Chapitre 239

Et pourtant ça a été le cas : dès la courte réunion organisée pour la rentrée des étudiants en L3 d'histoire toute spécialité confondue, j'ai pu remarquer des regards insistants. En fait, au début, je croyais que j'étais mal coiffée ou que j'avais du chocolat au coin des lèvres, ça me mettait mal à l'aise, et puis il y a eu une fille qui est venue me voir à la fin de la réunion. Quand elle m'a demandé si j'étais Charlie, celle qui avait chanté aux côtés des BTS, je suis restée sur le cul.

Quelques jours plus tard, cette même fille est venue me demander un autographe juste après un cours d'histoire médiévale, et moi qui détestais attirer l'attention, autant dire que j'étais servie. Tous les élèves restants s'étaient demandé ce qui pouvait bien se passer, et j'étais si embarrassée que j'ai signé son album en vitesse avant de lui demander si on pouvait aller ailleurs. Je ne voulais pas non plus la rejeter, c'était tellement mignon, elle avait acheté le dernier album du groupe dans la version sur laquelle j'apparaissais, et elle me regardait avec des yeux brillants.

Toute cette année, Ève a très certainement été la fille avec laquelle j'ai eu le plus de liens, car si aucune de nous ne prétendait être l'amie de l'autre, notre caractère un peu solitaire nous mettait à l'écart des autres et on se voyait de temps en temps pour déjeuner. C'était une ARMY, une vraie de vraie, comme Aly, et parfois elle me posait quelques questions auxquelles je ne répondais pas toujours, du moins pas toujours honnêtement, mais de toute façon elle ne me demandait jamais grand-chose de très embarrassant.

Cette année-là, j'ai aussi profité de mon emploi du temps léger pour composer. Tout d'abord, j'ai réécrit la chanson de ma tante, Dreaming, pour en faire une chanson de quatre minutes environ entièrement en coréen, à part quelques vers en anglais. J'ai gardé la mélodie d'origine mais Aly m'a aidé pour ajouter quelque chose de plus rythmé avec un rap qui enverrait du lourd, qui se mêlerait cependant bien avec la douceur de la musique. Alors en plus du micro qu'on s'était payé quelques semaines auparavant, on s'est acheté un logiciel (pas très cher et facile d'accès comparé au haut de gamme et à ceux qui sont accompagnés de tonnes d'accessoires additionnels ultra chers) pour concevoir notre propre musique, comme ça on a pu rajouter quelques nuances un peu électro à la chanson qui rendaient étonnement bien.

Sérieux, quand Aly m'a dit qu'elle avait donné un style électro et un rap bien puissant à cette chanson qui s'approchait à l'origine plus de la ballade, j'avais sérieusement flippé mais en fait, si c'est bien fait, c'est un vrai régal pour les oreilles. Et Aly a fait des miracles. Bon bien sûr, elle a commencé à travailler dessus en octobre et elle a terminé en mars, mais tout miracle nécessite du temps, d'autant plus qu'elle avait beau être intéressée par ce genre de logiciels depuis quelques années, il lui a fallu au moins deux mois de prise en main avant de littéralement passer ses journées à bosser sur cette musique (comme quoi en L1 à la fac de droit, elle y allait vraiment au talent, heureusement qu'elle est restée malgré tout l'élève sérieuse que je connaissais)

Et cette chanson, pour laquelle le « clip » se composait simplement d'images de moi en train de m'entraîner à la jouer à la guitare et d'Aly en train de bosser sur la mélodie a fait beaucoup de bruit, probablement grâce au million de personnes qui me suivaient toujours.

C'était impressionnant, et les BTS ont même retweeté mon message dans lequel j'annonçais la sortie de cette chanson, alors les vues se sont accumulées à une vitesse affolante sur YouTube.

Dans les jours qui ont suivi, diverses agences françaises et coréennes m'ont demandé si j'étais intéressée pour signer un contrat avec elles, malheureusement je ne l'étais pas. J'espérais que la BIgHit se manifeste, mais cela n'a même pas été le cas, et puis de toute façon, j'aurais refusé aussi.

