Prologue
Elle était assise sur le rebord de la fenêtre, invisible aux yeux du monde. Elle avait rabattu sur sa tête la capuche de son sweat noir, dissimulant le casque dont elle ne se séparait que lorsqu'elle les échangeait contre ses écouteurs. Sa tête se mouvait lentement, suivant le rythme de la musique qu'elle écoutait. Son jean troué bleu nuit et ses converses couleur de jais lui donnaient un air sombre alors même que fascinée par la beauté de ce qu'elle écoutait, elle était la fille la plus heureuse du monde.
La salle de classe était vide, elle était toujours la première à arriver, elle avait ainsi le temps d'être seule. Les partiels de fin d'année étaient sur le point de s'achever, tout comme le mois de mai. L'université était encore calme et l'adolescente frissonna lorsqu'une brise vint caresser son visage. Quand arrivèrent les premiers élèves, elle alla s'installer distraitement à sa place. Son casque ne quitta ses oreilles que lorsque le surveillant fit son entrée, un vieil homme enrobé à l'air jovial.
Même si on pouvait penser le contraire à cause de sa froideur et de la distance qu'elle mettait entre elle et ses camarades, elle n'était pas timide. Elle était simplement toujours ailleurs, dans un monde que personne à part elle ne pouvait comprendre ni même connaître. C'était ainsi qu'elle était heureuse.
Elle retira sa capuche, dévoilant de courts cheveux desquels la teinture platine avait volé le blond naturel. Elle portait un petit anneau doré à chaque oreille, néanmoins il dépassait de son oreille gauche quelques piercings, tous noirs. Elle ne s'était qu'à peine maquillée ce jour-là, soulignant son regard envoûtant d'un trait sombre. Elle était belle sans être exceptionnelle ; il y avait sur son visage encore juvénile de charmantes pommettes, son corps était fin sans être aussi maigre que celui des plus jolies filles de sa classe de travaux dirigés et elle avait une taille moyenne pour une jeune femme dont la croissance était finie, un petit mètre soixante-neuf.
Le coude sur la table, la tête retenue par sa main, elle regardait dans le vague. Ce jour-là, contrairement à ce que son apparence aurait pu suggérer, elle écoutait « Partir là-bas », la chanson de la Petite Sirène. Elle ne disait jamais à ses camarades ce qu'elle écoutait, elle en avait honte et en était fière à la fois : certes, certains la trouvaient puérile, mais elle, tout ce qu'elle voyait, c'était qu'elle avait des rêves en cascade. Un prince charmant ? Non bien sûr, elle n'en rêvait plus depuis ses neuf ans. En revanche, elle rêvait d'avoir la possibilité de faire de sa passion son travail. Destinée à devenir professeur d'histoire, tout ce qu'elle voulait, c'était chanter et danser.
Bien sûr, son seul public avait toujours été son reflet dans la glace et parfois sa sœur, quand elle se cachait derrière la porte pour l'écouter chanter, accompagnée par la guitare qu'elle maniait à merveille. Or c'était ça, le rêve de Charlène : monter sur scène, faire face à un vrai public, affronter le trac et les yeux qui vous dévisagent, pour dévoiler son âme. N'était-ce pas le plus beau métier du monde que de tenter d'exprimer ce qui n'est pas censé pouvoir l'être ? Un sentiment était avant tout une sensation, chacun en avait un ressenti précis. Elle, elle mettait cela en musique. Elle écrivait des paroles honnêtes, parfois un peu niaises ou naïves, selon sa petite sœur à qui elle faisait souvent lire ses textes. Avec le temps, ils s'étaient complexifiés, améliorés, ils avaient fini par atteindre une réelle maturité dans leur écriture, même si certains demeuraient plutôt innocents.
Son examen terminé, Charlène rentra chez elle en bus ; elle n'avait pas le permis et n'avait pas le courage de le passer, cette simple idée l'ennuyait profondément. Quand elle rentra, elle croisa d'abord sa mère qui lui demanda, comme toujours, comment s'était passée son examen. Puis c'est son père qui, quelques heures plus tard, lorsqu'il rentra, vint lui poser la même question. Aux deux elle répondit la même chose : « on verra bien les résultats ».
Allongée sur son lit, scotchée à son écran d'ordinateur, elle tapait une nouvelle chanson pour le blog qu'elle tenait depuis quelques mois. De cette façon, elle n'avait plus à faire lire ses textes à sa sœur pour obtenir un avis objectif... Enfin, c'était ce qu'elle avait cru : chacun de ses textes avait une demi-douzaine de vues, sans plus, et aucun commentaire. Pourtant Charlène persévérait. Elle aimait écrire, et elle se moquait qu'on la lise ou non. Certes, elle voudrait en faire son métier, mais si ça devait rester une passion, eh bien soit, cela le resterait.
Un son parasite s'éleva alors qu'elle commençait quelques accords à la guitare : dans la pièce d'à côté, Alysson - sa petite sœur - chantait à tue-tête. Impossible de se concentrer. Charlène grimaça et tenta de faire abstraction de ce fracas monstrueux pour se focaliser sur son univers. Après quelques notes, elle chanta ses premiers vers, s'arrêtant parfois pour écrire ses notes sur un papier à partitions. Elle était heureuse, plongée dans son monde.
