Chapitre 194
Ainsi donc l'ambiance du petit-déjeuner est apaisée, agréable, comme s'il flottait dans l'air une sorte de bonheur simple. Je suis bien consciente qu'il s'agit là de mon ressenti personnel, influencé par la présence de V à cette table et par l'énième rapprochement qui s'est opéré quelques instants plus tôt, mais je suis contrainte d'admettre qu'un seul de ces moments peut littéralement illuminer ma journée en entier. J'ai honte de penser ça car je ne sais pas si je me fais ou non des films, mais j'ai tellement l'impression que mes sentiments sont réciproques, d'autant plus que Suga pense que c'est le cas... Pourtant je n'ose pas y croire, non pas parce que je suis aveugle, ça ne serait même plus de la cécité à ce niveau-là, mais parce que ça m'effraie. J'ai jamais été en couple, j'ai même jamais embrassé un garçon, et l'idée que V pourrait être le premier à partager mes sentiments, ça me terrorise ; je ne peux pas imaginer que le premier garçon pour qui je ressente quelque chose de si fort me file entre les doigts d'ici quatre jours, alors oui, je préfère faire comme si je ne voyais rien, et pourtant à travers mon comportement, je vois bien que plus le temps passe, moins j'arrive à dissimuler l'amour que j'éprouve pour lui. C'est probablement ça qui m'effraie le plus : je ne contrôle rien, je ne suis pas capable de taire mes sentiments quand c'est mon cœur qui prend la parole.
Je vais m'habiller pour retrouver ensuite les garçons dans le couloir après m'être reposée en écoutant un peu de musique. Cette fois-ci, pour rattraper celui que je n'ai pas fait la veille, mieux vaut que je gère vraiment à l'entraînement, sinon je risque de mettre le chorégraphe très légèrement en colère. D'ailleurs, une fois arrivés dans la salle, ma première action consiste à m'excuser pour mon absence de la veille.
« Ne t'inquiète pas, c'est rien, affirme l'adulte, les garçons m'ont expliqué que le tournage t'avait fatiguée. Mais ce soir on tourne le dance practice, alors je veux que tu sois au point comme jamais.
- Promis ! »
J'acquiesce vivement avec un grand sourire et file à l'autre bout de la salle pour commencer à répéter mes trois courts moments de chorégraphie, tout en mettant un point d'honneur à parfaitement maîtriser la plus récemment apprise. Je veux faire bien, je peux faire bien. Elle est la troisième mais elle est la plus simple, alors je sais que je peux la réussir, d'autant plus qu'avec le temps, mes gestes se sont clairement assouplis, je suis loin d'avoir la même façon de danser qu'à mon arrivée, et ça se voit nettement sur les dance practice, j'en suis convaincue. J'ai l'impression que sur le premier, par rapport à celui que je vais tourner ce soir, j'aurai l'air d'un robot mal huilé et complètement déréglé qui essaie de bouger en rythme. Les fans vont se foutre de ma gueule... mais je m'en moque royalement.
Bref.
Je fais donc tout mon possible pour gagner l'estime de ceux qui m'entourent, à commencer par le chorégraphe, m'entraînant sans la moindre pause – ne serait-ce que de quelques secondes – pendant presque un quart d'heure. Je finis rapidement trempée de sueur et le souffle court, mais je suis heureuse de voir que mon endurance s'améliore toujours plus. Bout à bout, j'ai besoin d'une minute et demie environ pour répéter mes trois chorégraphies, mais je veux être sûre d'avoir assez de souffle pour chanter correctement en même temps. Alors bien sûr, j'ai une pause d'environ trois minutes entre chaque passage sur scène, mais l'idée d'être essoufflée alors que l'endurance est précisément mon seul point fort depuis le début, ça m'inquiète. Il faut que je sois certaine d'être parfaite, je dois toujours l'être... parce qu'eux s'efforcent aussi à l'être.
Je frémis en sentant l'air froid de la climatisation sur ma peau brûlante et humide de sueur tandis que je porte ma bouteille à mes lèvres et avant d'avoir vraiment froid, je me remets au travail sous le regard encourageant d'Aly, venue en gilet. D'après les crayons qu'elle utilise, j'en déduis qu'elle est passée à la couleur, si ce n'est aux finitions, et j'ai vraiment hâte de voir à quoi va ressembler ce fameux dessin qu'elle rêve de faire depuis notre arrivée.