Deux semaines plus tard, alors que le mois de mai pointait le bout de son nez et donc que j'étais bientôt en grandes vacances, j'ai appris dans une lettre du groupe que leur manager les ont laissé retweeter mon message simplement parce qu'il voulait m'encourager un peu. J'ai bien failli m'étouffer en lisant ça, je me suis toujours demandé ce que ça pouvait bien cacher.

Étant donné que j'étais en vacances, qu'Aly le serait bientôt aussi, et que les réinscriptions ne se faisaient qu'au mois de juillet, ma sœur et moi avons profité de la période entre début mai et fin juin pour composer une nouvelle chanson. On a travaillé toutes les deux sur la mélodie et de mon côté je bossais sur les paroles. Je voulais écrire quelque chose pour parler de mon expérience en Corée du Sud, et même si, pour ne pas trahir notre secret, je devais minimiser le rôle des BTS, j'essayais quand même, à travers cette chanson, de remercier ce groupe que je ne nomme jamais, mais dont tout le monde sait que c'est lui qui a fait de moi ce que j'étais à présent.

Le problème en fait, ça a été le titre. Je ne savais pas comment appeler ce morceau. Pour une fois, les paroles qui n'étaient pas en coréen étaient en anglais, comme pour Dreaming, plus proches donc de ce que font les groupes de Kpop actuellement ; pour correspondre, il me fallait un titre en anglais, je trouvais que ça irait bien. D'un côté, je me disais que je n'avais qu'à tout basculer en français, mais d'un autre, l'anglais rendait mieux avec ces paroles.

Ni Aly ni moi n'avons trouvé le titre dont nous rêvions, c'est ma tante qui en a eu l'idée. C'était simple, et pourtant nous n'y avions pas pensé avant.

Songwriter.

C'était ainsi que s'appellerait notre chanson, et pour la seconde fois, YouTube a été en effervescence le jour de sa sortie, en plus Aly et moi, on a fait ça bien : deux teasers dans la semaine qui a précédé, messages sur les réseaux sociaux, etc. Le public était toujours présent, ça nous encourageait vraiment à continuer.

On a géré de fou, et Aly, en tant que compositrice, était peu à peu de plus en plus appréciée à son tour. Je ne savais pas qu'elle était si douée en musique, elle m'avait caché ça, et honnêtement, quand j'arrivais devant son logiciel de composition, je restais comme une abrutie sans savoir quoi correspondait à quoi. Elle avait un talent fou, et cela nous rendait toujours plus proches (si c'était possible). Ma sœur, assez douée en dessin informatique de base, devenait une véritable pro dans le domaine de la musique par ordinateur (à mes yeux du moins), et tout ça en six mois acharnés, pour moi. Ce n'était pas un logiciel pro, seulement un truc pour débutants, mais ça fonctionnait très bien puisque nous ne nous prétendions pas professionnelles.

Comme nous étions en vacances, nous passions parfois des nuits entières sur son logiciel : elle me faisait écouter quelques notes, je lui donnais mon avis à leur sujet et on modifiait si besoin. On y allait vraiment à tâtons, parfois il nous fallait une semaine pour à peine dix secondes de musique. Heureusement qu'on se basait toujours sur une mélodie un peu répétitive, sinon on y aurait passé des années... Mais ça valait le coup : ma popularité sur les réseaux sociaux ne faisait que croître, et celle d'Aly avec. Les publics coréens et internationaux réagissaient super bien à nos compositions.

Puis le jour des résultats était arrivé à l'université : Aly passait haut la main en L2 de droit, quant à moi j'ai obtenu ma licence et ai gagné mon passeport pour le master recherche.

Mais le jour où j'ai voulu me réinscrire, le site était bloqué, je ne pouvais pas entrer mes identifiants. C'est quand j'ai demandé à ma mère ce qu'il se passait qu'elle m'a conseillée d'attendre ce soir, quand papa et tata Irène seraient là.

Je m'en étais mordu les doigts toute la journée, et Aly se posait elle aussi des questions du coup, puisque ça lui faisait exactement la même chose, et que quand elle avait à son tour posé la question à maman, celle-ci s'était montré tout aussi mystérieuse. On n'y comprenait plus rien du tout.

Donc nous avions été contraintes d'attendre toute la journée.

J'avais failli devenir dingue, je flippais de ne pas pouvoir passer en master, heureusement Aly restait assez calme, alors ça me détendait.

