Chapitre 169
« Bon, nous on doit y aller, lance RM depuis le couloir, passez un bon après-midi !
- Vous aussi ! » je réponds depuis la cuisine
J'entends un vague « merci » suivi de la porte qui se referme. C'est à peine quelques minutes plus tard, alors que je suis toujours dans mes pensées, mon verre d'eau à la main, que Samna entre et va chercher Aly après m'avoir saluée. Aujourd'hui, notre professeure est coiffée d'une jolie tresse brune, ça me fait bizarre mais ça lui va bien, même si j'ai plutôt l'habitude de la voir avec un chignon ou les cheveux détachés.
Quand ma sœur et elle reviennent, la plus jeune a l'air toute guillerette, et lorsque je remarque qu'elle a sa sacoche avec elle, je comprends pourquoi : elle a bel et bien prévu de dépenser un peu d'argent, en revanche j'ignore si c'est dans le but d'acheter à manger ou d'acheter des souvenirs.
« Tu viens avec nous Charlie ? me demande-t-elle avec son large sourire.
- Non merci, va te goinfrer de gâteaux sans moi.
- Cool, y en aura plus pour moi dans ce cas !
- Tu sais bien que je te laisserai toujours la priorité sur la bouffe. »
Elle m'adresse un clin d'œil et s'en va, suivie de notre professeur qui quant à elle me salue brièvement en me souhaitant une bonne journée.
Mon premier réflexe une fois qu'elles sont parties ? Me laisser tomber comme un vulgaire excrément sur le canapé du salon. Je rigole toute seule en trouvant que la position dans laquelle j'atterris ressemble à s'y méprendre à celle qu'a toujours Suga quand il se repose. Alors c'est ça, Yoongi se laisse toujours tomber mollement quand il est fatigué... c'est probablement la raison pour laquelle j'entends un bruit qui est loin d'être rassurant provenir du canapé : ça l'a abîmé à force et se laisser tomber dessus comme ça n'est pas très bon pour le meuble. Le bois craque, mais je suis convaincue que ça ne lâchera pas : si ça peut encore supporter le poids de Suga, ça pourra le faire avec le mien.
Étrangement, je ne suis pas assez fatiguée pour m'endormir et en vérité, je passe un bon quart d'heure plongée dans mes pensées, à divaguer tout simplement, sans vraiment savoir à quoi je songe. Je suis simplement bien, ici, j'ai la sensation d'avoir le droit de me reposer, d'avoir le droit de souffler et de prendre un peu de temps pour ne rien faire sans pour autant avoir à m'en vouloir par la suite. Ces moments sont rares, ça me donne la sensation de pouvoir me retrouver avec moi-même en toute impunité et c'est quelque chose que je n'ai plus le temps de faire ces dernières semaines : j'enchaîne les chansons promotionnelles alors qu'ici tout est encore très nouveau pour moi et j'ai l'impression que tout se bouscule à une vitesse effarante tandis que d'ici quelques jours, le soufflé va brutalement retomber lorsque je remonterai dans l'avion. Je n'arrive pas à croire qu'en dépit de tout ce que j'ai accompli depuis mon arrivée ici, il s'est passé à peine plus de trois semaines. D'un côté ça me paraît très long, mais d'un autre très court : je perds complètement la notion du temps, tous mes repères sont brouillés ici.
C'est probablement ça de vivre un rêve éveillé : tout est si merveilleux et si incroyable que c'est comme si on était endormi. Il y a cette même sensation de flou, à la manière de cette brume qui semble entourer nos rêves et en dissiper peu à peu les détails. Eh bien là c'est pareil : je sais qu'en revenant chez moi, j'aurai oublié de nombreux détails à propos de ce séjour, néanmoins je sais aussi que les moments les plus marquants resteront ancrés en moi pour toujours, et ça me rassure car je ne veux pas les oublier (aussi bien les moments que j'ai vécus que les personnes avec lesquelles je les ai vécus).