La première heure passée, je décide de prendre une petite pause mais je me vois contrainte de devoir remonter en vitesse à l'appartement chercher un gilet, parce que je ne sais pas ce qui a pris aux garçons de mettre la clim aussi fort, on gèle littéralement sur place quand on ne bouge pas, et plus encore si on est recouvert d'une fine couche de transpiration. C'est une horreur absolue, j'ai des frissons sur tout le corps.
Je trouve rapidement ce que je cherche et rejoins Aly au fond de la salle de danse. On ne discute pas ou presque pas, mais c'est relaxant. Je ferme les yeux et me contente d'apprécier sa présence à mes côtés, rassurante, agréable.
« Tu pues, file t'entraîner. »
C'est beau l'amour d'une petite sœur, quel doux soutien...
« Elle a raison, appuie le chorégraphe, vient bosser au lieu de te reposer. »
Ces gens sont méchants...
Je me relève en soupirant de mécontentement et reprends ma place devant le miroir avant que le groupe ne me fasse signe de venir plutôt s'entraîner avec lui. Pendant cette deuxième heure donc, j'enchaîne les répétitions avec les BTS. On bosse sur certains pas en particuliers, à quelques reprises on essaie de faire la chorée en entier, puis de nouveau je travaille seule dans mon coin, et enfin quand l'entraînement se termine, je m'allonge sur le sol, le visage en direction du plancher, et je reste immobile jusqu'à ce que Jin vienne me donner de petits coups de pied au niveau des jambes.
« Allez debout, on remonte à l'appartement.
- J'ai pas la force de remonter...
- Et personne n'a envie de t'y aider, alors faudra faire avec, mais on peut te laisser là si tu préfères...
- Non c'est bon j'arrive... »
Après avoir soufflé bruyamment, je me redresse, repositionnant correctement mes cheveux, et je finis par suivre le groupe déjà talonné par Aly. Je me sens vidée de toute énergie ; chaque fois que je me donne à fond, le résultat est le même : je me motive à faire plus, toujours plus, et je finis épuisée mais fière de moi (c'est déjà ça...).
Après une rapide douche bien chaude qui me laisse l'impression de voguer sur un nuage de vapeur bouillante, je vais m'allonger nonchalamment sur mon lit, les paupières lourdes, prête à faire une deuxième nuit, mais comme d'habitude, le sommeil n'a pas sa place ici...
« Eh Charlie, tu... Ah mince je te dérange ? »
Je ne bouge même pas en entendant Hoseok, lâchant simplement un grognement dont je ne saurais pas moi-même dire la signification. Je veux dormir, j'ai besoin de dormir, mes batteries sont à plat je veux les recharger avant ce soir et si je m'endors maintenant, j'ai des chances de pouvoir enchaîner huit heures de sommeil jusqu'au moment du tournage.
Oui j'y tiens à ces foutues huit heures.
La pièce reste silencieuse quelques instants avant que le danseur ne referme la porte, moment précis auquel je m'endors. Je veux hiberner, comme les ours !
Mais c'est à peine deux heures plus tard que je me réveille, aux alentours de midi et quart, à cause du bruit dans la cuisine. Je jette un rapide coup d'œil autour de moi pour constater qu'Aly n'est plus dans son lit et je devine sans mal que tout le monde est en train de déjeuner et que personne ne m'a réveillée. C'est gentil de leur part, je pensais pourtant qu'il y en aurait bien un pour vouloir me réveiller en sursaut – plus je les connais moins je leur fais confiance, c'est triste.
Je rejoins le groupe avec un dynamisme proche de celui de l'escargot et me laisse littéralement tomber sur ma chaise avant de jeter un bref regard à ce qui se trouve sur la table : riz et fruits de mer. Bon ça va encore : je n'aime pas le poisson, mais les crevettes ça ne me déplaît pas. Je me sers avec un sourire, ayant croisé le regard bienveillant de RM qui prend alors la parole :
« J-Hope, Jin et moi on va sortir se promener pour digérer. Aly va venir, tu veux te joindre à nous ?
- Ouais pourquoi pas... mais personne ne cache les couverts, ok ?
- T'inquiète, la fois où on l'a fait m'a laissé un très mauvais souvenir, grimace-t-il avec humour.
- J'y avais pas touché à ce morceau de viande, ça t'aurait pas tué. »
Il hausse les épaules en soupirant et reporte son attention sur son plat tandis que j'en fais de même. Toute cette danse m'ouvre toujours l'appétit, par chance sur ce coup-là mon ventre reste discret.