Notre tante est arrivée aux alentours de cinq heures de l'après-midi, papa est rentré deux heures plus tard, et entre temps on avait toutes dû mettre la table, sortir les apéritifs et tout ce qu'il y avait de plus appétissant dans les placards. Aly et moi, on commençait à se demander ce qui pouvait bien être en train de se passer, mais on savait qu'en demandant, on se retrouverait face à un mur, c'est pour cela que nous restions silencieuses.

Ma mère a attendu que nous soyons tous les cinq installés autour de la table et, en levant son verre de jus d'orange, elle nous a annoncé quelque chose qui m'a tellement marqué qu'aujourd'hui, je me souviens encore des mots exacts :

« Nous avons complété vos inscriptions nous-mêmes, a-t-elle annoncé, mais on a dû s'y prendre il y a des mois parce que c'était assez complexe : vous êtes inscrites à l'université de Séoul, en tant qu'étudiantes étrangères. »

C'est con, mais premier réflexe, ça a été de rire : je n'y croyais pas, et j'étais stressée depuis plusieurs heures, alors c'était un rire nerveux qui traduisait un sincère « non mais sérieux, arrête de te foutre de ma gueule ». Mais c'était vrai, et elle avait les documents pour le prouver. La réaction d'Aly a été plus brutale : elle a lâché son verre qui s'est littéralement explosé sur le sol.

Notre famille nous a alors expliqué que dès notre retour de Corée du Sud, ils ont bien vu qu'on voulait y retourner, et pas seulement à cause des BTS. En fait, chaque fois qu'ils nous demandaient à quoi ressemblait ce pays dans lequel on avait passé un mois, on était incapables de répondre : nous n'avions pas pu le visiter, pas pu découvrir la culture coréenne, nous étions beaucoup trop prises par le travail que cela impliquait de suivre un groupe de Kpop toute la journée. C'était bien là le seul regret qui a persisté en nous.

« On vous a inscrites pour un an seulement, vous verrez si ça vous plaît et si, éventuellement, vous voulez rester plus longtemps, a ajouté ma tante, on espère que ça vous fait plaisir. »

Quand je lui ai sauté dans les bras, je crois qu'elle a compris que c'est un grand oui. J'étais heureuse de retourner là-bas, et Aly aussi : à défaut de pouvoir revoir les BTS, au moins je savais que je pourrais découvrir un peu plus le pays, comme je voulais tellement avoir l'occasion de le faire l'année passée, lors du mois entier parmi le groupe.

Parce que oui, nous étions déjà en juillet, cela faisait un an qu'Aly et moi étions rentrées, mais nous avions toujours ce fort intérêt que nous partagions désormais pour la Corée du Sud. Elle, elle restait plus axée sur la musique et la linguistique et moi, je m'intéressais plus aux coutumes, à l'aspect traditionnel.

Et vu à quel point ils sont à cheval sur le respect des aînés, je me suis dit qu'heureusement que les BTS étaient compréhensifs et avaient de l'humour, sinon un nombre incalculable de nos gestes auraient été très mal pris par les membres du groupe : Aly et moi avions beau être les plus jeunes (certes, de peu d'années néanmoins), mieux on s'entendait avec eux, plus on agissait comme si on était chez nous.

Jin a beau être le hyung, le respect qu'on est supposées lui devoir (car lui a quand même cinq ans de plus que moi et sept de plus qu'Aly) n'a sérieusement jamais existé. Et dire que c'est comme ça, au naturel, que les garçons ont réussi à s'attacher à nous. C'est quand même dingue, ils doivent vraiment être des anges pour s'être montrés aussi gentils avec nous.

Bon c'est vrai qu'au départ, j'osais à peine les approcher, mais quand même, on a fait de sacrés conneries par la suite, Jin a vraiment dû être au bord de la crise de nerfs avec autant de gamins en train de se chamailler sous son nez.

En tous cas, ça a été quelques semaines plus tard, mi-août, que nous sommes parties à Séoul. Ma tante étant rentière, elle a toujours eu pas mal de contacts dans l'immobilier et nous a trouvé un appartement pas très loin de la fac, un vingt mètres carrés dont on prendrait les clés en arrivant.

Et c'est ainsi que près d'un an et un mois après être parties de Séoul, nous montions dans l'avion pour y retourner.

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