Lorsque j'ouvre de nouveau les yeux, un petit sourire naît sur mon visage : chaque fois que je me répète que ce que je vis est bel et bien réel, je ne peux pas empêcher mon cœur de s'emballer. Oui, c'est réel, je ne rêve pas, et je ne réussirai jamais à l'admettre vraiment.
Puis je me rends compte : j'ai fini, j'ai écrit ma dernière chanson, les enregistrements sont sur le point de prendre fin et par un miracle que je peine encore à expliquer, je me débrouille bien avec la chorée ce qui me permettra probablement de la connaître par cœur dès ce soir. Tous les objectifs sont remplis, ensuite je n'aurai plus rien à faire... plus rien tout court d'ailleurs. Oui d'un côté je suis heureuse à l'idée de retourner à ma vie d'avant, mais est-ce vraiment possible de ne pas être perturbée à l'idée de laisser tout ça derrière soi ? Les paillettes de la scène, la popularité grandissante... les garçons. Ils m'ont permis d'entrer dans leur monde mais ça a été un choc terrible et alors que je commence à peine à m'en remettre, il faut déjà que je sois sur le point de m'en aller. Par chance, ils sont très terre-à-terre et être avec eux m'a également permis de ne pas me laisser noyer par toute cette soudaine attention qui m'est portée. Passée du centre de la lumière des projecteurs à l'ombre la plus totale, je sais que ça va me donner un sacré coup, j'en suis bien consciente, mais je sais aussi qu'Aly sera là pour me guider et m'empêcher de sombrer dans la nostalgie. Depuis le début je sais que je ne suis qu'une petite célébrité éphémère, mais monter sur scène, c'est tellement... ouah ! Je n'ai jamais ressenti quelque chose de si puissant, c'est tout simplement impensable ! Imaginer qu'il ne me reste qu'une seule fois à en profiter, ça me fait un peu mal, mais d'un autre côté, c'est ce qui rend si parfait ce moment : savoir que je dois en profiter à fond me permet de prendre un réel plaisir à chaque fois, et cela en dépit du stress engendré.
Je décide de me lever environ une demi-heure après m'être confortablement installée là, et comme toujours, me poser pour réfléchir me permet de décompresser et d'avoir le cœur plus léger. Ça m'aide à me rassurer à propos de certaines choses et d'en relativiser d'autres. C'est certainement parce que je n'ai jamais trop de temps pour poser les choses à plat qu'il m'arrive si souvent de stresser ou de faire n'importe quoi, je n'ai pas l'habitude de tout faire dans la précipitation.
Après un verre d'eau bien mérité, je prends la décision d'aller m'entraîner et une fois changée, je me dirige tranquillement vers la salle de danse qui m'est toujours accessible. Le chorégraphe a bien fait de me permettre de venir quand je le souhaite car ça me permet d'être plus sereine, de me dire que si quelque chose ne va pas, je peux à tout moment aller m'entraîner une petite demi-heure – voire moins – pour m'assurer que tout va bien, et c'est justement ce que je compte faire à présent. Je relie mon téléphone à l'enceinte et, puisque je suis seule, j'en profite pour monter le son à fond et m'éclater vraiment sur chacune de mes chorées. La troisième est fluide, comme toujours la nuit a fait son œuvre et je me débrouille encore mieux que la veille Je prends énormément de plaisir à l'exécuter en me disant que cette fois-ci, je n'ai pas eu de difficulté particulièrement insurmontable. J'ai l'impression que ces derniers jours, tout se passe bien pour moi, c'est franchement quelque chose de génial ! Ça me soulage vraiment et finalement, je me dis que je ne suis peut-être pas si nulle que ce que j'imaginais il y a quelques jours encore tandis que je m'arrachais les cheveux à apprendre une chorée ultra complexe.
