Elle est brune.

Comme beaucoup d'elfes, d'ailleurs. Sa chevelure avait, il fut un temps, été très longue. Avant, elle lui tombait en-dessous des fesses, en volutes légèrement bouclées qui tressaillaient au moindre frisson qui parcourait son corps svelte. A présent, ses cheveux lui frôlent à peine les épaules. Un grand changement dans la vie de celle qu'on appelait jadis pour rire la "Grande Brune des Glaces". Les deux premiers adjectifs se comprenaient au premier coup d'œil, de dos comme de face, puisqu'elle mesurait près d'un mètre quatre-vingt, dont, on le rappelle, une bonne moitié était couverte, de dos au moins, par ses cheveux bruns. Quant à la locution "des glaces", il fallait pour cela la voir de face. Plus que ça, même: il fallait carrément s'armer de courage et de patience, voir d'un peu d'inconscience, pour réussir à la faire lever les yeux. Pour réussir à la faire redresser son petit menton délicat. Pour réussir à la faire abandonner son expression discrète et timide; pour réussir à faire briller dans ses yeux d'un profond bleu glacé, -d'où l'expression, donc-, l'espace d'un instant fugace, l'éclat sauvage de sa véritable nature.

Un grand changement pour la Grande Brune des Glaces, mais un changement ridiculement infime si l'on avisait sa vie, et plus précisément, l'épisode exact de sa vie où elle s'était coupé les cheveux.

Elle était donc brune, mais n'épiloguons pas.

La jeune fille toque à la porte. -Entrez! : elle entre.

La pièce est plongée dans la pénombre. Meublée le plus sobrement possible -un bureau et une chaise-, elle s'étend sur une petite dizaine de mètres carrés à peine. Quant on connait la démesure des Invisibles, ça peut faire hausser les sourcils, mais la jeune fille, de par son statut de membre de longue date, était une des rares à connaître la peur des grands espaces de l'homme qui se trouvait devant elle.

-Vous m'avez fait appeler, déclare-t-elle d'une voix neutre.

-Effectivement, ma chère. Pour ne pas tourner autour du pot, je dirais que nous avons besoin de vous.

Pour que le chef se permette de reconnaître qu'il avait besoin d'elle, il devait être de bonne composition. La jeune fille s'autorisa l'esquisse d'un sourire narquois.

-On a toujours besoin de moi.

-Nous n'avons pas le temps pour vos bêtises, numéro Six,  lui rappela le chef en pinçant les lèvres.

Elle courba légèrement la tête sans mot dire -et s'empêchant mentalement de lever les yeux au ciel.

-Il semblerait que Fitz Vacker ait décidé de contrer nos prédictions, numéro Six.

Elle redressa aussitôt la tête, surprise.

-Fitz aurait parlé de moi à la blondinette?

-Sophie Foster, corrigea le chef.

La jeune brune ne répliqua pas, laissant entendre silencieusement ce qu'elle pensait de la recrue du Cygne Noir.

-Et oui, effectivement, reprit l'homme. Le jeune Vacker a choisit la franchise. Tu dois donc rentrer en scène.

Elle en resta sans voix.

-Je dois... maintenant?

-Il faut récupérer le Colibri Solaire maintenant. Et il me semble que c'est pour cela même que nous t'avons intégrée comme membre, Idunn.