Alors qu'elle est sur le point de filer hors de table en premier pour être sûre d'être tranquille, Jin arrête Aly d'une phrase :
« Aujourd'hui c'est toi qui feras la vaisselle, c'est pas parce que tu es la plus jeune que tu dois être la plus fainéante.
- Mais Jin, je n'ai que dix-huit ans...
- C'est supposé t'empêcher de faire la vaisselle ?
- C'est supposé t'attendrir pour que je ne la fasse pas.
- Bah c'est loupé. Tiens, j'ai fini, tu débarrasseras aussi. »
Il se lève et quitte la table avec un sourire tandis qu'Aly regarde d'un air dépité chacun des garçons s'en aller tour à tour, laissant une jolie montagne de vaisselle à faire derrière eux. Cuillères pour le riz, baguettes pour les crevettes, et bien sûr les verres, les assiettes, et nos propres couverts.
« Charlie, supplie-t-elle d'une petite voix implorante, tu vas m'aider toi, hein ?
- T'as cru quoi ? Allez, bonne vaisselle petit sœur, à plus. »
Je m'en vais en ricanant après avoir vu son sourire mielleux disparaître et ses yeux s'agrandir. Aly est vraiment trop chou, mais elle n'a plus douze ans, elle est moins mignonne qu'avant et je craque moins facilement à chacune de ses demandes. Je reste faible, certes, mais moins.
Je passe sur mon portable et réponds sur Skype à un message de ma mère qui s'inquiète de ne pas avoir de nos nouvelles car hier soir je n'ai pas répondu à son appel vidéo. Je tape une rapide réponse :
« Maman, je te rappelle qu'il y a sept heures de décalage entre toi et moi, ton message je l'ai reçu en pleine nuit, j'étais en train de dormir... »
À cette heure, ma mère doit être en train de se préparer pour son travail, c'est pour ça que je suis assez étonnée qu'elle réponde si rapidement :
« Ah ok, donc vous êtes toujours en vie ? Merde, avec papa on avait commencé à s'imaginer en vacances dans les îles, sans vous entre nos pattes. »
Ça, ça veut dire « je t'aime » chez nous. Je sais, c'est particulier.
« Moi aussi tu me manques, bisous ! <3
- Bisous ! »
Je souris en voyant son dernier message et referme l'application pour aller plutôt passer des vêtements plus décents que mon pyjama si je veux sortir avec les garçons. J'imagine que c'est une des dernières promenades qu'on va faire, alors mieux vaut en profiter au maximum. Après m'être recoiffée un peu, j'entends Aly entrer dans la chambre et refermer la porte derrière elle en grognant.
« Charlie tu es une traîtresse, peste-t-elle alors que je sors de la salle de bain. Se coltiner toute la vaisselle seule, c'est vraiment pas drôle !
- Moi je trouve que tu t'es bien débrouillée, tu y a passé à peine un quart d'heure. Et puis toi tu es déjà prête alors tu étais toute désignée pour la faire.
- V joue avec Jungkook aux cartes depuis qu'ils sont partis de table, moi j'aurais beaucoup mieux rentabilisé mon temps.
- Ah oui ?
- Parfaitement.
- En faisant quoi par exemple ?
- Je n'ai pas eu l'occasion d'y réfléchir, je faisais la vaisselle. »
Elle me foudroie du regard mais quand je commence à rigoler, ses traits se détendent immédiatement, laissant son sourire et sa fossette apparaître à leur tour. Je me laisse tomber sur mon lit, assise, et hausse les épaules tandis qu'elle soupire une fois de plus en allant s'installer sur le sien. C'est à peine quelques minutes plus tard que J-Hope vient nous prévenir que RM, Jin et lui s'en vont et que si on veut venir, c'est le moment d'aller se préparer.
« Je croyais que tu ne voulais plus sortir après la serveuse du café, s'étonne Aly lorsque je me lève alors que Hoseok vient juste de quitter la pièce.
- Oui, affirmé-je, c'est le cas, en revanche il y a quelque chose que je tiens absolument à faire avant de partir, et c'est probablement la dernière fois que je pourrai y songer, alors mieux vaut sauter sur l'occasion. »
Elle me toise d'un air curieux, visiblement intriguée par ce que je viens de lui dire. C'est vrai que si j'y pense depuis hier, je ne lui en ai pas encore parlé, notamment parce que c'est une des rares choses à laquelle je me rappelle avoir songé la veille au soir pendant que je somnolais, alors je n'ai pas pris le temps de lui expliquer ça.
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