Mes mouvements sont fluides, un peu comme si je faisais des exercices de relaxation mais en musique. Le tempo de mon rap a beau être accéléré, la danse qui va avec reste très belle, très douce, de même que le sont les paroles que je chante (c'est justement ce que j'adore : des paroles et une chorégraphie douce pour un rythme bien plus agressif – ce contraste est sublime !).
Je ne sais pas exactement combien de temps je passe à danser puisque je fais régulièrement une pause pour chantonner entre deux gorgées d'eau (j'ai pensé à ma bouteille cette fois-ci, il faut le souligner), mais le fait est que quand je suis de retour à l'appartement, il est exactement l'heure du goûter. Malheureusement, puisque les gâteaux ont déserté l'appartement, je me retrouve à manger une pomme, tout simplement. Ce n'est pas plus mal d'ailleurs, c'est nourrissant et pas très calorique... même si je m'en balance royalement des calories ! Comme dirait mon ancienne prof de français, je m'en badigeonne le nombril avec le pinceau de l'indifférence !
Le reste de mon temps libre, je le partage entre un peu de lecture et du glandage pur. Je me complais dans la tranquillité, allant un peu sur internet pour voir ce que ça donne quand je tape mon nom. Immédiatement, des dizaines de sites, de vidéos, d'actualités apparaissant sur Google et j'ouvre de grands yeux en voyant certains titres. Beaucoup d'ARMY me critiquent, trouvent que je n'ai pas ma place parmi les garçons et ont hâte que je retourne d'où je viens – bon, je ne vais pas faire semblant que ça me choque puisqu'en vérité, je m'attendais clairement à voir ce genre de choses. Je préfère ne pas aller voir l'article et passe plutôt jeter un œil à ceux qui parlent des deux concerts auxquels j'ai participé : on me qualifie de timide mais dynamique, avec une bonne volonté flagrante et un sourire lumineux. L'article vient d'un journal français, il est très élogieux, mais certains journalistes coréens ou anglais se montrent un peu plus sévères, notamment en ce qui concerne la façon dont je danse et mon utilité sur scène puisque je ne fais que les chœurs.
Ce qu'ils n'ont pas compris, c'est que je ne fais pas partie des BTS, ce qui ne me donne pas droit à une partie en tant que voix principale. Je suis juste un bonus et ma présence sur scène sert simplement à illustrer ma présence dans les coulisses : j'écris pour les BTS, alors s'ils m'en pensent capable, j'estime qu'il est légitime que je monte sur scène avec eux, non ? Je veux dire... ce n'est pas comme si j'essayais de leur voler la vedette, eux comme moi savent que j'en suis absolument incapable, faut pas déconner.
« Charlie ! »
Je sursaute brusquement tandis que le hurlement d'Aly me tire de mes songes, et je manque de lâcher mon portable sous l'effet de la surprise. Ma sœur arrive en se marrant :
« Je t'avais encore jamais vu sursauter Charlie, c'était magique !
- C'est bon c'était juste un sursaut... Bon qu'est-ce qui t'a poussé à hurler ?
- Regarde ! »
Elle me tend un sac de plastique dans lequel apparaissent plusieurs paquets de nos gâteaux préférés et bien autres barres chocolatées.
« T'as vu, sourit-elle, j'ai même pris des Snickers pour Hobi, je suis sûre qu'il sera content ! »
Je ne trouve rien à dire, si ce n'est rire de l'attention adorable de ma petite sœur qui ne comprend pas vraiment ce qu'il y a de drôle là-dedans. Elle hausse les épaules et va ranger tout ça à la cuisine tandis que Samna vient discuter un peu avec moi. Seules quelques banalités sont échangées, mais ça me manque de ne plus parler avec elle ; il faut dire que quand Aly n'était pas encore arrivée à Séoul, Samna était pour moi une vraie confidente, quelqu'un avec qui j'adorais parler, presque comme une amie, voire en certaines situations, comme une seconde mère. Elle compte énormément pour moi.
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