« Not not today ! Not not today ! »
La mâchoire de la jeune fille se crispa et son poing se serra autour de son crayon. Agacée, elle se leva et alla frapper à la chambre de sa sœur.
« Aly, c'est pas fini ce bordel ? Chante moins fort !
- Cool Charlie, répondit une voix de l'autre côté de la porte, quand je chanterai tes chansons j'espère que tu ne seras pas aussi furax.
- Si tu les chantes aussi fort, si. »
La porte s'ouvrit sur une jeune blonde dont les cheveux cascadaient jusqu'à ses cuisses. L'adolescente, âgée de dix-huit ans, avait des yeux d'un bleu aussi hypnotisant que le vert des yeux de Charlène. Celle-ci lui adressa un sourire résigné, voyant toujours en Alysson une petite sœur qu'elle se devait de protéger et qu'il lui était impossible de disputer.
« Je te demande juste de chanter moins fort.
- Mais Charlie, les BTS...
- Mais Aly, ça fait cinq ans que tu me sors la même excuse. J'ai déjà été bien sympa, là je commence à en avoir plein le dos de ton groupe à la con.
- Ose redire que c'est un groupe à la con et je te jure que c'est une armée qui va te fondre dessus. Je dis ça pour ton bien, moi... »
Charlie - car c'était ainsi que tout le monde appelait Charlène, y compris certains de ses professeurs - soupira, haussa les épaules et, battue, abandonna le champ de bataille. Alysson était accro aux BTS, un groupe de K-pop dont les chansons avaient souvent des sonorités assez hip-hop, depuis bien trop longtemps, ça virait à l'obsession. Elle n'avait rien dit quand sa sœur était venue la supplier de l'aider à apprendre le coréen de sorte à pouvoir dialoguer aisément avec les membres du groupe dans le cas rarissime où ils auraient plus de dix secondes à lui accorder. Enfin, sur ce point, Charlie ne pouvait pas se plaindre : c'était grâce à la passion d'Alysson qu'elle parlait assez bien le coréen pour pouvoir tenir une conversation classique. Il avait fallu des heures de travail chaque jour, y passer des weekends et des vacances en parlant exclusivement coréen, mais elles avaient réussir à acquérir un niveau tel qu'Alysson était capable de comprendre et prononcer presque parfaitement chaque mot de chaque chanson de ses idoles. Certaines semaines, elles avaient travaillé jusqu'à vingt voire trente heures, mais cela avait fini par payer. Les deux filles parlaient parfois dans cette langue quand elles ne voulaient pas que les autres les comprennent ; cela les avait rendues plus complices qu'elles ne l'étaient déjà.
Charlie s'assit sur le tapis de sa chambre. Pas très confortable, mais il n'y avait que là qu'elle se sentait bien - étonnamment. Peut-être parce qu'ici, elle avait toute la liberté de mouvement qu'il lui fallait pour jouer de la guitare, ses partitions sous les yeux, son ordinateur à proximité.
« Not not today! Not not today !
Hey baepsaedeura da hands up
Hey chingudeura da hands up
Hey nareul mitneundamyeon hands up
Chong ! Jojun ! Balsa ! »
Charlie rumina seule dans son coin. Si seulement Aly pouvait enfin se lasser de ce maudit groupe et arrêter de chanter en boucle leurs chansons toute la journée ; elle-même avait fini par en connaître toutes les paroles par cœur sans avoir jamais vu un seul de leur clip, du moins sa sœur avait tenté de lui en montrer un mais c'était lorsqu'elle venait de découvrir le groupe, plusieurs années plus tôt. Tout ce dont elle se souvenait, c'était que les chorégraphies l'avaient épatée et qu'il fallait avouer que les garçons étaient mignons, rien de plus.
Par chance, Aly ne chantait pas trop mal et l'écouter n'était pas un si grand calvaire qu'on pourrait l'imaginer. De fait, Charlie avait fini par trouver que les chansons étaient plutôt sympathiques, et si elle n'avait rien contre le groupe, c'était contre sa sœur qu'elle s'énervait parfois. Qu'elle chante n'était pas un problème, mais elle semblait faire tout son possible pour le faire le plus fort possible, chose absolument invivable au quotidien.
Charlie publia sa nouvelle chanson, rangea ses affaires et, ses écouteurs vissés à ses oreilles, cette fois-ci, fit défiler ses musiques préférées, empoignant sa corde à sauter (car à part la danse, c'était le seul exercice qu'elle n'avait pas en horreur, d'autant plus que la corde lui avait permis d'acquérir une endurance à toute épreuve depuis le temps qu'elle en faisait). Après une vingtaine de minutes, elle préféra danser au beau milieu de sa chambre avec une passion non feinte et une énergie impressionnante. Ses mouvements étaient fluides, rythmés, libres. Elle était faite pour ça, mais elle était incapable de s'en rendre compte.
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