Chapitre 11
Ils s'étaient assis sur le lit, à une distance respectable cependant, mais cela n'empêchait pas Sophie de rougir. Bien au contraire. Aussi dissimulait-elle son visage derrière ses longs cheveux blonds, dans l'espoir de faire oublier à Keefe ses joues cramoisies.
-Alors, Keefe? Que se passe-t-il? demanda-t-elle pour briser le silence.
Le garçon se passa une main dans les cheveux et s'étendit sur le lit avec un long soupir.
-Ce que je vais te dire ne va pas te plaire.
-Pourquoi? Tu veux rejoindre les Invisibles, c'est ça? ironisa Sophie, un goût amer dans la bouche (elle ne lui avait toujours pas pardonné son escapade).
-Désolé. Mais non, ce n'est pas de ça que je veux parler. J'ai fouillé dans ma mémoire, ces derniers temps. Et ce que j'ai découvert ne va vraiment, vraiment, vraiment pas te plaire du tout. Mais je suis obligé de t'en parler, ça me ronge.
Alors il raconta. Il raconta sa mère, le passage, son sang, l'escalier, et, enfin, sa découverte sur Fitz Vacker.
Sophie accepta tout. Laissa échapper un silence. Puis soupira. Keefe fronça les sourcils. La connaissant, elle n'était pas censé réagir comme ça. Ce n'était pas normal!
-Sophie? Tu vas bien?
-Oui, répondit la jeune fille d'un ton cassant en redressant la tête. En revanche, toi, tu débloques!
Keefe écarquilla les yeux, effaré.
-Pardon?
-Oui, parfaitement! Encore ta foutue jalousie envers Fitz, hein?! Tu es insupportable, Keefe! Ce n'est pas parce que tu nous as tous largué pour faire ta petite crise d'adolescent que tu dois inventer un mensonge farfelu pour discréditer ton ami!
Elle s'interrompit brusquement. Il venait d'y avoir un bruissement de draps, et Keefe s'était redressé, raide comme un bout de bois. Dans ses yeux pervenche flamboyaient une colère qu'elle n'avait jamais vue. Elle se mordit la lèvre. Était-elle allée trop loin?
Visiblement, oui. Vu que Keefe, se déplaçant à une vitesse déconcertante sur le lit mou, fut sur elle en une fraction de secondes. Sophie bascula inexorablement, et elle se retrouva sous un Keefe à quatre pattes, énervé, qui lui immobilisait ses poignets, les yeux fichés dans les siens.
-Toujours Fitz, hein? murmura-t-il. Il n'y en a toujours que pour Fitz. D'ailleurs, il me semble que le Fitzounet aussi t'a fait du mal, hein? Tu te souviens, lors de l'accident avec Alden? Il t'a rejetée. Il t'a rejetée, mais tu lui as pardonné. Tu lui as pardonné immédiatement, alors qu'avec moi, j'ai l'impression que ça va prendre deux ans!
-Tu essaies de m'intimider, là? siffla Sophie, pour qui la gêne s'était complètement évaporée.
Elle avait conscience du corps de Keefe sur elle, tentation extrême, mais il ne comprenait pas! Quel imbécile! Elle l'aimait. Enfin, elle était quasi-certaine de l'aimer. C'était pour cela précisément qu'elle ne lui avait pas pardonné. Elle lui avait accordé sa confiance tout entière, et il s'en était fait des cocottes en papier. Aussi était-elle décidée à le faire tourner un peu en bourrique.
Keefe eut un petit sourire.
-Avoue, tu dis ça, mais je sens les battements de ton cœur.
-De mon cœur? répéta Sophie, la respiration coupée.
-Oui. Le machin que tu as... ici.
Du bout du doigt, il dessina un petit cercle à l'endroit où était censé se trouver son organe vital.
Argh.
Il était beaucoup trop mignon avec son petit sourire à la noix.
Elle rougit légèrement malgré ses efforts pour garder une température normale au niveau des joues, et détourna le regard.
-Abruti, marmonna-t-elle.
Le sourire de Keefe s'accentua.
-Tu protèges Fitz, mais tout te trahit chez toi, chère Sophie (le cœur de l'intéressé rata un battement; il ne l'appelait jamais par son prénom). Tu ne me crois pas, hein? Tu ne me crois jamais. Depuis l'incident avec les Invisibles, tu ne m'as jamais plus cru. Et quand je te dis que je t'aime, hein? Tu penses quoi?
-Que c'est un mensonge, répliqua Sophie du tac au tac.
C'était vrai. Elle ne croyait pas Keefe capable de l'aimer, du moins dans le sens qu'on l'entends. Keefe était ce genre de mec à sortir avec des nanas qui font du bonnet D, portent des décolletés plus profond que la Fosse des Mariannes, avec des visages de top-model et un petit rire très stylé. Pas avec elle. C'était limite un crime envers le bien-être de Keefe.
Le garçon soupira.
-Mmh, je vois. Je vais donc devoir te le prouver.
Sophie haussa un sourcil. Comment allait-il donc s'y prendre pour la convaincre?
Elle eut la réponse dans la seconde qui suivit.
Keefe se pencha, toujours plus près, et déposa ses lèvres dans le cou frémissant de sa victime. Ses lèvres se déplaçaient sur sa peau, jouant avec ses sentiments comme on le fait avec le feu: inexorablement, toujours plus intensément. Sophie rougit et se mordit la lèvre. Son cœur ralentit lentement. Et Keefe se décolla, les joues enflammées. La jeune fille déglutit. Une part d'elle en voulait plus, et une autre part d'elle la ramenait à ce jour où un garçon sublime au grand coeur était venue la tirer du cauchemars qu'elle vivait dans les Cités Interdites, du temps où elle ignorait comment restreindre la portée de sa télépathie et captait toutes les pensées alentours dans une cacophonie infernale.
Le jeune homme jeta un regard par la fenêtre de sa chambre.
-Sophie, je sais que tu hésites, et franchement, je ne veux pas te forcer la main. Ne compromet pas ton amitié avec Fitz, par pitié, alors s'il te plaît, comporte-toi avec lui comme d'habitude. Fitz est un mec bien, tu sais?
Sophie enfouit sa tête dans ses mains.
-Gné, je sais, marmonna-t-elle. C'est justement ça le problème!
-Je sais que ce n'est pas à moi de faire ça, poursuivis Keefe en tripotant l'ourlet de sa chemise, mais la prochaine fois que tu discutes en tête à tête avec lui, évoque le nom de Idunn.
-Idunn? s'exclama la jeune fille avec un hoquet de surprise. Qui est-ce?
Keefe, le regard toujours perdu vers la fenêtre, pivota soudainement, une expression navrée sur le visage.
-Sophie, mon père arrive. Je te conseille de déguerpir avant qu'il ne nous les brise avec sa nouvelle augmentation...
La Télépathe se souvint brusquement que Lord Sencen avait été promu au rang d'Emissaire il y a peu. Elle grimaça. Idunn attendrait un peu, visiblement. Elle sortit son cristal de foyer, le présenta à la lumière qui filtrait par la fenêtre et disparu.
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