses pas nettes se tramaient tandis que tout le monde s'obstinait à la maintenir dans l'ombre.

Il s'était passé quelque chose entre Fitz et Idunn. Biana et Keefe en voulait à mort à une fille qui avait disparu huit ans plus tôt, volatilisée. Cette même fille instantanément adorée par tout le campus et détestée par la jeune Télépathe. Et elle, dans tout ça?

Butée, elle croisa soudainement les bras sur sa poitrine. Keefe fut le seul à y prêter attention, mais Idunn fit en sorte de lui rappeler son existence en l'apostrophant abruptement.

Les yeux de Sophie se firent vitreux. Sa télépathie explorait le campus.

Fitz! Bon sang, mais t'es où?

Une seconde passa. Son esprit s'étira vers des salles de cours enclavées entre le Centre de Soins et le réfectoire.

Ah, trouvé! Fitz! Hé oh! Fitz!

Sophie? s'ahurit le garçon.

Même à travers la distance, elle put percevoir son sursaut.

Fitz, je suis désolée, mais si tu as deux minutes, j'aurais besoin de te parler.

Euh, oui, d'accord, laisse moi juste quelques secondes pour trouver un endroit où des gens ne s'étonneront pas de me voir figé au milieu du couloir, les yeux dans le vague.

Je t'en prie, s'inclina Sophie mentalement.

C'est bon, reprit Fitz une poignée de minutes plus tard.

Nous sommes en situation de crise, là, commença à expliquer Sophie. Je veux juste que tu me promettes de ne pas accourir là où je suis, et que tu ne t'énerves pas.

Ok, là, je commence à flipper.

Il n'y a aucun danger immédiat, se hâta de préciser la jeune fille. Je suis juste complètement perdue, avec tous les événements qui s'enchaînent depuis ce matin sans discontinuer. Mais disons que c'est assez alarmant pour que Keefe en perde son sourire narquois.

Ouhlà. C'est du sérieux, dis donc.

Je ne te le fais pas dire. (Elle prit une profonde inspiration). Il y a une nouvelle dans le niveau au-dessus, le vôtre. Est-ce que tu peux m'éclairer sur une certaine Idunn?

Un silence.

Fitz? risqua Sophie en se rongeant mentalement les ongles.

BON SANG! explosa le garçon. IDUNN? C'EST UNE BLAGUE?

Je... Fitz! Je t'avais dit de ne pas t'éner...

Ne bouge pas, reprit Fitz d'une voix froide et irritée. J'arrive.

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